mardi 6 mars 2018

Alger… mon jasmin


Il y a plus de treize maintenant, une dame me contactait pour me demander de préfacer son recueil de poésie à paraitre… Elle s’appelle Djamila Musette, nom qui pour moi suscitait le respect au seul vu des interventions de son époux, natif de l’ile de la Réunion, sociologue bien intégré à la communauté des chercheurs algériens en sciences sociales….

A cette date, une anthologie des éditions Seghers, « L’année poétique 2005 », publiait parmi cent vingt poètes, un de me poèmes sur Séraidi (Annaba)… Trois ans plus tôt j’avais cependant eu la chance d’en voir d’autres traduits à l’italien par Bruno Rombi en Sicile, sous le titre de  « Algeri separazione (Alger séparation) » ; c’était en 2002…



Ce recueil s’ouvrait sur cet éclat :


cette ville sépare nos pieds
des sables
nos rires
de leur sillage

pour certain matin tondre
nos cous dans la rade

*
Je me penchais et me concentrais sur mon clavier pour rédiger la préface demandée… Le hasard de mes relectures d’alors quant à Apollinaire et la boucherie de la guerre 14-18 créèrent l’étincelle, le lien entre les horreurs mondiales du début du 20eme siècle et celles qui allaient tragiquement le clore pour ce qui nous concerne…


Voici ce texte exhumé (et, sans que je le sache, allait reparaître dans une nouvelle édition des poèmes de Djamila Musette) :


Préface

Depuis des millénaires la poésie, en toutes langues, est un chant humain. Un chant qui ne cesse d’exprimer par la musique des mots le bien le plus précieux : la Vie.

Dans sa lumière et ses ombres.
La vie indissociable de l’amour.
Toute nourrie du temps qui fuit…

Alors, si telle est la compagne de nos cœurs, celle-ci peut-elle témoigner des tragédies de l’histoire ?

Apollinaire, fondateur de la poésie moderne du XX ème siècle, créateur du mot « surréalisme », engagé volontaire dans la première guerre mondiale, blessé dans les tranchées par un éclat d’obus, trépané, écrivait dans une lettre à l’une de ses correspondantes :

« En réalité, aucun écrivain ne pourra dire la simple horreur »…

Tant l’horreur dépasse l’imagination des humains que nous sommes et que nous voulons demeurer dans la confiance du partage.
Mais ceci dit, (et les innombrables lecteurs d’ici et d’ailleurs le savent fort bien, les fonds de bibliothèques universelles le prouvent) :
Il n’en demeure pas moins que la colère des poètes ou leur murmure citoyen dans les grands drames humains qu’ils subissent aussi sont un passage obligé pour que leur famille – la grande famille humaine qui avance- puisse faire son deuil. Pour que cette famille plurielle et pacifique puisse continuer à marcher d’un pas digne.

Pardonner peut être, surement même un jour….

Au jour d’aujourd’hui, entre nos mais, de nos yeux à notre mémoire encore inquiète, le témoignage pathétique d’une femme d’Alger, sociologue et poète, dont le cri à travers la hachure des phrases, par de là la cisaille des mots, est en dernière instance une volonté de nous transmettre le souffle du jasmin de sa ville, nous transmettre, en tout bien tout honneur, après tant d’années noires, l’air renouvelé de ce jasmin…

Abderrahmane Djelfaoui


Le recueil de Djamila Musette, composé d’une vingtaine de poèmes, était sobre et soigné. Sur la page de couverture une peinture de M’Hamed Issiakhem  extraite d’un livre L’enfance au cœur, imprimé par l’ENAG pour le compte de l’Association enfance et famille d’accueil bénévole… Recueil lui-même édité et imprimé par l’association des psychologues SARP…

En ouverture du recueil, à la suite de ma préface, l’auteure a intégré en facsimilé l’extrait d’une photographie « d’un fragment du drapeau algérien, distribué lors d’une soirée de commémoration, organisée par la Fondation Boucebci à Riadh el Feth, Alger, durant les années 9O »…



Puis le premier grand poème de Djamila Musette ; poème fondateur et structurant autant le  récit que de la mémoire…


Perdu dans la cité


Je n’ai que ma poésie
et avec ma poésie
j’erre
au cœur
de ma Cité,
dénudée…

J’erre
dans une longue
nuit
d’enfer…
comme dans un cimetière…
désert.

A travers ses artères…
seulement le néant
un silence
lugubre,
et j’ai froid de peur.

Et mes larmes
coulent
sur toutes ces dépouilles
et sur ma Cité
qui s’écroule…
Je pleure…

Je pleure
toute cette jeunesse
qui hurle
sa détresse…
du haut de ce minaret.

…………………………………..

Tous ces êtres égarés
…………………………………..

Et j’ai mal.
Trop mal
en moi…

…………………………………..

Pour tout ce mal
autour de moi
je me sens
mal…
mal dans ma peau…
sur cette terre…
j’ai trop mal !

…………………………..

Pour l’enfant
au regard apeuré.
Pour le rêve
qui n’existe plus.
Pour l’innocence
saccagée.
Pour l’oiseau
qui ne chante plus.
Pour la vierge
Violée.
Pour la mère
éventrée…

………………………….

J’ai trop mal
au bas ventre
………………………….

Quelque chose
est brisée
au fond de moi.
Quelque chose
qui ne se répare pas

………………………….

Ma blessure
reste
grande
ouverte.
La mort rode
autour de moi.
Et les vautours sont encore là.

*

Au dos du livre, en quatrième de couverture, on pouvait lire ces lignes sur le profil de l'auteure:



Revu et augmenté, ce recueil est réédité en 2018 par les éditions Frantz Fanon situées à Tizi Ouzou.




Sortie de l'ouvrage qui donna l'occasion en janvier 2018 à une émission télé (culture club) suivie d'une émission radio animées toutes deux par Karim Amiti, au Boulevard des Martyrs, et qui donnaient la parole tant à Djamila Musette et son jeune éditeur Amar Ingrachen, qu'à la peintre Zohra Hachid-Sellal et moi-même...

(studio de la chaine 3; photo Abderrahmane Djelfaoui)





Abderrahmane Djelfaoui









1 commentaire:

  1. Poseur de mots, poseur d'images, reconnaissable tentation de vie sans nom. Rabbi yekhellik Abderrahmane

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