mercredi 6 mai 2015

« Créer, ce n’est pas manipuler mais concevoir »

Dernière heure d’expo  (Photo : Abderrahmane Djelfaoui)

L’exposition « 1posture » a pris fin. L’artiste a décroché ses œuvres qu’il a mises sous cellophane, les toiles de peintures comme les sculptures…
Cela fait, que reste-t-il de cette aventure d’un mois entier au Palais de la Culture ? Des souvenirs multiples et foisonnants, certes. Des visites inattendues et des retrouvailles aussi. Même un défilé de mode au final mais, surtout, un catalogue, hors normes…


Des catalogues d’exposition, nous avons bien sur connu ceux des Baya, Issiakhem, Khadda, Koraichi, Ali-Khodja, Hakkar, Mesli et autres que la Galerie Isma-Issiakhem réalisait régulièrement lors de chaque exposition consacrée à un de ces grands noms de la peinture dans les années 80. Et l’artiste Azwaw Mammeri de se rappeler nostalgique à propos de cette période: « Le catalogue était complété d’une affiche et d’une carte d’invitation sous forme de carte postale qui était envoyée par voie postale. Je me rappelle les avoir reçu dans ma boite aux lettres »...


On peut également se souvenir qu’à la Casbah, à Dar Khdaouj el ‘Amia, des catalogues ou cahiers  originaux étaient autoédités en noir blanc par Denis martinez pour ses expos….
Il y en eut également d’autres, réalisés par quelques centres culturels nationaux ou étrangers (dont le plus célèbre était « Le Voyage / Baudelaire-Mokrani » et le restera au vu de sa disparition tragique…



Historiquement, me signale l’universitaire Hamid Nacer-Khodja, le premier catalogue de l’Algérie Indépendante fut celui de la toute première exposition collective de peintres organisée en juillet 1962 avec « un catalogue constitué de 3 pages dactylographiées, agrafées, sans illustration » … Et madame Nadira Laggoune Aklouche de préciser à ce propos: « …le Comité pour l’Algérie Nouvelle, organisation d’intellectuels algériens et européens créée dans le but de lutter contre l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) organise, dès la proclamation de l’indépendance, le Premier Salon de l’Indépendance du 13 au 21 juillet 1962 à la salle Ibn Khaldoun à Alger. L’engagement était spontané et les artistes multiplient les actions qui le prouvent par des ventes aux enchères et des expositions au profit des orphelins de guerre… » [1].


Doc- source : H. Nacer-Khodja

En fouillant dans ma propre bibliothèque, j’ai fini par retrouver prés d’une soixantaine de ces catalogues de différents formats et épaisseurs depuis le début des années 80… Sans compter quelques rares livres d’art réalisés depuis… Et, évidemment, je n’ai pas tout… Avec eux, c’est tout un fil d’histoire, ses bouffées de créativité, d’espoir et de plaisir qui m’envole tel un cerf volant dans le ciel… 

Même si cette production se poursuit de nos jours (entre autre pour Les Ateliers Bouffée d’Art, à Alger,) combien d’artistes jeunes et moins jeunes : peintres, designers, sculpteurs, photographes et autres de l’est, de l’ouest ou du sud du pays auraient aimé avoir cet honneur et distinction de disposer ne serait-ce que d’un humble catalogue de quelques pages à distribuer lors de leur de leurs rencontres avec le public?.... Me reviennent les dires  de l’ami Azwaw Mammeri qui laissait percer son insatisfaction, son amertume : « j’ai beaucoup fait d’expos sans catalogue, par manque de financement. J’aurais voulu y associer beaucoup d’écrits et de regards d’amis par rapport à ma peinture »…

Combien en ont rêvé, vainement, des années durant, (si ce n’est des décennies) et seront pour un certains nombre d’entre eux partis sur la pointe des pieds sans ce signe qui laisse une trace-mémoire sur les rayons d’une bibliothèque  et les CV des auteurs?....

LA CONCEPTION D’UN CATALOGUE

Le catalogue de Mustapha Nedjai pour l’exposition « 1 posture » est quant à lui étonnant, attirant, luisant et imposant… On pourrait encore aligner d’autres bons qualificatifs à son propos ; la raison est qu’il sort de l’ordinaire et qu’il ressemble plus à un livre d’art qu’à un catalogue. D’un design moderne et ambitieux, il est constitué de prés d’une centaine de pages avec des textes critiques ou poèmes signés par pas moins de huit auteurs différents et quelques quatre vingt dix reproductions couleur et noir et blanc des dernières œuvres de Nedjai. Le tout dans une maquette simple et soignée, subtilement  aérée…




« Je ne peux imaginer, dit l’artiste, un catalogue en dehors de ce qu’il contient : sa thématique.  Autant il y a une charge plastique très puissante dans l’expo de 1posture, autant je l’écrème dans la couverture du catalogue pour ne laisser que noir, un noir brillant et un noir mat. De la graphie de l’expo il n’y a rien. Seulement une couleur : le rouge pour le titre d’1posture. Le reste des lettres qui se répètent est un noir brillant sur un fond mat noir. Saisi par les mains, il devient comme un objet précieux. Son brillant noir attire. On est curieux. On veut savoir…On est alors surpris par la qualité conceptuelle  du produit, par sa qualité artistique…»

Photo : Abderrahmane Djelfaoui

« Le problème avec nos infographes c’est qu’ils sont juste formés techniquement comme manipulateurs de logiciels. Les logiciels c’est important mais ça ne suffit pas. L’essentiel dans ce domaine est la formation artistique. Or souvent ils ne l’ont pas… Manipuler un logiciel, même très compliqué, est une chose. Créer est une autre chose… Pour la plupart des infographes la notion du beau est la même qu’ils travaillent sur un catalogue d’entreprise, un catalogue publicitaire ou le catalogue d’un artiste…
« C’est à partir de ce constat que j’ai été obligé, sur mes expos de ces dernières années, à m’occuper moi-même de la réalisation de mes catalogues…  Pour moi, un catalogue est le reflet d’une exposition particulière, celui du travail réellement réalisé par l’artiste, son esprit… Je peux même dire que chez un même artiste, et d’une exposition à une autre, le catalogue nait à chaque fois d’une conception différente… A chaque fois on doit pénétrer la sphère intime de l’artiste, celle de ce moment là, pour donner à sentir son univers
« Même pour les trois livres que j’ai réalisé, les couvertures changent de nature pour chaque ouvrage en fonction du contenu…. Dans Aired, par exemple, j’ai repris en couverture une photo de l’intérieur du livre, mais cette photo je l’ai détourée et retravaillée sur un nouveau fond rouge, un de mes rouge peinture spécialement créé pour ça…»



L’IMPRESSION

« Mon travail de sculpture et peinture sur les têtes était déjà avancé quand je pensais de façon précise à cette couverture en noir mat. Pour l’écriture j’avais d’abord opté pour un gris foncé, parce que je pensais qu’on n’arriverait pas à réaliser ce noir dans nos imprimeries. C’était un problème technique. Quand j’ai constaté que la réalisation en réserve était possible, maitrisable, j’ai décidé de faire les grandes lettres en noir brillant… 
J’ai alors suivi le process en imprimerie. Ce n’était pas nécessaire de le faire du début jusqu’à la fin pour l’ensemble du tirage. On a juste procédé à des essais sur 4 feuillets du catalogue pris au hasard pour vérifier les tonalités et les gammes. C’était bon  et satisfaisant. Ensuite pour la couverture on a fait 3 ou 4 essais pour obtenir le noir qu’on voulait. Ce n’était pas n’importe quel noir… Quand on l’a obtenu, le secret était mis en lumière…. C’était évidemment un noir polychromique réalisé avec Diwan dans sa nouvelle imprimerie de Rouiba.»

La question du catalogue est aujourd’hui au croisement de tous les destins. Compte tenu du manque sidérant de la critique artistique de bon niveau dans la presse quotidienne, compte tenu du nombre excessivement faible de galeries d’art pour les dizaines de millions de personnes représentant la pluralité de la nouvelle société, compte tenu de l’inexistence d’un cinéma documentaire spécialisé des productions artistiques, face enfin au développement impérieux de nouveaux supports virtuels (photo numérique, sites internet, TV privées, etc), comment va se  profiler l’avenir  proche des catalogues d’expositions artistiques qui demeurent un réceptacle incontournable de l’actualité culturelle et humaniste de notre société, de ses conquêtes et de ses innovations ?...

Mustapha Nedjai (Photo : Abderrahmane Djelfaoui)



Abderrahmane Djelfaoui


[1] In «Structures de la réappropriation », http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=RDES_058_0111



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