mardi 9 juin 2020

Deux artistes pour décoloniser le plus grand musée du monde érigé à la gloire de la colonisation du Congo (Belge)?...




Grand Musée ? 

Oui, si l’on sait que cette « institution royale» de 122 ans d’âge, se déploie sur une aire d’une trentaine d’hectares ! (La surface au sol de la Tour Effel [d’un poids de 10 000 tonnes de fer d’Algérie] n’est que d’un hectare et demi….)


(photo : banner du Musée)



« Immense musée colonial» également si l’on rappelle qu’il abrite des millions d’objets ramenés du Congo, un territoire distant de 5779 kms de Bruxelles à vol d’oiseau:

soit 10 000 000 de spécimens d’animaux ;  250 000 échantillons minéraux ; 180 000 objets ethnographiques ; 57 165 échantillons de toutes sortes de bois ; 20 000 cartes ; 8 000 instruments de musique ; 350 fonds d’archives dont celles de l’explorateur et aventurier anglo-américain Henry Morton Stanley (agent d’affaires sous contrat au Congo non pour la Belgique mais pour le compte exclusif et personnel du roi Léopold 2, lequel Léopold léguera d’ailleurs par testament le Congo à la Belgique) [1]…


(photo: Jean Luc Flemal)

Ainsi la question de la décolonisation du musée n’est pas de pure forme , d’autant que de son originelle dénomination de « Palais des colonies » au 19 è siècle, il passa à « Musée du Congo belge » ( en1908 après la mort de Léopold 2)  pour en rester en l’état plus d’un demi-siècle pour se transformer en « Musée de l’Afrique centrale » (en 1960) puis, après une longue fermeture pour des transformations coûteuses en parallèle de débats politiques houleux,  se voir attribuer le nom de « AfricaMuseum » en 2018… Notables changements dus au mouvement planétaire des décolonisations elles-mêmes…

Toutefois, malgré des changements dans l’organisation du musée qui avait été au fil des décennies un réel « outil de propagande colonial », le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU jugea que le fond de ces transformations n’était pas suffisant…
Le musée fit alors à nouveau appel au peintre, sculpteur et enseignant d’art contemporain Aimé Mpane, du Congo, travaillant avec des galeries de New York, de Houston (Texas) et de Bruxelles ; un artiste qui avait entre autres reçu le Prix de la critique de la Fondation Jean Paul Blachère de DAK’ART à la Biennale de Dakar en 2006 et la chance de se voir ouvrir une page entière du New York Times

Aimé Mpane devant «deux de ses « Icones contemporaines », découpées, en 2012  (crédit : LACA)



L’artiste congolais fut invité à intervenir dans la rotonde du musée où se trouvent  élevées dans leurs niches 16 grandes statues d’inspiration coloniale. Ces statues ne pouvant pas être déplacées, l’artiste africain devait créer un projet pour leur faire « contrepoids »…


Aimé Mpane devant son œuvre « Le Congo Bourgeonnant »


La statue créée par Aimé Mpane juste « dessus » la couronne et armoiries du roi Léopold 2 incrustée au sol dans le marbre…


C’est à ce stade du travail que l’artiste congolais fait appel au peintre belge Jean Pierre Muller afin de pousser plus loin le travail critique sur la représentation « royale » de la colonisation.

Jean Pierre Muller (critique des mégalopoles urbaines et de la société de consommation) [2]est connu pour n’avoir cessé de croiser et fusionner les techniques du dessin, sérigraphie, interventions gestuelles ou mécaniques et collaborant même avec des musiciens (musicien lui-même) afin de permettre une participation  de sens plus directe du public à ses créations picturales…


Jean Pierre Muller : Au-dessus de Sao Paulo… [3]

Pour « court-circuiter » l’essentiel des effets grandiloquents, paternalistes, faussement mystiques et/ou racistes des 16 statues « indéplaçables » (« on ne peut changer le passé ») , Jean Pierre Muller et Aimé Mpane initient en tandem de nouvelles installations inédites, en surimposition et contrapunctiques, par voiles légers  et transparents tendant à remettre ces niches dans l’histoire globale du colonialisme et en permettre une lecture libérée, décapante… 




Ci dessous: "L'image d’un para-commando à Stanleyville en 1964 lors de l’écrasement des dernières rebellions des Congolais, alors que la Belgique intervenait militairement hors de tout mandat… » [4]






« … La superposition des deux images permet de créer un sens nouveau ». Jean Pierre Muller. [4]


Caricature d’époque tirée du magazine satyrique londonien PUNCH mettant en cause la barbarie du roi Léopold 2 (un serpent) par l’exploitation sans limite du caoutchouc au Congo qui fut la cause de la misère et de la disparition de populations entières de la forêt tropicale équatoriale au Congo…




[« les missions catholiques sont l'un des principaux piliers de l'entreprise coloniale. Représentant Dieu et la Belgique, le missionnaire a personnifié la supériorité spirituelle et raciale de l'occupant »]




[« La charité commence par soi-même. L'homme d’habit en toile était au sommet de la pyramide coloniale. Il contrôlait les âmes, dirigeait l'éducation, dictait la morale et condamnait la nudité, la sorcellerie et les rites. Tout ce dont il avait besoin pour porter au loin la Parole de Dieu était de se laisser porter soi-même »]


Le tandem Jean Pierre Muller – Aimé Mpane


(toutes les photographies de ce travail de tandem est signé : Maria Kisztina Nagy


C’est là, de la part de ces deux artistes contemporains un magistral coup d’essai, même si leur action est limitée à une seule salle du Musée…   Une action concertée, finement préparée et exécutée qui comme le disait Jean Pierre Muller dans une émission radio : « pour opposer le souple au dur, opposer la transparence à la dureté et à la brutalité des images existantes… ». [4] Une installation qui est une géniale restauration moderne et humaniste du regard, du sens de la solidarité et de la mémoire…. L’exposition s’intitulant d’ailleurs RE/STAURE

Elle me rappelle un passage du grand poète martiniquais Edouard Glissant qui, à propos des esclaves d’Afrique mis en cales vers l’Amérique, écrivait, de concert avec l’écrivain Patrick Chamoiseau en 2009 :
« Ce qui reste de ces anciens transbordés, ce limon des abysses, c’est tous les mondes anciens qui ont été broyés jusqu’à donner vrai lieu à une région nouvelle. Un monde qui avait laminé l’Afrique.  Les Afriques ont engrossés des mondes au loin. Cela manifeste et nous fait comprendre le Tout-monde, donné en tous, valable pour tous, multiple dans sa totalité, qui se fonde sur dette rumeur des abysses. Or la rumeur a quitté les fonds » [5]…





Abderrahmane Djelfaoui
Ain Naadja- Alger






Notes :
[1] sur la colonisation du Congo par Léopold 2, lire le best-seller très documenté « Les fantômes du roi Léopold. Un holocauste oublié  », écrit par le journaliste américain Adam Hochschild et paru chez Belfond, Paris, 1998.


[2]Voir son ouvrage « Sagacity », 1997, présenté à Alger en 1999 lors d’une de ses expositions de peintures au Palais de la Culture.
[3] voir le compte Facebook de l’artiste : @jeanpierremuller7x7
[5] « L’INTRETABLE BEAUTE DU MONDE. Adresse à Barack Obama ». Galaade éditions, 2009, Paris

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire