lundi 6 juillet 2015

Il était une fois une question : LES OISEAUX VONT-ILS AU PARADIS ?..

On le sait, on ne cesse de le répéter : notre monde est de plus en plus surpeuplé, bondé, amoché et étranglé par les véhicules, les avions et les smartphones… Ce monde serait, sans autre alternative, condamné au stress, aux vacarmes et au cancer des passe-droits. Un monde dont on veut nous assurer qu’il est celui de la « modernité », de la vitesse et de la montée exponentielle de toutes sortes d’informations (généralement mortelles après la seconde même où elles ont été émises). En fait, un monde d’apparences trompeuses et de fric (fric roi, fric despote) où il semble que l’on n’ait nulle intention de laisser fleurir d’autres formes de confort de vie pleinement vécue, simplement enrichie, partagée.

 Dans un tel monde d’agités nous avons presque tous perdu le goût des belles lectures, le goût du magnifique, des belles épopées, des aventures grandioses et de leur panache, des contes, des fééries, du merveilleux, du spirituel avec sa parole vraie et sublimée en adage qui ont fait rêver, agir des milliers de générations avant que, sur le tard, nous n’arrivions dans un prêt-à-porter d’idées pétaradantes, souvent ridicules  parce de petites idées ayant déjà fait long feu avant même qu’on n’en ait allumé la mèche….

Bien sur, on ne peut généraliser ce constat débilitant de façon absolue - il y aura toujours des êtres, des groupes ou des strates infimes d’ici ou là-bas qui restent et resteront irréductibles au clonage du grand nombre … Mais ne sont-ce pas principalement ces êtres, groupes et strates « sans poids » qui continuent vaille que vaille l’effort de transmettre un oxygène (éternel) dans le toc absurde et clinquant de ce bas monde qui, chaque matin, est plus infatué et grossi du pire de lui-même ?..

UN LIVRE VENU DU FOND DES AGES

Mais, il faut le dire, dans ce monde existe encore quelque part un livre (parmi des cent et des cent) dû à un des génies de l’humanité. Un livre à affectionner et lire à la lenteur du plaisir raffiné. Un livre comme venu d’une autre planète … La planète Terre, du 12ème siècle…  Un trésor dont on pourrait grosso modo situer l’alpha et l’oméga à  l’époque d’un Salah Eddine el Ayoubi.  Le Saladin des occidentaux, Sultan cavalier ayant combattu Richard Cœur de Lion, Roi d’Angleterre, et dont Youcef Chahine avait fait un film populaire aux années fastes d’un cinéma promu à tous les espoirs aussi bien en Egypte, en 1963, que (croyait-on) dans un pays central du Maghreb nommé El Djazair (Les îles ou les ilots…)

Portrait de Saladin par Cristofano dell’Altissimo-16ème siècle

Ce livre-récit d’un des plus fabuleux voyages qui ait été conté a pour titre originel La Conférence des Oiseaux (Mantiq et-Tayr) et ses 4500 distiques (réunions de deux vers) ont été plusieurs fois et magnifiquement retraduits du persan en français ces dernières années sous la dénomination du Langage des oiseaux, du Cantique des Oiseaux ou de Simorgh (qui rappelle par extraordinaire clin d’œil un des derniers titres de Mohamed Dib). Il connaitra même une adaptation théâtrale célèbre à Avignon, en 1979, signée par Peter Brook…

Mais signaler d’abord que l’auteur : Farid od-Din Mohammad ben Ebrahêm ‘Attar de Nichapour (1145-1220) est  quasi contemporain de l’illustre Mohieddine Ibn ‘Arabi (1165- 1240) surnommé Cheikh el Akbar. Et dire que si le génie persan est né et mort dans le Khorassan et le Maitre des maitres né à Murcie en Andalousie puis décédé à Damas (capitale où, six siècles plus tard sera enterré prés de lui l’Emir Abdelkader 1808-1883), ils ne se seront jamais rencontrés. Ils n’en n’ont pas moins (tous deux, tous trois….) produit des œuvres magistrales, universelles, aujourd’hui répertoriées patrimoine de l’humanité par l’UNESCO.



Le thème du Simorgh repris en affiche pour un festival du film iranien


‘Attar … Un nom que l’histoire tumultueuse nous a légué du fait que ce célèbre maitre soufi et poète des 12ème-13ème siècles n’était autre qu’un parfumeur, un apothicaire qui certainement pratiquait aussi  la médecine. Nom de métier très répandu qu’il portait de façon humble et symbolique comme on porte le pur nom poétique des plus belles senteurs de la spiritualité d’orient.

Le poète affirme fièrement quelque part vers la fin de son œuvre:

« Pourquoi dirais-je « Seigneur » à quelque vil féal ?
Je n’ai mangé à la table d’aucun tyran
Je n’ai dédié mes livres à aucun seigneur »

De tous les  ‘attar (ou parfumeurs) d’orient, l’histoire aura retenue celui de ce Farid od-Din à en amplifier la magnificence de son œuvre pour des siècles. Tout comme il en est heureusement de l’Epopée de Gilgamesh roi de la cité d’Uruk, en Babylonie, 2600 avant Jésus Christ, ou encore plusieurs siècles plus tard du Mahâbhârata de l’Inde ou de l’Odyssée d’Homère (Homère qui en grec ancien signifiait l’aveugle, le poète aveugle….)

AUX TEMPS DU ROI DES ROIS….

Leili Anvar, chercheuse d’origine iranienne en langue et littérature persane, auteure de la dernière et certainement la plus belle traduction en vers du Cantique des Oiseaux, parue à Paris aux éditions Diane de Selliers, résume ainsi l’aventure exaltante narré par ce poème de prés de 400 pages:

« Le Cantique des oiseaux raconte l’histoire de tous les oiseaux du monde qui se réunissent un jour pour partir à la recherche de l’Etre suprême car ils ressentent au plus profond de leur âme le désir de Le rencontrer. Parmi eux, la huppe, oiseau sanctifié par le regard du roi Salomon, connait non seulement le nom de la Majesté souveraine, Simorgh, mais elle sait aussi qu’Elle demeure en la montagne mythique de Qâf et quel chemin il faut parcourir pour arriver jusqu’à son Trône royal. La huppe donne donc aux oiseaux ébahis une description de la beauté indescriptible de Simorgh et évoque les joies de la Proximité»…

C’est que dés le début du chant, l’auteur dit explicitement ce qu’est le dessein du Créateur :

« Il a donné au perroquet un collier d’or
Il a fait de la huppe le guide sur la voie »

Et bien plus loin de faire dire à la huppe elle-même :

« Chers oiseaux, leur dit-elle, je suis la messagère
De notre Majesté et voix de l’invisible »

La huppe du roi Salomon

Mais marcher vers l’Etre suprême est-ce aller au paradis ?...

« Malgré leur désir de se mettre en route, ajoute la traductrice, les oiseaux hésitent : chacun présente une excuse pour ne pas entreprendre ce long et difficile voyage. A cette première série d’objections, la huppe répond par des histoires édifiantes et parvient ainsi à les convaincre de quitter leurs vains attachements pour partir vers le seul Etre qui mérite d’être aimé et désiré. Ils partent donc, pleins d’espoir et de joie. Toutefois, arrivés au seuil des sept vallées, saisis d’une profonde angoisse, ils s’arrêtent à nouveau et commence alors une seconde série d’objections et d’excuses auxquelles la huppe répond par un enseignement spirituel émaillé d’apologues. »

Cette huppe à qui le poète Mahmoud Darwich aura fait référence (dans son poème du même nom où il écrit:"Mais une huppe nous habite qui dicte ses lettres à l'olivier de l'exil"« Passants parmi les paroles passagères ») réussit-elle ?..
Oui. « Elle évoque les sept vallées successives qu’il leur faudra franchir avant d’arriver au Seuil de la demeure de Simorgh : la vallée du Désir, la vallée de l’Amour, la vallée de la Connaissance, la vallée de la Plénitude, la vallée de l’Unicité, la vallée de la Perplexité et la vallée du Dénuement et de l’Anéantissement »…

« Ce sont tes yeux hélas qui sont toujours fermés,
Entre dans le désir et alors tu verras
Que la porte jamais n’est fermée devant toi ! » (distique 3355)

Et comme dans tant de contes de tous les continents, ce n’est tant le but que le chemin qu’on fait qui importe, qui est porteur de drames et d’enseignements, qui éclaire et nous porte, lecteurs, à y participer…
« Des milliers d’oiseaux partis en quête de Simorgh, presque tous meurent ou abandonnent en chemin. Seuls trente arrivent au but, si morgh, « trente oiseaux » […] jeu de mots (si morgh / Simorgh), le plus célèbre de toute la littérature persane », poursuit la brillante traductrice qui a d’ailleurs réalisée plusieurs émissions consacrées à ce chef d’œuvre sur les ondes de Radio France.

Et comment définit-elle l’art de ce poète médiéval venu au monde juste une quinzaine d’année après la disparition Omar Khayyam ?...
Il est , écrit-elle « celui dont l’œuvre parfume l’univers, celui qui connait les remèdes spirituels, le thérapeute qui sait soigner les âmes en les guidant par la parole poétique et le récit […] Semblable en cela au philosophe platonicien, le poète mystique s’est libéré de la prison du monde et il a parcouru étape après étape les degrés du perfectionnement jusqu’à la vision de la Lumière, avant de revenir en donner les signes à ceux qui cherchent le Chemin »…

Ce qui n’empêche pas ce prince des poètes qui ouvre son chant par une louange à : « Lui qui a donné vie et foi à la poussière », de clore son fabuleux récit-fleuve par une humble invocation pieuse:

« O Roi qui tout exauces, ô Toi le généreux !
…Tu es celui qui reste, Tu es Celui qui lave
… O Dieu, ferme les yeux sur nos viles vanités
Ne mets pas sous nos yeux nos souillures impures ».


Miniature persane


Abderrahmane Djelfaoui

 1- Le Cantique des Oiseaux. Farid od-dîn ‘Attar. Traduction du persan Leili Anvar. Collection Textes. Diane de Selliers Editeur. Paris. 2013


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