vendredi 29 mai 2020

LE Pr. PIERRE CHAULET TÉMOIGNE SUR FRANTZ FANON



Octobre 1999, journaliste à l'hebdomadaire LE SIÈCLE, j'allais retrouver Pierre et Claudine Chaulet à leur domicile de Hydra pour un entretien autour du Docteur Frantz Fanon qu'ils avaient participé à mettre en contact avec Abane Ramdane, à Alger. Fanon était alors  psychiatre à l’hôpital de Blida...

J'avais déjà rencontré auparavant Pierre Chaulet pour un entretien autour de la revue CONSCIENCES MAGHRIBINES qu'il publiait à Alger à la veille du déclenchement de la guerre de libération nationale en 1954...



1960, à Tunis, Frantz Fanon, le capitaine Omar Oussedik et le journaliste yougoslave Peccar en discussion sous le portrait de Aissat Idir.


Maquette journal de mon entretien





2005 le Professeur Pierre Chaulet à Constantine
















Ici je renvoie à une phrase de Pierre Chaulet dans son livre écrit avec son épouse Claudine (LE CHOIX DE L'ALGERIE, 2012) où il dit: 

"En 1952, j'ai lu Peaux noires, masques blancs, que j'ai offert à Salah Louanchi pour son anniversaire avec une dédicace "Pour qu'un jour les masques tombent" . J'ai apprécié l'analyse du syndrome nord africain faite par Fanon et parue dans le revue Esprit à laquelle je suis abonné" [p.95]
















*

Témoignage du Capitaine Omar Oussedik



Capitaine Omar Oussedik au centre

*

L'hommage du FLN de la guerre de libération nationale à Frantz Fanon






La tombe de Ibrahim Frantz Fanon 
à Ain El Kerma





Abderrahmane Djelfaoui

* Professeur Pierre Chaulet, né à Alger le 27 mars 1930 et mort le 5 octobre 2012 à Montpellier. Professeur de médecine à Alger de 1967 à 1994. Il fut chargé de mission pour la santé auprès du Chef du Gouvernement (1992-94); vice-président de l'Observatoire National des Droits de l'Homme (1992-1996), expert auprès de l'OMS pour la tuberculose et consultant en santé auprès du CNES en 2006...

* Claudine Chaulet, Sociologue, née le 21 avril 1931 à Longeau (Haute Marne, France) et morte le 29 octobre 2015 à Alger. Fut la responsable du Bureau des études puis du Centre National de Recherches en Economie et Sociologie rurales au Ministère de l'agriculture et de la réforme agraire de 1963 à 1975. Professeur de sociologie à la Faculté d'Alger jusqu'en 2010.








vendredi 15 mai 2020

AZWAW AU PARADIS DES PEINTRES ET DES ARTS












In Mémoriam


Le 15 mai 2019 disparaissait accidentellement le peintre Azwaw Ali Mammeri, peintre contemporain.

Cet ami n’avait pas fait d’études de beaux-arts mais des études de lettres à l’université d’Alger par lesquelles il avait gardé le gout pour l’écrivain et critique Roland Barthes…

Généreux, pacifique et toujours appliqué à son travail, il  a vécu très humblement des petits revenus de sa peinture.  Il était né en 1954 quelques jours après le décès de son grand-père paternel…

Par destin et pour l’histoire, ce grand père n’est autre que  Azouaou Mammeri (1890-1954) un des fondateurs de la peinture moderne algérienne.
 Azouaou Mammeri, avait entre autres fait plusieurs portraits de Joséphine Baker (chanteuse et actrice originaire du Missouri), et avait illustré de peintures le livre « Marrakech» des frères Jérôme et Jean Tharaud paru à la Librairie Plon, à Paris en 1933…

Grand amoureux de la peinture de Paul Klee et de Matisse, Ali Azwaw Mammeri se passionnait pour les peintures rupestres du Tassili (où il avait espéré toute sa vie faire un voyage…) ainsi que les arts africains et la symbolique berbère.


Une des interviews que je lui fis en 2016 :








Une peinture de petit format, 2016



Une de ses nombreuses sculptures sur branches de palmier récupérées



Peinture , technique mixte avec papier journal



Peinture qui était en cours de travail 
dans le contexte d'une série 
sur le visage et le masque en 2016...



Ali Azwaw Mammeri que je photographiais 
en mars 2012
devant une grande toile peinte par son grand père
Azouaou Mammeri





Abderrahmane Djelfaoui
Ain Naadja, 15 mai 2020



samedi 9 mai 2020

LE PRIX DE TOUTE LIBÉRATION, PRIX DE LA MÉMOIRE





A une douzaine de kilomètres de Tabarka, sur notre route touristique (en 2018) vers l’est en direction de Béja-Tunis, nous rencontrions près du village de Ras Rajel un cimetière militaire allié de la fin de la deuxième guerre mondiale…



A l’intérieur du cimetière, bien loin avant les tombes, sur un socle de pierres de taille, une carte gravée sur acier en anglais et en arabe. Elle montre les villes où les forces alliées, principalement anglo-américaines effectuèrent le premier débarquement de novembre 1942: Casablanca au Maroc ; Oran, Alger, Bougie et Bône (Annaba) en Algérie alors sous administration collaborationniste de Vichy…


[Rappel : si le 8 mai 1945 est le début d’une ignoble « boucherie », comme disait Kateb Yacine à l’encontre de populations campagnardes, villageoises et citadines du nord constantinois, « boucherie » exécutée par la marine, l’armée de terre et les milices coloniales françaises, ce jour-là demeure et demeurera aussi celui de la Libération du joug fasciste pour lequel sont morts des millions de personnes de tous les continents…]


« La campagne en Afrique du nord s'est déroulée entre les Premières et Huitièmes armées alliées (Commonwealth, Forces Américaines et Françaises) et l’Armée de l'Axe (forces allemandes et italiennes). L’objectif des alliés, en attaquant les forces de l'axe en Afrique sur un second front, était de les détruire; de rouvrir la Méditerranée occidentale, préparant ainsi la voie au débarquement en Europe du sud; enfin de soulager la pression sur les armées russes sur le front de l'Est ».

Parmi les 290 000 soldats anglais, américains, français et coloniaux qui participèrent à la Bataille de Tunisie plus de 1500 étaient des sous-officiers musulmans, sans compter les 50 000 hommes de troupe maghrébins…


Le prix humain de la Bataille de Tunisie fut énorme.
Dans cet affrontement sans merci, l’aviation allemande bombarda d’ailleurs à plusieurs reprises la baie d’Alger où se trouvaient un grand nombre de navires alliés de guerre et de ravitaillementJe me rappelais sur cette pelouse si verte et tranquille du cimetière  de Ras Rajel en quels termes ma grand-mère paternelle nous racontait dans les années 70 les nuits de ventres creux à Belcourt, où au premier coup de sirène, la population fuyait vers les abris creusés dans les collines pour échapper aux raids de la chasse allemande…


« La croix du sacrifice », orientée nord, au centre du cimetière comprenant dix longues rangées de tombes… 










Tombes sous le soleil et le ciel méditerranéens… Tous jeunes soldats alliés, venus de très loin et convoyés le long des routes d’Algérie, tombés là en combattant les armes à la main le feu fasciste allemand et italien…






Texte et photographies
Abderrahmane Djelfaoui
9 mai 2020, Ain Naadja, Alger


vendredi 8 mai 2020

SEAMUS HEANEY, POÈTE DE L'IRLANDE (... et Les Celtiques...)




Il avait 74 ans, et était un des auteurs phares sinon le poète le plus connu de sa génération depuis la parution de son premier recueil « La mort d’un naturaliste » en 1966 qui sera suivi par une dizaine d’ouvrages poétiques dont une traduction très remarquée de Sophocle…




Seamus Heaney : (13 avril 1939 – 30 août 2013). Prix Nobel de littérature en 1995




Maître de conférences à la Queen’s University, Seamus Heaney a occupé cinq ans durant la chaire de poésie à l’université d’Oxford tout en donnant des enseignements à l’université américaine de Harvard…

« North », publié en 1975 est considéré comme son chef d’œuvre. Un recueil où le poète, à travers des thèmes comme ceux de l’héroïsme et du patriotisme, de la magnificence de la nature ou des questions folkloriques et mythologiques, détaille le conflit existant entre l’individu et les forces sociales de l’autre, entre les mœurs et les traditions. Une thématique qui est en fait celle de l’ensemble de l’œuvre de cet auteur et qui tourne autour de l’axe de la mémoire, individuelle et familiale, sa remémoration, sa réécriture…


Carte du Royaume d’Irlande datant de 1650



Prix Nobel en 1995 pour « la beauté lyrique et la profondeur éthique » de son œuvre (comme la définit l’Académie suédoise), il devint le quatrième prix Nobel de littérature irlandaise après William Butler Yeats, Georges Bernard Shaw et Samuel Beckett.

L’Irlande (ou Eirran, L'Ile d’émeraude, en gaélique) : terre de poésie.

La poésie irlandaise est une des poésie nationales des plus foisonnantes et des plus originales d’Europe avec une multiplicité de talents,  hommes et femmes, s’exprimant soit dans la langue anglaise (tel Seamus Heaney) soit en gaélique, la langue des Celtes, langue traditionnelle de la vieille Irlande.

Dans son recueil « La lucarne », paru en 2005 en français (en anglais « Seeing things », en regardant les choses, 1991…), Seamus Heaney nous offre cet étonnant  « Champ visuel » :


Je me rappelle cette femme assise des années durant
Dans un fauteuil roulant, regardant droit devant
Par la fenêtre les sycomores perdre leurs feuilles
Puis reverdir tout au bout de l’allée.

Dans l’angle, derrière la télévision,
Aubépine chétive qu’agitait la brise,
Mêmes petits veaux sous la pluie et le vent,
Même pré de jacobées, même montagne.

Inébranlable comme la haute fenêtre,
Elle avait le front aussi lisse que les chromes de sa chaise.
Elle n’eut pas une plainte, pas une fois
Ne s’alourdit d’un gramme superflu d’émotion (…) 

 Photographie de Seamus-heaney par John Minihan



Fascination pour le mystérieux, le caché et ses légendes.


En apprenant le décès de Seamus Heaney (le 30 août 2013), dont l’œuvre est si rigoureuse et humainement dense j’eus paradoxalement et presque inexplicablement (presque, dis-je) une pensée tout aussi reconnaissante pour un autre « grand », peut être le plus romantique dessinateur de la bande dessinée du XX è siècle: Hugo Pratt, vénitien nomade qui signa le bel album « Les Celtiques », aventures de Corto Maltese qui commencent en octobre 1917 à Dublin (la plus grande ville d’Irlande) pour se poursuivre aux pays de Merlin l’enchanteur, de la déesse irlandaise Bobdh (apparaissant souvent sous la forme d’un corbeau), de la Fée Morgane  et bien d’autres héros de la forêt enchantée de Brocéliande  …


Page de garde de l'album LES CELTIQUES de Hugo Pratt


C’est que si Seamus Heaney sculpte patiemment (et presque silencieusement) les souvenirs de son quotidien familial au pays des tourbières et des brumes, le dessinateur-conteur Hugo Pratt fait lui vibrer en chaleureuses volutes d’images marines la mythologie irlandaise et celtique, toujours vécue comme enchantée et rebelle… Tous deux, poètes mélancoliques et combatifs ont travaillé sur la mémoire des simples gens qui, malgré toutes les vicissitudes et misères qu’on peut imaginer, n’ont cessé, chaque jour, de planter l’avenir en frémissant de foi et d’espérance…

De son coté, le marin et aventurier Corto Maltese sympathise avec les nationalistes irlandais du Sinn Fein en 1916, lors de la première guerre mondiale, eux qui luttent contre l’occupant anglais…



… Au-delà cette première guerre mondiale,  le célèbre poète et dramaturge William Buttler Yeats, un des fondateurs de la littérature irlandaise moderne reçoit le prix Nobel en 1923… Ce même Yeats dont Hugo Pratt prend un des poèmes le mettre en exergue de sa BD « Les Celtiques » :

Je me lèverai et j’irai, j’irai à Innisfree,
Et là je bâtirai une cabane faite d’argile et de branches,
Là, j’aurai neuf rangs de fèves, une ruche pour mes abeilles,
Et je vivrai seul dans le bourdonnement de la clairière …

Seamus Heaney nait, lui, en 1939, l’année même de la mort de William Butler Yeats… Seamus est l’ainé de neuf enfants d’une famille de fermiers catholiques dans le conté de Derry, en Irlande du Nord…Et, dans le poème « Père et fils », (… « Seeing things ») il se souvient…

(…)  « Tu diras à ton père », dit le faucheur
(Il l’a dit à mon père, mon père me l’a rapporté) ;
« Que le champ est propre comme un sou neuf »

Mon père est un enfant porteur d’une nouvelle
Courant, pieds nus, herbes et meules à hauteur des yeux,
C’est l’après-midi du jour où son père est mort.

La partie ouverte de la porte coupée attend dans le noir.
L’air vibre de chaleur et de hâte.
Je sens au loin ses jambes et ses talons rapides,

Aussi étranges que les miens – quand je serai sur ses épaules
Tout là haut, tête légère, os maigres,
Vieillard impotent tiré de l’incendie.

L’humble poète croyant

L’on sent bien dans cette poésie, la piété filiale, le respect des anciens, la foi d’un catholique de l’Ulster… Et mieux encore dans ce poème intitulé « Saint Kevin et le merle » (St Kevin and the blackbird ), extrait d’un autre recueil de Heaney : « L’étrange et le connu ». Saint Kévin ayant vécu, dit la légende,  au 6ème siècle après JC,  également saint patron de la ville de Dublin… (Dublin, souvenons-nous : « Gens de Dublin » -1914-  et « Poèmes à 10 sous » -1927-, œuvres d’un autre célébrissime exilé irlandais : James Joyce, contemporain de Yeats…)

Il y avait aussi saint Kevin et le merle.
Le saint est à genoux, les bras tendus, à l’intérieur
De sa cellule, mais la cellule est étroite, et

Une paume ouverte passe par la fenêtre, raide
Comme une poutre, quand un merle vient s’y poser
Puis y pondre et se mettre à couver.

Kevin sent les œufs tièdes, la gorge minuscule, la fine
Tête rentrée dans le cou, les griffes, et, se voyant pris
Dans le lacis de la vie éternelle,

Eprouve de la compassion : il lui faut maintenir la branche
De sa main sous le soleil et la pluie des semaines durant
Jusqu’à l’éclosion, jusqu’à l’envol d’oisillons emplumés…

                                                             
Statue de San Kevin de Glandalough




Un réveil shakespearien…




Un type de réveil de Seamus Heaney n’aurait certainement pas démenti , lui qui avait la nostalgie d’une lointaine vie d’enfance et écrivait quelque part dans « L’étrange et le connu » (The spirir level) :

Ni d’ici ; ni de là-bas, tu es
Une hâte par où passent l’étrange et le connu
Quand de douces rafales agitent la voiture,
Prennent le cœur à l’improviste, le font éclater.

Seamus Heaney : un poète dont l’universalité de la langue anglaise aura contribué à le rendre aussi populaire en Irlande, en Angleterre qu’aux Etats Unis d’Amérique !



« Mort d’un naturaliste », son premier recueil de poésie, 1966.




« Station Island », 1994, est un récit en 12 poèmes 
où le poète fait un pèlerinage de trois jours 
à l’île de Lough Derg 
qui n’est pas sans rappeler les périples de héros mythologiques 
tels Ulysse ou Orphée…


   






 Abderrahmane Djelfaoui



(L’essentiel de cet article était paru dans la revue algérienne « Livrescq » de septembre 2013)