lundi 6 juin 2016

Etre « Agi », agile d’âge, agile d’impressions…

Alexandra Gillet, mère  d’une petite famille nombreuse est artiste peintre à ses heures. D’emblée je lui demande si elle est parisienne.

Du tac au tac, fière et enjouée elle répond : « non je n’ai rien à voir avec Paris, je ne suis pas du tout parisienne. Je suis bretonne et en mon jeune temps en Bretagne quand les autres allaient à la danse ou au foot, moi je faisais les Beaux arts… J’ai toujours peint pour mon plaisir, parce que j’adore ça. J’ai fait les Beaux arts en auditrice libre. J’allais pendant une heure et demie apprendre le dessin ; ce que  j’ai fait ça pendant cinq ou six ans. Je n’ai jamais eu de diplôme des beaux arts, alors que je constate qu’ici que plus on est bardé de diplômes des beaux arts et mieux c’est. Ce qui n’est pas trop mon idée… »

Alexandra Gillet et ses pin’s au vernissage de son exposition , Galerie Sirius (photo Abderrahmane Djelfaoui)


« La vie la mène à Alger en 2005, puis en Egypte en 2009 », où elle exposera des portraits de femmes inspirés du Fayoum antique… De retour en Algérie en 2013, après deux expositions privées consacrées aux diplomates Alexandra Gillet fait sa première exposition publique à la mi mai à la Galerie du Télemly que dirige Valentina Ghanem Pavlovskia avec dix huit toiles qu’elle signe toutes d’un bel « Agi »...
On découvre une série de tableaux sous le titre générique de « Haik Vibes . Amour, Mystère et Féminité» (Vibes signifiant : ambiance …). Des tableaux en hauteur, de mêmes mesures (80cm x 110  ou 120 cm) qu’elle avoue avoir réalisée vite, très vite (pratiquement dans l’année) compte tenu du poids de ses obligations familiales.
Toutes ces toiles, vives et accrocheuses, parce qu’étonnantes par leur humour et le regard de tendresse de leur auteure sont des « portraits » en plan américain donnant à voir un bout de front et les gros yeux de  femmes voilées  jusqu’à hauteur de leur poitrine avec au moins une de leurs mains (sauf pour huit d’entre elles : charmantes algériennes qui ont des prénoms imaginaires. « Je leur ai donné des prénoms parce que pour moi elles sont vivantes » : Thizirt, Chaza, Yamma, Siwa,  Mellala, Wezna, Anarose, Kahina…).

Un même thème donc (le haik) et un style sériel, à plat et de face, avec une sorte de scénographie en écho qui, je ne sais pourquoi, (et surtout quand on prend assez de recul pour les voir ensemble) me rappelle d’emblée, mais lointainement les manga ou le montage d’images dans une veine proche de la publicité. Ce qui m’est confirmé quand l’artiste m’apprend qu’elle a tout de même fait une école de communication graphique, de publicité, avec  diplôme, un domaine où elle a exercée en agence durant une dizaine d’années en tant que directrice artistique…
Après cette décennie professionnelle dans la com, la vie de famille va prendre le dessus avec les soins et l’éducation des enfants mais aussi avec le hasard des voyages d’affaires du conjoint en Algérie,  en Egypte en 2009, puis à nouveau l’Algérie depuis trois ans. Alexandra n’a que 45 ans…

Achwak, La Passion, acrylique sur toile (80 cm x 120cm) (photo Abderrahmane Djelfaoui)

EPINES, SANG, ARGENT….

Si l’on ne voit pas les mains d’Achwak-la Passion, le sang de ses lèvres  coulant sous sa voilette impeccablement blanche est net. Tout comme est net son riche collier de pièces d’argent  en V qui redouble par contraste la forme triangulaire de la voilette…
Toile dérangeante s’il en est, mais une toile non faite à partir d’une photographie ou d’un modèle réel ; ce qu’elle me confirme pour tous les « portraits » de cette série. C’est dit-elle un travail imaginaire, un travail de mémoire, un travail spontané d’impressions intimes… « J’ai toujours peint des femmes, des portraits  de femmes. J’ai toujours été attirée par la beauté féminine. J’aime percevoir la beauté chez les femmes, même quand elles sont laides. La vérité c’est ça…. Et ces Algériennes je les ai peintes avec plaisir, comme tout ce que je fais, mais sans avoir d’histoire particulière avec elles. Pour les portraits des femmes du Fayoum d’Egypte la raison qui me poussait à peindre ces beautés était tout simplement esthétique. Et dans deux ans quand je serais au Sénégal je peindrais certainement des sénégalaises…Un partage, avec des clins d’œil. C’est bienveillant. Je n’ai pas envie d’ailleurs de justifier tout ça…D’ailleurs, pour ces femmes que je trouve tellement belles en haïk je voulais au début faire de l’exposition une conversation avec ces femmes qui sont toutes dans la même position, qui regardent, avec au milieu d’elles les gens venus les voir… Mais là il aurait fallu trouver à Alger un espace galerie spécial pour ça…».

Oui. Et dans le tableau d’Achwak la Passion, celle-ci semble condamnée à ne pas pouvoir enlever la tige d’épines qui la blesse cruellement…  Serait-ce l’éternité de la blessure, me dis-je ?... Même si un œil, de gauche, est comme vitreux de douleur tue, la posture de la jeune dame est digne. Yeux tournés vers la lumière, elle regarde, elle attend, presque hiératique. Une attente d’autant plus intérieurement compulsive mais retenue que le fond de la toile est rouge sang, un rouge que l’or du voile sur la tète et les épaule d’Achwak porte à incandescence…
Ce fond interpelle l’homme d’image je suis. Alors qu’il semblerait faire fonction de simple décor pour juste « poser » le personnage dessus, («fonction support » « collage »), je remarque à l’observation que la texture de ce « fond » est travaillée telle une toile de peinture abstraite en elle-même… Et c’est pratiquement le cas pour les différents fonds des dix huit portraits. Autre nuance, de taille : ces fonds ne me semblent pas du tout aussi répétitifs dans leur conception que le sont les poses des jeunes algériennes alignées en série… A preuve ce détail de la toile : « Lehna, La Paix » (ou : I love Casbah)…

Détail de I love Casbah… (photo Abderrahmane Djelfaoui)

Alexandra Gillet lors du vernissage de son expo de dos par rapport à l’une de ses toiles (photo Abderrahmane Djelfaoui)


On aurait aimé connaitre les réactions du public féminin, venu d’ailleurs nombreux  au vernissage de l’expo, probablement attiré par le thème (sensible, s’il en est) et par l’affiche « coup de poing » qui a bien circulé sur les réseaux sociaux. Connaitre leur perception quant à ces femmes voilées, enfermée chacune dans le cadre solitaire dune  toile. Femmes peintes qui ne parlent pas, qui ne communiquent pas autrement que par symbole à la main : un ballon, un cœur, une khamssa, un oiseau sur le doigt… Et, surtout, savoir leurs sentiments et pensées envers la voilée qui joue au rubiscube, celle qui médite avec un ballon à mèche explosive dans les mains ou encore celle qui tire de façon provocatrice  sa langue sensuelle qui crève la voilette ! (emblème des Roling Stones, dit-on….).
Personnellement j’en ai vu beaucoup sourire tendrement, s’amuser, pointer le doigt pour les copines ou les copains sinon écarquiller les yeux. Je ne sais si les télés nombreuses à venir faire la visite ont retransmis cet aspect des choses…

Algéroises venues voir…. (Photo Abderrahmane Djelfaoui)


Une généreuse réaction d’artiste aura été celle du peintre Azwaw Mammeri présent au vernissage. S’il était aux anges, avec l’amie peintre Valentina Ghanem qu’il retrouve, son regard sur les œuvres d’Alexandra semblait assez perplexe… Il me dit spontanément, comme à son habitude, qu’il la trouve « très sympa ; surtout son sourire, son rire et ses yeux qui sont plein d’amour »… Alors, qu’en est –il de ses toiles ?... Il ne dit rien. Il fait une moue, regarde passer les jeunes dames, leurs cheveux… Puis finit par lâcher à mi voix : « Les tableaux sont trop proches les uns des autres sur les murs de la galerie. Par ailleurs c’est une peinture qui aurait gagné à être maturée plus longtemps… » Puis, humble seigneur il dit comme s’il se parlait à lui-même : « … Son travail me rappelle quand même un peu Modiglinai ; un lointain Modigliani au féminin »

Modiglinani hier ! Algéroises d’expo aujourd’hui … Demain : vers quels autres imaginaires de visages et grands yeux s’envolera encore l’artiste  qui se propulse peut être vers une signature de grande renommée?... Nous le lui souhaitons.



Abderrahmane Djelfaoui

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