lundi 20 mai 2019

Du petit « hirak » d'il y a 25 ans au Hirak d’aujourd’hui. Comment est-ce que je revois le peintre Mohammed Khadda?…








(Dessin de Khadda)




Mes souvenirs ne me semblent pas nombreux pour un homme que j’ai côtoyé et avec qui j’ai souvent longuement discuté….
[…] Pour moi, ce sont comme des images d’une époque qu’on croirait extraites d’un film documentaire en noir et blanc réchappé des mouroirs de la censure …
[…] C’est que (sans jamais le dire) il venait d’un (autre) monde où, de parole tue, il fallait d’abord faire, bien faire et montrer qu’on savait faire et surtout mieux faire encore… Enfant de la pauvreté extrême, il fut ado ouvrier typographe dans une petite imprimerie artisanale du quartier indigène de sa ville natale, Mostaganem, puis (miracle) étudiant en arts et artiste peintre (prétendant à la modernité) en exil dans la ville lumière, Paris, au moment de la guerre de libération où son peuple bandait ce qui lui restait de forces pour vaincre l’innommable. Ce qui marque pour toujours, quoi qu’on dise…


[…] Plus proche et sans logique apparente par rapport à d’autres éclats (par exemple Mohamed à l’atelier d’imprimerie, centre ville, avec deux typographes fondant devant moi les lettres de plomb d’un texte à passer sous presse….),  fuse un souvenir d’une des premières manifestations publiques de rue à Alger pour soutenir le combat du peuple palestinien lancée conjointement avec Mohamed tout en étant soutenue de façon « clandestine » par un très grand nombre de camarades réunis autour du syndicat de la Radio et de la Télévision Algérienne (RTA). Enorme entreprise.
La marche massive, avait démarré du boulevard des martyrs-hôtel Saint Georges et descendait vers le centre ville où se trouvait l’ambassade de la Palestine. Je me souviens des échanges éclairs qui ont devancés cette manifestation, avec Mohamed et Hachemi Cherif. Mohamed en était à cent pour cent, bien sûr, mais beaucoup de questions fusaient de sa bouche, de ses yeux noirs, de ses paumes de mains à demi levées. Il se demandait avec crainte s’il fallait vraiment croire à ce qu’on puisse faire ça. La chose avait elle été  bien mûrie, était-elle mûre ?… 





Je ne comprenais pas bien ses hésitations, verbales. Mes arguments de jeune militant étaient respectueux et sans appel… Mais peut-on aujourd’hui comprendre cette atmosphère d’époque, cette peur (presque panique) d’avoir bientôt la SM sur le dos ? Celle-là qu’on appelait par euphémisme entre nous : Sport et Musique
Et puis, côte à côte, d’une foulée fière de manifestants nous marchions tandis que les gens sur les trottoirs soudain arrêtés, surpris, un peu éberlués nous étaient bientôt acquis d’un franc regard, d’un geste, d’un mot… Mohamed regardait partout avec vivacité, et, les craintes envolées,  son visage devenait alors (je le vois encore) rayonnant, clair et classiquement parfait sous les morceaux de chants, les vivats et les mots d’ordre en arabe et en français qui montaient comme des ballons colorés dans le ciel au-dessus de Mustapha supérieur. Il était heureux d’occuper la chaussée avec tous les autres camarades connus ou dont les visages se découvraient peut être pour la première fois pour lui. Heureux, j’insiste…


Un autre souvenir flash qui me revient aussi dans le désordre (de quelques autres, si courts, infimes? que je ne sais réellement comment en rassembler les éclats), un souvenir qui m’apparaît comme « suspendu », hors de tout repère chronologique, est celui du Centre familial de Ben Aknoun dont Ahmed Akkache était alors le directeur. Bien des rencontres culturelles importantes étaient organisées là ; autour du cinéma et des cinés clubs pour ce qui me concerne. L’une d’elles justement, organisée conjointement avec le Krimo Baba Aissa qu’on verra apparaître en tant que Dahmane Bouftika dans « Omar gatlato » de Merzak Allouache (1975-76) concernait un séminaire de formation des animateurs de cinés clubs à l’échelle nationale.… 

Un film de Merzak Allouache réalisé en 1976  et qui reçu, entre autres distinctions,
la Médaille d’Argent au Festival du film de Moscou en 1978


Nous avions convaincu Mohamed, alors non seulement peintre de renom mais également grand affichiste, à venir tenir un atelier de réalisation d’affiches d’information pour les jeunes et très actifs animateurs. 






Nous avions pour la circonstance acheté un matériel appréciable de grandes feuilles de papier Canson, de crayons de couleurs, de feutres, de gommes, de tailles crayons, de règles, etc. Et pour commencer les travaux, Mohamed de nous donner « sans rien dire », une leçon inoubliable. Il prit une grande feuille de Canson, la plia soigneusement en deux et la coupa sans utiliser de ciseaux ; il en prit une seule part, rangeant l’autre, et se mit de façon aisée et précise à tracer le titre du film, le nom du réalisateur, la date de projection, le lieu et d’autres infos à main levée. Avec des caractères de différentes grosseurs ; des alignements comme tirés au cordeau ; une incroyable unité de ton ; de dextérité et de clarté. Nous étions tous autour de lui épatés. La leçon portait ses fruits en direct, in live, comme on dirait aujourd’hui.
Pas tous les fruits d’un coup, puisque un bon moment après, voulant donner un autre type d’exemple à réaliser, il se contenta, non de prendre une nouvelle feuille, mais de simplement retourner la demie feuille qu’il avait déjà utilisée… Je ne sais plus si c’est Krimo ou moi qui lui fit un signe clair vers le paquet de feuilles vierges en attente… Il continua sans rien dire, sûr de lui, de plus en plus à l’aise avec les jeunes qui l’affectionnaient déjà ; comme pour nous dire : « foutez moi la paix, vous deux »… Une leçon de simplicité. La leçon d’un homme humble et qui fait corps avec la sobriété rayonnante et maîtrisée de son savoir-faire.


Abderrahmane Djelfaoui
(Extrait de l’ouvrage collectif :
« Actuelles partitions pour tous jours. A la mémoire de Mohamed Khadda »
Publié sous la direction de Naget Khadda. Alger ; 2016)








1 commentaire:

  1. l'Algérie , mère fêtant de valeureux enfants, d'hommes libres et de combattants dans tous les domaines .

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