On
pense aller (ah : l’impersonnel On…)
voir une belle expo au centre d’Alger et ce sont des souvenirs (inattendus et peu
impersonnels), qui surgissent du lointain s’invitant librement devant vos yeux
sur un trottoir de la rue Larbi ben M’hidi…
Vitrine du Mama, trottoir vers la Grande
Poste,
Rue Larbi ben M’Hidi, janvier
2019
Vite, que je dise ces « bribes
de mémoire » …
Etait-ce le printemps, ou l’automne ? Je ne m’en souviens plus très
bien. C’était en tout cas les années 70
du siècle dernier…
La rue Larbi Ben M’Hidi vivait d’une animation populaire et lumineuse.
Je venais à pied sur le trottoir des Galeries
algériennes (encore grands magasins tout comme L e Bon Marché)… Et
là, je vois face aux vitrines deux silhouettes d’hommes qui me
« frappent »… Cote à cote, l’une est moyenne et ramassée, l’autre
grande, élancée … Même vus de dos je me rendais compte que ce n’étaient pas des
Algériens, plutôt des touristes étrangers…
Après un court moment d’hésitation j’avance vers eux en leur adressant
la parole ; ils se retournent vers moi souriants… Pas de doute, ces
visages je les ai vus et bien vus quelque part. Tels de vieilles connaissances ….
Ils souriaient avec une tranquille amabilité, relevant un peu le sourcil… En
moins d’une minute de conversation multilingue le point était fait. Italia !
Napoli !
La personne moyenne à la carrure ramassée était justement celle qui
avait joué le rôle du Conseiller municipal communiste De Vita dans le film
« Main basse sur la ville » de Francesco Rosi ; adversaire de
l’entrepreneur maffieux Notolla interprété par Rod Steiger!...
« Main basse sur la ville », 1963, que la Cinémathèque algérienne (juste en face
des Galeries) avait diffusée si
souvent dans ses salles de répertoire comme diffusé à travers le grand circuit
des ciné-clubs d’Algérie. Un film politique dont je connaissais bien comme un
très grand nombre de cinéphiles l’histoire et les personnages…
Le Conseiller municipal mène un groupe d’enquête des
élus de la ville de Na ples
suite à un effondrement provoqué d’un bâtiment qui
cause la mort de plusieurs personnes …
Scène inaugurale du film …
Rod Steiger symbolisant l’immobilier corrompu
soutenu par des politiciens sans scrupule, à Napoli
années 60
L’autre « silhouette » vue prés de la vitrine des Galeries qui allaient devenir après plus
de 30 ans le Mama, était un ancien
résistant de la seconde guerre mondiale laissé pour mort sur un col enneigé des
Alpes et dont un autre cinéaste, Ettore Scola, allait reprendre la légende dans
un film culte…
Je ne laissais pas à ces amis de
rencontre le temps de souffler.
Alors animateur à la Cinémathèque je les invitais sur le champ, juste
en face… . C’est ainsi que nous organisâmes une projection-débat avec nos
« invités surprise » dans la salle principale (salle où, mais c’est
une toute autre histoire : un habitué des projections, simple employé
d’une administration des finances qu’on surnommait Bouboule, qui connaissait bien les rouages des grands magasins,
nous approvisionnait de temps à autre, en boules de fromage rouge hollandais,
dès leur arrivée rarissime dans la capitale des « Trois Révolutions :
Industrielle, Agraire et Culturelle »)…
Je n’ai malheureusement pas de photo(s) de cet événement, mais (je ne
sais par quel miracle), j’ai retrouvé une autre photo presque de la même décennie :
Assis au premier
plan : Ahmed Hocine, Directeur du Centre Algérien de la
Cinématographie avec Henri Langlois,
Directeur
de la
Cinémathèque française (créateur de la 1ere Cinémathèque au monde et ami de
Mostefa Lacheraf),
tous trois
décédés…
Sur les
cotés: Fatiha Bisker et Mustapha Abdoun ; au fond : Boudjemaa Karèche
et moi-même…
Quelle
peut être la morale de l’Histoire ?...
Francesco Rosi, « Maitre du cinéma politique italien » avait
reçu Le Léopard d’Or en 2010 au
Festival de Locarno pour l’ensemble de son œuvre qui mondialement faisait vague
du « Défi » à « Cadavres exquis » en passant par
« Salvatore Giuliano », « l’Affaire Mattei » -qui concerne
aussi l’Algérie-, « Lucky Luciano », « Carmen de Bizet », etc.)…..
Francesco
Rosi, “Pardo alla carriera” (Léopard d’or) 2010
pour
l’ensemble de sa carrière. © Festival del film Locarno / Pedrazzini.
« Le Maître du Cinéma Politique Italien », qui n’avait cessé de
déconstruire de film en film la maffia,
toutes les maffias, lui le de natif
de la Naples-Napoli sous la férule de la
Camorra, avait aussi, reçu de les belles reconnaissances que sont le
« Lion d’Or » au Festival de Venise et « l’Ours d’Or » à la
Biennale de Berlin…
Si Rosi n’est plus de ce monde, le
cinéma italien tel que nous l’avons passionnément aimé des années 50 aux années
80 (depuis Rossellini jusqu’à Gian Maria Volonté, n’existe plus sinon dans la
mémoire des sites de films téléchargeables, des livres et des revues de cinéma
…
Et Quid de la Cinémathèque
algérienne des années 70 et 80 ?...
Quid des innombrables publics
algériens si « accrocs » du 7 ème Art ainsi que des centaines de
cinés clubs à travers le territoire national de cette époque où la
romancière Assia Djebar elle-même était réalisatrice de cinéma?...
… Une affiche dans la vitrine sur le trottoir d’une
artère historique…
Abderrahmane
Djelfaoui