dimanche 8 mars 2020

Ouahiba Aboun Adjali en ce mars du mimosa…







Nous allons dans cette vie en semant derrière nous des mots dont le sens parfois revient comme en écho, après nous…
Sens. Quintessence de quelques-uns de ces cailloux-mots...
Autant pour la Poésie, certains tableaux de Peinture, Film, Musique, Théâtre ou plus humblement encore un pot en céramique…

La disparition de Ouahiba Aboun Adjali, poète, me remet soudain en mémoire une fraction d’époque avec une infinité d’éclats de ma ville natale, Alger…
Cette disparition ravive en moi le souvenir d’autres amis : Azwaw Mammeri ou Hamid Nacer-Khodja et tant d’autres encore…




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Que dire d’une vie de passion, de douleurs, de solidarités et « silence » à cause de la maladie ou parce que c’était « le destin » ?...

Dire d’abord qu’elle fut diplômée d’Etudes Supérieures de Mathématiques à l'Université d'Alger en spécialité Recherche Opérationnelle.
Mais avant cela, dire que cette koubéenne était souvent la première en français et en philosophie en classe terminale au lycée Hassiba de Kouba où quelques unes de ses camarades se souviennent d'une jeune fille sans à priori, très ouverte à la discussion et libre d'esprit...
C'est peut être cette flamme qui poussa Ouahiba Aboun Adjali, passionnée d'art à se consacrer dés 2003 au courageux projet d'ouvrir et gérer une galerie d'art dans une étroite rue du quartier du Panorama, au-dessus d’Hussein Dey,  à Alger. Les Arts en Liberté...
Un espace, comme elle l'écrira d'ailleurs plus tard  pour redonner "voix à nos possibles trop souvent emmurés"... 

Enfin elle se décida à l'édition vers 2006 avec la parution de son recueil de poésie "Alger, de mémoire et d'amour" (Editions APIC)


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Pour la parution d’un numéro spécial de « 12 x 2 Poésie contemporaine de deux rives. Alger – Marseille », elle nous confia plusieurs de ses poèmes….






Je sais comment eux s'appellent

Je ne sais plus comment je m'appelle
j'ai envie de choses simples
le soleil qui se glisse dans l'eau
le matin qui me tient par la main

J'ai envie de rues humides
Nettoyées à grand cris de joie.
J'ai envie de rires
et surtout de jasmin

J'ai envie de m'asseoir
face à la mer
belle la mer
et moi belle aussi

Aller seule vagabonde
les toits qui font la ronde
et les portes cochères rient

Adopter la rue
lui attacher des rubans
aux lampadaires

Les passants m'ignorent les passants
nul ne sourit

Je raccommode
le port, la jetée
je bouscule les bateaux
éventrés de maux
puants dans l'eau chaude

L'air est mélangé
à un air étranger
et mauvais
que je respire

Je sais comment eux s'appellent
Ils glissent le long des rues
ils respirent ma vie
ils volent ma vue
ils vont. Une auréole
de crime absout les suit


[l’ouverture du numéro se faisait sur une peinture d’Azwaw Mammeri]






Ses contributions (après un poème sur la tragédie de Beyrouth, un autre sur « Le tribunal du temps » et un « Poème sans titre et sans voix », se clôturaient  par :
« L’exil, cette longue attente
Ou lettre à un poète errant »


Vous m'avez tant manqué
Cœurs blessés restés
accrochés à mes larmes

Vous m'avez tant manqué
la vie aux féroces sourires
vous que je connaissais
ceux que je n'ai point connus.

Poète
sourire timide              douloureux
plus terrible qu'une décennie              de ténèbres
debout dans l'ombre
ombre debout                        

Tes mots qui n'ont jamais
abreuvé ta terre
sombre

Ton murmure
rappelle les fantômes
cachés
accrochés aux lanternes
soudain allumées.

La ville verse encore des torrents de larmes
Sous un soleil de charme.

Vous m'avez tant manqué.
Vos vies éparpillées
aux multiples autels
d'exils manufacturés

Je balance
ma douleur me mène
entre Bagdad et Jérusalem
et tant d'autres ailleurs.

Aveugle au cœur apatride
de plus en plus apatride
restée sans rester
partie sans partir

Vous m'avez tant manqué
ces jours lointains
les rires en cascade
d'un pays aux querelles joyeuses.

La mer veille
les oiseaux migrateurs
racontent des histoires
aux bateaux de ma peine.

Le reste est un puits sans fond.



(Bel ouvrage réalisé en 2006 avec le concours de l’ONDA, l’Ambassade de France en Algérie et la Bibliothèque Nationale d’Algérie)







Abderrahmane Djelfaoui
Ain Naadja, 8 mars 2020








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