vendredi 31 juillet 2015

Un hippopotame sur une terasse d'Alger

Mustapha Boucetta est artiste peintre.
Avant d'y venir peu à peu (à la peinture), il fut longtemps un antiquaire avisé et un restaurateur de meubles traditionnels algérois, algériens. Un métier qu'il avait du "saisir au vol" depuis l'adolescence en regardant faire des maîtres de la ville tel Sfaxi du quartier de Sidi Abderrahmane à la Casbah...

Mustapha devant la devanture de son magasin (photo Abderrahmane Djelfaoui)

Un meuble restauré et placé chez lui (Photo Abderrahmane Djelfaoui)

La peinture, devenue activité centrale depuis les terribles années de la guerre civile, ne lui fit pas pour autant oublier les pulsions particulières que l'on a à travailler le bois, le découper, l'assembler, le polir...
Puis peu à peu (Mustapha est un voyageur de lents et longs parcours -il fut steward à bord des caravelles d'Air Algérie...) il en vint à la sculpture dxe grands formats avec des tôles de voitures récupérées au gré des hasards chez les ferrailleurs de Boudouaou et ailleurs...
Il y eut d'abord la sculpture du meilleur ami de l'homme : le cheval...

(Ph: Abderrahmane Djelfaoui)

Sur cette phase très particulière de son évolution d'artiste et toujours très bonhomme, Mustapha Boucetta, le sourire en coin, s'explique:

"…. La sculpture est un ressenti...  Et pourquoi pas les animaux!! Quand je vois par exemple un hippopotame (bien sur dans des reportages sur ARTE ou sur des chaines spécialisées), je fasciné… Peut être parce qu’il y a là une certaine quiétude et sérénité qu’on ne retrouve plus aujourd’hui dans la société dite moderne. El hbal adha (cette folie) ce n’est pas du modernisme ! Quoi que …. Je suis fasciné, parce que d’une certaine manière un animal si tu lui fous la paix, il te fout la paix. Comme on dit bederja : «hchicha talba m3icha ». Bon ce n’est vraiment pas le cas pour un hippopotame. Mais un hippopotame si tu ne te trouves pas sur son chemin il te fout la paix. Il passe son chemin. Si tu es sur son chemin, tu es un homme mort…. Mais si tu n’entres pas sur son territoire : hennini nhenik…. Alors je dis : quelle puissance, quelle force et en même temps quelle sérénité chez ces animaux… »

L'hiippopotame sur la terrasse de Kouba (ph Abderrahmane Djelfaoui)

Kamel Yahyaoui sellant l'hippopotame, Rachid Necib, Mustapha Boucetta ,Mustapha Nedjai 
en discussion avec Arezki Larbi et moi- même (derrière l'objectif) 
autour de l'hippopotame pacifique...


(Bientot une suite de ce travail sur un thème inattendu: la sculpture d'arbres!.... Toujours sur la même terrasse)


Abderrahmane Djelfaoui

mardi 28 juillet 2015

Calligraphe d’une ligne libre

N’ayant pas encore atteint les quarante ans, le calligraphe Redha Khaouane (ancien biologiste dans l’industrie pharmaceutique) a exposé dans « Houroufiyates » (Lettrines) une cinquantaine de toiles au Palais de la Culture d’Alger au mois de juillet qu’il définit d’emblée comme un travail très contemporain qu’il a fait en moins d’un mois, sous pression….

Redha Khaouane. (photo Abderrahmane Djelfaoui)

Pourquoi avoir travaillé sous la pression ?
A l’aise, peut être que je m’appliquerais moins. Sous pression, il y a des pulsions. Et comme je travaille souvent au pinceau, il y a beaucoup de pulsions… Il y a de la gestuelle… Faire un grand nombre de toiles en un temps court, c’est être tendu ; on s’énerve artistiquement.  Je ne veux pas être frustré de ne pas splatcher quelque chose sur la toile… Alors, je prends juste un peu de recul et dés que je réattaque la toile, il y a toujours quelque chose de neuf, de fort…
C’est mon état d’âme. Artistiquement parlant : je suis un faux calme. En général on dit que le métier de calligraphe ça rime avec zénitude, avec calme… C’est vrai … Le calligraphe au fond de lui même ne peut pas autre. Mais…

Mais qu’est ce que cela veut dire calligraphe contemporain comme tu te présentes ?
Contemporain c’est déjà être moderne.

Et qu’est-ce que cela veut dire être moderne ?
Ca veut dire faire une calligraphie autre que le classique.  Ca c’est déjà une première définition. Car le classique partant du saint Coran obéit à des lois très strictes de l’équilibre et des proportions ;  des lois rigides, très spirituelles et religieuses. En calligraphie classique on fait ses ablutions avant de se mettre au travail. On s’astreint à de très longues heures de travail ardu, physique, minutieux. La calligraphie classique c’est l’esprit de perfection. On ne travaille pas le Coran en fumant une cigarette. La personne qui est fait ce travail de maitrise permanent est appelé à vivre dans une bulle. C’est plus que de déposer de la peinture sur une toile… C’est une ascèse. C’est difficile à décrire tant c’est « fou » mais c’est impressionnant…. La calligraphie contemporaine elle on la travaille presque de façon inverse. Elle est plus libérale. En arabe on appelle ça « el khat el hor », un style libre… 

une oeuvre récente de Khouane

oeuvre réalisée au smakh


Comme la poésie de vers libre en arabe?
Exactement. Comme pour toutes les écoles artistiques, il ya l’école classique et il y a l’école moderne.

Et cette inscription dans le moderne est nouvelle ou cela remonte au temps de tes débuts ?
En fait, je suis d’une génération qui aime et qui est inspiré par la BD. J’aime les couleurs. J’aime la caricature… J’aime la science tout comme j’adore l’architecture…  Quand je suis en manque d’inspiration, qu’est ce que je fais ? Je vais sur internet. Et là je vais voir, par exemple, l’art contemporain à New York…. L’art contemporain à Changaï… Je vais en sentir l’esprit…

Une manière de chercher une inspiration ?
Exactement. De toute façon j’ai un outil de construction qui est la lettre arabe. Je l’utilise exactement comme un outil de construction pour bâtir mes toiles. Quand je dis une toile contemporaine, j’utilise l’inspiration de mon temps, de mes contemporains sauf que pour moi le support c’est la calligraphie. Pour la simple raison que mon univers est celui de la lettre arabe. Handassa rouhiya, une géométrie de l’âme… Et, ces derniers temps, j’essaie de perfectionner la lettre en me rapprochant le plus de son origine classique…

Ce n’est pas une contradiction d’être contemporain tout en se rapprochant de la lettre arabe classique ?
Je veux utiliser la lettre arabe classique et l’écrire d’une manière (entre guillemets) correcte. Pour cela il faut remonter aux origines. Les origines pour la calligraphie arabe c’est disons il y a quatorze siècles. Comment cela à commencer ?... Au moment où l’on a regroupé les ayate du Coran ; à l’époque de Abou Bakr Essedik et Othmane Bnou Afane. Il n’y avait pas de point à la base des lettres. Elles n’étaient pas voyellées… C’est à partir de là qu’on peut suivre l’évolution de la calligraphie classique jusqu’à atteindre la perfection avec maintenant l’école irakienne, mais également l’école turque…

Coran du 10 ème siècle

Justement, il y a dans l’écriture calligraphique arabe plusieurs écoles…
Oui, et même chez nous en Algérie le potentiel de calligraphes classiques est grand. Surtout ces dernières années. Le monde bouge et l’Algérie bouge avec. Nous sommes devenus une société plus rapide, plus speed, une société de consommation où la calligraphie est un des aspects de la recherche ou du retour vers l’ancestral, vers l’apaisement. Pour donner un exemple d’image je dirais que c’est comme travailler un fromage à l’artisanale dans un monde qui fabrique le fromage à l’usine. Ce n’est pas la même chose même si pour faire de la calligraphie classique on n’écrit plus nécessairement aujourd’hui sur des planchettes de bois, la louha, avec du smakh
Ceci dit, il y a de nos jours l’école libre dite : el khat el hor. Les calligraphes libéraux font ce qu’ils veulent, il y a donc plus de créativité dans notre travail contrairement aux calligraphes classiques. J’essaie de faire ce que je veux et d’innover en termes de couleurs, de formes. J’aime les couleurs chaudes, gaies, je suis méditerranéen. Je suis de Cherchell…

Justement quels rapports y a –t-il entre ta calligraphie et Cherchell ?
Cherchell où j’ai grandi est une ville où il y a beaucoup d’artistes. Abdelkrim Hamri, artiste peintre. Ahmed Ouyousfiya, allah yerhmou. Ahmed Arbouch, mon maître avait commencé lui en faisant les enseignes de boutiques  peignant au pinceau des bateaux, des barques. Dans les années 90, lycéen, je m’asseyais à coté pendant qu’il travaillait. Je le regardais faire. 

Avec Ahmed Arbouch, Cherchell

Mon père aussi faisait de la calligraphie latine, (il avait d’ailleurs une très belle écriture en français), et c’est comme ça que j’ai découvert les outils de la calligraphie très jeune, dans le grenier de la maison. Des plumes métalliques ; des feuilles de canson de très bonne qualité que je garde jusqu’à aujourd’hui ; des encres, beaucoup d’encres… Chez mon oncle Khaled également je faisais pas mal de dessins à l’encre de Chine ; il m’a d’ailleurs offert mon premier rotring, mon premier rapido qui a aujourd’hui 30 ans !… Je fais partie d’une famille dont les origines lointaines sont andalouses. Certains descendants sont installés à Ain El Hout, prés de Tlemcen ; d’autres à Cherchell ou à Bougie. Chez nous on est bilingue. Aussi jeune, vers 12/13 ans, j’ai décidé de continuer dans ce sens avec la calligraphie arabe. J’ai commencé à dessiner le contour de la lettre ra. J’ai essayé de comprendre cette lettre en la confrontant avec ce que je voyais faire par cheikh Arbouch. Et depuis je ne me suis jamais arrêté…

Quels sont en dehors de l’Algérie, les calligraphes qui t’inspirent le plus ?
Comme je suis un artiste contemporain, automatiquement je m’inspire surtout des calligraphes contemporains, notamment de l’irakien Hassen Massoudy qui vit dans le 6ème arrondissement de Paris et dont je possède un grand nombre de livres. Il y a le marocain Karim Jaafar. Il y a le grand plasticien tunisien Nja Mahdaoui qu’on ne présente plus qui a fait un travail époustouflant et qui doit avoir dépassé les 75 ans aujourd’hui. Il y a aussi un peu le Pop Art avec Andhy Warholl. Je suis fasciné par les couleurs… Mais il y aussi les calligraphes classiques que je continue d’étudier et dont je m’inspire ; tous pour parfaire mon exécution… J’ai aussi un projet de rajouter une dimension à mes travaux de calligraphie en faisant de la sculpture. Peut être en fer, ou en bois. Un projet qui nécessite beaucoup de temps. C’est une question de réalisation, ce qui me freine un peu pour le moment…

Une expérience de calligraphie en 3D à son expo au Palais de la culture


Et tu as une devise qui te sert à t’orienter et persévérer ?
Oui. Une citation que j’aime bien est celle qui dit : « youdrikou el qalbou ma la youdrikouhou el bassar » (Le cœur peut voir ce que ne peuvent voir les yeux, qui est comparable à celle qui énonce que : le cœur a ses raisons que la raison ignore)…

La calligraphie de Redha Khouane, ou la danse de l’âme



Abderrahmane Djelfaoui


mardi 21 juillet 2015

Alger, mon amour du matin, mon amour du soir

Un matin de juillet

A moins de 30 kms d'Alger (loin donc du délire de sa circulation)
Belle . Bellle. Belle et douce Méditerranée, notre mer commune...
Prés du village de Ain Taya
Une plage de galets et de rochers aux parfums d'herbes sauvages...
Les mouettes elles-mêmes étaient de repos...
Sauf une hirondelle. ...



Et son soir

A moins de 5 kms de sa banlieue sud, en direction de la grande plaine de la Mitidja.
Au bas d'un coteau admirer cette douce rosité de la lumière qui tombe sur le Sahel.
J'ai encore flashé sur ce petit arpent du bon Dieu





Abderrahmane Djelfaoui

mardi 14 juillet 2015

Alger : le métro César-Ameur !

Prendre le métro aux Fusillés à 22 heures 30 en direction de la Grande Poste (centre grouillant de monde et de voitures) pour être au vernissage d’une exposition de peinture qui, à la troisième semaine d’un ramadhan chaud-chaud-chaud, arrive de la belle ville marine de Mostaganem : c’est tout un programme !

Et en sus d’un tel programme, l’heureuse exception de me déplacer en compagnie de l’ami peintre et sculpteur Mustapha Boucetta. Un artiste de bonne humeur qui aime toujours blaguer finement et rapporter des histoires de la vie quotidienne qui en disent bien plus long qu’un tas de discours…. C’est ainsi que traversant une partie des entrailles du Hamma et de Belcourt, Mustapha avait eu le temps de me raconter l’histoire de sa grande sculpture, l’autruche, réalisée avec des métaux de véhicules réformés qui fini par avoir «une sœur» de la part d’un artiste de la région de Mosta qui l’a entièrement réalisée avec des fourchettes. « Un autre oiseau d’art et de bon augure j’espère », opine Mustapha…. Il a ensuite le temps de me décortiquer au fil des dernières stations une importante interview du sculpteur français César sur la création et la créativité, puis, enfin, de sortir au terminus en sifflotant le refrain « On est bien peu de chose, et mon amie la rose » de Françoise Hardy années 60 qu’il affectionne particulièrement….

Un vernissage, des amis, des copains et des connaissances


Le lieu de l’expo est à la Galerie Hocine Asselah qui d’un coté fait face au siège de la wilaya bien illuminée avec un grand drapeau flottant et, de l’autre, une des façades de l’Institut français de culture, fermé en ce nocturne samedi de juillet. De loin on peut déjà voir pas mal de monde sur le trottoir, illuminé par les spots de la galerie. On parle haut, on rit, des bras se lèvent, font des tourbillons, on se tape amicalement sur les épaules…

Djamel Larouk et Hachemi Ameur


On est entre soi, chez soi sur ce boulevard de nuit de la République… On reconnait pèle mêle autour de Hachemi Ameur, hôte heureux et souriant, les ainés Moussa Bourdine (sans son béret, ce soir), Rachid Djemai et le sculpteur Mohamed Massen. Mais également Mustapha Nedjai (que tous sont contents de retrouver en forme après sa petite intervention chirurgicale), Kenza Bourenane, Walid Aidoud, Karim Sergoua, Mourad Krinah, Madjid Guemar, Abderrahmane Ouattou ainsi que Riad Aissaoui.  D’autres personnes sont déjà à l’intérieur de la galerie ; d’autres arrivent qui, soit annoncent d’autres venues, soit informent quant à ceux ou celles qui ne pourront malheureusement pas venir tel le cas de Valentina…  On comprend enfin pourquoi on a dans l’ensemble préféré rester dehors, en bordure de la chaussée : il fait bien plus frais sur ce long boulevard où une belle brise de mer siffle à donner envie de se baigner aux étoiles…


La peintre Ratiba Aitchafaa

Il y a d’ailleurs un mois et demi environ, une exposition collective réunissait sur les hauteurs de Delly Ibrahim quelques réalisations de Hachemi Ameur avec des œuvres de quatre autres plasticiens de la même région : Abdelkader Belkhorissat, Adlane Djeffal, Said Debladji et Said Chender. Aujourd’hui, et pendant un mois, c’est à dire jusqu’au 10 août, Hachemi Ameur est à l’affiche d’une exposition personnelle qu’il nomme : Anamorphoses et Certitudes… Un jeu de sens entre visuel et détermination….

Le peintre devant son oeuvre



Des toiles pour le regard de quelques pensées…

Avant de descendre en ville, j’avais bien entendu ouvert un dico électronique pour vérifier la définition (assez vague que j’avais, il est vrai) du terme anamorphose. « Œuvre, ou partie d'œuvre, graphique ou picturale, dit le Larousse, dont les formes sont distordues de telle manière qu'elle ne reprenne sa configuration véritable qu'en étant regardée soit, directement, sous un angle particulier (anamorphoses par allongement), soit, indirectement, dans un miroir cylindrique, conique, etc. » Autrement dit : ce n’est qu’une fois regardée sous un angle particulier, ou réfléchie dans un miroir courbe par exemple, que l’image plane et anamorphosée réapparaîtra normale et correctement proportionnée…

Ceci étant, la première impression que l’on a en faisant le tour des deux salles où sont accrochées la trentaine de toiles est assez étrange. C’est que malgré des couleurs diverses et lumineuses,  cette expo nous contraint tout de même, cadre après cadre,  à constater que nous avons à faire pour l’essentiel à des silhouettes rapides de gens debout ou assis. Toutes silhouettes caractérisées par leur allongement, leur grossissement ou leur déformation délimitées par un trait sombre et gras. La manière générale voulue par l’artiste est « gestuelle », rapide qui ne s’attarde pas. Pour un artiste qui a pourtant accumulé une longue expérience de dessinateur figuratif, souvent minutieuse : la manière est à peine esquissée, indéfinie, « emportée » comme d’un juste-vu-au-passage. Une manière qui laisse notre regard dans l’indétermination totale puisqu’il n’y a jamais l’amorce d’aucun détail fut-il d’un visage, d’un bras, d’un habit, d’un lieu ou même d’un élément de décor si ce n’est, parfois, sur un ou deux tableaux, un encorbellement de la ligne qui laisse penser à une très lointaine résurgence de la calligraphie qui fut un moment important dans l’itinéraire de Hachemi Ameur qui aura été, comme on le sait, également miniaturiste…

Alors qu’en est-il au vrai de cette volonté d’Anamorphoses et Certitudes ?... Cette impression d’inachevé relève-t-elle du fait que l’artiste (qui n’en est pas moins professeur et directeur de l’Ecole des beaux arts de Mostaganem) veut nous signifier qu’il est en évolution d’un style de recherche vers un autre ?... Par Anamorphoses et Certitudes nous sommes en fait « collés », suspendus et pour le moins contraints d’attendre la suite de l’évolution d’un plasticien certes expérimenté (qui a même fait une partie de ses études en Chine), mais un artiste somme toute jeune puisqu’il aborde à peine la cinquantaine…
       
Final saxo !

La chanteuse Malia présente au vernissage

Le vernissage a charrié d’autres artistes que plasticiens. Ainsi, l’inattendu ou le gâteau sur la cerise aura été de vivre ce moment aux sons langoureux, nostalgiques et cuivrés de « Petite Fleur » (le plus célèbre morceau de Sydney Bechett avec « Les Oignons ») joués par un saxophoniste, Aomar en l’occurrence, déambulant lentement dans les salles sous le regard amusé et attendri du public, particulièrement des dames…



Abderrahmane Djelfaoui

PS : Le métro de retour (l’un des derniers à une heure du matin) était quasiment bondé de familles et d’enfants ainsi que de groupes d’ados (ont-ils eu le bac ?...) habillés de shorts et tee shirts bariolés comme si c’était un retour de plage…. Mustapha Boucetta, amusé et pince sans rire, me dit en souriant : « est ce que tout ce monde aurait seulement reconnu, apprécié et aimé « Petite fleur » de Bechett ? »… Cette foule de voyageurs était je crois trop ailleurs pour qu’on ose seulement penser à le lui demander…

Mustapha Boucetta lisant les instructions avant l’avant dernier métro à la Grande poste



mercredi 8 juillet 2015

Débat sur le patrimoine immatériel de la lutte de libération nationale

Le centre culturel de la wilaya d’Alger sis au 38 rue Didouche Mourad a organisé ce ramadhan un cycle de soirées de conférences, d’entretiens et rencontres autour des questions du patrimoine  culturel et artistique national qui aurait en principe dû émerger mieux et avec force depuis la lutte de libération nationale.

Cette activité plurielle débuta avec la remise des prix de la meilleure poésie (arabe, tamazight et français) remis symboliquement aux lauréates et lauréats lors de la Journée de l’Artiste.
Puis une belle et pertinente conférence avait été donnée le lundi 3 juillet en soirée par le musicologue Abdelkader Bendamèche sur l’itinéraire de la chanteuse Fadhila Dziria à l’occasion du 98 ème anniversaire de sa naissance (25 juin 1917 - 6 octobre 1970 à Alger). Cette superbe évocation était accompagnée d’une exposition de photographies en noir et blanc agrandies et encadrées de la célèbre chanteuse avec son sourire épanoui, prises au fil des années tant sur les plateaux de la télévision que lors de concerts publics ou à l’occasion des multiples tournées en Algérie ou à l’étranger qu’elle faisait avec différents artistes avant comme après l’indépendance.


Le talent de l'orateur, musicien lui-même, aura été de montrer comment, dés la période de l’entre-deux guerres mondiales, Fadhila, encore adolescente, fut l'élève et la continuatrice de la grande M'elma Yamna la première artiste femme respectée et aimée par le grand public de son époque.... Le conférencier expliqua avec beaucoup de détails et d’anecdotes savoureuses comment Fadhila bénéficia lors de sa carrière ascensionnelle (partagée avec Meriem Fakaï) des précieux conseils de la part des Ababssa, Skandrani, Mustapha Kechkoul  ou, surtout, du grand Bachtarzi dont elle était comédienne dans la troupe qui sillonnait alors l'Algérie coloniale....

Abdelkader Bendameche accompagnée de la poétesse Fouzia Laradi


Questions sur le présent et l’avenir

Cette conférence fut suivie lors des Mercredis du Verbe par un atelier d’écriture de femmes (« Femmes ici ou ailleurs »),  « dont les résultats, inattendus, souvent durs », nous dit sans fierté la responsable du Centre, n’en ont pas moins été édités en un livre collectif par Dar El Ibriz.

Lundi 6 juillet, la soirée aura été quant à elle, dans la foulée du 53ème anniversaire du jour de l’indépendance, consacrée à une évocation des figures majeures de la poésie féminine emprisonnées à Serkadji-Barberousse durant la terrible « Bataille d’Alger ». Parmi les héroïnes citées par nous-mêmes en tant que conférencier, il y a les Zhor Zerari, Anna Gréki, Annie Steiner, Fadhila Dziria, Zakia Khalfallah, Hawa Djabali¸sans oublier Jacqueline Guerroudj (inhumée il y a cinq mois à El Alia) qui consigna nombre de faits et d’analyses de leur vie carcérale dans « Des douars et des prisons ; un livre d’ailleurs préfacé par Abdelhamid Benzine qui écrivit lui-même « Lambèse », un livre de terribles souvenirs sur ce que fut l’incarcération dans sa version la plus atroce lors de la guerre de libération nationale…


L’objet de la conférence n’était pas juste de relater des faits mais surtout de poser quelques questions fondamentales dont l’une d’elles, terribles mais incontournable est : comment des jeunes femmes qui n’avaient pas dépassé l’âge de 24/25 ans, dont certaines étaient même mineures, emprisonnées, entassées dans des cellules de la façon la plus humiliante après avoir connues les affres de la torture aient pu ressentir la nécessité d’écouter, de lire, d’écrire et de transmettre de la poésie ! Et quelle poésie !

Aussi l’intérêt principal du débat qui suivit et auquel participait aussi des moudjahidate (dont Zoulikha Bekkadour auteur de « Ils ont trahi notre combat »), des hommes de théâtre, du Chî’r el-melhoun, etc,  aura été de soulever et discuter avec franchise l’état « de mise au placard » de ce riche patrimoine poétique féminin pourtant d’une brûlante actualité.

Anna Gréki n’avait-elle pas écrit dans « Bonheurs interdits » :

« Pas un poisson ni d’eau
Pas un oiseau ni d’arbre
Mais le ciel qui s’éloigne
Plus haut que nos regards…

Pas un silence seul
Pas un ilot d’absence
Mais des poignets sans montre
Et des yeux sans paupières…

Le silence étanche sa
Soif au sommet de ces
Murs oppressés et sur
Nos yeux levés se dresse

Opulente de joie
De mnaces de paix
La manifestation
Des libertés saignées »

Elle qui écrira prés de cinq ans plus tard « El Houria », en juillet 1962, à Alger, avec des vers qui résonnent encore de façon si respectueuse et dense en nous…

«  .... Hors de la matrice énorme de la guerre
Tu nais dans un soleil de cris et de mains nues
Prodiguant des juillets moissonneurs et debout

« Nos morts qui t'ont rêvée se comptent par milliers
Un seul aurait suffit pour que je me rappelle
 Le tracé des chemins qui mènent au bonheur

« Les champs de tendre chair se taisent apaisés
Nos morts rendent la terre au soc frais des charrues
Et dans tes veines bat la flamme de leur sang... »

Et de Zhor Zerari  ce poème extrait de « Poèmes de prison »:

« ….Fermer les yeux
Oublier les murs et les grilles
Vivre un moment sans eux
Béatement écouter les trilles
D’un oiseau éperdu
Ivre d’air et de liberté
Qui prés de la grille s’est perdu
Pour nous rappeler la liberté… ».

Un livre d’ailleurs présenté et illustré par Jeanne Maris Francès aux éditions Abderrahmane Bouchène.

Ou encore Annie Steiner gravant à jamais dans nos mémoire ce sinistre 11 janvier 1957 en écrivant :

« … C’était un matin clair
Aussi doux que les autres
Où vous aviez envie
De vivre et de chanter.
Vivre était votre droit
Vous l’avez refusé
Pour que par votre sang
D’autres soient libérés….

« Ce matin ils ont osé,
Ils ont osé
Vous assassiner.

« Que vive votre idéal
Et vos sangs entremêlés
Pour que demain ils n’osent plus
Ils n’osent plus
Nous assassiner »

Cette éminente problématique de la créativité artistique féminine contemporaine fit intervenir les moudjahidate sur les dernières et tristes disparitions des unes et des autres sans que justement on n’ait encore en vue la possibilité d’une solide passerelle entre ces fières figures de la guerre de libération nationale et les jeunes générations pour la compréhension et la prise en charge d’un legs aussi précieux. On rappela à ce titre que des femmes de cette génération sont les auteures de très nombreux ouvrages de témoignages ou de créations artistiques qu’il est indispensable de remettre à jour et à disposition du plus grand nombre de collégiens et de lycéens… Parmi tous ces livres on n’oubliera pas de citer avec  respect « espoir et parole / poèmes algériens » recueillis par Denise Barrat aux Editions Seghers en 1963.


Ces constats  critiques justes n’empêchèrent nullement de soulever passionnément la question, par exemple,  du rapport entre le grand dirigeant Abane Ramdane et le grand poète Moufdi Zakaria, emprisonné également à Serkadji, tout comme le poète Laadi Flici et d’autres, pour la création de l’hymne national Kassaman… Un épisode historique remarquable et fort qui pourrait à lui seul alimenter la production de plusieurs films historiques, de plusieurs émissions de télé, d’innombrables conférences universitaires, d’enquêtes de presse, etc….

Dernière remarque d’intérêt, l’assistance ne manqua pas durant ce débat d’intervenir sur le processus somme toute bénéfique d’internet et même de facebook dans certains de ses aspects pour la diffusion, même si encore restreinte, de ce patrimoine national non recensé, mal connu, mal aimé… Mais cela est déjà une autre histoire…


Abderrahmane Djelfaoui


lundi 6 juillet 2015

Il était une fois une question : LES OISEAUX VONT-ILS AU PARADIS ?..

On le sait, on ne cesse de le répéter : notre monde est de plus en plus surpeuplé, bondé, amoché et étranglé par les véhicules, les avions et les smartphones… Ce monde serait, sans autre alternative, condamné au stress, aux vacarmes et au cancer des passe-droits. Un monde dont on veut nous assurer qu’il est celui de la « modernité », de la vitesse et de la montée exponentielle de toutes sortes d’informations (généralement mortelles après la seconde même où elles ont été émises). En fait, un monde d’apparences trompeuses et de fric (fric roi, fric despote) où il semble que l’on n’ait nulle intention de laisser fleurir d’autres formes de confort de vie pleinement vécue, simplement enrichie, partagée.

 Dans un tel monde d’agités nous avons presque tous perdu le goût des belles lectures, le goût du magnifique, des belles épopées, des aventures grandioses et de leur panache, des contes, des fééries, du merveilleux, du spirituel avec sa parole vraie et sublimée en adage qui ont fait rêver, agir des milliers de générations avant que, sur le tard, nous n’arrivions dans un prêt-à-porter d’idées pétaradantes, souvent ridicules  parce de petites idées ayant déjà fait long feu avant même qu’on n’en ait allumé la mèche….

Bien sur, on ne peut généraliser ce constat débilitant de façon absolue - il y aura toujours des êtres, des groupes ou des strates infimes d’ici ou là-bas qui restent et resteront irréductibles au clonage du grand nombre … Mais ne sont-ce pas principalement ces êtres, groupes et strates « sans poids » qui continuent vaille que vaille l’effort de transmettre un oxygène (éternel) dans le toc absurde et clinquant de ce bas monde qui, chaque matin, est plus infatué et grossi du pire de lui-même ?..

UN LIVRE VENU DU FOND DES AGES

Mais, il faut le dire, dans ce monde existe encore quelque part un livre (parmi des cent et des cent) dû à un des génies de l’humanité. Un livre à affectionner et lire à la lenteur du plaisir raffiné. Un livre comme venu d’une autre planète … La planète Terre, du 12ème siècle…  Un trésor dont on pourrait grosso modo situer l’alpha et l’oméga à  l’époque d’un Salah Eddine el Ayoubi.  Le Saladin des occidentaux, Sultan cavalier ayant combattu Richard Cœur de Lion, Roi d’Angleterre, et dont Youcef Chahine avait fait un film populaire aux années fastes d’un cinéma promu à tous les espoirs aussi bien en Egypte, en 1963, que (croyait-on) dans un pays central du Maghreb nommé El Djazair (Les îles ou les ilots…)

Portrait de Saladin par Cristofano dell’Altissimo-16ème siècle

Ce livre-récit d’un des plus fabuleux voyages qui ait été conté a pour titre originel La Conférence des Oiseaux (Mantiq et-Tayr) et ses 4500 distiques (réunions de deux vers) ont été plusieurs fois et magnifiquement retraduits du persan en français ces dernières années sous la dénomination du Langage des oiseaux, du Cantique des Oiseaux ou de Simorgh (qui rappelle par extraordinaire clin d’œil un des derniers titres de Mohamed Dib). Il connaitra même une adaptation théâtrale célèbre à Avignon, en 1979, signée par Peter Brook…

Mais signaler d’abord que l’auteur : Farid od-Din Mohammad ben Ebrahêm ‘Attar de Nichapour (1145-1220) est  quasi contemporain de l’illustre Mohieddine Ibn ‘Arabi (1165- 1240) surnommé Cheikh el Akbar. Et dire que si le génie persan est né et mort dans le Khorassan et le Maitre des maitres né à Murcie en Andalousie puis décédé à Damas (capitale où, six siècles plus tard sera enterré prés de lui l’Emir Abdelkader 1808-1883), ils ne se seront jamais rencontrés. Ils n’en n’ont pas moins (tous deux, tous trois….) produit des œuvres magistrales, universelles, aujourd’hui répertoriées patrimoine de l’humanité par l’UNESCO.



Le thème du Simorgh repris en affiche pour un festival du film iranien


‘Attar … Un nom que l’histoire tumultueuse nous a légué du fait que ce célèbre maitre soufi et poète des 12ème-13ème siècles n’était autre qu’un parfumeur, un apothicaire qui certainement pratiquait aussi  la médecine. Nom de métier très répandu qu’il portait de façon humble et symbolique comme on porte le pur nom poétique des plus belles senteurs de la spiritualité d’orient.

Le poète affirme fièrement quelque part vers la fin de son œuvre:

« Pourquoi dirais-je « Seigneur » à quelque vil féal ?
Je n’ai mangé à la table d’aucun tyran
Je n’ai dédié mes livres à aucun seigneur »

De tous les  ‘attar (ou parfumeurs) d’orient, l’histoire aura retenue celui de ce Farid od-Din à en amplifier la magnificence de son œuvre pour des siècles. Tout comme il en est heureusement de l’Epopée de Gilgamesh roi de la cité d’Uruk, en Babylonie, 2600 avant Jésus Christ, ou encore plusieurs siècles plus tard du Mahâbhârata de l’Inde ou de l’Odyssée d’Homère (Homère qui en grec ancien signifiait l’aveugle, le poète aveugle….)

AUX TEMPS DU ROI DES ROIS….

Leili Anvar, chercheuse d’origine iranienne en langue et littérature persane, auteure de la dernière et certainement la plus belle traduction en vers du Cantique des Oiseaux, parue à Paris aux éditions Diane de Selliers, résume ainsi l’aventure exaltante narré par ce poème de prés de 400 pages:

« Le Cantique des oiseaux raconte l’histoire de tous les oiseaux du monde qui se réunissent un jour pour partir à la recherche de l’Etre suprême car ils ressentent au plus profond de leur âme le désir de Le rencontrer. Parmi eux, la huppe, oiseau sanctifié par le regard du roi Salomon, connait non seulement le nom de la Majesté souveraine, Simorgh, mais elle sait aussi qu’Elle demeure en la montagne mythique de Qâf et quel chemin il faut parcourir pour arriver jusqu’à son Trône royal. La huppe donne donc aux oiseaux ébahis une description de la beauté indescriptible de Simorgh et évoque les joies de la Proximité»…

C’est que dés le début du chant, l’auteur dit explicitement ce qu’est le dessein du Créateur :

« Il a donné au perroquet un collier d’or
Il a fait de la huppe le guide sur la voie »

Et bien plus loin de faire dire à la huppe elle-même :

« Chers oiseaux, leur dit-elle, je suis la messagère
De notre Majesté et voix de l’invisible »

La huppe du roi Salomon

Mais marcher vers l’Etre suprême est-ce aller au paradis ?...

« Malgré leur désir de se mettre en route, ajoute la traductrice, les oiseaux hésitent : chacun présente une excuse pour ne pas entreprendre ce long et difficile voyage. A cette première série d’objections, la huppe répond par des histoires édifiantes et parvient ainsi à les convaincre de quitter leurs vains attachements pour partir vers le seul Etre qui mérite d’être aimé et désiré. Ils partent donc, pleins d’espoir et de joie. Toutefois, arrivés au seuil des sept vallées, saisis d’une profonde angoisse, ils s’arrêtent à nouveau et commence alors une seconde série d’objections et d’excuses auxquelles la huppe répond par un enseignement spirituel émaillé d’apologues. »

Cette huppe à qui le poète Mahmoud Darwich aura fait référence (dans son poème du même nom où il écrit:"Mais une huppe nous habite qui dicte ses lettres à l'olivier de l'exil"« Passants parmi les paroles passagères ») réussit-elle ?..
Oui. « Elle évoque les sept vallées successives qu’il leur faudra franchir avant d’arriver au Seuil de la demeure de Simorgh : la vallée du Désir, la vallée de l’Amour, la vallée de la Connaissance, la vallée de la Plénitude, la vallée de l’Unicité, la vallée de la Perplexité et la vallée du Dénuement et de l’Anéantissement »…

« Ce sont tes yeux hélas qui sont toujours fermés,
Entre dans le désir et alors tu verras
Que la porte jamais n’est fermée devant toi ! » (distique 3355)

Et comme dans tant de contes de tous les continents, ce n’est tant le but que le chemin qu’on fait qui importe, qui est porteur de drames et d’enseignements, qui éclaire et nous porte, lecteurs, à y participer…
« Des milliers d’oiseaux partis en quête de Simorgh, presque tous meurent ou abandonnent en chemin. Seuls trente arrivent au but, si morgh, « trente oiseaux » […] jeu de mots (si morgh / Simorgh), le plus célèbre de toute la littérature persane », poursuit la brillante traductrice qui a d’ailleurs réalisée plusieurs émissions consacrées à ce chef d’œuvre sur les ondes de Radio France.

Et comment définit-elle l’art de ce poète médiéval venu au monde juste une quinzaine d’année après la disparition Omar Khayyam ?...
Il est , écrit-elle « celui dont l’œuvre parfume l’univers, celui qui connait les remèdes spirituels, le thérapeute qui sait soigner les âmes en les guidant par la parole poétique et le récit […] Semblable en cela au philosophe platonicien, le poète mystique s’est libéré de la prison du monde et il a parcouru étape après étape les degrés du perfectionnement jusqu’à la vision de la Lumière, avant de revenir en donner les signes à ceux qui cherchent le Chemin »…

Ce qui n’empêche pas ce prince des poètes qui ouvre son chant par une louange à : « Lui qui a donné vie et foi à la poussière », de clore son fabuleux récit-fleuve par une humble invocation pieuse:

« O Roi qui tout exauces, ô Toi le généreux !
…Tu es celui qui reste, Tu es Celui qui lave
… O Dieu, ferme les yeux sur nos viles vanités
Ne mets pas sous nos yeux nos souillures impures ».


Miniature persane


Abderrahmane Djelfaoui

 1- Le Cantique des Oiseaux. Farid od-dîn ‘Attar. Traduction du persan Leili Anvar. Collection Textes. Diane de Selliers Editeur. Paris. 2013