mardi 8 décembre 2020

Témoignage - Solidarité - Active - Cinéastes - 1975…

 


Suite à la publication sur mon blog de l’interview de Jean-Pierre Sergent , réalisateur de « ALGERIE ANNEE ZERO », dont l’opérateur de prise de vues était Bruno Muel, j’ai reçu ce témoignage du cinéaste Nasredine Guenifi  « fel ghorba » en France depuis 15 ans….

 

 Je viens de lire l'interview du réalisateur. Il raconte fidèlement ce que j'ai vu moi-même. Je ressens une profonde tristesse en pensant à cette tragédie du détournement de l'indépendance. Mais l'histoire n'est pas finie….

… Je n'étais pas à Alger en nov./DEC 62. Mais début février 63 j'avais débarqué au Centre audiovisuel de Ben Aknoun dirigé alors par René Vautier. Je me souviens que Bruno Muel nous rendait visite mais je ne savais pas qu'il tournait un film. Il est revenu vers 67/68 et on se voyait à l'ONCIC. Ensuite, vers 1975, peu après la marche verte je rencontrais Théo Robichet. Il tournait un film documentaire sur le Polisario "indépendance ou génocide", film présenté à la cinémathèque le 12/12/75.

Sur la photo scannée que je t’envoie,  je suis à côté de Bruno et Théo car j'ai présenté en  exposition une série de photographies sur un camp du Polisario. Voilà tout ce que ma mémoire a retenu sur Bruno. J'ajoute que c'est une personne affable, modeste, qui parle peu et n’est pas paternaliste. Amitié.



[Cinémathèque de la rue Larbi Ben M’hidi, Alger. Deux cinéastes sahraouis, Amar Bakhouche, journaliste à l’Information, RTA ; Lyazid Khodja, animateur à la Cinémathèque algérienne ; les cinéastes français Théo Robichet  et Bruno Muel ; Nasredine Guenifi.]

 

Nasredine Guenifi est réalisateur de « Nous n’étions pas des héros », long métrage de fiction sorti en octobre 2017 et adapté du livre « Le camp » de Abdelhamid Benzine publié en 1962.

Il avait depuis l’indépendance longuement exercé le métier de Directeur photo puis de réalisateur documentariste (ainsi que celui de secrétaire général de la section syndicale de l’ONCIC) avant de réaliser « Nous n’étions pas des héros »






Grand merci à Nasredine Guenifi

Amitiés

Abderrahmane Djelfaoui


dimanche 29 novembre 2020

ALGERIE ANNEE ZERO – …« essayer de raconter ce pays dans l’état où il était à ce moment-là »…

 

[Suite de la première partie (https://djelfalger.blogspot.com/2020/11/algerie-annee-zero-1er-entretien-avec.html) de l’Entretien avec Jean Pierre Sergent, réalisateur]

25 juillet 2020, Belle-Isle sur mer / Alger

 

 

….Le principal du tournage (nous dit le réalisateur) s’est effectué avec Bruno Muel, opérateur de prise de vue, en novembre 1962… Nous n’avions malheureusement pas de caméra Coutant; on travaillait avec une Arriflex 16 mm avec juste un signal de synchronicité sur le Nagra [magnétophone] pour le son…



Caméra Arriflex 16 mm, modèle 1952


Pour Bruno Muel appelé de la guerre d’Algérie entre 56 et 58, «participer à un film sur l’indépendance était une victoire sur l’horreur, le mensonge et l’absurde » …

Avec lui et Marceline Lauridan, le tournage avançait jour par jour, je ne dirais pas au hasard mais en liaison avec les évènements et les rencontres qu’on faisait ; ça dépendait aussi des autorisations qu’on nous donnait. On a toujours travaillé avec une espèce d’autorisation de tournage délivrée non par des organismes de cinéma (il n’en existait pas!) mais par les autorités du FLN… On était des francs-tireurs…

 

 « Ce matin-là, 1er novembre 1962, plus d’un million d’Algériens se pressaient dans les rues pour voir passer le défilé. Ceux qui défilaient, soldats, maquisards, ouvriers et paysans, et ceux qui les regardaient défiler, soldats, maquisards, ouvriers et paysans, s’étaient assemblés pour dire au monde leur joie et leur fierté d’être un million d’Algériens ensemble dans la rue, libres, coude à coude et fraternels.

C’était la première année de l’indépendance, la première célébration de la Fête nationale. »

Telles sont les première phrases du commentaire écrites par Jean Pierre Sergent sur les toutes premières images du film…


Soldats défilant le 1er Novembre 1962 sur leur pièce de DCA  sous  Djamaa El Kbir où une partie de la foule est massée sur le toit de la mosquée …


[Et après cet historique défilé d’Alger sur le boulevard front de mer, comment avez-vous décidé d’aller à l’intérieur du pays, vers les Aurès ? ]



Image du film ALGERIE ANNEE ZERO, 1962…


Je ne sais plus comment on a décidé d’aller dans les Aurès. Mais ce qu’on avait compris, c’est qu’il fallait essayer de raconter ce pays dans l’état où il était à ce moment-là. Bien entendu, c’est à l’intérieur du pays que ça se passait ; ce que nous avions compris très vite…

Cela c’est aussi le résultat de différents contacts. On avançait au fur et à mesure des contacts qu’on rencontrait. On discutait. On expliquait notre projet. Eux ça les faisait réagir. Ils pensaient à tel ou tel lieu qui pouvait nous intéresser. Ils nous orientaient certainement aussi un peu selon leur propre vision de ce qui était important ou pas. Nous, nous n’avions pas un cahier des charges préétabli ; c’est peu à peu que s’élaborait en nous ce qui serait intéressant de montrer dans le film…

Nous étions d’ailleurs limités par nos moyens: pas beaucoup de pellicule, très peu d’argent… Le FLN a mis à notre disposition deux véhicules qui nous ont permis de circuler ; ils avaient tout un stock de bagnoles abandonnées ; c’était pas très dur de trouver une voiture à l’époque ; il fallait juste avoir un papier qui montrait qu’on ne l’avait pas volée !… C’était donc au fur à mesure que nous élaborions ce qu’on avait envie des faire; c’était pas toujours clair à l’avance … On est donc allé à Batna, Timgad, jusqu’aux portes du désert. Les Aurès étaient pour nous le lieu d’origine de la guerre !..


[Après des images panoramiques sur des espaces semi désertiques ou montagneux et rocheux qui nous introduisent dans les Aurès, on voit  - image extraordinaire -  les djounouds défiler au pas tout en chantant un chant patriotique dans l’artère principale de l’antique Timgad vers l’Arc de Triomphe de Trajan datant du second siècle avant JC !...]


Séquence Timgad (capture sur écran)…


C’est moi qui avais eu l’idée de cette reconstitution ; je leur ai demandé si vous voulez bien défiler dans les ruines romaines… Ils étaient installés là ; il y avait un campement, un bataillon je crois. Ils ont accepté et j’ai vu la force du symbole…Le commentaire du film dit à ce moment-là :

« Aujourd’hui les soldats berbères et arabes, ensemble descendus en vainqueurs des montagnes protectrices, abolissent en défilant sous l’arc réservé aux triomphes impériaux toutes les colonisations passées. »


[La séquence qui suit Timgad est humainement plus dramatique…. Elle concerne un vieux berger des Aurès, Amar, dont vous dites dans le commentaire :]

« Au cœur du djebel, derrière les crêtes inaccessibles, un PC de willaya abandonné.

 Amar le vieux berger s’y souvient de ses longues marches nocturnes pour porter à son fils et à ses compagnons du maquis les nouvelles du village, les vivres et les munitions.

Le fils est mort et les maquisards sont dans les casernes.

L’épopée est terminée.

Pour tous les blessures sont profondes et les cicatrices imparfaites.

 Encerclés, arrêtés, regroupés, libérés, dégroupés, après bien des années d’exil les paysans sont revenus dans leurs villages abandonnés.

Cette histoire, celle du douar Oueldja pourrait être celle de centaines d’autres villages. »






Rupture ou pas rupture ?...

 

(Les Aurès : ce sont six minutes de film sur la détresse des populations du vieux massif paysan. Une séquence indélébile suivie par un retour sur Alger, les bidonvilles de Maison-Carrée, du Ruisseau, de Kouba,  du Ravin de la femme sauvage et de Beau-fraisier « où 350 000 petits paysans et ouvriers agricoles chassés de leurs villages par la famine, le chômage et la guerre s’entassent » … Puis les cubes de la Casbah ancien joyau vieilli, insalubre et surpeuplé où la précarité écrase la population… En face : l’opulence de la ville européenne avec ses queues pour l’exode vers la France, l’anisette du soir aux terrasses de cafés, ses dancings mais surtout les ateliers industriels à l’arrêt, le port vide de navires…)





Le commentaire du film souligne sans ambiguïté:


« Pour le présent, le bilan est sombre.

La guerre a fait des ravages : un million de morts, 300 000 orphelins, mille villages rasés, des milliers d’hectares de forêt brûlés.

Le sous-développement est presque total.

7 millions de paysans ont un revenu annuel de 200 francs, une ration alimentaire inférieure à 2 000 calories.

90 % sont analphabètes.

Le taux de mortalité infantile atteint 150 pour mille.

Aussi lorsqu’un Algérien parle de l’avenir, il parle de la révolution qui changera tout. »

 

C’est comme ça, (dit Jean-Pierre Sergent se ressouvenant à 56 ans de distance des pérégrinations de 6 semaines de sa petite équipe de tournage) qu’on s’est retrouvé dans cette grande ferme qui avait été collectivisée dans la Metidja… (Une longue séquence du film très instructive dans cette situation générale qui frisait le chaos quant aux potentialités populaires du renouveau…



Inscription murale filmée dans ALGERIE ANNEE ZERO…. 

 

Ce dernier épisode, épisode final du film documentaire de 33 minutes en noir et blanc ALGERIE ANNEE ZERO (qui obtint le Grand Prix du film documentaire de Leipzig, en Allemagne en 1965) mérite à lui seul une autre page de ce blog.

 

Abderrahmane Djelfaoui















dimanche 15 novembre 2020

« ALGERIE ANNEE ZERO » 1er Entretien avec le cinéaste Jean Pierre Sergent (25 juillet 2020- Belle-isle / Alger)






 


NAISSANCE D’UNE IDEE….

[Comment peut-on faire un tel film à cette période charnière de 1962 en Algérie ?]

… Je suis venu de France à Alger pour l’Indépendance. J’y suis venu pour les fêtes de l’indépendance avec des amis qui, comme moi, avaient été actifs en tant que « porteurs de valises ». Mais je n’aime pas beaucoup l’expression « porteurs de valises ». Parce que je n’ai pas porté beaucoup de valises, mais j’ai fait tout autre chose. Disons : je transportais des évadés de prison. Leur faire passer des frontières, et des choses comme ça. En 1959- 60… Vers la Suisse et la Belgique. Des voyages en Allemagne aussi en passant par le Luxembourg pour trimballer non pas des valises mais des papiers, des documents… En voiture, des voitures…


Livre paru en 1979, chez Albin Michel, Paris


[Comment avez-vous vécu l’Indépendance ?]

A Alger, ce qui était important pour moi c’était l’indépendance… Depuis avril, c’est-à-dire depuis les accords d’Evian qui avaient permis d’ouvrir les prisons, il y avait eu des tas de rencontres avec les « frères » comme on dit…Des gens que je connaissais, qui sortaient de prison, qu’on rencontrait… Comme Mohamed Boudia, rencontré à Paris au printemps 62, après son évasion de la prison de Fresnes en 1961 … Une ambiance de joie ! On était heureux que cette indépendance enfin arrive ! 


Mohamed Boudia


Et avec trois amis, je crois, on a décidé d’être à Alger pour les fêtes de l’indépendance…En avion… On ne connaissait personne. On avait des adresses. Des adresses dans la Casbah. On a été les premiers français à entrer dans la Casbah depuis « la bataille d’Alger ». On était identifié comme des français de la métropole ; et comme ils découvraient qu’on était proches, le contact a été  extrêmement chaleureux. C’est ça qui m’a marqué le plus… Je ne sais plus combien on y resté à la Casbah… J’ai mauvaise mémoire… Je ne me rappelle plus très bien comment on a réussi à se loger dans cette Casbah… Dans la ville européenne les logements ne manquaient pas. Parce que comme des centaines de milliers de pieds noirs étaient partis, les logements il y en avait…  

Je me souviens après qu’on était logés au boulevard du Télemly. Dans un bâtiment qui s’appelait l’Aéro-habitat…. Mais ce n’était pas tout de suite. C’était un peu plus tard… Grâce à des amis militants. Oui des amis militants qui, avec quelques adresses, on s’était retrouvés. J’avais retrouvé comme ça deux ou trois personnes que j’avais déjà rencontrées à Paris… J’avais aussi un grand ami, Mokhtar Moktefi, rencontré à Tunis en 1961, puis à Paris et à Alger. Il a quitté l’Algérie après le renversement de Ben Bella, est resté quelques temps en France puis s’est établi à New York avec sa compagne américaine, grand activiste anticolonialiste et anti impérialiste expulsée brutalement par les autorités algériennes. Il est décédé il y a un ou deux ans mais elle est bien vivante et a récemment publié un bouquin sur ses années en Algérie....


Mokhtar et Elaine Mokhtefi / Collection personnelle d'Elaine Mokhtefi

Ayant travaillé à la Cinémathèque algérienne, nous avions souvent projeté le film de Vautier, « Peuple en marche » ; premier film réalisé en 1963; ou d’autres réalisés par les actualités algériennes… Mais là, c’est la première fois que je rencontre un film aussi franc qui m’a marqué par sa sobriété. Comment il a pu être fait ?… Par quelles étapes ?...

Au départ, je ne suis pas allé là-bas pour faire un film. Je voulais aller là-bas, pour assister à l’évènement, pour partager la joie des amis algériens à ce moment-là. C’est quand j’ai vécu l’exubérance de ces premiers jours,  quelque chose de vraiment puissant qui m’a touché, je me suis dit : ce serait bien de tourner et d’enregistrer des images. Parce que j’avais observé qu’il n’y avait pas grand monde qui tournait… Et il se trouve que deux ans avant j’avais participé à une aventure cinématographique, pas du tout comme cinéaste mais comme personnage du film de Jean Rouch et Edgar Morin « Chronique d’un été » avec Marceline Loridan ;  j’étais le Jean Pierre du film. C’est sur ce film tourné en été 1960 à Paris que j’avais compris qu’on pouvait tourner avec des moyens à très petit budget, faire du cinéma direct….



PREMIER TOURNAGE A ALGER….

J’ai donc pris contact avec la télévision et je leur ai demandé s’ils pouvaient nous prêter du matériel pour tourner. La télévision était encore gérée par l’ORTF, c’était une période de transition avec des Français. Ça ne les a pas empêché de me donner un coup de main. Non seulement ils nous ont prêté du matériel, mais ils ont mis à ma disposition un caméraman. C’est comme ça que j’ai pu faire un certain nombre de premières images… C’était l’été 62 ; puisque je suis arrivé début juillet 62… La chose s’est amorcée comme ça. A ce moment-là j’étais en relation par téléphone avec Marceline Loridan à qui j’ai raconté la situation et Marceline Loridan a décidé de venir elle aussi, parce qu’elle aussi avait été très impliquée dans les réseaux de soutien au FLN en France durant la guerre de libération … Marceline est arrivée fin juillet ou début août, je ne sais plus très bien… A ce moment-là c’était extrêmement très agité entre différentes factions algériennes pour le pouvoir… Les wilayas … D’abord il y a eu l’élimination de la Zone autonome d’Alger Ça se sentait au quotidien dans la rue … L’atmosphère, était dramatique, électrique… Il y avait des mouvements… Ça c’est surtout senti quand les armées des frontières ont fait route vers Alger… Et il y a eu des grandes manifestations de la population algéroise… Contre l’avancée de l’armée des frontières … Ils ne voulaient pas voir éclater une guerre civile. Un des slogans c’était : « Seb’a snin baraket ! »… « Sept ans ça suffit ! »…



La Une d'Alger républicain d'aout 1962

Et il y a eu un pseudo affrontement au sud d’Alger. Je me souviens être monté là-bas  et avoir tourné des images qui n’ont pas été montées par la suite, parce qu’elles n’étaient pas vraiment utilisables. Mais je ne voulais pas faire de l’actualité ; c’est là que je me suis rendu compte que ma démarche n’était pas du tout la même que celle des reporters  que je voyais en action et qui chaque jour cherchaient le sensationnel.  Ce n’était pas  ce que je voulais.

C’est là que j’ai compris qu’il serait intéressant ce serait de faire un film qui aille en profondeur et qui raconte dans quel état était ce pays, l’Algérie. Parce qu’évidemment j’ai été frappé par l’état de détresse  sous-jacent. Il y avait eu la joie de l’indépendance, mais il y avait l’inquiétude, il y avait la souffrance, les souffrances passées, la difficulté de vivre le présent, parce que tout était sens dessus dessous…


                                  Encadré :

 « Il existe après l’indépendance plusieurs structures de production et de diffusion : le Centre audiovisuel d’Alger, créé et dirigé depuis fin 1962 par René Vautier  qui réalisera  son premier documentaire « Peuple en marche » (1963) ; la société privée Casbah-Films créée par Yacef Saâdi qui réalisera en 1965 « La bataille d’Alger »; l’Office des actualités algériennes (1963) conduit par Mohammed Lakhdar-Hamina  qui produit « Alphabétisation », « L’hygiène », « Campagne d’assainissement » mais aussi (en 1964)un moyen métrage de fiction : « Le temps d’une image »; la Radio-Télévision algérienne sera dirigée par Aissa Messaoudi…

« En août 1963, a lieu sous Ben Bella, la première étatisation des salles de spectacles à Blida… »

Extrait de : Premières images de l’Algérie indépendante : Un peuple en marche (1964) ou «  l’épopée » du Centre audiovisuel d’Alger. Sébastien Layerle . p. 60-75   (https://doi.org/10.4000/decadrages.794)





[ Comment montiez-vous  peu à peu ce projet avec Marceline Loridan ?… Vous preniez d’abord des notes ?... Vous aviez déjà un canevas, un synopsis ?

Marceline était aussi convaincue que moi de l’importance de faire ce film, et c’est elle qui a trouvé les moyens. Personnellement je n'avais pas trop de relations avec les gens liés au pouvoir en train de se constituer; devrais-je dire "les pouvoirs"? C'est Marceline qui prenait cela en charge plus que moi. C'est elle aussi qui a convaincu un grand ami à elle et à nous à Paris. De nous soutenir financièrement ; à partir de quoi il a été possible de négocier avec une petite boite de production un peu proche du Parti communiste dont j’ai oublié le nom... Là on a pu faire venir un professionnel pour la prise de vue, Bruno Muel … On a travaillé avec Bruno Muel en octobre-novembre surtout. Le principal du tournage a été en novembre…  Ce n’est que plus tard que le film a été repris par la boite de production Argos films ….






Fin de la première partie...

Abderrahmane Djelfaoui

(prochaine partie: "essayer de raconter ce pays dans l'état où il était en 1962"...)




jeudi 29 octobre 2020

JUSTE LUMIERE DU MOULOUD / 28 octobre 2020

 





La lune de la nuit du mercredi 28 octobre 2020




Persiennes de nuit…




Lumière sur plante grasse




Photophore en terre cuite (création Narimane)



Ombres berbères… (Photo Chafika Aitoudhia-PIIKA)



Plat de Rouina au miel













El Hoo (Photographie: Chafika Ait Oudhia - PIIKA)










Abderrahmane Djelfaoui



samedi 3 octobre 2020

« The Streets of Algiers » - Propos de Cristina Viti

 



A la question de savoir comment le projet de traduction  de la poésie d’Anna Gréki  vers l’anglais est né, la traductrice et poétesse italienne Cristina Viti répond :

 

Dans mon travail il s’est toujours agi de métissage et de nomadisme culturel…

En traduisant un poète algérien, Tahar Lamri, je me suis mis à m’intéresser à la poésie et à la littérature algérienne. C’est ainsi que mes recherches m’ont amené  vers de petits morceaux d’Anna Gréki que j’ai trouvé en ligne. J’ai été frappée par l’élégance de forme de cette poésie alors qu’Anna était politiquement très engagée ; une alliance plutôt rare. J’ai voulu me procurer ses livres ; ce qui n’a pas été facile.

Jusqu’au moment où avec une collègue d’origine et de culture algérienne, Souheila Haïmiche, on s’est mises à discuter ensemble du dernier recueil d’Anna Gréki, « TEMPS FORTS », qu’on m’avait ramené de Paris…

Un début de collaboration faite de conversations a commencée il y a environ quatre ou cinq ans, bien avant le travail de traduction proprement dit… J’en avais alors parlé à notre éditeur londonien Smoke Stack Books sans qu’une décision nette soit prise…

Mais il y a six mois, Andy l’éditeur me rappelle et demande : Est-ce que vous êtes toujours en train de travailler sur ce projet d’Anna Gréki ? J’ai répondu oui ! Alors il a dit : on le publie fin septembre

Il nous a fallu travailler vite et bien avec Souheila Haïmiche dont la connaissance des nuances du français algérien et du contexte politico-culturel du pays me donne la chance de travailler plus précisément que je ne l’aurais pu faire toute seule.   !

Ceci étant, Smoke Stack Books avait déjà édité une anthologie de poètes algériens de la guerre déjà publiée en français par le poète Francis Combes …





Pouvez-vous nous donner le nom de quelques autres auteurs qui ont été édité par Smoke Stack books ?...


Il y a pour les français : Louis Aragon et Francis Combes… Mais pour l’année 2020 on peut citer des essayistes, poètes ou écrivains de divers pays tels Sylvia Pankhurst, Alexander Tvardovsky, Konstantin Simonov, Laura Fusco, Chawki Abdelamir, Nikolas Calas, Tasos Leivaditis, Nancy Charley, Jo Colley et Anna Gréki…


Livre distribué à Londres dès le 1er octobre 2020

 

Pourquoi avoir choisi le second recueil d’Anna Gréki  édité en 1966 (quelques mois après la mort de la poétesse) pour le traduire et le diffuser aujourd’hui à Londres ?



Anna Grèki n’était pas très connue en Angleterre. On ne savait presque rien sur sa vie ; bien entendu avant de découvrir votre livre j’en savais personnellement bien peu moi aussi. Je me posais toute une série de questions, dont j’ai trouvé quelques réponses dans votre travail…

 

Mais dans votre approche personnelle qui vous a le plus «  frappé » dans cette œuvre d’Anna Gréki ?..

 

J’ai toujours cherché cette combinaison magique entre les idées politiques et l’élégance formelle ; -c’est ce que j’ai trouvé immédiatement en elle. Anna était « tout feu tout flamme », comme on dit. Son élégance est proportionnelle à son engagement. Dans les écrits qu’elle publie à l’Indépendance, ou qu’elle n’avait pas encore publiés, elle parlait très haut et vraiment très clair contre tout revanchisme culturel… C’est cette attitude que je recherche chez l’écrivain parce que c’est seulement en combattant dans la langue contre ce qui n’est pas dit, qu’on ne dit pas, qu’on ne laisse pas dire, qu’on peut combattre tout autoritarisme répressif ou le fascisme comme dans certains pays…. Tout commence par l’interdiction d’un mot…

Or « TEMPS FORTS » est le recueil d’une femme qui a vécu la révolution et qui en a payé le prix fort (voir : « ALGERIE CAPITALE ALGER »).  Sa liberté c’est de traiter ce qu’elle a devant les yeux  et de le dire clairement ; c’est avec l’Indépendance que tout commence pour elle …

 

[…] L’indépendance au chant du coq où l’as-tu mise?
Tu veux saigner la grenade avec un couteau
Plonger chaque cervelle dans un bain de sel
Que l’herbe qui y pousse reste à ras de peau
Quel est ce peuple roi chien que l’on musèle?
La misère qui hurle a encore du talent
 

Etc…

 

Que voulez-vous dire par : etc… ?

 

Une chose très importante pour moi est sa lucidité quant à la liberté qu’on puisse parler plusieurs langues. Le plurilinguisme certes, mais aussi son respect pour la pluralité des langages, elle qui était au fait de tout ce qui se parlait en Algérie et qui écrivait qu’elle avait les yeux chaouia, par exemple… Ce qui m’a beaucoup émue, parce que je me sens moi-même concernée du fait qu’en tant qu’italienne je suis issue d’une nation où coexistent plusieurs langues qu’on appelle « dialectes »… Cela est dû, même si sa formation était enracinée en partie dans la culture française, a une formation à plusieurs étages ; une formation moderniste et surréaliste, si l’on veut. Je la vois d’ailleurs bien se promener avec un livre d’Apollinaire dans les mains tout en continuant sa conversation. Dans ses images les plus violentes je vois du Buñuel… Etc…

 

Vous venez d’évoquer une des réalités culturelles de votre pays, mais qu’en est-il de votre parcours personnel de poétesse et de traductrice ?

 

Oh, comme le disait Katherine Mansfield, la vérité sur soi-même semble toujours arrogante, mais voilà:

Mon cas n’est pas unique: je viens d’une famille où l’italien se mêle à l’écho du français et aux accents très vifs de la langue dite « dialecte » d’une des vallées des Alpes. A ce mélange s’ajoute très tôt l’anglais, et je commence toute jeune l’étude des langues et la pratique de la traduction. A dix-sept ans je décroche mon bac ; à vingt-et-un je pars à Londres où je continue mes études tout en me plongeant dans le vif de la langue. Travail, écriture, voyage, musique, partage de poésie, métissage culturel recherché et poursuivi. Je commence à publier mes traductions dans des revues spécialisées, puis à proposer à différents éditeurs les auteurs que je rencontre sur mon chemin et que je pense méritent être mieux connus. J’ai traduit la romancière Elsa Morante, le poète albanais Gëzim Hajdari, la poétesse Amelia Rosseli , des travaux du critique italien Furio Jesi et bien d’autres encore…   

Mes poèmes et traductions ont été publiées dans plusieurs revues, notamment : Modern Poetry in Translation , Agenda, Asymptote, The White Review  et Shearsman Magazine





En ce moment même, poursuit Cristina Viti, je travaille à la création d’une série d’ateliers de traduction (King’s College, University of London) visant à illuminer la figure du traducteur comme activiste culturel et la centralité de la forme dans sa pratique.   

 

 

Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui


lien direct vers le livre:

https://smokestack-books.co.uk/book.php?book=191










dimanche 27 septembre 2020

« Mitalika », Un design pour la « Biennale de Dakar », 2006

 




« Mon tout premier prototype était une chaise en métal pour une expo de fin d’année à l’Ecole des beaux-arts en 1998 dont je dois encore avoir l’esquisse dessinée au crayon quelques part … 

Mais le premier projet que j’ai mené à terme en tant que professionnelle, dit la designer Chafika Aitoudhia, fut celui d’un luminaire, en rotin, en 2003 exposé lors de L’année de l’Algérie en France… Juste trois ans après être sortie diplômée de l’Ecole supérieure des beaux-arts. »



Luminaire en rotin - 2003





 

MITALIKA – la conception


« Pourquoi une table, je ne sais pas… J’aurais pu travailler sur un siège ou une chaise… Mais une table c’est aussi travailler sur un objet plus important dans la structure d’un espace : ça peut être une table basse posée à même le sol ou sur un tapis ; ça peut être une table de travail ; une table de cuisine… J’ai fini par choisir de concevoir  une longue table de salon qui peut aussi servir comme table à manger…

Je voulais sortir de la pratique traditionnelle de disposer symétriquement les plats sur une table. Une autre manière de voir le service... Aussi le fait que les gens autour de la table puissent se répartir autrement. C'est à tout cela que, dans mon esprit, servent les cercles de différents diamètres qu'on voit sur le dessus. D'ailleurs cette longue table peut tout aussi bien ne servir qu'à deux personnes. En me demandant : "quelles chaises pourraient aller avec cette table"....






MITALIKA, vue de coté

 

 

« Mais l’intérêt de la recherche n’est pas seulement l’usage de la table elle-même, mais aussi son environnement. Son rapport à l’espace. Ne pas dessiner une table qui serait seulement un plan sur lequel on sert à boire ou à manger ; faire qu’elle soit un objet d’art, une sculpture pour le plaisir du regard. Pour l’élégance du lieu… 

 

« La recherche sur le thème m’a pris entre trois semaines et un mois… L’image de cette table m’était venue un jour lors d’une pause déjeuner au bureau… Je déjeunais seule d’un sandwich au fromage. Du gruyère… Et ce gruyère m’a peu à peu donner une idée… Pourquoi ne pas utiliser les « vides » qu’il y a dans le morceau de gruyère ?... De là, à la maison, le soir, je réalisais toute une série d’esquisses au crayon dont la plupart sont parties à la corbeille… Puis je suis passée à  la conception à l’ordinateur sur un simple PC ; une conception en 3D… 



« Le travail à l’écran fut long.  Je ne voulais pas d’une table avec des piètements traditionnels et symétriques… Alors ?...

« Alors je décidais qu’une face de l’empiétement ne serait pas pleine, face aux deux pieds traditionnels à l’autre extrémité de la table. Pour que cette partie évidée (en un cercle parfait) puisse être utilisée par une personne qui s’assoit à cette extrémité, je lui donnais un angle. C’est là l’essentiel de ma conception.



Empiétement MITALIKA - détail

 

 

« Arrivée ce stade, j’envoyais le dossier numérique au secrétariat de la Biennale de Dakar 2006.

Mon projet fut sélectionné. 

 

« A partir de cette sélection, commença pour moi une autre phase, la plus importante, plus compliquée, plus délicate, qui était le processus de réalisation physique à Alger de MITALIKA… Une phase où j’ai dû beaucoup « courir »…


 

FAIRE, UNIVERS DU FER…

 

« Première opération : préparer les plans d’exécution à l’échelle réelle de cette table faisant 2 mètres 40 de longueur, 80 cm de largeur et 75 cm de hauteur…

Imprimer les plans.

 

« Deuxièmement : prendre contact avec les sociétés susceptibles de réaliser le prototype, sachant que les sociétés spécialisés dans la réalisation de prototypes n’existent pas en Algérie…

« Un contact avec un premier industriel en inox a consisté en une réunion de deux heures pour lui faire part de l’ensemble des données et les lui expliquer.  Au final il voulait que je change toutes les formes circulaires en formes rectangulaires. Son argument : la nécessité d’utiliser plusieurs séries d’outils lui serait très couteux… Comme ce n’était pas du tout ma conception, je refusais ces changements.

 

« Après avoir vainement relancé durant un mois un second industriel qui était spécialisé dans la découpe numérique mais dont je ne pus jamais accéder à l’atelier,  j’optais de travailler avec un artisan en ferronnerie d’art dont on m’avait donné l’adresse, dans la banlieue d’Alger. Contacté, il m’orienta vers son apprenti qui venait juste de s’installer à son compte. Ce dernier, très jeune n’avait pour tout instrument que des cisailles à main !… Il était d’accord.

Il a étalé le plan à l’échelle réelle et, par un véritable travail de dentelle à la main, il s’est mis à découper pièce par pièce… Un travail qui dura une dizaine de jours…

Cette opération terminée, il passa à l’assemblage et montage final de la table.

 

« Il me restait de faire chromer la table. A nouveau, je fis le tour de toutes les entreprises spécialisées dans le chromage. Mais à chaque fois surgissait un problème : soit leurs cuves de chromage étaient petites, soit celui qui avait les cuves correspondantes avait un problème technique et pas de technicien pour le réparer… 

Face à cette situation insoluble j’optais à nouveau pour un travail artisanal de peinture par un tôlier ! Ce qui fut fait et bien fait.



Chez le tôlier…

 

ALGER-DAKAR, L’IMPOSSIBLE VOYAGE

 

« Durant toutes les opérations précédentes, je ne cessais en parallèle de préparer « notre départ », (ma table et moi) vers Dakar…

La Biennale avait tout pris en charge : les billets d’avion, l’hébergement et le transport garanti de l’œuvre. Pour cela la Biennale me mit en contact avec SDV Dakar, société internationale de transport spécialisée dans le déménagement. Celle-ci m’orienta sur sa filiale SDV Algérie à Hamadi qui me donna un dossier à remplir.

Ce que je fis en adjoignant l’autorisation du Ministère de la culture à exporter mon œuvre. Ce dossier rempli et remis à SDV, la société n’arriva pas à faire passer ce dossier à la douane algérienne. Le responsable à l’export de ladite société était étonné ; c’est, me dit-il, la première fois que pareille  chose nous arrive

Le temps passa. Le problème de l’exportation de mon œuvre demeurait insoluble. Mon voyage fut annulé…

 

« Dépitée, une année après ma seule satisfaction fut que ma table participa à l’ouverture officielle du nouveau musée d’art moderne le Mama en 2007 dans le cadre d’une exposition désign du Maghreb… 



MITALIKA – vue d’ensemble

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui

Photos et 3D par Chafika Aitoudiah