lundi 16 juillet 2018

« 1953 : Mademoiselle Grégoire, ma maîtresse d’école… »






Témoignage sur Anna Gréki par Malika Laliam, pédiatre et ancienne professeur des hôpitaux universitaires.
Draria, le 15 juillet 2018

Madame Malika Laliam, au Centre des arts ESPACO (photographie Abderrahmane Djelfaoui)




…Elle s’appelait Colette, il me semble, mais on l’appelait mademoiselle Grégoire. J’étais sa petite élève, dans les années 1953 comme ça…
…Je suis née à Annaba. J’avais cinq ans quand je suis entrée à l’école primaire, l’école du Marché aux blés… Cela parce que je vivais avec ma grand-mère et mon grand père qui lui avait un commerce juste face au marché central de légumes et de poissons, au centre ville ; ça s’appelait la rue Jean Jaurès. L’école du Marché aux blés n’était pas loin de la maison. Pour vous situer un peu les choses, mon grand père avait commencé par faire une ou deux années à l’Ecole normale d’instituteurs de la Bouzaréah à Alger. Il venait de Kabylie et c’est son oncle qui l’avait envoyé faire des études à Alger avant qu’il ne s’installe à Annaba. Par contre c’est mon père qui connaissait Grégoire, le père de Colette…

Le marché aux légumes et poissons de l’ex Bône (Annaba)


1950 : J’ai fais l’école préparatoire première et deuxième année à Oued Zenati (Oued Edh hab, actuelle wilaya de Guelma) où mon père était instituteur à l’école indigène, avec une école de garçons et moi d’un autre coté  à l’école de filles. Une époque avec deux régimes : une école pour les « petits arabes » et pour les français c’était autre chose… Comme j’étais l’ainée de la famille et que mon père était obligé de rester à Oued Zénati où il avait son poste, il m’a envoyée à Annaba chez mon grand père, lequel a surveillé mes études primaires…
Et c’est comme ça que je suis rentrée à l’école du Marché aux blés directement au Cours élémentaire première année… Et au Cours moyen première année, aux alentours de 1953, 1954, alors que notre maitresse de français était absente, on eu comme remplaçante mademoiselle Grégoire pendant environ 6 mois. Elle nous a appris la poésie. Elle était communiste…. C’est comme ça que toute petite j’ai appris des poèmes de Pablo Neruda, de la poésie russe et des petites chansons russes !


Pablo Neruda lisant son poème « Hauteurs du Macchu Picchu » à la radio en 1947

Les petites chansons russes, pour nous nous fillettes de l’école primaire, c’était Pétrouchka, et d’autres. Elle nous avait imbibée des ces chants. Il faut dire que chez les enseignants engagés, de gauche, il y avait à cette époque un petit attrait pour la chose russe, pour la Russie…
Colette était magnifique, belle, blonde avec des cheveux lâchés qui lui descendaient dans le dos jusqu’aux reins… D’ailleurs chaque fois que j’entendrais plus tard le chanteur Gilbert Bécaud chanter « Nathalie », je pensais à Mademoiselle Grégoire… 

Malika Laliam et… le tableau noir…
(photo Abderrahmane Djelfaoui)

Je n’avais que 8 ans mais ça m’a frappé et j’en ai été marquée. J’ai beaucoup aimée cette jeune femme; et moi je suis sensible au Beau, allah ghaleb. Elle s’habillait simplement, elle n’était pas sophistiquée avec du rouge à lèvres ou des chaussures à talons et tout ça ; non, du tout. Elle était discrète ; elle n’était ni tapageuse, ni tape-à-l’œil. Elle parlait très gentiment et elle nous faisait chanter, nous, les petits enfants…
C’est pour ça qu’après plus de 65 ans je ne peux pas l’appeler Anna Gréki, je l’appelle encore Mademoiselle Grégoire alors que j’ai 72 ans ! Elle me faisait penser un peu à notre style de vie à nous à la maison ; nous étions une famille d’enseignants où tout était tranquille, tout étaitt réglo… Je me souviens comme si c’était hier !.. Mademoiselle Grégoire était adorable avec les enfants. Elle devait avoir à peine 20 ans et elle ne faisait pas de différence entre les enfants indigènes et les français….


« … Avec un famélique entrain les gosses dorment
dans leurs habits fiévreux qui s’évaporeront
demain prés du poêle de la classe
aux dents de lait… »

Anna Gréki
Bône 1956
Extrait de : Algérie, capitale Alger ; 1963



.. Des lainages mouillés… J’en ai vu des misères ; j’ai vécu l’école sous le colonialisme! On avait une autre enseignante pied noir, mais alors mauvaise!..
Malgré ça je me souviens de quelques unes de mes camarades de classes dont certaines étaient mes copines… Il y avait une petite israélite ; c’était la concurrence entre elle et moi. Elle s’appelait Michelle El Kaïm. On était assise l’une à coté de l’autre. La course ! A chaque composition c’était soit elle la première et moi la deuxième, soit moi la première et elle la deuxième de la classe. C’était une excellente élève… Il y avait Liliane Dubourg. Danielle Perez n’habitait pas loin de l’école, son père était préparateur en pharmacie. Il y avait aussi Joëlle Bracal ; l’immeuble où elle habitait avec ses parents était mitoyen à celui où j’habitais avec mes grands parents ; on se parlait d’une terrasse à l’autre. Mais ses parents n’aimaient pas qu’elle vienne parler avec moi ; ils lui criaient : « Joëëëëlle Viens Ici ! »… Je me rappelle également d’une russe blanche ; elle s’appelait Michelle Kondratiev, elle était miséreuse… Il y en avait une qui était bien et dont la mère était institutrice, - je la vois très bien -, elle s’appelait Nelly Alain ; sa mère qui avait divorcé avait reprit son nom de jeune fille : Stefan. Et quand Nelly fêtait son anniversaire, j’étais invitée, j’étais de la fête. Il y avait quand même quelques pieds noirs qui étaient proches de nous… 

Et  les Algériennes, les pauvres, il n’y en avait pas beaucoup. Peu être les cinq doigts de la main… Il y avait Fadhila Hamzaoui, la pauvre ; elle était grande de taille et Dieu l’avait faite grande. Elle avait 13 ans ans alors que nous on n’avait pas 10 ans. Eh bien, ils sont renvoyés à 13 ans. On s’arrangeait pour les faire redoubler puis on les renvoyait pour passer le certificat d’études ou faire une école de formation : la cuisine, la couture… Et dans cette école, parmi les Algériennes je pense qu’il n’y a que moi qui suis allée au lycée… En 56 j’étais au lycée il me semble ; j’étais en sixième…

Mademoiselle Grégoire, Je ne l’ai connue donc que pendant six mois ; elle faisait un remplacement d’une maitresse qui était partie peut être en congé de maternité ; à moins que ce ne soit son père qui l’avait placée là en attente d’un poste. Son  père était directeur à l’école mitoyenne de garçons à Annaba. Mon père connaissait son père ; les instituteurs se connaissaient tous… Monsieur Grégoire on ne le voyait seulement que le jeudi quand ils organisaient la séance hebdomadaire de cinéma à l’école de garçons avec des films de Charlot. Le jeudi après midi les deux écoles, garçons et filles, on allait au cinéma

Charlie Chaplin : THE KID (1921)





Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui



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