vendredi 21 juin 2019

JEAN PÉLÉGRI ? … ON M’A DEMANDÉ QUI TU ÉTAIS…






Commencer par la photo de ton regard au sourire de yeux clairs ; ce regard de bonté où dansent les brumes légères et lumineuses de la plaine de la Metidja  de son enfance…

Pélégri est né au village de Rovigo (du nom d’un général qui fut d’abord l’homme de confiance de Napoléon Bonaparte et son ministre de la Police…) à 30 kms d’Alger, un 20 juin 1920, fils de parents colons fonciers qui allaient être ruinés… 




Vendanges, un dessin de Brouty (dessinateur né sur un bateau au large de Bastia, il vécut en Algérie de 1922 à 1962)


Ci dessous un texte de Jean Pélégri , extrait du livre biographique que Dominique Le Boucher lui a consacré, texte qui conte cet espace de son enfance:






Jean Pélégri (allias Jean Le Pélerin ou Yahya el Hadj... ) est né la même année que la poétesse Andrée Chedid d’origine syro-libanaise au Caire ; le révolutionnaire Abane Ramdane de la commune de Larba Nath Iraten qui de l’âge de 13 à 19 ans étudiera au lycée Duveyrier de Blida; l’écrivain Boris Vian qui écrira la chanson « Le déserteur »  qu’interprétera courageusement Mouloudji en 1954 ; ou le journaliste Jean Daniel né à Blida, futur fondateur du Nouvel Observateur… 

Rovigo, le village natal de Pélégri (mais également de l’écrivain Jules Roy), porte désormais le nom de Bougara. Une ville de cigognes et cigogneaux…




Ces majestueux oiseaux de son enfance et d’enfances de mille autres générations qui, dés l’été, migrent du nord de l’Europe vers nos contrées avec cette particularité de voir leurs mâles faire seuls le voyage à l’avance afin de réparer leurs nids anciens pour la femelle et les petits à venir… 

Peut être que sa vocation de romancier algérien (« Les oliviers de la justice » et « Le Maboul ») est-elle aussi née du rêve de comprendre le mystère des voyages sans faute de ces grands oiseaux – el belaredj, comme on les appelle chez nous - au-dessus des continents et des mers ; puis par dessus le Sahara en direction de ce qu’on désignait indistinctement comme « l’Afrique noire »…

Comment savoir ?...

Par contre, pour mieux connaitre la fibre spirituelle de l’auteur, je donne à lire un de ses poèmes : 



« Les paroles de la rose », écrit à Alger en 1957 (quand un autre général massue y faisait la loi) et qui ne sera publié qu’en 1960 dans Les Lettres françaises, journal que dirigeait Aragon…



Avant même le poème, il présentait lui même humblement cet écrit :




Les paroles de la rose

Le soleil c’est pour le Bon Dieu
Et le feu c’est pour les soldats

Nous sommes tous fous, m’sieur Jean
Dieu nous a tout donné

La main pour caresser
Elle sert à tuer

La grenade pour la bouche
Elle sert à mutiler

La terre pour tapis
Et elle sert à enterrer

Pourquoi tout ça, m’sieur Jean
Dieu nous a tout donné

L’arbre pour son ombre
Et il sert aux embuscades

Le couteau pour le fruit
Et il sert pour la gorge

La nuit pour reposer
Et elle sert à veiller

Nous sommes tous fous, m’sieur Jean
Si tu veux boire la mer
C’est la mer qui te noie

Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer
Mais tu dois sourire, m’sieur Jean
Le sourire c’est pour les vieilles
Le sourire protège les vieilles
C’est leur voile de mariée

Nous avions une odeur de jasmin
Et maintenant regarde, m’sieur Jean
Regarde mes bras et mes mains

La main qui sert à caresser
Sert aujourd’hui à mendier

Nous étions rose, jasmin et lilas
Regarde ma bouche et mes cheveux

Le sourire protège les vieilles
C’est leur voile de mariée

Il ne reste que mes yeux
Et c’est pour voir mon fils tué

Regarde la lune dans le ciel
C’est une branche de palmier

Regarde là-haut cette montagne
Regarde cet avion qui passe
Mon fils aussi l’a regardé

Le soleil c’est pour le Bon Dieu
Et le feu pour les soldats

Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer
Mais plus haut il y a un figuier
Et une eau qui ne tarit pas
Plus haut il y a un Jardin
Je vais mourir, m’sieur Jean
Regarde la lune qui se fend
Je vais mourir sans mon enfant

Mais il faut sourire, m’sieur Jean
Le sourire protège les vieilles

On va m’enrouler dans un voile
Et me coucher seule dans la terre

Il faut sourire, m’sieur Jean
C’est mon voile de mariée
Mais si tu marches dans un jardin
Pense à moi, m’sieur Jean
Pense à ta vieille Fatima
Elle a soigné ton enfant
Le sien elle ne l’avait plus

Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer

Pense à moi et puis souris
Moi je serai dans le Jardin

Mais dis qu’que chose, m’sieur Jean
Dis qu’que chose toi qui sais lire
Dis qu’que chose pour que les autres
N’aient pas besoin de ce voile
Pour avoir sur terre jardin


N’ayant pas la possibilité d’accéder à la collection du journal Les Lettres françaises dans ma banlieue d’Alger, j’ai eu la chance de trouver ce long et poignant poème dans l’anthologie poétique publiée en 2012 par la Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne que m’avait envoyé cordialement par la poste son directeur, Francis Combes.

Une petite anthologie de poche qui regroupe quelques 45 poètes, dont, « ce matin ils ont osé » d’Annie Steiner,  elle-même née à Marengo redevenue Hadjout depuis l’indépendance de l’Algérie. Egalement des poèmes de ceux qui furent ses amis proches tels Mohamed Dib, Kateb Yacine, Jean Sénac et d’autres encore…


Il exprima, après l’indépendance son profond intérêt et respect pour les œuvres d’artistes Algériens. 

Parmi eux : Baya et Khadda. 


De la peintre Baya donc, il écrira en 1987 dans le catalogue d’exposition « ALGERIE EXPRESSIONS MULTIPLES » conjointement à d’autres textes de Kateb Yacine, Benamar Mediene et Michel-Georges Bernard:


«  B

« La couleur semble chez elle un signe, une forme –une écriture sur la jeunesse du monde. Aussi, à chaque fois que je regarde les couleurs de Baya, j’ai l’impression que le monde s’entrouvre, qu’il retrouve sa nouveauté, son innocence originelle – comme si Baya, pour nous rafraîchir l’œil et la mémoire, tirait ce rideau de conventions et d’images toutes faites qui nous cache ces réalités, autrefois entrevues, mais peu à peu voilées, que nous goûtions, enfant, quand nous réinventions la naissance des choses. Voici l’arbre –disions-nous- voici l’onde, le bassin, l’oiseau. Voici Baya.

« Et nous voilà grâce à elle à retrouver des souvenirs perdus : une pastèque entrouverte au milieu de ses feuilles ; un vase bleu ; un bassin tranquille sous des branchages ; le jaune lisse, rayé d’un trait noir, d’une tige de roseau ; l’ombre bleue d’un figuier ; et cet oiseau, étrangement bariolé, que l’on voyait parfois dans le ciel de la Mitidja, et qu’on appelait communément le chasseur d’Afrique »


Quant à l’artiste peintre Mohamed Khadda (originaire de Mostaganem), il écrit :





Ce n’était bien sur là que quelques repères contre l’Alzheimer de notre culture et identité plurielles.

Ce ne sont que quelques notes, en ce 18 éme vendredi pacifique, notes qui n’ont de souhait que de renvoyer le lecteur vers d’autres textes, plus riches, dont il pourra trouver facilement les références sur internet…



  



A. D.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire