vendredi 26 octobre 2018

Voir la merveille d’El Djem, et en revenir..




En descendant de Kairouan sur une cinquantaine de kilomètres vers le sud-est à mi chemin de Sfax, et en contournant la sebkha de Sidi Hani on aboutit à la petite ville d’El Djem… (Nous sommes alors, pour ce qui est de l’Algérie, à la même latitude que Khenchela, Batna, M’sila ou Tissemssilt (ex Vialar) dans les monts de l’ouarsnis…)


Souk Ahrass est en haut, à l’extrême gauche, face à la ville d’El Kef


« Vente d’orge »…

Cette pancarte sur le bas coté de la route rappelle que nous traversons une zone proche de la steppe. Avant la merveille d’El Djem, il faut savoir comme le note La Revue de Botanique Appliquée & d’Agriculture Tropicale de l’année 1929… « … surtout dans la région du Centre et du Sud (de la Tunisie)… La culture de l’Orge se trouve tout indiquée dans les régions à pluies très incertaines où la culture des Céréales devient une sorte de jeu entre l’homme et la nature ; aucune autre céréale ne supporte mieux l’adversité et ne donne autant de fois « la mise » lorsque tombe la pluie bienfaisante »…. Tout comme il en est depuis des siècles de certaines hautes plaines arides d’Algérie…




Entrée dans la ville d’El Djem édifiée sur les ruines de la cité antique de Thysdrus
qui disposait d’un marché de grains et d’olives trés prospère …




Apparaissent les étages supérieurs de l’amphithéâtre romain…



Un selfie avant l’achat des tickets…



Une portion de la façade d’entrée de l’amphithéâtre dont la hauteur dépasse les 30 mètres,
soit celle d’un bâtiment moderne de cinq à six  étages…




Vue panoramique de l’arène


Ce théâtre romain (appelé aussi Colisée) qui aurait été construit dans le 1er tiers du 3ème siècle après JC, mesure 148 mètres sur 122 ; son arène centrale où s’affrontaient bêtes fauves et gladiateurs mesure 65 mètres sur 39 (j’apparais pour ma part sur cette photo parce que je suis au premier plan, proche de l’objectif…)
Non circulaire mais en forme d’ellipse, sa capacité de 27 000 places le met au 3ème rang des théâtres antiques après le Colosseo de la capitale impériale, à Rome et celui de Capoue…
Comme le note l’archéologue Hedi Slim : demeuré intact jusqu’au 11ème siècle selon le témoignage de l’historien et géographe andalou Abu Ubayd El Bekri, des pans entiers d’étages, de voutes et grands escaliers de ce gigantesque amphithéâtre menaçaient de s’effondrer dans les années 1960. C’est qu’il avait été attaqué plusieurs fois par les beys de Tunis au 17 ème siècle du fait que les populations citadines, rurales ou commerçantes locales s’y réfugiaient contre eux… Puis bombardé par l’aviation allemande durant la deuxième guerre mondiale (comme le seront par ailleurs  les Djeddars de la région de Tiaret par l’armée française durant la guerre de libération nationale dans les années 50)
C’est donc in extremis qu’il est sauvé lors d’une longue campagne de rénovation avant d’être inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1979 et accueillir depuis, dit-on, prés d’un demi million de visiteurs chaque année... Chaque été, il est le centre d’un Festival de Musique Philarmonique mondiale dont les participants arrivent de Tunis par voie de chemin de fer dans le train présidentiel de feu le Président Habib Bourguiba, rénové…


Croquis de ce qu’il avait du être il y a quelques 18 siècles…




Vue du premier étage de l’édifice.




L’ensemble monumental de cet amphithéâtre est construit
uniquement en pierre de taille, sans aucune brique…
Quels inouïs travaux d’esclaves, de masses d’esclaves, aura-t-il fallu
pour l’ériger à 50 kms de la cote méditerranéenne,
elle-même à moins de  150 kms de l’ile de Lampédusa….

A plus de trois mètres sous l’arène, un long tunnel supporté lui aussi par des voutes de pierres taillées traverse l’amphithéâtre. De chaque coté on trouve des chambres étroites et nues pour chaque gladiateur ; chambres côtoyant celles où l’on entreposait les bêtes sauvages dans leur cage, le temps de les monter par un système de poulie sur l’arène et les y lâcher pour le plaisir hurlant des milliers de spectateurs venus assister aux combats sans espoir pour les bêtes ni même pour les gladiateurs…






Un des guides sur le site nous explique qu’ici les pierres taillées sont ajustées

et coincées les unes aux autres sans utiliser aucun mortier pour les lier…




Des pierres de taille qui signalent leur origine par le fait de fossiles marins qui y sont souvent incrustés…

Vu la réalité steppique des environs de El Djem,
cette pierre était transportée depuis le rivage de Mahdia, distante de 50 kms…



Le tunnel se poursuit vers le nord bien au-delà du Colisée… En fait, nous dit-on, d’une longueur réelle de plus de 40 kms
Ce tunnel va sous la steppe jusqu’au rivage méditerranéen, aux environs de Mahdia et son port d’où les romains débarquaient ou embarquaient pour Rome et les autres régions de l’Empire.
Ce tunnel est aujourd’hui bouché.



Trous d’aération creusés dés l’origine dans la voûte


On voit sur lez sol de l’arène, au premier plan, les croisillons des trous d’aération et de lumière
pour le tunnel qui se trouve dessous…


Voilà ce que nous avons pu voir et apprendre lors d’une courte visite à l’amphithéâtre (ou Colisée) d’El Djem avant de reprendre la route vers le golfe de Hammamet dans le Sahel, au-delà de la steppe…





Abderrahmane Djelfaoui 





vendredi 19 octobre 2018

ENFIDHA, voyage millénaire dans une église de village


Voyager c’est découvrir les richesses de l’inattendu,  encore plus quand vous vous trouvez hors frontières même si cet « étranger » est vécu comme une partie vive de votre Histoire (avec un grand ou un petit h)….

La « partie » dont il est question ici c’est la Tunisie ; plus particulièrement un de ses villages, Enfidha, au centre du pays que nous avions traversé un peu par hasard…


En allant une première fois vers Kairouan, nous avions pris un auto stoppeur qui ramenait, disait-il,  des médicaments à ses enfants. Après nous avoir fait traversé  un passage à niveau non gardé de chemin de fer, puis le centre du village d’Enfidha pour nous mener jusqu’au rond point de la bonne route, il nous expliqua que si nous voulions un jour manger une bonne méchouia, il fallait revenir ici pour la goutter dans l’un des petits restaurants populaires du village…

Ce que nous fîmes quelques jours plus tard quand nous décidâmes d’abandonner un grand hôtel à touristes de Hammamet Yasmine pour aller « casser la croute » ailleurs… Après un succulent couscous garni et une méchouia pimentée à en couper le souffle, nous nous installâmes  dans un café tout aussi populaire prendre du thé à la menthe…


Assis là, nous pouvions voir au-delà des trottoirs une église du siècle dernier… Apparemment l’édifice était en très bon état de conservation et se trouvait estampillé du drapeau tunisien au-dessus de sa porte d’entrée, ouverte…


La curiosité est un bon maître ! Ayant osé faire un crochet jusqu’au parvis de cette église de campagne avant d’aller à notre voiture, nous vîmes avec étonnement à l’extérieur, sur un des murs d’entrée, une plaque nettement incrustée: Musée…

Musée ?... Mais de quoi donc dans ce village situé à moins de 6 kms à vol d’oiseau d’une sebkha dite Sebkhet Assa Juriba qui borde une longue bande côtière sablonneuse sauvage ?...

Un homme, juste à l’entrée, derrière le bois sombre d’un comptoir faisant fonction de guichet, nous renseigna. Nous étions bien au seuil d’un musée archéologique…


Le visage de ce conservateur de musée faisait penser, après coup, au pharaon Montouhotept II de la XI ème Dynastie (2000 ans avant JC)…

Après nous avoir vendu les tickets d’entrée, le conservateur nous indiqua que derrière le cœur de l’église que nous regardions de nos yeux écarquillés vu le nombre de mosaïques parfaitement installées, se trouvait aussi une galerie de vitrines contenant des objets antiques retrouvés dans les fouilles des villages proches d’Enfidha…



Puis c’est une grande mosaïque chrétienne du VI ème siècle (époque byzantine) incrustée au sol et dédiée aux martyrs qui nous « parle »…


Une page de la brochure « Au pays d’Enfidha » (édité par l’Agence Tunisienne du Patrimoine Archéologique en 1994) nous apprend que cette mosaïque consigne les noms des treize martyrs africains, en fait de berbères romanisés sous la domination de l’Empire romain. Cette mosaïque qui cite deux compagnons du Christ évoque l’attachement des populations berbères au culte des martyrs…

Ce qui me rappelle, pour ce qui est de l’Algérie d’alors, la célèbre lutte des Circoncellions dont l’historien et militant Ahmed Akkache (proche ami de Kateb Yacine) disait encore dans une interview en 2007 :

« Ce sont en général des paysans libres dépouillés de leurs terres par la colonisation romaine et transformés en ouvriers agricoles ou en esclaves. Bien entendu, ils se battaient pour récupérer leurs biens et briser leurs chaines. Ce qui leur a permis de rassembler autour deux tous les mécontents et les victimes de loccupation, suscitant ainsi un immense mouvement social auquel on peut donner le nom de « Révolte des saints » ou « des justes » par référence aux noms que prenaient les premiers groupes dinsurgés pour se différencier de la sauvagerie romaine. »…


La mosaïque de L’Agneau (signifiant le Fidèle) dans une couronne de lauriers



Mosaïques funéraires jumelées de Renobatus et du prêtre Faustinatus





Mosaïque de P(ius) v(ir) Dion, décédé à 80 ans qui avait planté durant sa vie
plus de 4000 oliviers, témoigne de l’intense activité agricole au 5 ème siècle après JC…


Nous contournons le chœur de l’église pour observer les vitrines d’objets antiques (poteries, lampes à huiles, assiettes) alternées avec des meules en pierre volcanique et des stèles tombales aux inscriptions païennes pour la plupart dédiées au culte du dieu Saturne romain (ou Ba ‘al Hammon des Carthaginois)….


Lampes à réservoir circulaire, du 2ème siècle.



Vue générale de l’intérieur avec le chœur, derrière lequel se trouvent les vitrines…




« La vigne d’oiseaux » 






Combien de temps avons-nous passés dans cette église ?... Je ne saurais le dire exactement, d’autant que les discussions avec le conservateur (allant et venant vers nous depuis son comptoir où il recevait d’autres visiteurs) furent diverses, instructives et étonnantes… Monsieur Aoun Magtouf nous parla entre autres du site de Sidi Khlifa (ville romaine de Pheradi Majus et son imposant arc de triomphe), à proximité d’Enfidha, qu’il nous conseilla d’aller visiter…

Il était temps de remercier notre guide et de partir…



Et nous nous retrouvions dans le bourdonnement de la rue centrale du village, la tête pleine d’images symphoniques d’un très lointain passé, prêts à traverser la chaussée pour reprendre notre véhicule… 






Abderrahmane Djelfaoui