dimanche 18 septembre 2016

Alger - Reykjavik : L’art d’aimer peut-il se chanter en sourdine ?...

En cette fin d’été, rien de plus inspirant que ce recueil d’amour serein  et  frais : « Dans ta lumière » qui m’arrive d’Islande. Ses poèmes traduits au français par Lucie Albertini et l’auteur lui-même (Thor Stefanson) , accompagnés de dessins au trait de Sigudur Thorir  m’ont d’un coup fait faire un saut de dizaines d’années vers un livre lointain de poésies d’amour d’Eluard (éditions Seghers…)  accompagnées de dessins au trait si fin de je ne sais plus quelle artiste de l’époque les avait signés … Des dessins qui m’avaient fait rêver autant que les poèmes eux-mêmes tant la poésie transgresse  les frontières, mais pas seulement puisqu’elle transgresse le temps aussi, et surtout lui…



Le livre reçu et (rapidement lu) je ne répondais pas immédiatement à l’ami qui attendait avec une légitime impatience mon avis là bas aux environs du cercle polaire … Je ne pouvais pas le faire sur le champ, non que le recueil ne me plaise pas, au contraire puisqu’il avait amplifié une onde de souvenances fortes et, surtout, d’une inattendue réflexion amoureuse… (Mais, peut-on parler de « réflexion » en amour ?...)  Ce que je ne pouvais évidemment pas transmettre tel que à l’ami islandais (sinon en lui rédigeant tout un roman  y ajoutant un lexique d’explications…)  c’est qu’aux abords montagneux et plus que parfois arides de ma Méditerranée  j’avais vécu presque au même moment un sentiment d’une puissance qui laissait  le sexagénaire que je suis stupéfait quant à l’universalité de l’amour, sa foudre qui tombe sans avertir, ses sens kaléidoscopiques d’attentes et de projections quasi folles , douces sinon tendrement incongrues…
Un de mes propres poèmes du moment (premier jet de poème juste pour dire « la chose », n’est-ce pas, mais pas plus…)


« bien que ta ville haute
soit éloignée par tant de montagnes
pures
et oueds d’eau
rare 
ton souffle exhale des lèvres 
un étrange même mot
hamlakhkem 
hamlakhkem a tass a tass
extrait des herbes / sèches de l’histoire »

un rappel – mail…

« Cher ami,
Je me demandais si tu n'avais pas aimé mon recueil... Je serai heureux de voir le texte que tu écriras là-dessus à la rentrée.
Notre été en Islande est exceptionnellement ensoleillé. Nous ne demandons pas plus. Avec ma femme, Hulda, nous sommes rentrés hier après une semaine, d'abord chez mon ami et illustrateur, Sigurdur Thórir, dans le village de Hvammstangi, dans le nord du pays et ensuite dans la maison d'enfance d'un beau frère de ma femme dans l'île de Flatey dans l'ouest. Toujours sous un beau soleil, mais les températures ne dépassent pas les 20 degrés…. 
Amitiés, Thór »

« Ne médis pas du poète / Il fait ce qu’il doit »*

Le village de Hvammstangi, j’ai bien entendu cherché sur internet … 600 habitants. Situé à portée de voix du cercle polaire bleuté une partie de l’été mais que j’imagine intégralement  blanc le reste de l’année…
Serait-ce de là que l’illustrateur  Sigurdur Thórir a fait les dessins pour les poèmes de l’ami Thor ?... La tranquille nostalgie et fraicheur (comme on dit il fait frais) du dessin m’ont poussé à le croire. Le voilier, la mer aussi tout comme le sein nu accolé au cube et au cercle du songe. Son paradoxe… Le dessinateur a su exprimer au même titre que le poète par un horizon dont les verticales d’astres ramènent finalement au silence la douceur énigmatique du transport… Et ce n’est pas jeu de mots puisque le premier poème du recueil est bien plus centré sur la poésie elle-même que sur l’amour.

« La poésie est le plaisir suprême.
J’en brise l’écho. 
l faut s’y faire ».

Ce sont bien des mots que naissent les récits d’amour, leurs expressions innombrables, leurs extases, leurs questionnements à fleurets mouchetés ou presque …
Le poète Thor Stefanson ne dit-il pas:

« Si l’amertume du poète 
vient nous alourdir, 
si son génie nous mijote 
des tristesses,  de l’angoisse, 

que vaudra sa poésie
 face au soleil ?

Le poème sera ce voile de nuages 
qui bientôt sera chassé »

Et un second dessin est à extraire, à humer de très prés pour en compulser tous les sens..

« Notre victoire, / nous l’écrirons/ en rayons de soleil / sur la verticale des maisons »



Les fenêtres des bâtiments lâchent des larmes… Et les gorges amoureuses rutilent d’une chaleur dont le creuset de feu brûle sens dessus dessous la navigation couplée des vies…

« Nous sommes jeunes 
même si nous vieillissons 
Le temps ne bouge pas
Et qui peut parler d’âge
quand il s’agit de toi ? »

« Toi » : la compagne d’une longue vie, la fidèle, l’inséparable avec laquelle il éleva deux enfants… Et cela dit dans la clarté et la bonté du jour, de toutes les heures des jours…

« Et même quand la nuit tombe sur nous / Il fait encore jour »


Dans un précédent recueil…

Dans un précédent recueil, intitulé « Le carré vert du printemps » (Paris, 2013), Thor Stefanson écrivait :

« Je te veux :
Toute chaleur. 
Toute ardeur ? 
Toute chaleur

Je te veux :
Toute fraîcheur.
Toute froideur ? 
Toute fraîcheur.
Toujours la même – et toujours nouvelle. »

N’est-ce pas simple et directement sensuel venant d’un professeur de français et rédacteur en chef de dictionnaires français/islandais, qui  depuis son premier recueil publié en 1989 a à son actif une bonne vingtaine d’ouvrages de poésie dont un grand nombre de traductions ?... (Je suis tenté de mettre ici comme sur FB l’émoticone du pouce levé…).

Ceci étant on ne passera pas sous silence que Thor Stefanson a déjà réalisé en 2014 une anthologie de plus de 200 pages de la poésie contemporaine du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Lybie, d’Egypte, du Liban, de Syrie et d’Irak traduite en islandais (intitulé « l’humanité dans l’obscurité » ) avec une part belle faite à la poésie algérienne (20 poètes dont 4 poétesses cités).

« L’humanité dans l’obscurité »



Pour en revenir à « Dans ta lumière » (2016),  que dire sinon que ce petit recueil  d’une légèreté lumineuse invite au plus galant et agréable voyage. Qu’il se récite sans autre prétention que celle de l’amour de beau partage. Mon vœu ? (demanderez-vous alors)…
Mon vœu est de voir cet ouvrage vibrer ne serait-ce qu’un couple de jours aux vitrines et aux rayons des libraires d’Alger et des Hautes plaines céréalières. Lui et grand nombre d’autres ouvrages de cette Islande située en le Groenland et la Norvège ; une ile si méconnue de nos élites. Qui de nous a en effet jamais entrouvert les cellules de son cœur  aux chants d’Islande dont un de ses meilleurs proverbes dit simplement : « La terre est notre première mère à tous » ?....

Avec une part maitrisée d’illusion et d’espoir nous pouvons donc dire « A bientôt » 
à nos amis poètes d’Islande et même leur dire (l’écrire) en islandais : Sjáumst fljótlega!

Abderrahmane Djelfaoui

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