mercredi 30 janvier 2019

Mama World Photo (Cinema & Press) Yesterday or Now? / Act 2


On pense aller (ah : l’impersonnel On…) voir une belle expo au centre d’Alger et ce sont des souvenirs (inattendus et peu impersonnels), qui surgissent du lointain s’invitant librement devant vos yeux sur un trottoir de la rue Larbi ben M’hidi…




Vitrine du Mama, trottoir vers la Grande Poste,
Rue Larbi ben M’Hidi, janvier 2019


Vite, que je dise ces « bribes de mémoire » …

Etait-ce le printemps, ou l’automne ? Je ne m’en souviens plus très bien.  C’était en tout cas les années 70 du siècle dernier…
La rue Larbi Ben M’Hidi  vivait d’une animation populaire et lumineuse. Je venais à pied sur le trottoir des Galeries algériennes (encore grands magasins tout comme L e Bon Marché) Et là, je vois face aux  vitrines deux  silhouettes d’hommes qui me « frappent »… Cote à cote, l’une est moyenne et ramassée, l’autre grande, élancée … Même vus de dos je me rendais compte que ce n’étaient pas des Algériens, plutôt des touristes étrangers…
Après un court moment d’hésitation j’avance vers eux en leur adressant la parole ; ils se retournent vers moi souriants… Pas de doute, ces visages je les ai vus et bien vus quelque part. Tels de vieilles connaissances …. Ils souriaient avec une tranquille amabilité, relevant un peu le sourcil… En moins d’une minute de conversation multilingue le point était fait. Italia ! Napoli !

La personne moyenne à la carrure ramassée était justement celle qui avait joué le rôle du Conseiller municipal communiste De Vita dans le film « Main basse sur la ville » de Francesco Rosi ; adversaire de l’entrepreneur maffieux Notolla interprété par Rod Steiger!...
« Main basse sur la ville », 1963, que la Cinémathèque algérienne (juste en face des Galeries) avait diffusée si souvent dans ses salles de répertoire comme diffusé à travers le grand circuit des ciné-clubs d’Algérie. Un film politique dont je connaissais bien comme un très grand nombre de cinéphiles l’histoire et les personnages…


Le Conseiller municipal mène un groupe d’enquête des élus de la ville de Na ples

suite à un effondrement provoqué d’un bâtiment qui cause la mort de plusieurs personnes …



Scène inaugurale du film …




Rod Steiger symbolisant l’immobilier corrompu
soutenu par des politiciens sans scrupule, à Napoli années 60


L’autre « silhouette » vue prés de la vitrine des Galeries qui allaient devenir après plus de 30 ans le Mama, était un ancien résistant de la seconde guerre mondiale laissé pour mort sur un col enneigé des Alpes et dont un autre cinéaste, Ettore Scola, allait reprendre la légende dans un film culte…
Je ne laissais pas à ces amis de rencontre le temps de souffler.

Alors animateur à la Cinémathèque je les invitais sur le champ, juste en face… . C’est ainsi que nous organisâmes une projection-débat avec nos « invités surprise » dans la salle principale (salle où, mais c’est une toute autre histoire : un habitué des projections, simple employé d’une administration des finances qu’on surnommait Bouboule, qui connaissait bien les rouages des grands magasins, nous approvisionnait de temps à autre, en boules de fromage rouge hollandais, dès leur arrivée rarissime dans la capitale des « Trois Révolutions : Industrielle, Agraire et Culturelle »)…

Je n’ai malheureusement pas de photo(s) de cet événement, mais (je ne sais par quel miracle), j’ai retrouvé une autre photo presque de la même décennie :



Assis au premier plan : Ahmed Hocine, Directeur du Centre Algérien de la Cinématographie avec  Henri Langlois,  Directeur

de la Cinémathèque française (créateur de la 1ere Cinémathèque au monde et ami de Mostefa Lacheraf),
tous trois décédés…
Sur les cotés: Fatiha Bisker et Mustapha Abdoun ; au fond : Boudjemaa Karèche et moi-même…



Quelle peut être la morale de l’Histoire ?...

Francesco Rosi, « Maitre du cinéma politique italien » avait reçu Le Léopard d’Or en 2010 au Festival de Locarno pour l’ensemble de son œuvre qui mondialement faisait vague du « Défi » à « Cadavres exquis » en passant par « Salvatore Giuliano », « l’Affaire Mattei » -qui concerne aussi l’Algérie-, « Lucky Luciano », « Carmen de Bizet », etc.)…..



Francesco Rosi, “Pardo alla carriera” (Léopard d’or) 2010
pour l’ensemble de sa carrière. © Festival del film Locarno / Pedrazzini.


« Le Maître du Cinéma Politique Italien », qui n’avait cessé de déconstruire de film en film la maffia, toutes les maffias, lui le de natif de la Naples-Napoli sous la férule de la Camorra, avait aussi, reçu de les belles reconnaissances que sont le « Lion d’Or » au Festival de Venise et « l’Ours d’Or » à la Biennale de Berlin…

Si Rosi n’est plus de ce monde,  le cinéma italien tel que nous l’avons passionnément aimé des années 50 aux années 80 (depuis Rossellini jusqu’à Gian Maria Volonté, n’existe plus sinon dans la mémoire des sites de films téléchargeables, des livres et des revues de cinéma …

Et Quid de la Cinémathèque algérienne des années 70 et 80 ?...
Quid des innombrables publics algériens si « accrocs » du 7 ème Art ainsi que des centaines de cinés clubs à travers le territoire national de cette époque où la romancière Assia Djebar elle-même était réalisatrice de cinéma?...






… Une affiche dans la vitrine sur le trottoir d’une artère historique…




Abderrahmane Djelfaoui

lundi 28 janvier 2019

Mama / World Press 2018 - Act 1


Le Musée national d’art moderne et contemporain  d’Alger (Mama) abrite durant prés de trois semaines une importante exposition (forte au plan de l’impact émotionnel) de photographies de reporters journalistes de différentes nationalités primées par le World Press 2018.


Façade du Mama





Accompagné de mon épouse, nous avons mis prés de deux heures à parcourir la galerie où ces photos (noir et blanc ou couleur) étaient accrochées à bonne hauteur pour les voir de prés ou, au  vu leur taille, de reculer de plusieurs pas pour en mesurer la force d’expression et d’agencement des situations (limites) des personnages saisis, pour chacune,  dans un espace-temps inédit…  


« A l’ouest de Mossoul, une femme pleure,

peu de temps après qu’une attaque au mortier a tué son fils ».
Photo de l’irlandais Ivor Prickett pour le New York Times


Si chacune des photos frappe « aux entrailles » (comme l’on dit communément et qui dit bien l’effet choc produit), je ne parlerais pourtant aujourd’hui que de celle qui a remportée le prix de la photo de l’année au World Press Photo 2018  signée par le vénézuélien Ronaldo Schemidt, photographe de l’AFP basé au Mexique… D’elle et d’une « vue » [non imagée mais en toutes lettres sur papier] qu’elle a soudain fait remonter en moi sans que je m’y attende…


La Photo :



La présidente du jury, la directrice de la photographie du magazine Geo France, Magdalena Herrera a déclaré lors de la cérémonie de remise des prix à Amsterdam :

« … C’est une photo classique, mais elle a une énergie et une dynamique instantanée … il y a dans l’image de Ronaldo Schemidt des couleurs, du mouvement et elle est très bien composée. Elle a de la force »

Whitney C. Johnson, une des membres du jury et directrice adjointe de la photo au National Geographic  a expliqué quant à elle que cette photographie « est assez symbolique … L’homme a un masque sur le visage. C’est comme s’il ne se représentait pas seulement lui-même, ou lui-même en feu, mais aussi l’idée d’un Venezuela qui brûle ».

Et le photographe de résumer: «Je n’avais jamais assisté à quelque chose d’aussi violent »…

Au-delà de cette photographie, c’en est une autre (en fait jamais réellement prise, jamais développée, tirée ni diffusée) qui est le témoignage, dans mon dernier livre, du dit de  l’artiste peintre et sculpteur Mustapha Boucetta qui avait assisté gamin, lors de la grève des 8 jours de 1958 à Alger à un « fait divers ?» qui l’a marqué à vie. Comme il me l’a  longuement décrit lors de mon enquête, j’en ai reproduis le récit en prés d’une page et demie, dont les en quelques lignes ci dessous :

« … J’avais huit ans quand il y a eu la grève des huit jours. Je sais que c’était l’hiver, mais je me souviens qu’il faisait beau… Comme on habitait rue de Dijon où je suis né, on traversait l’avenue Malakoff et on était sur la plage des Bains de Chevaux…
« Alors que mon esprit d’enfant était accaparé par les jeux, les commerces étaient fermés. Et les militaires –c’était impressionnant-, les militaires sont venus avec des pieds de biche et des pioches carrément (c’était violent à nos yeux de gosses) pour fracasser les serrures et les rideaux de fer les remontant de force et laissant tous les petits commerces ouverts à tous vents … C’était la guerre…
« … Plus haut il y avait un bar et je me souviens parfaitement d’une jeune fille, une moudjahida qui venait de jeter une grenade. Je ne sais pas ce qui s’est passé (avait-elle perdue son contact ?...), le fait est que la population pied noir l’a coincée puis des gens parmi eux ont pris de l’essence d’une mobylette, l’ont complètement aspergée et l’ont enflammée vive dans la rue au vu de tout le monde… »

[ Pages 115 et 116 de « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de guerre »]

Il n’y a, bien sur, pas photo de ce  fait de guerre tel qu’il est rapporté… (Il aurait même pu jamais être rapporté si…]

Mais la connexion en mon esprit (esprit algérois et enfant de cette guerre moi même) entre la photo primée à Amsterdam et le récit flash exhumé d’un Alger d’antan est inouïe.

Ce pourrait  être d’ailleurs (et pourquoi pas ?) l’incipit à une longue dissertation, débat  ou thèse sur la question humaine nodale du SU et du VU… VU et SU sont-ils totalement identiques ? En attendant aussi que l'Histoire redonne son nom et son prénom à cette jeune fille brûlée vive il y a 60 ans…



Abderrahmane Djelfaoui

mardi 22 janvier 2019

Ain Naadja: merveille du ciel





Déjà la veille le temps était à la pluie. 
Une pluie "mouillante" et fine...

Une pluie qui avait fini par déborder de partout la chaussée et les trottoirs - donc les caniveaux et les bouches d'égouts...
"Nôrmal"!

Mais dans une feuille de salade qu'a-t-on trouver?...





Puis,
ce matin, alors que de loin les  vendeurs au-delà du boulevard se mettaient déjà à la criée des oranges, 
de mon lit j'entends des ah et des oh d'exclamations dans la maison....

Je vais, sans lunettes, vers la chambre où se trouvent ma fille et mon épouse accoudées contre la fenêtre (avec mon smartphone)...

Et voilà la série de vues que nous avons admiré, saisi en photos pour la partager avec bonheur (parce que, évidemment cela n'arrive pas tous les jours; n'est-ce pas?...)





















Jusque là il n'y avait qu'un des deux arc-en-ciel que le smartphone pouvait enregistrer...
Il fallait tout juste être patients...






Et voilà!














Chafika et Abderrahmane Djelfaoui
Ain Naadja, 
mardi 22 janvier 2019




mardi 15 janvier 2019

A UNE PEINTURE SANS TITRE, LE SENS FAIT TITRE



Cela faisait des mois que nous nous promettions Klimo Bakli et moi une rencontre à son domicile pour voir ses tableaux de peinture. J’en avais déjà vu certains sur son mur face book, mais la qualité de l’image numérique (plate, lisse et sans bon contraste) me laissait sans avis, retenu…

Pour moi, une toile de peinture est d’abord à voir de mes yeux, sans médiation d’aucun support virtuel ou autre. La voir jusqu’à la trame… Et j’avoue n’avoir eu l’occasion de n’assister à aucune des expositions de l’artiste…


(Ici : un e muet en plus dans le titre de cette expo.

Mais, étrangement, à « éliminer » ce e, une partie de la clarté du titre s’estompe)


Imaginez (natif et habitant du Mzab a effectivement imaginé) que les sables aux étendues ondulées, leurs pierres et caillasse à perte de vue avec des vents glacés ou brulants, des nuits noires ou lunaires n’étaient qu’une mer à l’horizon infini.
Un horizon aveuglant de creux et de crêtes depuis toujours. C'est-à-dire avant même l’émergence de toute conscience humaine ; conscience depuis laquelle « l’Homme » a voulu sa mise en perspective et sa connaissance intime en osant dépasser l’horizon, tout horizon… 


En fait : la toile de Klimo Bakli est une mer mouvante, une mer qui « monte » à faire exploser son énergie en dehors de toute attente ; en dehors de toute structure ou rivage préétabli. Déferlement. Danse spontanée. Puissance et Potentiel…


Telle qu’elle m’est apparue dés l’entrée dans la maison…


Une vague verticale tel un jet de lune !.
Une fluidité qui s’élève Ici et maintenant.
Avec ses couleurs, faisant gouttes aux fibres de la toile.
Jusqu’au plafond…
Aussi simple qu’un battement d’aile de pigeon sur dix mille…

Que représente-t-elle, je lui demande. Et lui de répondre, spontanément :
« du feu, de l’eau ou une plante qui pousse »…

Mais restera-t-elle ainsi?
Suspendue comme La Vague d’Hokusai ?...
Silence vibrant, - silence confessé de notre regard par une question inquiète: quel avenir aura-t-elle dés le maintenant de tout regard ? Même si statistiquement ici ou ailleurs ce ne sera probablement qu’un regard sur des cent et des mille qui sera possible…
Je me demande même s’il est pensable qu’elle retourne (du verbe : retourner) au calme, qu’elle puisse se ré-habiller de brouillard ou d’un horizon d’aube ou de crépuscule pour redevenir banale mer d’huile (mer vineuse comme disait il y a 28 siècles l’aveugle poète Homère dans son Odyssée)?…

Le vœu secret de de Klimo Bakli est que le regard de l’Autre (du Frère, du Semblable, du Prochain) doit parfaire le sens de la toile, l’élever en la faisant partiellement sienne…



Première entente : exposée en galerie ou juste posée sur le sol de la maison en attente d’un nouvel accrochage, la toile continue et continuera malgré tout sa trajectoire à travers sables et continents, jeunesse et sens de la vie.
Cette toile « Sans titre » (parmi les premières qu’il aura peintes à Alger et non à son atelier de Ghardaia ) aura traversé espaces et temps sans autre bagage que l’âme d’elle-même. Celle qui nous émerveille, nous inquiète, nous interroge par sa nudité sur le fond de la sensibilité (et du sens éthique) de notre siècle…

Si, en tant qu’artiste, Klimo n’aime pas à devancer par un titre ou une légende le contenu de l’œuvre pour le spectateur il n’en n’est pas moins convaincu que : « Si on arrive à produire du beau, il fera son chemin à l’intérieur de l’être de chacun qui le recevra »… Il ajoute posément, après quelques secondes de réflexion: « si nul d’entre nous n'échappe au capharnaüm du quotidien qui nous colle à la peau, cela ne nous empêche pas de garder la main sur le beau sous toutes ses formes »…



Ce qui n’est pas une simple formule de langage, mais un concentré d’expérience à  méditer, comme par ailleurs une des phrases  prophétiques de Lao Tseu qui disait six siècles avant Jésus Christ : « La beauté est dans les yeux de celui qui regarde »…

[Ici, je suis bien obligé de mettre entre parenthèse la très longue expérience de l’artiste qui depuis les premiers croquis et aquarelles de l’école communale,  du jardin saharien de son père ou la salle des métiers à tisser de la maison paternelle d’où montaient des chants,  puis les écoles d’art du nord, l’influence de l’impressionniste Claude Monet, l’enseignement de Choukri Mesli, les encouragements à exposer prodigués par Denis Martinez, les dictionnaires des savoirs achetés à grand prix dans une librairie de la rue de Tanger où il découvre Pierre Soulages, ainsi que la force cosmique de Zao wou-Ki, tout cela qui l’a progressivement amené à se dépouiller des illusions et fioritures pour consacrer l’essentiel… Un long itinéraire qui l’emporte du local berbère vers l’universel et qui pourrait d’ailleurs être, pourquoi pas, l’objet d’un film documentaire de court métrage donnant « à voir » une mémoire du travail, de la curiosité, de l’interrogation créatrice et du partage…]

Comment terminer le résumé de cette première rencontre sans voir une de ses  « dernières » toiles, parmi les plus simples et musicales inspirée de façon libre par la riche histoire de la calligraphie ?...



Ce qui pousse mon hôte, Klimo Bakli, (mais par quel étrange lien du temps et de la mémoire ?) à se rappeler (tout en me montrant cette toile) d’un fait des années 1986 où, voyageant avec un groupe de touristes toulousains à dos de chameaux vers l’ermitage du Père de Foucault dans l’Assekrem, il avait alors clairement pensé et dit en lui-même :
« Chercher à entrevoir quelque chose de plus grand que l’Assekrem, cela ne fera que tuer notre foi, car Dieu est en nous et en l’Assekrem »…
Ayant moi-même escaladé l’Assekrem je comprends et acquiesce.

C’est alors en conclusion (provisoire ?) qu’il m’exprime son crédo :

« J’ai bien peur qu’on ne détruise notre maison, notre planète… Tellement nous sommes égoïstes ; tellement on saccage…
« C’est la raison pour laquelle j’essaie de m’éloigner des biens matériels de ce monde et de m’élever spirituellement… Ce que je fais à travers la peinture ou même par l’écriture…
«  Je veux prendre plus de recul et voir la vie de façon plus globale…
« J’avoue que ce qui me fait mal dans l’humanité ce n’est pas tant qu’il y ait des amis ou des ennemis, mais plutôt qu’il n’y ait que des intérêts…
« S’il n’y a que cela, alors quel ordre moral peut on espérer et avoir ?... »


Retour à l’étrange beauté de la mer qui avait, dés le départ,  animé l’échange de notre rencontre…








Abderrahmane Djelfaoui