dimanche 21 août 2016

Un poème de Mokrani datant de 25 ans !

Mustapha Boucetta avait invité quelques amis à un diner de fin d’aout afin d’exorciser (si possible) l’étouffante chaleur de ces derniers jours. Qui plus est une invitation avec une spéciale loubia sauce blanche et pimentée au menu !... De quoi s’esclaffer, bien sûr ; mais quand on connait les bons us et coutumes culinaires de la maison de l’hôte on ne décline pas…


La loubia, généreuse et succulente, était bien heureusement accompagnée de salades de poivrons grillés, de salade verte et autre…  Cela sans parler au dessert du raisin et du melon de saison offerts frais sortit du réfrigérateur… Un repas convivial, toutes fenêtres ouvertes à la fraicheur de la nuit, qui donna bien entendu prétexte à l’expression d’un grand nombre d’anecdotes et souvenirs des uns et des autres sur la loubia, le roi de la loubia, les frites belges ou encore de quelques enjeux connus ou non reconnus des olympiades de Rio…

Fin de loubia, le temps d’un rafraichissant dessert de fruits de saisson….


Puis vint le thé. C’est le moment que choisit Mustapha Boucetta, en chef d’orchestre averti, pour nous faire la surprise, inattendue et de taille. Superbe tant elle avait quelque chose d’olympique elle aussi malgré (et peut être même grâce à) ses 25 ans d’âge et d’oubli…

Mustapha Boucetta, Rachid Nacib, Areki Larbi, Mustapha Nedjai et moi-même (photographe)
 autour d’un livre d’art réalisé main…

De Poitiers à un concert de Amar Ezzahi …

Bonheur comme une de ces grosse bulles de savon, toute légère et irisée, que les enfants s’amusent à souffler au nez des passants…Une surprise qui réveille autant la joie que la douleur de bien des souvenirs…

Un livre fait main sur du très beau papier et relié par une fine cordelette…


L’histoire est simple, comme toutes les histoires que ne cessera de conter Mustapha Boucetta.  Le fait est  qu’il reçoit dernièrement un colis lui arrivant de France… « Je tombais des nues » en recevant le paquet, nous dit-il… Et ouvrant le pli il  trouve un grand livre d’art fait main avec pour auteur Abdelwahab Mokrani…Serait-ce un message de l’au-delà  de l’ami tragiquement disparu il a deux ans?... Mais l’expéditeur, qui est-il donc?.. Pas de nom  si ce n’est une étiquette « Aux bois gravés. 73 rue de la cathédrale. 96 000. Poitiers »...
Délicatement de mains en mains  et tour à tour autour de la table desservie nous feuilletons ce beau livre en papier d’alfa datant d’un quart de siècle. 1991, exactement. Un  poème écrit par Abdelwahab Mokrani et illustré de plusieurs dessins d’artistes français gravés tout simplement au linonéum  en noir et blanc…



La suite de l’histoire c’est… internet. Mustapha Boucetta va sur Google et fait des recherches sur « Aux bois gravés ». Il tombe immédiatement sur le patron de cet atelier d’impression, Gérôme Bouchard… Puis sa page facebook. Billet de remerciement  avec cette touche de bon savoir vivre de notre hôte qui écrit : « Et ma maison à Alger est la tienne… ». Ce à quoi Bouchard répond qu’il aimerait bien un jour visiter Alger et, surtout, à cette occasion, assister à un concert de Amar Azzahi…
Ceci n’est évidemment pas la fin de cette étrange et belle histoire, mais juste la fin de son premier épisode…



Abderrahmane Djelfaoui, texte et photos

vendredi 19 août 2016

SALUT ANDREA ! pour tous les poèmes sans frontière




A l’occasion de la parution du numéro 82 de la revue OSIRIS que dirige la poétesse Andrea Moorhead depuis 1972, je me suis rappelé d’un mail qu’elle m’avait envoyé de sa toute petite ville de Deerfield  (USA) il y a bien 13 ans… Le mail contenait un  de ses poèmes qui modulait une complainte sur la région du Niagara (où elle est née en 1947) avec, en refrain,   les iles d’Alger …
Je le recopie à mon tour, tel qu’elle me l’avait elle-même copié pour mémoire :

NIAGARA

le visage de ma ville est neigeux
couleur d’ardoise et de miel
voile tiré pour nous protéger
nous mettre le corps sous la chaleur
fugitive et humide des étés de Niagara
où mon cœur a des racines de lune
jambes minces du trou noir cosmique
lignes et étincelles en désordre
tous les abricotiers ont souffert cette année
la fumée noire monte encore de l’autre rive
nous sommes coincés entre le givre et la flamme
mains inconnues où la nuit nous a touchés
en laissant des cicatrices pour Alger dont
nous avons entendu l’histoire des muezzins
et des oliviers antiques, ville creuset et caravane humaine
d’où vient cette incertitude ce mouvement qui tâtonne et respire
oreilles prés de la terre d’où viennent les morts
les vols d’oiseaux les images de givre et d’abricot les images
faites à la main par une nuit profonde de Niagara
des kilomètres de béton et de lignes à haute tension
des raffineries et des casinos où vont les eaux du détroit
où vont les eaux qui veulent retrouver l’Atlantique
qui veulent encore de la verdure et des fruits dorés
creuset de l’âme nord américaine piège et sirène
abri des hirondelles et des fleurs pourpres et roses
contradiction et naissance vieux mur de terre
qui répond aux murailles d’Alger qui cherche à y poser
un regard pur d’amour d’amitié
chutes blanches chutes neigeuses
voix intimes de mon enfance
les cloches sonnent doucement dés notre réveil
tout est bleu et fleuri
tout est mort et calme
tout est sans défense
par une nuit pure de Niagara
lumière et chute
vol inaccoutumé sur tant de blancheur
les plaines dorées de mon enfance ont été détruites
des fissures artificielles des autoroutes des centres d’achats
un masque stérile imposé sur la chair aimée
une poussière  qui vient de nulle part
des vents effrénés aux marges de la conscience
des feux où les yeux ont essayé et les bras ont porté
trop de poids trop de terre trop de souvenirs
ma ville luit à travers les décombres de sa passion
de notre indifférence collective notre obstination
notre musique d’intelligence biologique
face aux cicatrices de naissance aux appels de mort
les îlots d’Alger les petites îles  de Niagara
points de lumière et d’accueil par des nuits sanglantes et dures
où tout ressemble aux plaines mortes inventées par des esprits fatigués
la neige est venue ce soir pour accueillir le désert
pour mettre fin à l’incertitude pour couvrir et guérir
le visage meurtri de ma ville pour mettre des points de sutures
des pansements pour respirer doucement tout prés de notre visage
pour calmer le corps et remettre le cœur
pour répondre aux appels nord-africains
neige et étoile soleil blanc et givre illuminé.

Andrea Moorhead
Deerfield, Massachusetts
Etats Unis
le  18 fevrier 2003




voir: @AbderrahmaneDjelfaouiMaPMoesie 

jeudi 18 août 2016

«l’art yajouz !» : une spiritualité en formation



J’avais été frappé, il ya plus d’un an par une peinture originale, forte et « parlante » que le hasard du net m’avait mis sous les yeux et dont je ne connaissais pas l’auteur…




A bien regarder cette « vivante » accompagnée d’un poème d’interrogation philosophique de l’artiste lui-même écrit en arabe, je compris qu’il ne s’agissait pas d’une simple provocation stylistique … Tant l’œuvre cohérente, à la fois attractive pour les sens suscite surtout dans le même mouvement une réflexion aérée de l’esprit ; une réflexion qui remet celui-ci en marche sur ce qui semble n’avoir été que sentiers battus en matière de calligraphie contemporaine chez nous, en Algérie, jusque là. En tout cas un petit séisme sur les réseaux sociaux que venait conforter des « répliques » de même force qui soulignait que l’artiste menait bien un travail créatif  de « fond » sur ce thème…




Sidi Bel Abbès – Alger

Il aura fallu quelques mails et un voyage de sa ville natale sur la capitale (en taxi places) pour que je puisse rencontrer non un sexagénaire mais un jeune homme d’une trentaine d’années : Ghalmi Mohamed Amine, sur le boulevard front de mer, prés du square Sofia, un de ces jours lumineux où les navires du port semblaient juste être posés là comme des mouettes au repos…



En fait une double nécessité avait fait parcourir les 400 et quelques kms à Mohamed Amine ; la première : concourir  avec une œuvre dans l’espoir de décrocher un prix (un besoin sérieux d’argent) et, d’autre part pour quelques uns de ses travaux de plasticien (qu’il veut absolument garder et ne pas vendre) les déposer à l’Office national des droits d’auteur (ONDA) pour les préserver de toute atteinte de plagiat –une pratique devenue un sport national dans un pays en panne d’idées neuves…
Mais avant qu’il ne refasse les 430 kms de retour dans l’après midi de la même journée, je voulais vraiment comprendre quelle avait pu être l’inspiration qui avait mené Mohamed Amine Ghalmi aux magnifiques toiles qui m’avaient interpellé et émerveillé ...

Enfances de l’art

« Quand j’étais enfant, se souvient-il, j’avais eu une bronchite asthmatique qui m’a obligée à passer la période de la crèche et de la première année primaire à l’hôpital des asthmatique prés de la montagne de Tessala , célèbre à Sidi Bel Abbès. J’avais entre quatre et cinq ans. Là j’ai appris à dessiner avant d’apprendre les lettres et les chiffres… Je me souviens que je reproduisais des dessins d’emballage, des personnages de dessins animés ou de bandes dessinées ; ce qui m’aidait a soulager les souffrances de la maladie. Le dessin était ainsi mon langage et mes parents eux mêmes étaient surpris par ce don…»
Je m’informais pour ma part sur ce sanatorium qui se situe en fait à El Atouche, sur la chaine du Djebel Tessala à quelques 1000 mètres d’altitude. La région abritait dans les temps anciens des animaux sauvages tels que le lion ou la panthère noire ; aujourd’hui elle compterait en sus de réserves d’herbes médicinales un lézard unique au monde… Dans l’antiquité, la zone avait connue l’occupation militaire romaine et se dénommait Astacilis. Il se trouvait là le fort d’une garnison romaine qui pouvait rassembler jusqu'à 200 militaires face aux berbères derrière une muraille épaisse de 3 mètres. Fort qui n’existe plus…

Le fort d’Astacilis, extrait de la Revue africaine de 1857



Pour en revenir à Mohamed Amine Ghalmi, il ne cessera de dessiner durant tout le fil de sa scolarité, aiguillonné de ci de là par quelques peintures de Baya Mahieddine, de Khadda ou Mesli entrevues dans un livre ou une revue…
Pour lui le dessin est plus qu’un loisir, au point qu’adolescent, vers l’âge de 16 ans, il décide d’arrêter ses études secondaires (alors qu’il est très bon élève, aime lire entre autres  Ibn Rochd et El Ghazali) pour faire du dessin une profession et même un moyen d’expression. Il se met également à pratiquer les arts martiaux vietnamiens. L’atout majeur dans cette décision est la compréhension de sa famille. Et d’aller, comme il dit, directement « sur le terrain » en tant que décorateur de devantures de magasins. Plus tard : la décoration d’intérieur. Il est dés lors jusqu’à ce jour soutien de famille…
Ce n’est qu’après avoir trouvé une certaine stabilité à sa famille qu’il s’inscrit à vingt deux ans aux beaux arts de Sidi Bel Abbès où il est reçu premier au concours d’entrée en 2007. Il y fera l’ensemble de sa formation en tant que major de promotion dans tous les modules (calligraphie, miniature, dessin académique, peinture…)  Un de ses professeurs qui lui enseignera les bases de la peinture tant acrylique, l’aquarelle, à la gouache que la peinture à l’huile sur tous supports est Abdelkader Belkhorissat devenu depuis Directeur de cette école.

Mohamed Amine Ghalmi en entretien avec moi dans une pizzeria des hauteurs de Garidi

C’est parce que le profil de Ghalmi Mohamed Amine est hors du commun (out of limits) que j’insiste sur comment c’est finalement la calligraphie (pratique tout a fait secondaire dans nos écoles d’art) qui prend la meilleure part dans son travail de plasticien…
« Mon histoire avec la création commence en fait en quatrième année des beaux arts, moment où je devais donner une orientation à ma carrière professionnelle artistique. C’est là où je commençais à pratiquer la calligraphie sur d’autres supports avec d’autres moyens que l’encre et les plumes de bambou sur papier. J’utilisais la toile et l’intégration de lettres arabes dans la peinture, comme peinture graphique, car qu’il soit symbole ou lettre ça reste toujours un graphique… C’était le premier pas. Je commençais à aimer des peintres qui avaient de l’influence sur moi : M’Hamed Issiakhem, Mohamed Kadda, Denis Martinez ; le courage aussi et la volonté des jeunes peintres impressionnistes du 19ème siècle qui se sont développés à l’encontre du romantisme et du néo classicisme ; puis l’action-painting…Ca, malgré qu’à l’école des beaux arts de Sidi Bel Abbes, entre 2007 et 2011, pas une fois nous n’avons fait une sortie pédagogique dans un musée. Jamais. L’outil internet m’a heureusement beaucoup aidé. Elhag fi waktou…»

Détail photographié en N & B

« une » réflexion philosophique, dit-il...

En fait, c’est au moment de sortir de l’école des beaux arts que Ghalmi Mohamed Amine commence à se poser dans son atelier des questions de fond et de poids, des questions radicales.
« … Je suis un être humain avant d’être un artiste … Mais qui suis-je ?... Bien qu’artiste, je suis un humain qui ne vit pas seul, bien sur. Aussi dans un lieu géographique donné tel Sidi Bel Abbes où je suis né quel destin commun est ce que je partage ?.... Même si ce petit coin de géographie ne peut être séparé d’un ensemble qui va de la Libye à la Mauritanie, je suis issu d’une civilisation berbère avec une forte culture saharienne, gnaouie et autres, pratiquement sans frontière avec l’Afrique noire… »
Profitant du moment où le serveur posait les pizzas commandées, une pizza harlem pour lui (pizza : encore une autre histoire nous venant du 16 ème siècle florentin, au moins…) je demandais à Mohamed Amine d’où lui venait cette préoccupation forte pour la philosophie ; bien sur, il me l’avait dit : depuis le lycée; mais encore ?...
« … C’est par moi-même… J’aime la difficulté notamment dans la manière d’écrire et de d’exprimer des idées en arabe. Ce plaisir je l’ai trouvé dans les contes philosophiques arabo-islamiques. J’ai bouquiné çà depuis l’adolescence ; mais ce qui n’avait pas de lien avec l’art je l’ai finalement retrouvé en dernière année des beaux arts… Et dans mon atelier seul face au chevalet et aux petits tabourets, je me demandais : artiste je suis, artiste magharibi certes, et…de ce mot même d’identité, fusait une petite lumière… Tout ce que j’avais techniquement et thématiquement apprit, même l’histoire de l’art, que j’avais bien assimilé, me venait d’occident… Mais notre art, notre patrimoine ?... Mon autre question était : si on a des peintres en Algérie, est-ce qu’on a une peinture algérienne ?...
Cela me rappela qu’après ma maladie, toujours enfant, j’avais fait l’école coranique à la mosquée. C’était des flashs, ancrés dans ma mémoire… L’enfance, source d’inspiration. Ne dit-on pas : l’Artiste est l’Enfant de son Environnement (el fenane houa ibnou bia-tih), de la nostalgie, des questions identitaires qui-suis-je et toutes ces questions qui ne cessent en fait de tourner en boucle… C’étaient les débuts, et à ces questions il n’y avait pas de réponse à 100%, pas de réponse satisfaisante à ma curiosité…Dans le même moment je comprenais que j’aimais la peinture, mais qu’il n’y avait pas ici de spécialité en calligraphie comme ailleurs en Iran, au moyen orient, en Turquie, etc.... Alors j’ai joins les deux, je les ai fusionné dans mon plaisir… »

La quatrième lettre de la parole (peinture de M.A. Ghalmi)


Des Houroufiyate aux silhouettes du Tifinagh

Comme à son habitude Mohamed Amine, ressent  le besoin de faire d’abord un long flash back historique explicatif  (malgré les incommensurables « trous » sur l’histoire de l’art arabe moderne) quant à la naissance des houroufiyate au milieu du 20 eme siècle au moyen orient, non plus avec de l’encre de chine sur papier comme de tradition, mais sur les nouveaux supports de la toile peinte…

Airbus de la Gulf Air peint par le plasticien tunisien NJA MAHDAOUI



 « Mais, tient-il à préciser, el houroufiyate sont moins une école constituée (comme le cubisme ou le surréalisme par exemple) qu’un mouvement artistique. La différence est importante, parce qu’on en est encore à beaucoup d’improvisations et beaucoup de recherches. Que le destin de ce mouvement aboutisse demain à une école (au départ il y avait par exemple le calligraphe El Massoudy) la question reste posée, sans réponse définitive…D’autant que ce mouvement avait intéressé à ses débuts les pays du Golfe qui l’ont intégré à leurs flux commerciaux. Première déviation… Tout ce qu’ont pu préciser les critiques d’art c’est qu’on ne peut pas donner à ce mouvement le nom de calligraphie. C’est plutôt l’intégration de la technique de la calligraphie dans le fonds même de la peinture et pas seulement sur son support. La calligraphie en elle-même est un art, la peinture en est un autre...Puis de dépassement en dépassement on en est arrivé à l’intégration de la lettre seule, ou quelques lettres arabes fusionnées entre elles qui font une masse graphique qu’on peut esthétiquement voir de façon  abstraite. On est donc parti du concret vers l’abstraction, parce que la fusion d’un alif avec un jim ou un waw n’a aucun sens littéral. Qu’on puisse les lire ou pas. Seulement un résultat esthétique. Les iraniens eux-mêmes ont commencé a fusionné des lettres perses avec des lettres arabes. A signaler au passage que le Alif de la langue classique arabe et le Alif écrit de la tariqa el maghribiya avec sa hemza ne sont pas tout à fait les mêmes…


la première des quatre lettres de la parole (peinture M.A. Ghalemi)


Il y a aussi par ailleurs de très vieux fonds de calligraphie chinoise ou japonaise dont une des qualités esthétiques en plus de la précision  est la gestuelle, la spontanéité. N’oublions pas qu’à l’époque abbasside les calligraphes avaient déjà transformé leur art avec l’importation du papier et de l’encre de Chine… Autrement dit l’objectif aujourd’hui est de continuer à transformer une partie du patrimoine artistique islamique (et pas seulement arabe) et l’amener vers plus d’abstraction et de spontanéité. L’objectif n’est pas de donner à voir une peinture fast-food, mais d’aiguiser la curiosité du spectateur : qu’il déchiffre, qu’il des se demande ouin rah lartist, sans politiser et en fuyant les extrémismes…
Mon parcours personnel en est à la fusion d’une lettre d’une langue à la lettre d’une autre. Nous avons justement en Algérie (Maghreb central) une grande variété de langues et de lettres différentes provenant des fonds berbère, arabe et d’Afrique noire qui permettent un nouveau travail d’abstraction en en faisant le mélange, la fusion dans un style d’écriture maghribi qu’on a l’habitude de pratiquer à l’école coranique. Ainsi si Martinez est intéressé par « Aouchem », par les tatouages, moi de part mon penchant pour l’écriture je suis intéressé par les lettres arabes et tifinagh et leur prononciation… Mais il faut dire aussi que ce qui existe en Algérie est le fait de l’ensemble du Maghreb. El houroufiyates, dont on ne sait pas qui a inventé le terme, est un mouvement plastique qui se pratique dans tout le Maghreb. Allons nous alors vers un art maghrébin ?.. »


Le premier des six remplaçants (peinture de M.A. Ghalmi)


Le troisième remplaçant… (peinture de M.A. Ghalmi)


Une conclusion qui n’en (évidemment) pas une.

On pourrait continuer des heures et des heures à discuter avec Ghalmi Mohamed Amine, écouter la manière avec laquelle il fusionne tous les éléments de son parcours, sans rien en rejeter fussent-ils les plus désavantageux, douloureux ou âcres à la mémoire. Maladie d’enfance chronique. Curiosité insatiable pour les savoirs et la réflexion. Plaisir de dessiner et communiquer. Chercher et chercher encore… Un  des termes qui revient souvent dans son parler est celui de « fusionner », autrement dit : faire la synthèse de…. Mais aussi un proverbe anglais qu’il affectionne: « Hard Work, Dream Big », que je traduirais personnellement par : aux grands travaux, les grands rêves….

« Homme lettres », autoportrait de l’artiste : « Hard Work, Dream Big »

J’ai continué à l’écouter attentivement alors que, pour le temps court de moins d’un jour qu’il avait a passer dans cette ville « mekhlta », j’essayais de le mener en voiture dans les principaux coins « graphiques » : Saint Eugène, son boulevard front de mer, sa synagogue oubliée ; Bab el Oued et ce qui fut son Rocher carré ; Notre Dame d’Afrique et sa vierge noire; les banlieues sud dominant les brumes de la Métidja, puis la gare routière des taxis longues distances…
Attendre peut être une exposition ou, inchallah, une belle publication (les miracles font parfois partie du réel), pour « revenir » sur les pratiques inédites et modernes de ce jeune plasticien ; sur sa spiritualité en développement…


Ghalmi Mohamed Amine, se tirant un « selfie » sur l’esplanade de Notre Dame D’Afrique, avec la  basilique hors cadre, derrière lui… (photo Abderrahmane Djelfaoui)



















                    
                                                            Abderrahmane  Djelfaoui

lundi 8 août 2016

Telle une ile dont la crête rocheuse fend le ciel…

Pour faire cette belle rencontre il a fallu forcer le hasard en sortant d’abord de la nationale 14 pour laisser carrément derrière soi le flux vorace des voitures, des camions, taxis collectifs et autres engins lourds et menaçants de transports dans les deux sens…

A partir de ce moment là, et comme dans un conte, s’est ouverte la porte sans porte d’un autre monde …

Telle une ile dont la crête rocheuse fend le ciel…


Bien observée, cette  photo peut paraitre aussi fantastique qu’une image d’antan émergée de siècles révolus… Pourtant, à vol  d’oiseau, je n’étais  qu’à une quinzaine de kilomètres de la ville de Tiaret, capitale des hautes plaines du Sersou, grande ville qui comme tant d’autres villes d’Algérie est en pleine expansion de nouvelles constructions de briques et béton…

Ici, j’ai pu constaté qu’à l’écart des nationales et des petites départementales subsistent encore de très longues pistes de terre battue ; des pistes fiables et larges même si silencieuses et vides en ces premières heures d’août ou, de loin en loin, on ne rencontre qu’un petit troupeau de moutons que mène un jeune berger solitaire, écrasé par le soleil…

Algérie, miracle d’une rencontre

Engagée sur la piste vers le piton rocheux,  la voiture a roulé de longues minutes en soulevant derrière elle une brume de poussière qui n’a duré qu’un instant avant de s’abattre au sol où elle disparu comme par enchantement entre caillasse et traces de pneus…

Pistes au ras des labours à peine commencés


J’avoue que si à ce moment là je n’y pensais pas du tout, longtemps après me sont revenus des souvenirs de livres ou de films anciens enfouis dans la mémoire, par bribes: ceux de la campagne sicilienne, par exemple, des plaines hongroises ou encore ces fameux paysages campagnards à l’américaine « perdus » à n’en plus finir…

Le mausolée de Sidi Rabah abu qobrin tel un nid d’aigle 


Après avoir escaladé plus de la moitié de la cote, je photographiais à travers la vitre passager une première qouba dont le territoire était cerclé de fil de fer. Isolée, elle était complètement fermée, comme mise en quarantaine ou en attente… Les herbes folles tout autour donnaient l’impression d’être plus brulées qu’ailleurs par le four solaire. Pas un pépiement d’oiseau. Seuls quelques jeunes pins vifs grimpent gaiement au ciel. Air pur…



Regardant loin devant moi je vois un  homme descendre lentement, très lentement à pied, le petit chemin, pavé me semble—il, entre le mausolée et le terre-plein où je dois arrêter la voiture. Il est habillé d’une ‘ abaya à traits verticaux dorés et blancs. Cheich blanc. Malgré l’ombre de ce chemin, l’homme rayonne. Quelque chose me dit qu’il devait certainement du sommet observer le lent cheminement de la voiture depuis le début de la piste. .. Descend-t-il m’accueillir ? Sérénité…



Poignée de main chaleureuse ; sourire et mots de bienvenue. Il veut m’inviter (c’est certainement le Mokaddem), avant même la visite, à prendre un café chez lui, dans la maison qui se trouve à quelques mètres de ma voiture, en face d’une citerne d’eau nez en l’air (est-elle pleine ? vide ?...) Je le remercie et dis que je voudrais d’abord monter jusqu’au mausolée, le visiter ; que pour cela, l’ayant aperçu de très loin alors que je roulais sur la nationale, j’ai fait le chemin vers cette halte. Détermination et contentement de ma part. L’homme vénérable n’insiste pas. Il me dit qu’il va m’accompagner et nous nous mettons à monter le chemin en escalier, cimenté ; moi posant quelques questions pour mieux connaitre le lieu de ce mausolée, son saint et son histoire…




Tout en haut du piton rocheux, il y a en fait trois qoubate. La première et plus grande est celle de Sidi Rabah abu qobrin. A l’extrême droite est la qouba de son épouse Hana Maymouna. Celle du milieu de Moulay Abdelkader dont mon hôte ne sait pas exactement s’il fut un disciple dévoué ou un visiteur de passage dont la vie avait finie là ?...
A la question de savoir à quel temps tout cela remonte, il sourit puis fait un geste de la main qui rame comme une aile : que de temps, que de temps…
Il me parle d’abord par bribes, lui qui a 83 ans, de ses propres souvenirs d’enfance. De son père et d’avant son père….
 « De tous temps on vient prier ici. Avant le colonialisme, c’était Sidi Ahmed Benyoucef de Miliana qui enseignait aux étudiants et aux disciples comme l’avait fait Sidi Rabah avant lui pour les élèves qui venaient des quatre points cardinaux de cette terre… »
Il se tait un moment, sondant de ses yeux l’ombre des temps puis répond : « Peut être cela fait-il quatre siècles ».
Peut être…
Quant au surnom du saint homme nommé abu qobrin (Sidi Rabah aux deux tombes), il regarde vers le nord, à l’infini des plaines céréalières qui s’étendent à plusieurs dizaines de mètres sous nos pieds, sous nos yeux et, le sourire généreux sous sa fine moustache, il explique : « C’est qu’il a un autre tombeau, à Thlatha Matmata, a à peu prés quarante kilomètres tout droit d’ici, là bas (il tend le bras et le doigt) où l’un de ses disciples avait voulu aussi l’enterrer… »
Il n’en dit pas plus.
Il a peut être tout dit. Les questions, toutes questions, peuvent elles vraiment éclairer le mystère de la voie ?..
L’essentiel n’est-il pas que le tombeau de Sidi Rabah soit bien ici, dans cette qouba qui nous fait face, impeccablement illuminée jour après jour, saisons après saisons par la rotation des astres et l’air pur?



Après avoir fait le tour du tombeau, je me suis assis par terre, jambes croisées, face à mon hôte et commencé à lui raconter quelques bribes de souvenirs d’enfance quand, avec ma grand-mère, nous allions en visite,  par trolleybus et à pied, d’un saint d’Alger à un autre, de sidi Abderrahmane et Sidi Mansour à Sidi Yahya, de sidi M’hamed à Notre dame d’Afrique, et avec des rubans étroits de couleur qu’elle portait avec elle pour la ziara ma grand mère d’en nouer toujours un à la plus haute branche possible d’un figuier dans l’espace du mausolée…


Puis, un souvenir en entrainant un autre, nous nous sommes mis je ne sais par quel tour d’images à parler café, torréfaction et café moulu à domicile, -oh juste le contenu d’une assiette, à l’ancienne-, avec cet indicible arome le matin… Je lui raconte que dans la vieille maison de mon grand père à Belcourt, aujourd’hui disparue,  l’air était chaque jour saturé de l’odeur du café à cause d’une usine Nizière implantée au centre du quartier, sauf le samedi et dimanche… A cette évocation, lui se rappelle qu’il y a quelques dizaines d’années quand on faisait parfois du café (un produit de riches, un produit de luxe) dans la ferme tout en bas de la plaine, son arome montait, montait pour arriver  jusqu’à lui en haut du piton rocheux qui le savourait…
On parla aussi de la Syrie, de la Palestine, de ce que fut l’Algérie plus d’un siècle durant…  On parla surtout de la vie en général , du peu que représentent nos vies en ce monde, de la nécessité d’être simple comme d’être prêts à des changements inéluctables qui interviennent souvent avant même qu’on ne les pressente…

Devant la tombe de sa mère, Chaalal Khadidja



Départ
Je devais reprendre la route, encore longue à travers plaines et montagnes avant d’atteindre les banlieues de la capitale… Je m’apercevrais bien après en atteignant l’autoroute-est-ouest que durant ces longs moments amicaux d’entretien où nous avions brassés tant de choses de l’univers nous n’avions en fait jamais évoqué la mer, même pas de nom…
Nous redescendîmes les escaliers de la petite allée cimentée, bien ombrée, laissant derrière nous une part de mystère à la clarté du mystère..  Arrivés à quelques mètres de la voiture je lui demandais de poser pour une photo devant l’immensité des plaines sous nos yeux. Ce qu’il fit de bonne grâce.



Loin en bas dans la plaine, il m’indiqua la petite ville de Sidi Hosni, qui avait porté un autre nom de saint mais à qui l’on donna le nom d’un combattant de la guerre de libération nationale en hommage posthume.
Et pas l’infime trace d’un klaxon, d’un bruit lointain de train, d’un avion perdu dans la stratosphère ou même d’un oiseau. Seule la caresse du vent au dessus du vide sidéral des plaines qui ondulent loin jusqu’au pied des montagnes qui s’estompent dans la brume éclatante d’août…

Ma visite aurait pu s’achever là. C’était compter sans la générosité subtile et insistante de mon hôte. Il m’invita d’abord à prendre pour la route un morceau de galette qu’il alla chercher à l’intérieur de la maison dont il laissa la porte d’entrée grande ouverte… J’avais à peine mis le moteur en marche qu’il m’appela et le vis, à l’intérieur de la pièce, mettre au coin de l’entrée un fauteuil de plastique blanc. Il insista… Une fois là j’appris que j’étais l’hôte de la maison pour un  simple couscous que sa belle fille préparait… Et ses petits enfants, filles et garçon, sortirent m’embrasser et me souhaiter en riant la bienvenue…

La pièce, simple, avait deux fenêtres aux volets clos. Des matelas recouverts d’un tissu de velours vert étaient posés le long du mur à même le sol sur un tapis sobre tressé…
Au mur, une grande carte ocre et rouge des conquêtes du temps du Prophète lui-même… Derrière moi, le grand cadre des 99 noms d’Allah…

Et là sous les 99 noms du Maître des Univers, l’hôte dressa le couvert sur une table basse en bois qu’il rapprocha de mon siège. Le plateau arriva enfin de la cuisine certainement où j’entendais les enfants rire et chuchoter avec leur mère.  Je ne pris pas de photo de la table servie et n’y pensais pas... Le repas que nous partagions se constituait en fait d’un petit plat de couscous accompagné de lait caillé, de petites tranches de pastèque et grappes de raisin noir.
Succulent.
Que dire de plus ?




Texte et photos :
Abderrahmane Djelfaoui




mardi 2 août 2016

Kateb Yacine : le bourgeois sans culotte !...

Faire reparler une photo, image plane, quadrangulaire, noir et blanc, a trente ans de distance…. Oui, bien évidemment c’est possible quand on prend la peine de transmettre la parole du témoin même qui la vécut ….

Que voit-on sur cette photo ?


Kateb Yacine, à droite, en chemise blanche, jambes croisées et main gauche suivant son propre flux d’explication… C’était en juillet 1988… Au centre, un journaliste égyptien de la revue « Koul el 3arab ». A sa gauche, Mostefa Abderrahmane, aujourd’hui vidéaste connu pour ses poignants films documentaires sur l’histoire contemporaine et douloureuse de l’Algérie d’avant l’indépendance…
Juillet 1988, précise une seconde fois l’ami Mostefa Abderrahmane. Parce que date à laquelle se déroulait la 42 ème édition du Festival du Théâtre d’Avignon, France….

Qu’est ce lieu ?

Un jardin magnifique, dit Abderrahmane Mostefa,  Le jardin du Festival où les dramaturges et les comédiens avaient  l’habitude de donner des conférences de presse à l’issue de la représentation de leurs pièces.
Kateb Yacine rencontrait ce jour là les médias, chaines de TV comprises, pour parler d’une de ses pièces (inédite jusqu’à ce jour chez nous, Algérie) qui a pour titre : LEBOURGEOIS SANS CULOTTE, OU LE SPECTRE DU PARC MONCEAU dans une mise en scène de Thomas Gennari ! (qui en connait même le titre ?... Le bourgeois sans culotte …)

La pièce de Kateb Yacine

La pièce ne ressemble bien entendu à aucune autre pièce comme Kateb Yacine lui-même ne ressemble à aucun poète de la planète.
Le prétexte part de Louis XVI  que les révolutionnaires français de 1789 allaient exécuter haut et court lui et son épouse la reine Marie Antoinette… La terreur, déjà… Mais l’intérêt est que la pièce se développe ensuite sur les « théâtres » modernes de la terreur des guerres coloniales comme celle d’Indochine pour finir sur celle d’Algérie… Une fresque historique transcendant tous les espaces géographiques et les temps traditionnellement découpés en « avant » ou « après »…
La pièce, se rappelle Mostefa Abderrahmane, avait été jouée au Musée Calvet trois semaines durant par les comédiens de la ville d’Arras, ville où était né Robespierre et d’où il s’était fait élire député au Tiers Etat en avril 1789…
La pièce, pour les spectateurs, se jouait en mouvement. Elle commençait en  pénétrant dans le musée Calvet lui-même, pour se poursuivre entre couloirs, salles et jardin… Tous les soirs à 18 heures trente, du 12 au 31 juillet 1988. Et les spectateurs, nécessairement pas assis, suivaient, suivaient, de prés…

Mais que Faisait donc là Mostefa ?

Des photos auraient pu l’expliquer mieux que 1000 mots. Mais on n’a pu encore les canner… Mostefa Abderrahmane se trouvait à Avignon avec la troupe Art Scénique de Mostaganem. Le choix avait été fait par les pouvoirs publics algériens d’envoyer cette troupe représenter le pays et sa culture… La troupe vint avec la pièce « Fin de partie » de Samuel Beckett, mise en scène justement à cette époque par Mostefa Abderrahmane. Elle avait réécrite par Ahmed Haroun et interprétée à Avignon  par Ahmed Haroun Et Bouaich Guenoun…
C’est comme ca que Mostefa Abderrahmane rencontra Kateb Yacine. « Un moment inoubliable », dit-il. Avant de rajouter ce souvenir. Il avait demandé à Kateb Yacine d’avoir la faveur de recevoir un texte de la pièce pour le ramener en Algérie, à Mostaganem. Pas possible, avait répondu Kateb Yacine. Pourquoi ?... Parce qu’à ce stade il n’y avait pas encore de texte définitivement établi de la pièce Le bourgeois sans culotte. A chaque représentation, expliquait Kateb Yacine, ce texte change, parce qu’il y a des rajouts, des modifications, etc…
Mostefa n’a malheureusement pas pu rapporter la pièce, mais cette photo qui en parle, parle et pourrait encore dire bien d’autres choses vivantes, inattendues, poétiques et folles comme seuls les créateurs authentiques savent le faire…

Abhderrahmane Djelfaoui