lundi 28 janvier 2019

Mama / World Press 2018 - Act 1


Le Musée national d’art moderne et contemporain  d’Alger (Mama) abrite durant prés de trois semaines une importante exposition (forte au plan de l’impact émotionnel) de photographies de reporters journalistes de différentes nationalités primées par le World Press 2018.


Façade du Mama





Accompagné de mon épouse, nous avons mis prés de deux heures à parcourir la galerie où ces photos (noir et blanc ou couleur) étaient accrochées à bonne hauteur pour les voir de prés ou, au  vu leur taille, de reculer de plusieurs pas pour en mesurer la force d’expression et d’agencement des situations (limites) des personnages saisis, pour chacune,  dans un espace-temps inédit…  


« A l’ouest de Mossoul, une femme pleure,

peu de temps après qu’une attaque au mortier a tué son fils ».
Photo de l’irlandais Ivor Prickett pour le New York Times


Si chacune des photos frappe « aux entrailles » (comme l’on dit communément et qui dit bien l’effet choc produit), je ne parlerais pourtant aujourd’hui que de celle qui a remportée le prix de la photo de l’année au World Press Photo 2018  signée par le vénézuélien Ronaldo Schemidt, photographe de l’AFP basé au Mexique… D’elle et d’une « vue » [non imagée mais en toutes lettres sur papier] qu’elle a soudain fait remonter en moi sans que je m’y attende…


La Photo :



La présidente du jury, la directrice de la photographie du magazine Geo France, Magdalena Herrera a déclaré lors de la cérémonie de remise des prix à Amsterdam :

« … C’est une photo classique, mais elle a une énergie et une dynamique instantanée … il y a dans l’image de Ronaldo Schemidt des couleurs, du mouvement et elle est très bien composée. Elle a de la force »

Whitney C. Johnson, une des membres du jury et directrice adjointe de la photo au National Geographic  a expliqué quant à elle que cette photographie « est assez symbolique … L’homme a un masque sur le visage. C’est comme s’il ne se représentait pas seulement lui-même, ou lui-même en feu, mais aussi l’idée d’un Venezuela qui brûle ».

Et le photographe de résumer: «Je n’avais jamais assisté à quelque chose d’aussi violent »…

Au-delà de cette photographie, c’en est une autre (en fait jamais réellement prise, jamais développée, tirée ni diffusée) qui est le témoignage, dans mon dernier livre, du dit de  l’artiste peintre et sculpteur Mustapha Boucetta qui avait assisté gamin, lors de la grève des 8 jours de 1958 à Alger à un « fait divers ?» qui l’a marqué à vie. Comme il me l’a  longuement décrit lors de mon enquête, j’en ai reproduis le récit en prés d’une page et demie, dont les en quelques lignes ci dessous :

« … J’avais huit ans quand il y a eu la grève des huit jours. Je sais que c’était l’hiver, mais je me souviens qu’il faisait beau… Comme on habitait rue de Dijon où je suis né, on traversait l’avenue Malakoff et on était sur la plage des Bains de Chevaux…
« Alors que mon esprit d’enfant était accaparé par les jeux, les commerces étaient fermés. Et les militaires –c’était impressionnant-, les militaires sont venus avec des pieds de biche et des pioches carrément (c’était violent à nos yeux de gosses) pour fracasser les serrures et les rideaux de fer les remontant de force et laissant tous les petits commerces ouverts à tous vents … C’était la guerre…
« … Plus haut il y avait un bar et je me souviens parfaitement d’une jeune fille, une moudjahida qui venait de jeter une grenade. Je ne sais pas ce qui s’est passé (avait-elle perdue son contact ?...), le fait est que la population pied noir l’a coincée puis des gens parmi eux ont pris de l’essence d’une mobylette, l’ont complètement aspergée et l’ont enflammée vive dans la rue au vu de tout le monde… »

[ Pages 115 et 116 de « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de guerre »]

Il n’y a, bien sur, pas photo de ce  fait de guerre tel qu’il est rapporté… (Il aurait même pu jamais être rapporté si…]

Mais la connexion en mon esprit (esprit algérois et enfant de cette guerre moi même) entre la photo primée à Amsterdam et le récit flash exhumé d’un Alger d’antan est inouïe.

Ce pourrait  être d’ailleurs (et pourquoi pas ?) l’incipit à une longue dissertation, débat  ou thèse sur la question humaine nodale du SU et du VU… VU et SU sont-ils totalement identiques ? En attendant aussi que l'Histoire redonne son nom et son prénom à cette jeune fille brûlée vive il y a 60 ans…



Abderrahmane Djelfaoui

1 commentaire:

  1. Saisissant...
    Tristement émouvant...
    Grande et profonde réflexion...
    🎩 bas au Maestro ❤

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