Le
centre culturel de la wilaya d’Alger sis au 38 rue Didouche Mourad a organisé
ce ramadhan un cycle de soirées de conférences, d’entretiens et rencontres
autour des questions du patrimoine
culturel et artistique national qui aurait en principe dû émerger mieux
et avec force depuis la lutte de libération nationale.
Cette activité
plurielle débuta avec la remise des prix de la meilleure poésie (arabe, tamazight
et français) remis symboliquement aux lauréates et lauréats lors de la Journée
de l’Artiste.
Puis une belle et
pertinente conférence avait été donnée le lundi 3 juillet en soirée par le
musicologue Abdelkader Bendamèche sur l’itinéraire de la chanteuse Fadhila
Dziria à l’occasion du 98 ème anniversaire de sa naissance (25 juin 1917 - 6 octobre 1970 à Alger).
Cette superbe évocation était accompagnée d’une exposition de photographies en
noir et blanc agrandies et encadrées de la célèbre chanteuse avec son sourire
épanoui, prises au fil des années tant sur les plateaux de la télévision que
lors de concerts publics ou à l’occasion des multiples tournées en Algérie ou à
l’étranger qu’elle faisait avec différents artistes avant comme après
l’indépendance.
Le talent de l'orateur, musicien lui-même, aura été de
montrer comment, dés la période de l’entre-deux guerres mondiales, Fadhila, encore
adolescente, fut l'élève et la continuatrice de la grande M'elma Yamna la
première artiste femme respectée et aimée par le grand public de son époque....
Le conférencier expliqua avec beaucoup de détails et d’anecdotes savoureuses comment
Fadhila bénéficia lors de sa carrière ascensionnelle (partagée avec Meriem
Fakaï) des précieux conseils de la part des Ababssa, Skandrani, Mustapha
Kechkoul ou, surtout, du grand Bachtarzi
dont elle était comédienne dans la troupe qui sillonnait alors l'Algérie
coloniale....
Abdelkader Bendameche
accompagnée de la poétesse Fouzia Laradi
Questions sur le présent et l’avenir
Cette conférence fut suivie lors des Mercredis du Verbe par un
atelier d’écriture de femmes (« Femmes ici ou ailleurs »), « dont les résultats, inattendus, souvent
durs », nous dit sans fierté la responsable du Centre, n’en ont pas moins été
édités en un livre collectif par Dar El Ibriz.
Lundi 6 juillet, la soirée aura été quant à elle, dans la
foulée du 53ème anniversaire du jour de l’indépendance, consacrée à une
évocation des figures majeures de la poésie féminine emprisonnées à
Serkadji-Barberousse durant la terrible « Bataille d’Alger ». Parmi les
héroïnes citées par nous-mêmes en tant que conférencier, il y a les Zhor
Zerari, Anna Gréki, Annie Steiner, Fadhila Dziria, Zakia Khalfallah, Hawa
Djabali¸sans oublier Jacqueline Guerroudj (inhumée il y a cinq mois à El Alia) qui
consigna nombre de faits et d’analyses de leur vie carcérale dans « Des
douars et des prisons ; un livre d’ailleurs préfacé par Abdelhamid Benzine
qui écrivit lui-même « Lambèse », un livre de terribles souvenirs sur
ce que fut l’incarcération dans sa version la plus atroce lors de la guerre de
libération nationale…
L’objet de la conférence n’était pas juste de relater des
faits mais surtout de poser quelques questions fondamentales dont l’une
d’elles, terribles mais incontournable est : comment des jeunes femmes qui n’avaient pas dépassé l’âge de 24/25 ans,
dont certaines étaient même mineures, emprisonnées, entassées dans des cellules
de la façon la plus humiliante après avoir connues les affres de la torture
aient pu ressentir la nécessité d’écouter, de lire, d’écrire et de transmettre
de la poésie ! Et quelle poésie !
Aussi l’intérêt principal du débat qui suivit et auquel
participait aussi des moudjahidate (dont Zoulikha Bekkadour auteur de
« Ils ont trahi notre combat »), des hommes de théâtre, du Chî’r
el-melhoun, etc, aura été de soulever et
discuter avec franchise l’état « de mise au placard » de ce riche patrimoine
poétique féminin pourtant d’une brûlante actualité.
Anna Gréki n’avait-elle pas écrit dans « Bonheurs
interdits » :
« Pas un poisson ni d’eau
Pas un oiseau ni d’arbre
Mais le ciel qui s’éloigne
Plus haut que nos regards…
Pas un silence seul
Pas un ilot d’absence
Mais des poignets sans montre
Et des yeux sans paupières…
Le silence étanche sa
Soif au sommet de ces
Murs oppressés et sur
Nos yeux levés se dresse
Opulente de joie
De mnaces de paix
La manifestation
Des libertés saignées »
Elle qui écrira prés de cinq ans plus tard « El
Houria », en juillet 1962, à Alger, avec des vers qui résonnent encore de
façon si respectueuse et dense en nous…
« .... Hors de la matrice énorme de la
guerre
Tu nais dans un soleil de cris et de
mains nues
Prodiguant des juillets moissonneurs et
debout
« Nos morts qui t'ont rêvée se
comptent par milliers
Un seul aurait suffit pour que je me
rappelle
Le
tracé des chemins qui mènent au bonheur
« Les champs de tendre chair se
taisent apaisés
Nos morts rendent la terre au soc frais
des charrues
Et dans tes veines bat la flamme de leur sang... »
Et dans tes veines bat la flamme de leur sang... »
Et de Zhor Zerari ce poème extrait
de « Poèmes de prison »:
« ….Fermer les yeux
Oublier les murs et les grilles
Vivre un moment sans eux
Béatement écouter les trilles
D’un oiseau éperdu
Ivre d’air et de liberté
Qui prés de la grille s’est perdu
Pour nous rappeler la liberté… ».
Un livre d’ailleurs présenté et illustré
par Jeanne Maris Francès aux éditions Abderrahmane Bouchène.
Ou encore Annie Steiner gravant à jamais
dans nos mémoire ce sinistre 11 janvier 1957 en écrivant :
« … C’était un matin clair
Aussi doux que les autres
Où vous aviez envie
De vivre et de chanter.
Vivre était votre droit
Vous l’avez refusé
Pour que par votre sang
D’autres soient libérés….
« Ce matin ils ont osé,
Ils ont osé
Vous assassiner.
« Que vive votre idéal
Et vos sangs entremêlés
Pour que demain ils n’osent plus
Ils n’osent plus
Nous assassiner »
Cette éminente problématique de la
créativité artistique féminine contemporaine fit intervenir les moudjahidate
sur les dernières et tristes disparitions des unes et des autres sans que
justement on n’ait encore en vue la possibilité d’une solide passerelle entre ces
fières figures de la guerre de libération nationale et les jeunes générations
pour la compréhension et la prise en charge d’un legs aussi précieux. On
rappela à ce titre que des femmes de cette génération sont les auteures de très
nombreux ouvrages de témoignages ou de créations artistiques qu’il est
indispensable de remettre à jour et à disposition du plus grand nombre de
collégiens et de lycéens… Parmi tous ces livres on n’oubliera pas de citer
avec respect « espoir et parole /
poèmes algériens » recueillis par Denise Barrat aux Editions Seghers en
1963.
Ces constats critiques justes n’empêchèrent nullement de
soulever passionnément la question, par exemple, du rapport entre le grand dirigeant Abane
Ramdane et le grand poète Moufdi Zakaria, emprisonné également à Serkadji, tout
comme le poète Laadi Flici et d’autres, pour la création de l’hymne national Kassaman…
Un épisode historique remarquable et fort qui pourrait à lui seul alimenter la
production de plusieurs films historiques, de plusieurs émissions de télé,
d’innombrables conférences universitaires, d’enquêtes de presse, etc….
Dernière remarque d’intérêt, l’assistance
ne manqua pas durant ce débat d’intervenir sur le processus somme toute bénéfique
d’internet et même de facebook dans certains de ses aspects pour la diffusion,
même si encore restreinte, de ce patrimoine national non recensé, mal connu,
mal aimé… Mais cela est déjà une autre histoire…
Abderrahmane
Djelfaoui
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