jeudi 4 septembre 2025

1er JANVIER 1950, JOUR DU MOULOUD:

DES FUNERAILLES POPULAIRES

ONT LIEU AU CIMETIERE 

 SIDI M'HAMED D'ALGER...


...  Avec environ 300 000 habitants après la seconde guerre mondiale, Alger était  alors considérée par la France coloniale comme "la Métropole de l'Afrique du Nord française"...


Le boulevard de Lyon (aujourd'hui Belouizdad), 
avec au fond de l'image le Djbel d'El 'Aquiba, dans les années 50.


Les immeubles modernes donnant sur les grandes rues commerçantes comme sur le marché de gros de Belcourt sont essentiellement habités par des européens. 

Au cimetière de Sidi M’Hamed, boulevard de Lyon où passe le tramway dans les deux sens,  une marche de plusieurs milliers de personnes accompagne  ce dimanche « un fils du pays » vers sa dernière demeure. La foule qui accompagne le défunt est tellement dense qu’elle reste en grande partie hors les murs du grand cimetière algérois. L'un de ces murs donne sur la ruelle populaire en pente raide qui va vers Clos Salembier, au-delà du djebel...

                                                 Photo: Abderrahmane Djelfaoui


Ammar Belkhodja, journaliste et historien scrutant depuis plusieurs décennies l’inédit ou l’occulté des traces du mouvement nationaliste me confirme par téléphone depuis la ville de Tiaret où il réside : « Il y avait au moins 12 000 Algériens !.. " 

Imaginons un instant ces milliers d'Algériens ("non Français") défilant en silence derrière la dépouille de Ali El Hammami, ce dimanche 1er janvier, c'est à dire au-lendemain même du réveillon européen du nouvel an!..

Rappelons un fait politique important qui s'était produit quelques semaines auparavant, en décembre 1949. "Messali [1er dirigeant du Parti du Peuple Algérien- PPA] proposa une action commune au PCA [Parti communiste algérien] et à l'UDMA [Union Démocratique du Manifeste Algérien, de Farhat Abbas] sur la base de la déclaration lue au Congrès de la Paix par le professeur Mandouze au nom de 21 organisations algériennes. Cette déclaration énonçait le droit du peuple algérien d'être souverain et indépendant et affirmait :"Tous les peuples coloniaux sont en état de guerre car le colonialisme est un état de guerre chronique". Une nouvelle fois, le PCA rejeta cette proposition". (Extrait de "Messali Hadj" de Benjamin Stora. Editions Hachette, 2004. )

Messali El Hadj en 1950


L'enterrement de Ali El Hammami a donc lieu dans cette atmosphère de grand mobilisation et de crise du mouvement national. 

Que se passe-t-il au cimetière de Sidi M'hamed?  Amar Belkhodja me précise toujours au téléphone: 

"Ferhat Abbas Président de l'UDMA y a fait l’oraison funèbre accompagné par Bachir El Ibrahimi [Président de l'Association des Oulémas] et Tewfik El Madani [Historien et futur ministre des habous à l'indépendance]. Mais aussi de nombreuses associations, dont l’association des instituteurs. Ce fils du pays est, d’après les registres mêmes du cimetière, le premier à être enterré ce premier janvier 1950»… 

Farhat Abbas fait l'oraison funèbre de Ali El Hammami




Monographie de plus de 300 pages éditée en 2008




LE PARCOURS D'UN INTELLECTUEL ANTICOLONIALISTE ET DEFENSEUR DE L'UNITE MAGHREBINE

Mais qui est donc Ali El Hammami ?

Né en 1902 à Tiaret, où il fait ses études primaires, Ali El Hammami accompagne jeune ses parents à la Mecque qui, sur le chemin du retour, s’installent à Alexandrie. Après le décès de ses parents, enterrés à Alexandrie même , Ali qui a à peine plus de vingt ans (et ne cesse de relire l’immense ouvrage d’Ibn Khaldoun depuis son adolescence) s’engage sur un cargo et débarque à Tanger. De là, il ne va pas tarder à prendre part à la guerre du Rif sous le commandement d’Abdelkrim qui combat les armées coloniales dirigées par Pétain… 

 

Abdelkrim El Khattabi en janvier 1925


Après le Rif, ce sera ensuite Paris d’où en 1924 l’Emir Khaled délègue El Hammami à un congrès à Moscou où il partagera la chambre de Ho Chi Minh qu’il instruisit de la guerre de résistance populaire du Rif…

Ho Chi Minh, au début des années 20...


De Moscou, il voyagera longuement à Sébastopol, à Istanbul, en Italie, à Madrid, Berlin, Genève… 

Traqué en Europe il finira par s’installer longuement à Baghdâd où, une dizaine d’années durant, il fait fonction d’enseignant d’histoire et de géographie. 

Baghdad , 1940


Début des années 40 il commence enfin à Baghdad la rédaction en français de son long roman, Idris ; qui portera en sous titre «roman d’un nord africain ». 
Ce n’est qu’à partir de 1946 qu’il est autorisé à résider au Caire où il publiera Idris en 1948, préfacé par l’Emir Abdelkrim El Khattabi banni de son pays, le Rif depuis plus de 20 ans…




Dans l’une des pages de ce roman El Hammami s’épanche : « C’est à l’étranger où l’on apprend le mieux à connaitre son pays : la vieille terre où reposent les aïeux, où la langue déliée, a balbutié son premier mot, où l’œil a saisi sa première couleur et où le cerveau, ayant atteint sa maturité, l’on a commencé à comprendre un peu la trame des joies et des souffrances qui ont confabulé l’histoire de la famille à laquelle on appartient par toutes les fibres du corps et de l’âme ».

Dans une étude critique le Dr. Chikh Bouamrane explique : «  Ce qui frappe à la lecture d’Idriss, c’est d’abord la vaste culture de Ali El Hammamy.  Il a non seulement une connaissance sure de l’histoire de l’Islam, mais aussi de l’Europe. Les grands problèmes politiques et socio économiques lui sont familiers. En outre, rien d’important ne lui échappe de la culture arabe. Il cite souvent et parfois critique Ibn Toumert, Ibn Rochd, Ibn Khaldoun, Al Afghani, Abdou… Il se réfère aussi à la littérature française, compare telle zaouïa à l’abbaye de Thélème, tel ou tel personnage à un héros de Balzac ou d’Edmond About »…
Quelques paragraphes plus loin, il ajoute : « Idriss est un témoignage sur une période des plus troublées de l’histoire du Maghreb et sur la résistance permanente de ses habitants contre l’oppression étrangère. »

Plus de quinze jours avant son enterrement, Ali El Hammami, participait au Premier Congrès économique musulman de Karachi au Pakistan en tant que membre de la délégation tripartite du Maghreb. Ce premier Congrès réunissait 18 pays musulmans tenant compte que le Pakistan avait été créé deux ans auparavant en 1947...

Ouverture du 1er Congrès économique musulman à Karachi- 1949


Dans le préambule de la Déclaration préparatoire à ce Congrès destiné aux délégations participantes, il était  souligné:      « Nous considérons qu'une région sous-développée ou en retard constitue un défi à la conscience et à l'intérêt bien compris du monde. Pour le progrès des pays islamiques, nous recommandons la coopération économique, l'échange mutuel de connaissances et l'expansion des échanges commerciaux ».

Prenant ensuite l’avion du retour pour le Caire avec les délégués de Tunisie et du Maroc, l’appareil s’écrase le lundi 12 décembre 1949 près de Karachi... 
 
C’est donc la dépouille ramenée depuis le Pakistan qu’on enterrait à Alger en ce jour médian du vingtième siècle…

Ce jour du 1er Janvier 1950, est le jour de la célébration du Mouloud Ennabaoui où toute une nuit la Casbah d'Alger vibrera aux sons des tambours, des ghaitas, des pétards, de la joie des enfants zigzagant follement dans les escaliers entre les petites terrasses de café et les poules... 


Dessin de T. Vernet, dans le reportage: "Mouloud à Alger", de Nicholas Bouvier, publié dans le Courrier de Genève, rubrique: Terres et Peuples, 
le samedi 18 mars 1950.






Et bonne fête d'el Mouloud Ennabaoui 2025
(Faïence entourée de plâtre sculpté. Ezzaouia Belkaidiya, Birmandraes, Alger)




Abderrahmane Djelfaoui
Alger, le 04-septembre 2025