Qui sait ce qu’était Rmilet
La’oued à Bab el oued ?..
C’est ce que m’a raconté l’artiste Mustapha Adane à
l’époque lointaine de son enfance entre 1933 et les dures années de la deuxième
guerre mondiale…
Ce témoignage est extrait du premier chapitre du
livre : « Adane au fil de ses naissances » dont le
manuscrit achevé ces derniers mois attend d’être édité.
Né au n° 2 de l’impasse de l’intendance dans la basse
Casbah (ruelle qui n’existe plus aujourd’hui), Mustapha Adane, est un fin
connaisseur de la ville d’Alger et de son centre historique. Avant même qu’il
ne soit adolescent, il avait pour voisin le regretté Sid Ali Kouiret (qui fréquentait
la même école primaire derrière Ketchaoua), et connaissait également Mustapha
Toumi ou Ali Drabki avec lequel il allait écouter Hadj Mrizek et bien d’autres
dans leurs soirées de fêtes et mariages…
Djamaa' Ketchaoua était « La cathédrale d’Alger » durant la période coloniale.
Ici, souvenir de La Cathédrale en1930 sous forme de cendrier…
Dans nos discussions, Mustapha Adane, recoupe souvent tel ou tel fait de l’actualité de ce 21 -ème siècle par une évocation brève, vivante et humoristique de tel ou tel aspect vécu de la Casbah, sa vie communautaire, les jeux inventifs de ses gosses, ses fêtes traditionnelles dans la rue, la proximité de la caserne des sénégalais « dont les soldats ne mangeaient que du riz », les forts de cette cité millénaire aux noms oubliés avec des pans de leur histoire à la fois réelle et légendaire tel Bordj Ezzoubia (le fossé des immondices) ou le Fort de la Négresse (Bordj Taklit), etc…
Le Fort Setti-Taklitt (aujourd’hui disparu) est vu dans ce
dessin du 19 eme siècle à peu près du lieu où se situe aujourd’hui le Bastion
23.
Mais venons-en à l’anecdote « en mode rigolo »
comme aime à dire l’artiste lui-même
[… ] Au bas de la Casbah, me dit Mustapha Adane, après
Ka’ Essour et le marché Nelson, Remilat La’ouad était une plage de Bab El Oued
réservée aux musulmans…. La sortie du tunnel qui venait de la pêcherie
débouchait juste à côté. Un peu plus loin, dans le prolongement de cette énorme
plage trônait la piscine El Ketani…
Les gens l’appellent encore aujourd’hui Remilet
La’oued ; mais savent-ils pourquoi on l’appelait comme ça au 19 -ème
siècle ? En fait c’est parce qu’il y avait la caserne des militaires d’où,
vers 1870, on sortait les chevaux de la cavalerie pour les faire tourner sur la
plage. Cette cavalerie qui était chargé de surveiller et réprimer les tribus
indigènes… Alors on entrainait les chevaux à marcher et à galoper sur le sable
et les galets de la plage et même sur les vagues… Bien sûr quand la voiture et
l’auto-mitrailleuse sont apparues, le cheval pour la cavalerie a disparu !
Mais le nom est resté…
C’était une plage pour les musulmans et seulement pour eux ; il leur arrivait même de camper là… C’était en dehors de Bab El Oued où vivaient les espagnols ; loin d’eux …
Quand j’y suis allé pour la première fois j’avais cinq
ans ! On y allait à pied, on y allait en bande de gosses de la basse
Casbah.
J’étais un blondinet turbulent et fonceur. El bhar, el
bhar ! : la mer !..
J’y allais, bien sûr sans avertir quiconque dans la
grande maison paternelle où vivaient aussi nombre de familles de voisins…
Mustapha Adane à l’âge de cinq ans
Ma mère qui me cherchait à la maison et dans l’impasse
ne m’ayant pas trouvé avait alerté tout le monde : ça y est, il a dû
lui arriver quelque chose de mauvais…
Et là : ça déclenche une
incroyable aventure. Le tram de l’époque qui traversait le bas de Bab El
Oued avait une station à côté de Remilat La‘oued. Le wattman de ce tram,
Djellouli, Allah yerhmou, habitait chez nous où il était locataire. … Et ma
mère de le supplier : retrouve mon fils, je ne sais plus où il est !
Il a dû partir avec ses diables de copains…
Arrêt du tram face aux escaliers de la pêcherie
Djellouli qui prend son service sur la ligne arrive à
l’arrêt de Remilet La’oued et, de loin, l’œil perçant, il distingue une petite
tête blonde… Ça ne peut être que lui ! (C’est à dire moi !). Pour
Djellouli (comme pour tous les gens de mon quartier) : Il n’y avait que
moi pour avoir une tête pareille !
Il serre le frein du tram et descend jusque sur
la plage. Il m’a empoigné, m’a remonté et jeté comme un sac devant lui, dans
l’espace étroit où, debout, il conduisait le tram. Moi accroupi dans la
demi-obscurité je ne voyais que ses jambes ! … Le tram a fait retour jusqu’à
Djamâa el kbir, à côté de la Chambre de commerce. Là il y avait une ruelle qui
remontait droit en face de chez mon père. Cette ruelle commençait avec Kahwet
Tlemçani et le café de mon père était à l’autre bout…
Et le wattman laissant à nouveau son tram à l’arrêt
m’emmène jusque sous le nez de mon père ; une catastrophe ! Il me donne
une raclée et ordonne à son employé de me ramener en pleurs à la maison
…
Mustapha Adane aujourd’hui en 2025
(Photographie Abderrahmane Djelfaoui)
©
Abderrahmane Djelfaoui
Khraissiya-Douéra
18
mai 2025
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