vendredi 21 septembre 2018

Hauteurs et profondeurs des Aurès


Depuis la nuit des temps, l’histoire (celle du romain Salluste, du byzantin Procope ou du maghribin Ibn Khaldoun) donne l’impression de ne « parler » du riche massif des Aurès que par étincelles, par flambée de flammes pour ensuite longtemps se recouvrir d’immenses aires de neige et de silence…

L’histoire que nous conte en 2010 la chercheur algérienne Fanny Colonna avec beaucoup de délicatesse et de questions pointues (souvent sans réponse) dans « Le Meunier, les moines et le bandit » (avec pour sous titre : « Des vies quotidiennes dans l’Aurès du XX ème siècle ») est une de ces mystérieuses étincelles, si profonde de l’ADN de notre histoire et patrimoine qu’on aurait pu croire de nos jours réduits à une poudre d’os. Avec en prime dans le dernier tiers du récit,  un style « policier » qui me rappelle certains titres et personnages complexes du romancier suisse Georges Simenon…





Ouvrage réédité en Algérie par les éditions KOUKOU



Lectures…

J’avoue d’emblée ne pas connaitre grand-chose des Aurès, si ce n’est un lointain tournage à Timgad, puis le fait de quelques voyages éclairs, d’amitiés, de lectures et, surtout, de poèmes fulgurants de la poétesse Anna Gréki née à Batna en 1931 et ayant vécue sa première enfance au village de Menaa, au dessus de l’oued El Abdi… Un village montagnard qui se situe à une soixantaine de kilomètres à vol d’oiseau de la localité de Médina (aujourd’hui Ichmoul), au nord du vieux massif où se situe l’essentiel des trames de vies que Fanny Colonna décrypte pas à pas dans « Le Meunier, les moines et le bandit ». « Le bandit » étant bien entendu le légendaire Bandit d’honneur chaoui Messaoud Ben Zelmat, Le gaucher,  de la tribu des Béni Bouslimane, né vers 1894 et tué par les goumiers en 1921 …

« O mon bien aimé
Toi qui fais la loi sur l’Ahmar Khaddou
Toi qui va libre dans la lumière des étoiles
Tu fondras comme un aigle sur ton ennemi
Tu le tueras et prendras son troupeau
…..
A mon tour demain je te suivrai
Fuyons la haine
Evitons la plaine
Prenons les monts et les chaines
Pour que tes poignets ne connaissent pas
La rigueur des chaines

(Poème anonyme cité par l’auteur, page 54/55)

Rapport sur l’exécution de Ben Zelmat du 15 mars 1921…



Si Messaoud Ben Zelmat disparait avant l’âge de trente ans (qui n’est pas encore l’âge du Christ lors de sa mise en croix), son ami le plus proche et fidèle va continuer de vivre en solitaire, loin des colons et même des moines, sur les hauteurs désertiques du nord des Aurès en échappant à toutes les barbaries du siècle : celles de la seconde guerre mondiale, du 8 mai 45 et des semaines atroces qui suivirent tout comme des affres de la guerre de libération nationale 7ans et demi durant. Un mouvement de libération armé qui avait pris son essor entre Bouahmar et Medina (Ichmoul) dans les Aurès, et à propos duquel Fanny Colonna se demande si ce personnage de longue vie n’a pas rencontré Mostefa Ben Boulaid, n’a pas échangé avec lui en tête à tête dans les silences de la petite plaine de Médina où la température d’hiver peut descendre à -14°…  Cet homme (il a alors prés de 75 ans) c’est évidemment « le Meunier » du récit ; - sachant que Ben Boulaid avait aussi exercé le métier de meunier, nodal dans la société agraire comme le précise la chercheur…


Jean-Baptiste Capeletti né en Algérie de parents italiens….


Dans une interview accordée au journal « Le Soir d’Algérie » daté du 20 novembre 2010, à l’occasion de la sortie de son livre, Fanny Colonna précisant le rôle de clandestin durant la guerre de libération ajoute à propos de ce personnage qu’il: « s’appelait en fait Jean-Baptiste Capeletti, né de parents italiens primo-migrants, le père piémontais et la mère sicilienne. Cest donc un Européen né et mort dans lAurès, entre 1875 et 1978. Il eut une très longue vie, plus de cent ans, et le souvenir quil a laissé dans le nord du massif est à la mesure de cette longue vie mais aussi de lenvergue du personnage.... » [Savoir en passant que le Piémont italien d’où le père de Baptiste est originaire est une région qui a toujours été convoitée par la France et deux fois envahie par Napoléon Bonaparte….]


La grotte préhistorique…


Avant de bâtir son moulin sur un torrent de la montagne, Baptiste Capeletti vendait (vers 1900…) du guano qu’il convoyait seul par mulet jusqu’à Batna pour l’envoyer par train aux cultivateurs des palmeraies de Biskra. Si le guano, utilisé comme engrais, n’est que la déjection des chauves souris, où Baptiste trouvait-il cette matière ? Au lieu dit Khangat Sidi Mohamed Tahar à plus de 1500 mètres d’altitude !...
 Fanny Colonna écrit page 23: « Le guano durement obtenu et intelligemment vendu lui permet de dégager la mise de fonds nécessaire à la construction d’un moulin à turbine qu’il va bâtir de ses propres mains, sur la rive droite du torrent qui jouxte la grotte, le Berbaga, aidé par un montagnard du coin avec lequel il gardera une longue et fidèle relation… »  L’espace intérieur de la grotte libéré, il s’y installe avec sa seconde femme chaouiya Hmama, des Ouled Abdi. Baptiste qui écrit quelques poèmes en français, parle couramment l’arabe et comprend bien le chaouia…





Cette grotte, il va en parler des décennies plus tard à Germaine Tillon (qui ne s’en souviendra pas), à Thérèse Rivière (qui, enthousiaste, écrit une lettre au Musée de l’homme de Paris recommandant de donner les Palmes académiques à Monsieur Capeletti), puis à un jeune géologue qui entre 1932-36 devait dresser la première carte géologique de l’Aurès au 200 000 ème, Robert Lafitte. 





Baptiste leur confie qu’il a trouvé des silex, des haches en pierre polie, des tessons de poteries et d’autres objets préhistoriques tels des plumes d’autruche dans la grotte… L’information fait qu’on finit par décider au Musée de l’homme de Paris l’exploration de la grotte et du même coup de faire de l’Aurès le point de chute d’une mission ethnographique…

Depuis 1969, cette grotte porte le nom de grotte Capeletti (du nom de celui qui l’a découverte, « inventée ») ; une grotte considérée comme l’une des premières cavités naturelles utilisée par les hommes et femmes préhistoriques en Afrique du Nord entre 7000 et 3000 ans avant notre ère dont les transhumances à pied les menaient jusqu’à Khanguet El Hadjar dans la région de Guelma à plus de 150 kms de là à vol d’oiseau

Un site dont la préhistorienne Colette Roubet, qui a également travaillé au CRAPE d’Alger fin des années 60, va faire sa thèse de Doctorat en trois volumes, sous la direction de Lionel Balout, en 1976 sous le titre : « Le néolithique de tradition capsienne en Algérie orientale : la grotte Capéletti au Khanguet Si Mohamed Tahar (Aurès) ».

C’est Saad Daghmani, le fils du montagnard qui aida Baptiste à construire son moulin qui dirigera, soixante dix ans plus tard, le chantier des fouilles archéologiques finales du site…

Reste la ferme missionnaire des moines de la congrégation des pères blancs…

Toute une histoire, tout un destin complexe pour lequel il faudrait raisonnablement un autre écrit, un autre récit qui nous mènerait, comme il avait d’ailleurs mené Fanny Colonna pour son livre, des Aurès jusqu’à la Via Aurélia à Rome où se trouvent les riches archives des Pères blancs, leurs journaux quotidiens, leurs lettres et photographies à Médina (Ichmoul) où résidait Baptiste…


« Conversation amicale entre « le lion des Aurès » et le Père Roger Luyten de Batna, saisie par madame Roubet, archéologue, qui prépare une thèse sur la grotte Capeletti. Les objets découverts par Jean-Baptiste dans cette grotte sont au Musée de l’Homme à Paris »

Photo et texte extraits de L’Echo du diocèse de Constantine et d’Hippone, intitulé « Le lion des Aurès », du 15 novembre 1975…



Mystère aurassien en guise de final


C’est une pierre de la rivière et ce n’est pas une pierre.
Elle a quatre pattes et ce n’est pas une brebis.
Elle pond des œufs et ce n’est pas une poule.

La tortue…

Un des « Mystères » de la tradition littéraire orale chaoui répertorié par un des pères de la mission catholique de Médina…


Abderrahmane Djelfaoui

(Les photos sont extraites du livre de Fanny Colonna)

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