dimanche 27 avril 2014

"Chroniques dunquerquoises" d'El Hadi Hamdikène





Si tu tiens à décrire, décris les vents 
Pierre Dhainaut
Entrées en échanges - ed. Arfuyen- 2005





Comment peut-on ?...
La question m’est venue sans la chercher ; elle m’a effleuré. Simple déclic…






Car c’est «comment ?» que de partir de Annaba (ex Bône, ex Hippone d’un certain Saint Augustin) pour aller se balader dans une ville jumelée, Dunkerque, ville du Nord-Pas-De-Calais faire une résidence  pour happer d’un regard «du Sud lointain» son évidence du jour, l’évidence de son air, ses airs, ses plages sans fin aux hautes dunes de sable ainsi que les étraves et poupes des tankers venus des quatre coins de l’univers  comme des quais rappelant les pavés ronds des trams et autres rencontres de hasard au point d’en être en fin de jour surchargé de coquillages pleins de rumeurs ; leur senteur d’iode nostalgique, sableuse et bienfaisante ..






[…] « Je m’assoie face à la mer toile mauve ridée, un porte container lutte au loin contre la houle. Derrière moi la ville, amas de maisons colorées, s’illumine peu à peu comme une fête foraine » écrit d’un aveu d’affection El Hadi Hamdikène…








Un  aveu chargé autant de la fascination d’enfance pour les belles bagnoles américaines que d’un goût certain pour de longs et mûrs voyages cinéphiles à la « Paris-Texas » d’un Wim Wenders pas si loin lui non plus de la ligne Dunkerque-Ostende… 

Voilà « comment » on en vient (mais est-ce bien certain?) à faire de la photographie. A faire ces tranquilles photographies écrites d’encre et lumière…

Ceci dit : est-ce que le «comment » aurait au final une valeur prééminente quand l’écho même de la question ne vaut plus que par la trace d’y avoir été, à Dunkerque (nom lourd-léger comme un vol de mouette),  face aux diffuses lumières de Brighton, ses palais, ses vents et  y avoir tracé un vécu, un sillage d’impressions et d’amitiés avec le sentiment à la fois vrai et un peu puérile que « tout ça » c’est aussi un notre bien méditerranéen, notre mer de tendresse et de volcans... 

Une mémoire d’instants à sauvegarder, à peaufiner, la redonner comme on donne et redonne la réplique aux amis, sans façon et avec bonne humeur, autour d’une table tout ouverte au ciel qui fait frémir les arbres…





Ces arbres dont le poète Pierre Dhainault, citoyen du Nord,  disait dans le même recueil « Entrées en échanges » :

Si nous le prononçons pour lui-même, ce nom d’ «arbre »,
nous n’aurons qu’une envie, servir à nouveau
la syllabe ardente […]

Arbre de nos yeux et de nos imaginaires poétiques aussi pluriel que peuvent l’être les cyprès, pommiers, cerisiers, bouleaux,  aubiers, oliviers, grenadiers, pins parasol, saules, caroubiers et tant de palmiers variés dont :

L’écorce aussitôt se déchire, le tronc brûle et s’élève :

Il dit l’entente, il dit l’appel qui vient du monde

Autant que de la langue […]

[…] Le souffle est aussi impérieux sous les portes

sur les caps, tu l’écouteras davantage

amener de très loin la vague immense qui déferle,

les embruns qui se brisent, et tu écouteras de même

ce qui semble un murmure entre tes lèvres,

tu y auras conscience à la fois d’être unique

et de n’appartenir qu’au monde.


Regards donc et mots vents en langue arabe et /ou langue française qui vont « lever » le temps de la photographie écorce par écorce…







De la plage à marée basse dont le bras de mer du Nord est là, sans y être, invisible, qu’on sent comme d’un souvenir d’au plus loin des siens on peut re-sentir la laine du bélier triste à la veille de la fête sainte, fête familiale, fête qui rassemble…









*







(El Hadi Hamdikène à Arles, en 1992, au siècle passé…)


*




Dunkerque le chant des lieux.

Lumière…  

Nuages pelotes de laines blanches filant dans ciel large du nord.
Rues pavées mouillées, Tour du Leughenar, ballet de mouettes rieuses  à Malo les bains  m’entourent, me fêtent puis partent dans pluie fine et courses de chars à voiles déhanchés
longeant  grève jusqu'à  Bray-Dunes la douce.

Geoffrey marin, m’attend sur Texel, bateau joli blanc bleu fendillant mollement
Eaux noires du port,  grues  surréelles, tankers, antiques entrepôts aux couleurs rouille passent…

Dunkerque polders soleil en fuite rideaux dentelés aux fenêtres.
Sourire framboise de Marie, visitons quartier « excentrique » et ses maisons polychromes,
le parc du Fort Louis ou quelques statues de grâces mutilées languissent dans 
ombres et herbes hautes.

Voici Mardick le soir  entre chien et loup, fragile, face aux hauts fourneaux fantomatiques
qui expectorent vapeurs oranges anthracites.

Errance,
Vent fort sur la digue, l’Angleterre à un jet de pierre,  doit y avoir même clarté,
J’imagine Brighton, ses palais blancs dorés dans frimas du soir,
galets sur rivage gris comme dans  photos de Bill Brandt.
                                                                                                                                                                                
Immenses les dunes oyats cormorans blockhaus cerf volants.
Le soleil de juin boxe, suivre Marie  à travers sentiers sablonneux 
jusqu’au camping du Perroquet et ses mobil homes de luxe(est-ce la Californie ?)
Nous rejoignons la Panne,  symétrie des immeubles aux  loggias de verre roses,
vélos tandems conduits par couples euphoriques slalomant dans moiteur du soir.

Mozart, je plane dans air doux du printemps, mes yeux parlent aux
Merles et donzelles aux tuniques légères bleu Matisse,
Photons caressant azalées et arbres géants où broutent des coccinelles.

La lumière vibre, halète,  devient presque audible humaine…

Ex-voto, pêcheurs d’Islande, corps bariolés dans nuit fauves du  carnaval.
Tout à l’heure reviendra la mer grosse comme une voix de stentor,
emportera dans ses bras liquides nos rêves,  ses malles de couteaux et algues brunes.

Phare du Risban fuselage blanc sentinelle imposante au loin.
Nuées palette gris- or, virant soudain au rouge vermeil éclairant ciel magique
des Flandres,  se disloquent lentement puis  tombent en lambeaux dans le large.

Je m’assoie face à la mer toile mauve ridée, un porte conteneurs lutte au loin contre la houle. Derrière moi la ville, amas de maisons colorés s’illumine peu à peu comme une fête foraine.

Mon regard fatigué mais heureux se ferme lentement comme fondu au noir dans film de Dreyer.

Je pense déjà à d’autres visages, d’autres embarcadères pour capter toujours rêves,
l’inconnu, l’envers flamboyant des choses.

                                                                                                  El Hadi Hamdikene
                                                                                Dunkerque, château Coquelle, mars 2014







  -Toutes les photos de cette « chronique » sont d’El Hadi Hamdikène.
·        - L’exposition « Chroniques dunquerquoise »  se tient du 14 mars au 2 mai 2014 à la galerie du château Coquelle à Dunkerque.
·         -Verra-t-on bientôt cette exposition coté Sud à Annaba, Alger, Oran, Constantine ?...










 












1 commentaire:

  1. et le voyage encore
    serait de revenir toujours
    là où la mer devient cette terre d'accueil
    ou d'écueils, dans le lent replis d'une vague infinie
    comme une robe de femme au long des dunes bleues
    la pluie sur la centrale, des ailes qui tournent et tournent,
    gouttes si grises, plumes blanches dans le ciel,
    le no man'sland s'arrête au bord de la mer ; puis,
    plus rien que le vide et le silence entrecoupé de longs bruissements,
    écumes contre coquillages, les bruits du port s'amenuisent,
    deux jeunes gens marchent ainsi le long des dunes
    les roches en amont d'un autre voyage, toujours partir et revenir,
    d'ici à là-bas


    lorsque se tend le ciel sur la mer en un vaste geste amoureux
    une ronde d'écumes et de goélands
    dans la clarté des parfums marins et le rire des enfants
    là où la guerre avait meurtri la ville,
    au coeur de cette cité si fière et tellement brisée,
    mais le port s'éloigne chaque fois plus de notre regard
    comment aller de là bas à ici ?
    Il faudrait croire que peut-être c'est le même sourire ou le même éclat des embruns
    quand les algues s'épuisent sur la grève,
    ces visages tendus, ces enfants et les géants du Nord, l'enlacement
    des amoureux sur le banc des rêves
    un autre songe ou un autre cri,
    la mouette s'envole à tire de vent, les vents sont contraires ou perspicaces
    qui nous approchent et nous éloignent

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