samedi 3 octobre 2020

« The Streets of Algiers » - Propos de Cristina Viti

 



A la question de savoir comment le projet de traduction  de la poésie d’Anna Gréki  vers l’anglais est né, la traductrice et poétesse italienne Cristina Viti répond :

 

Dans mon travail il s’est toujours agi de métissage et de nomadisme culturel…

En traduisant un poète algérien, Tahar Lamri, je me suis mis à m’intéresser à la poésie et à la littérature algérienne. C’est ainsi que mes recherches m’ont amené  vers de petits morceaux d’Anna Gréki que j’ai trouvé en ligne. J’ai été frappée par l’élégance de forme de cette poésie alors qu’Anna était politiquement très engagée ; une alliance plutôt rare. J’ai voulu me procurer ses livres ; ce qui n’a pas été facile.

Jusqu’au moment où avec une collègue d’origine et de culture algérienne, Souheila Haïmiche, on s’est mises à discuter ensemble du dernier recueil d’Anna Gréki, « TEMPS FORTS », qu’on m’avait ramené de Paris…

Un début de collaboration faite de conversations a commencée il y a environ quatre ou cinq ans, bien avant le travail de traduction proprement dit… J’en avais alors parlé à notre éditeur londonien Smoke Stack Books sans qu’une décision nette soit prise…

Mais il y a six mois, Andy l’éditeur me rappelle et demande : Est-ce que vous êtes toujours en train de travailler sur ce projet d’Anna Gréki ? J’ai répondu oui ! Alors il a dit : on le publie fin septembre

Il nous a fallu travailler vite et bien avec Souheila Haïmiche dont la connaissance des nuances du français algérien et du contexte politico-culturel du pays me donne la chance de travailler plus précisément que je ne l’aurais pu faire toute seule.   !

Ceci étant, Smoke Stack Books avait déjà édité une anthologie de poètes algériens de la guerre déjà publiée en français par le poète Francis Combes …





Pouvez-vous nous donner le nom de quelques autres auteurs qui ont été édité par Smoke Stack books ?...


Il y a pour les français : Louis Aragon et Francis Combes… Mais pour l’année 2020 on peut citer des essayistes, poètes ou écrivains de divers pays tels Sylvia Pankhurst, Alexander Tvardovsky, Konstantin Simonov, Laura Fusco, Chawki Abdelamir, Nikolas Calas, Tasos Leivaditis, Nancy Charley, Jo Colley et Anna Gréki…


Livre distribué à Londres dès le 1er octobre 2020

 

Pourquoi avoir choisi le second recueil d’Anna Gréki  édité en 1966 (quelques mois après la mort de la poétesse) pour le traduire et le diffuser aujourd’hui à Londres ?



Anna Grèki n’était pas très connue en Angleterre. On ne savait presque rien sur sa vie ; bien entendu avant de découvrir votre livre j’en savais personnellement bien peu moi aussi. Je me posais toute une série de questions, dont j’ai trouvé quelques réponses dans votre travail…

 

Mais dans votre approche personnelle qui vous a le plus «  frappé » dans cette œuvre d’Anna Gréki ?..

 

J’ai toujours cherché cette combinaison magique entre les idées politiques et l’élégance formelle ; -c’est ce que j’ai trouvé immédiatement en elle. Anna était « tout feu tout flamme », comme on dit. Son élégance est proportionnelle à son engagement. Dans les écrits qu’elle publie à l’Indépendance, ou qu’elle n’avait pas encore publiés, elle parlait très haut et vraiment très clair contre tout revanchisme culturel… C’est cette attitude que je recherche chez l’écrivain parce que c’est seulement en combattant dans la langue contre ce qui n’est pas dit, qu’on ne dit pas, qu’on ne laisse pas dire, qu’on peut combattre tout autoritarisme répressif ou le fascisme comme dans certains pays…. Tout commence par l’interdiction d’un mot…

Or « TEMPS FORTS » est le recueil d’une femme qui a vécu la révolution et qui en a payé le prix fort (voir : « ALGERIE CAPITALE ALGER »).  Sa liberté c’est de traiter ce qu’elle a devant les yeux  et de le dire clairement ; c’est avec l’Indépendance que tout commence pour elle …

 

[…] L’indépendance au chant du coq où l’as-tu mise?
Tu veux saigner la grenade avec un couteau
Plonger chaque cervelle dans un bain de sel
Que l’herbe qui y pousse reste à ras de peau
Quel est ce peuple roi chien que l’on musèle?
La misère qui hurle a encore du talent
 

Etc…

 

Que voulez-vous dire par : etc… ?

 

Une chose très importante pour moi est sa lucidité quant à la liberté qu’on puisse parler plusieurs langues. Le plurilinguisme certes, mais aussi son respect pour la pluralité des langages, elle qui était au fait de tout ce qui se parlait en Algérie et qui écrivait qu’elle avait les yeux chaouia, par exemple… Ce qui m’a beaucoup émue, parce que je me sens moi-même concernée du fait qu’en tant qu’italienne je suis issue d’une nation où coexistent plusieurs langues qu’on appelle « dialectes »… Cela est dû, même si sa formation était enracinée en partie dans la culture française, a une formation à plusieurs étages ; une formation moderniste et surréaliste, si l’on veut. Je la vois d’ailleurs bien se promener avec un livre d’Apollinaire dans les mains tout en continuant sa conversation. Dans ses images les plus violentes je vois du Buñuel… Etc…

 

Vous venez d’évoquer une des réalités culturelles de votre pays, mais qu’en est-il de votre parcours personnel de poétesse et de traductrice ?

 

Oh, comme le disait Katherine Mansfield, la vérité sur soi-même semble toujours arrogante, mais voilà:

Mon cas n’est pas unique: je viens d’une famille où l’italien se mêle à l’écho du français et aux accents très vifs de la langue dite « dialecte » d’une des vallées des Alpes. A ce mélange s’ajoute très tôt l’anglais, et je commence toute jeune l’étude des langues et la pratique de la traduction. A dix-sept ans je décroche mon bac ; à vingt-et-un je pars à Londres où je continue mes études tout en me plongeant dans le vif de la langue. Travail, écriture, voyage, musique, partage de poésie, métissage culturel recherché et poursuivi. Je commence à publier mes traductions dans des revues spécialisées, puis à proposer à différents éditeurs les auteurs que je rencontre sur mon chemin et que je pense méritent être mieux connus. J’ai traduit la romancière Elsa Morante, le poète albanais Gëzim Hajdari, la poétesse Amelia Rosseli , des travaux du critique italien Furio Jesi et bien d’autres encore…   

Mes poèmes et traductions ont été publiées dans plusieurs revues, notamment : Modern Poetry in Translation , Agenda, Asymptote, The White Review  et Shearsman Magazine





En ce moment même, poursuit Cristina Viti, je travaille à la création d’une série d’ateliers de traduction (King’s College, University of London) visant à illuminer la figure du traducteur comme activiste culturel et la centralité de la forme dans sa pratique.   

 

 

Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui


lien direct vers le livre:

https://smokestack-books.co.uk/book.php?book=191










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