jeudi 31 octobre 2019

« LA VÉRITÉ, RIEN QUE LA VÉRITÉ, JE LE JURE »...






Voulant interviewer l’artiste Valentina Pavlovskaia Ghanem sur la genèse de sa dernière collection à la nouvelle galerie BLOOM the Art Factory d’Alger, je lui ai d’emblée demander au vu des fortes images peintes sur les krafts exposés,  si cette dernière exposition a bien pour thème le corps féminin, sa force et sa sensualité…




Pas du tout ! répond-t-elle. Le titre d’abord : « Une seconde intercalaire »…  On sait par exemple qu’il y a une lune intercalaire. Qu’il y a le jour intercalaire. C’est comme si l’univers s’était dit : afin que les gens ne s’ennuient pas trop, il faut créé quelque chose d’intercalaire…

Pour ce qui me concerne c’est parti d’un rêve que j’ai fait (un très beau rêve en dormant, un peu frustrant mais que je ne vais pas raconter en entier) où je demandais une seconde intercalaire pour sauver une petite fille. Un beau rêve, mais dont la réalisation s’est faite aux forceps ! Avec des douleurs et une déchirure extraordinaires…. Le travail terminé, quand la galerie m’a demandé d’exposer j’ai tout de suite dit que mon titre sera : UNE SECONDE INTERCALAIRE ou alors LA VERITE, RIEN QUE LA VERITE, JE LE JURE….


…Parce que c’est un travail que je faisais pour moi. Comme j’écris mon journal quotidien depuis plusieurs années (où je note des poèmes d’Essénine, Akhmatova, Blok…) cette collection était mon journal des moments où je me sentais dans une situation de survie où il m’était même impossible de sauter d’une journée à l’autre…Il fallait que je m’exprime… Ecrire c’est comme chiffrer les choses, et au bout d’un long temps on peut perdre le sens ou l’atmosphère d’un moment… Alors ces moments de douleur je les ai peints, pour moi, avec audace, courage pour exprimer les sentiments les plus profonds traversés de douleur et de déchirure… C’est cela ma collection. Tant pis peut être pour les gens qui y voient autre chose…


Mais le corps n’est-il pas le support de l’expression même de cette douleur et, parfois, du bonheur ?...


Qu’y a-t-il de plus expressif que le corps ? On ne va pas prendre pour support une plante ! Que pourrait-elle expliquer ? Et le vent lui-même que peut-il exprimer de douleur ?.. Réfléchissons : par quel sujet, quelle matière peut-on exprimer un bouleversement qui change ta vie ? Ce moment où tu dois te dépasser, que tu veux ou pas ! Un moment au-dessus duquel il faut sauter pour continuer à survivre, vivre…


« Tel un fœtus humain », dit Valentina en passant devant cette toile…


A quel moment de la journée ou de la nuit tu as travaillé aux toiles de cette collection ?

D’abord chacune de mes toiles était travaillée par mon subconscient ; par mes sens. Ma conscience n’est venue qu’à la fin du travail. La force d’expression me venait souvent la nuit, souvent au milieu du sommeil  qui me réveillait… Et comme tu sais je vais alors dans mon atelier. Je jette sur le kraft les premiers jets tels que j’en ai eu la vision dans une gestuelle inconsciente… Et toutes les toiles de cette collection ont été commencées comme ça, par terre… Et s’il y a une chose que je ne pourrais vraiment dire à personne c’était le dialogue avec moi-même…

Ce n’est qu’après que j’ai travaillé sur chevalet, pour affiner et donner tout son sens à ce que je veux dire. A ce moment là bien sur la logique qui revient  en toute conscience, pour mieux réfléchir à la composition, au rythme, etc…


Tant il est difficile de photographier des œuvres sous plexiglas, à cause des reflets inévitables…


Tu as beaucoup travaillée avec le pastel dans ta vie, pourquoi avoir privilégié le fusain cette fois-ci?

Tout le travail est fait au fusain et au henné, ce qui n’est pas utilisé par les peintres. Le henné parce que j’adore sa couleur, son odeur ; c’est une couleur de la terre, une couleur de la joie des ambiances et de la tradition. C’est aussi quelque chose de très intime…

Pour moi le mariage du fusain et du henné est quelque chose de magique.  Parfois je ne commençais qu’avec le henné et ce n’était qu’après que je j’utilisais le fusain ; d’autres fois c’était l’inverse… Mais j’ai aussi un peu travaillé ces toiles au pastel, à l’acrylique sachant bien que l’essentiel était le fusain et le henné.

A mon sens travailler au fusain c’est un exploit. Parce que d’habitude le fusain ne sert qu’à faire des croquis… Le travail fini au fusain est rare… Travailler le fusain est une gymnastique extraordinaire! Et dans mon travail j’aime les barrières, la difficulté, comme j’aime trouver de nouveaux moyens pour les dépasser et me dépasser ; pour mieux m’exprimer par la suggestion qui est la forme la plus élevée de l’art…







… Suggérer c’est très important ; dans n’importe quelle forme de l’art c’est laisser à ceux qui regardent la possibilité d’imaginer… Lire un livre en connaissant déjà la fin n’a rien d’intéressant ! Il faut laisser imaginer ; libérer l’imagination !..

Pour en revenir au fusain et au charbon il y a quelque chose d’important à souligner. Fusain, charbon et diamant sont de la même famille. Ce sont des matières créées à des températures très élevées. Elles proviennent du feu ! Alors essayer de dominer ce qui a été fait par le feu…


D’autre part avec le fusain et le charbon, comme tu n’as qu’une seule couleur dure, forte, celui que tu invites à regarder devra approfondir avec son propre monde, ce qu’il en comprend au plus profond de lui-même… Comme dans la musique, chacun interprète à sa manière et retrouve en soi ce qu’il a caché…





Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui
Alger, le 30 octobre 2019


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