dimanche 20 octobre 2019

UN SOUS MARIN EN VUE DES COTES CHERCHELLOISES


Rassurez vous, ce n’était pas vendredi dernier, mais le lundi 22 octobre 1942 il y a soixante dix sept (77) ans en face de la longue plage de Boumaizène, à huit kilomètres à l’ouest de Hadjeret Enouss, soit à 20 kilomètres à vol d’oiseau de Cherchell …

C’était un petit événement totalement secret, synchrone de la seconde bataille d’El Alamein opposant la 8éme armée britannique à l’Afrika Korps de Rommel à plus de 3000 kilomètres de là en Egypte …  

La réunion de Mousselmoune (prés de Cherchell) de ce 22 octobre 42 allait être un chaînon décisif de la libération du monde du joug fasciste allemand et italien qui avait entraîné la planète dans un cauchemar. De 1939 à 1945 la guerre fera 60 millions de morts soit 2,5 % de la population mondiale



Mais quelle était la situation Alger, la plus grande et plus riche ville du pays au mois d’octobre 1942 ?


Une pied noir d’un milieu aisé témoigne sur internet : « Les Algérois ne reçoivent plus rien de la Métropole. Ils sont pratiquement coupés des campagnes. De l'armistice de juin 1940 au débarquement allié de novembre 42 les Algérois, dans leur très grande majorité auront faim. J'ai pleuré de faim… »

Quid des Algériens et du mouvement nationaliste ? Un an avant, le leader de l’Etoile Nord Africaine puis du PPA (interdit le 26 juillet 1939), Messali Hadj alors âgé de 43 ans est condamné par les tribunaux français au bagne à Lambèse (Batna) puis déporté à Brazzaville au Congo à plus de 6600 kilomètres d’Alger…

La propagande vichyste (alliée des Allemands) claironne quant à elle dans des tracts imprimés en arabe : « sacrifions nous pour la patrie »… Quelle patrie ?.. 





A ce propos, l’historien Benjamin Stora note dans sa biographie de Messali Hadj (à la période de Vichy, page 185) : 
« En juin 1940 la France était défaite […] la preuve de la faiblesse de la France pour les masses algériennes. Le 25 juin, la population européenne apprenait avec soulagement que l’intégrité de l’Empire était maintenue »...

Mais c’est quoi l’Empire français à cette date ?



 Un livre de l’enseignement général français, édité à la veille de l’occupation allemande de la France explicite :
« … douze millions et demi de kilomètres carrés, près de vingt-quatre fois étendue de la métropole. Il groupe plus de cinquante millions hommes dévoués à la France et lui fournit les denrées que son sol ne produit pas, ou produit en quantité insuffisante, ainsi que les matières premières nécessaires à son industrie… » 
La France qui va être envahit et dominée par l’Allemagne hitlérienne non seulement ne reconnait pas les Algériens en tant que tels, mais va juste les utiliser pour ses intérêts d’Etat comme on utilise une paillasse, avec mépris et cynisme.

L’historien Benjamin Stora, cité plus haut, de conclure d’ailleurs sur cette question « … le régime du Maréchal Pétain, représentant l’Etat fort, antirépublicain, autoritaire. C’était le retour aux sources : l’Algérie de la Restauration, celle de Bugeaud, de l’Armée d’Afrique, de l’église africaine »…


NO COMMENT !

A ce moment de la deuxième guerre mondiale, l’Histoire n’est plus à l’initiative de l’empire français. Désormais, le destin du monde se décide principalement par les Américains à l’ouest, par les Russes à l’Est. Les Alliés tiendront d’ailleurs le général De Gaule lui-même longtemps en marge des grandes opérations…

Le 16 octobre 1942, le Lieutenant Général de l'US Army Dwight D. Eisenhower, commandant Allié pour l'opération Torch, [il sera Président des Etats Unis de 1953 à 1961] délègue personnellement depuis Londres le général Mark Wayne Clark pour une mission secrète sur la cote algérienne….  


Le général Clark, un an plus tard, lors du débarquement Allié à Salerne en Italie…
Un débarquement où participeront 67 000 soldats maghrébins, Algériens en majorité et parmi lesquels on comptera 4000 tués de novembre 43 à juin 44…



Donc au soir du 22 octobre 1942 un sous marin de 700 tonnes fait surface à quelques centaines de mètres de la plage déserte du village agricole de Mousselmoune. Il repère une lumière allumée sur la colline, c’est le signal convenu à partir d’une fenêtre de la ferme Sitgès. Cette opération a pour nom de code : Flagpole et doit préparer l’opération de débarquement des Alliés (non de code :Torch) sur les plages d’Alger un mois plus tard…

Le sous marin venait de faire une lente traversée et difficile sous la Méditerranée depuis Gibraltar avec à son bord des officiers d’état major dont le général Clark, le général Lyman Lemnitzer, le colonel Archelaus L. Hamblen, le colonel Julius Holmes qui parle très bien le français et le capitaine de la marine américaine Jerauld Wright ainsi que trois gardes de la marine anglaise de Sa Majesté armés de FM… 
Le sous marin britannique HMS Seraph vient de sortir des chantiers navals; il est destiné aux opérations secrètes…




Le HMS Séraph à son départ de Gibraltar…
Les officiers et les marines qui les accompagnent débarquent vers 1 heure trente du matin,
nuit noire, à bord de quatre kayaks. Le consul américain à Alger, Murphy, est là et donne 
l’accolade au général Clark… Puis tout le monde escalade discrètement la colline vers la
ferme Stigès qui domine la plage. Les kayaks sont aussi transportés pour être
cachés dans la ferme…. 
[voir le récit de Georges Le Nen : 
http://ea58.free.fr/MichelElBaze/complements/LE-NEN-Georges.html]




La plage de Mousselmoune vue de la ferme Stigès, aujourd’hui…
OPERATION FLAGPOLE
Le but de cette opération militaire secrète très osée consiste pour le Haut commandement
allié d’entrer en contact avec certains officiers français en Algérie susceptibles d’accepter
l’idée du débarquement américain (qui aura lieu un mois plus tard dans la baie d’Alger)
sans que l’armée vichyste intervienne… Dans ce cadre, c’est le général français Charles Mast
(venue discrètement d’Alger en civil) qui négocie longuement avec le général Clark
avant de repartir vers Alger…



Le général Mast, opposant discret au régime de Vichy,
fut emprisonné par les allemands à la forteresse
de Königstein pendant 4 mois en 1941
Le lendemain de l’arrivée du sous marin au large est digne d’un roman d’espionnage d’Eric
Ambler…Depuis l’aube la mer est démontée et les kayaks ne peuvent pas être mis à l’eau…
Le sous marin va retarder sa remontée en surface… Les militaires américains et anglais
déjeunent de haricots et de poulets de ferme que le cuisinier Algérien a fortement épicé de
piment… Le commissaire de police de Cherchell soupçonne qu’il se passe quelque chose
d’anormal à la ferme ; il envoie des policiers enquêter…
Les occupants eux font semblant d’organiser une bamboula avec beuverie et cachent
les officiers d’état major ainsi que leur garde rapprochée dans la cave à vins…
Le général Clark n’aime pas du tout !
Il fait si beau que le général Clark aurait aimé faire une promenade dans la nature
en dehors de la ferme…


Vue de la ferme depuis le Mémorial dédié à l’opération Flagpole.
 Ce n’est qu’à l’aube du 22 octobre, malgré une mer démontée et plusieurs essais
ratés que les kayaks prennent enfin la mer avec succès en direction du large où
le HMS Séraph attend de reprendre sa route en plongée vers Gibraltar…
Beaucoup de choses restent à décrire encore quant à cet épisode fameux,
mais méconnu de la deuxième guerre mondiale en Algérie.L’idéal aurait été
la production d’un film de long métrage, mais…seules quelques scènes
du film "L'évasion de HassenTerro" en 1970 ont été tournées dans ce lieu
du Dahra dominant la plage de Messelmoun.
Mais ceci comme on dit est une autre histoire.
Abderrahmane Djelfaoui

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