N’ayant pas encore atteint les quarante ans, le calligraphe Redha
Khaouane (ancien biologiste dans l’industrie pharmaceutique) a exposé dans
« Houroufiyates » (Lettrines) une cinquantaine de toiles au Palais de
la Culture d’Alger au mois de juillet qu’il définit d’emblée comme un travail
très contemporain qu’il a fait en moins d’un mois, sous pression….
Redha
Khaouane. (photo Abderrahmane Djelfaoui)
Pourquoi avoir travaillé sous la pression ?
A l’aise, peut être que je m’appliquerais moins. Sous pression, il y a
des pulsions. Et comme je travaille souvent au pinceau, il y a beaucoup de
pulsions… Il y a de la gestuelle… Faire un grand nombre de toiles en un temps court,
c’est être tendu ; on s’énerve artistiquement. Je ne veux pas être frustré de ne pas splatcher quelque chose sur la toile… Alors,
je prends juste un peu de recul et dés que je réattaque la toile, il y a
toujours quelque chose de neuf, de fort…
C’est mon état d’âme. Artistiquement parlant : je suis un faux
calme. En général on dit que le métier de calligraphe ça rime avec zénitude,
avec calme… C’est vrai … Le calligraphe au fond de lui même ne peut pas autre.
Mais…
Mais qu’est ce que cela veut dire calligraphe contemporain comme tu te
présentes ?
Contemporain c’est déjà être moderne.
Et qu’est-ce que cela veut dire être moderne ?
Ca veut dire faire une calligraphie autre que le classique. Ca c’est déjà une première définition. Car le
classique partant du saint Coran obéit à des lois très strictes de l’équilibre
et des proportions ; des lois rigides,
très spirituelles et religieuses. En calligraphie classique on fait ses
ablutions avant de se mettre au travail. On s’astreint à de très longues heures
de travail ardu, physique, minutieux. La calligraphie classique c’est l’esprit
de perfection. On ne travaille pas le Coran en fumant une cigarette. La
personne qui est fait ce travail de maitrise permanent est appelé à vivre dans
une bulle. C’est plus que de déposer de la peinture sur une toile… C’est une ascèse.
C’est difficile à décrire tant c’est « fou » mais c’est
impressionnant…. La calligraphie contemporaine elle on la travaille presque de
façon inverse. Elle est plus libérale. En arabe on appelle ça « el khat el hor », un style
libre…
une oeuvre récente de Khouane
oeuvre réalisée au smakh
Comme la poésie de vers libre en arabe?
Exactement. Comme pour toutes les écoles artistiques, il ya l’école
classique et il y a l’école moderne.
Et cette inscription dans le moderne est nouvelle ou cela remonte au
temps de tes débuts ?
En fait, je suis d’une génération qui aime et qui est inspiré par la
BD. J’aime les couleurs. J’aime la caricature… J’aime la science tout comme
j’adore l’architecture… Quand je suis en
manque d’inspiration, qu’est ce que je fais ? Je vais sur internet. Et là
je vais voir, par exemple, l’art contemporain à New York…. L’art contemporain à
Changaï… Je vais en sentir l’esprit…
Une manière de chercher une inspiration ?
Exactement. De toute façon j’ai un outil de construction qui est la
lettre arabe. Je l’utilise exactement comme un outil de construction pour bâtir
mes toiles. Quand je dis une toile contemporaine, j’utilise l’inspiration de
mon temps, de mes contemporains sauf que pour moi le support c’est la
calligraphie. Pour la simple raison que mon univers est celui de la lettre
arabe. Handassa rouhiya, une
géométrie de l’âme… Et, ces derniers temps, j’essaie de perfectionner la lettre
en me rapprochant le plus de son origine classique…
Ce n’est pas une contradiction d’être contemporain tout en se
rapprochant de la lettre arabe classique ?
Je veux utiliser la lettre arabe classique et l’écrire d’une manière
(entre guillemets) correcte. Pour cela il faut remonter aux origines. Les
origines pour la calligraphie arabe c’est disons il y a quatorze siècles. Comment
cela à commencer ?... Au moment où l’on a regroupé les ayate du Coran ; à l’époque de Abou
Bakr Essedik et Othmane Bnou Afane. Il n’y avait pas de point à la base des
lettres. Elles n’étaient pas voyellées… C’est à partir de là qu’on peut suivre
l’évolution de la calligraphie classique jusqu’à atteindre la perfection avec
maintenant l’école irakienne, mais également l’école turque…
Coran du 10 ème siècle
Justement, il y a dans l’écriture calligraphique arabe plusieurs
écoles…
Oui, et même chez nous en Algérie le potentiel de calligraphes
classiques est grand. Surtout ces dernières années. Le monde bouge et l’Algérie
bouge avec. Nous sommes devenus une société plus rapide, plus speed, une société
de consommation où la calligraphie est un des aspects de la recherche ou du
retour vers l’ancestral, vers l’apaisement. Pour donner un exemple d’image je
dirais que c’est comme travailler un fromage à l’artisanale dans un monde qui
fabrique le fromage à l’usine. Ce n’est pas la même chose même si pour faire de
la calligraphie classique on n’écrit plus nécessairement aujourd’hui sur des
planchettes de bois, la louha, avec
du smakh…
Ceci dit, il y a de nos jours l’école libre dite : el khat el hor. Les calligraphes
libéraux font ce qu’ils veulent, il y a donc plus de créativité dans notre
travail contrairement aux calligraphes classiques. J’essaie de faire ce que je
veux et d’innover en termes de couleurs, de formes. J’aime les couleurs
chaudes, gaies, je suis méditerranéen. Je suis de Cherchell…
Justement quels rapports y a –t-il entre ta calligraphie et
Cherchell ?
Cherchell où j’ai grandi est une ville où il y a beaucoup d’artistes.
Abdelkrim Hamri, artiste peintre. Ahmed Ouyousfiya, allah yerhmou. Ahmed
Arbouch, mon maître avait commencé lui en faisant les enseignes de boutiques peignant au pinceau des bateaux, des barques. Dans
les années 90, lycéen, je m’asseyais à coté pendant qu’il travaillait. Je le
regardais faire.
Avec Ahmed Arbouch, Cherchell
Mon père aussi faisait de la calligraphie latine, (il avait d’ailleurs
une très belle écriture en français), et c’est comme ça que j’ai découvert les
outils de la calligraphie très jeune, dans le grenier de la maison. Des plumes métalliques ;
des feuilles de canson de très bonne qualité que je garde jusqu’à
aujourd’hui ; des encres, beaucoup d’encres… Chez mon oncle Khaled
également je faisais pas mal de dessins à l’encre de Chine ; il m’a
d’ailleurs offert mon premier rotring,
mon premier rapido qui a aujourd’hui
30 ans !… Je fais partie d’une
famille dont les origines lointaines sont andalouses. Certains descendants sont
installés à Ain El Hout, prés de Tlemcen ; d’autres à Cherchell ou à
Bougie. Chez nous on est bilingue. Aussi jeune, vers 12/13 ans, j’ai décidé de
continuer dans ce sens avec la calligraphie arabe. J’ai commencé à dessiner le
contour de la lettre ra. J’ai essayé
de comprendre cette lettre en la confrontant avec ce que je voyais faire par cheikh
Arbouch. Et depuis je ne me suis jamais arrêté…
Quels sont en dehors de l’Algérie, les calligraphes qui t’inspirent le
plus ?
Comme je suis un artiste contemporain, automatiquement je m’inspire
surtout des calligraphes contemporains, notamment de l’irakien Hassen Massoudy qui
vit dans le 6ème arrondissement de Paris et dont je possède un grand
nombre de livres. Il y a le marocain Karim Jaafar. Il y a le grand plasticien
tunisien Nja Mahdaoui qu’on ne présente plus qui a fait un travail
époustouflant et qui doit avoir dépassé les 75 ans aujourd’hui. Il y a aussi un
peu le Pop Art avec Andhy Warholl. Je suis fasciné par les couleurs… Mais il y aussi
les calligraphes classiques que je continue d’étudier et dont je
m’inspire ; tous pour parfaire mon exécution… J’ai aussi un projet de
rajouter une dimension à mes travaux de calligraphie en faisant de la sculpture.
Peut être en fer, ou en bois. Un projet qui nécessite beaucoup de temps. C’est
une question de réalisation, ce qui me freine un peu pour le moment…
Une expérience de calligraphie en 3D à
son expo au Palais de la culture
Et tu as une devise qui te sert à t’orienter et persévérer ?
Oui. Une citation que j’aime bien est celle qui dit : « youdrikou el qalbou ma la youdrikouhou el
bassar » (Le cœur peut voir ce que ne peuvent voir les yeux, qui est
comparable à celle qui énonce que : le
cœur a ses raisons que la raison ignore)…
La
calligraphie de Redha Khouane, ou la danse de l’âme
Abderrahmane Djelfaoui
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