Cyclistes algériens à La Havane :
Cuba Si !
L’équipe algérienne dans le
stade de La Havane. Photo : Prensa Latina
Comme toute histoire de légende, l’histoire de nos cyclistes professionnels à Cuba est une belle histoire….
Beauté de l’invitation et beauté du voyage
transatlantique ; parce que, comme me le raconte Ahmed Djelil, capitaine
de cette équipe, l’aventure est à plusieurs étapes. D’abord d’Alger à La havane
c’est d’abord Alger-Madrid par Air Algérie, puis le lendemain avec la Compagnie
d’aviation cubaine la traversée de l’Atlantique Nord (en avion à hélices en
1969) jusqu’à Gander en Terre Neuve (en dessous du Groenland), puis le survol des
Bermudes face à la Côte Est des USA avant de déboucher enfin après des heures
de vol sur les Bahamas et atterrir dans la capitale et ville portuaire de Cuba :
La Havane…
Un périple
de plus de 10 000 kilomètres ! Et cela juste 7 ans après
l’Indépendance de l’Algérie…
Feuilleton
n° 1 : Algérie années 70 !
Savoir que le
Tour cycliste de Cuba est inscrit au Calendrier international des Tours
cyclistes et donc plusieurs nations y concourent. L’équipe nationale de l’Algérie,
pays ami de Cuba, était officiellement invitée et attendue par la Fédération
cubaine du cyclisme. Elle était la seule d’Afrique à participer à ce Tour de
qualité en 1969. D’ailleurs quand
l’équipe atterrira à l’aéroport de La Havane elle sera reçue à la descente même
de l’avion non seulement par des officiels mais aussi par une population
enthousiaste !...
Pour broder sur
cette petite histoire d’amitié (qui est en fait une grande histoire), l’agence
de presse cubaine Prensa Latina qui faisait en 1965 le classement de centaines
de sportifs professionnels du continent africain toutes disciplines confondues avait
classé Ahmed Djelil (cyclisme) à la 5 -ème place et Hacène Lalmas (football) à
la 7 -ème…
Feuilleton
n° 2 : Panique au-dessus de l’Atlantique Nord !
Ahmed Djelil,
me dit : je vais te raconter cette histoire incroyable…
« A
l’époque c’était des avions à hélices qui faisaient de longs trajets. Le vol
était archicomble et les membres de notre équipe étions depuis plus d’une heure
en train de jouer à la belotte à l’arrière de l’avion. Comme j’étais à côté du
hublot j’ai vu l’hélice ne tournait pas : elle était à l’arrêt… Je l’ai
dit à mes compagnons, jeunes et inconscients. Tout le monde s’est mis à
regarder et ça a été le chaos dans l’avion qui faisait demi-tour pour
revenir sur Madrid ! Mais comme les réservoirs étaient pleins de kérosène,
il a dû éjecter pendant plus de deux heures son kérosène pour permettre à l’appareil
de revenir en toute sécurité. Le danger c’était qu’en vidant ainsi ses
réservoirs, si jamais il y avait une étincelle tout pouvait exploser. Si nous
algériens étions inconscients, le reste des passagers étaient affolés. Je me
rappelle de la femme de l’ambassadeur de Cuba à Madrid, qui ne fut calmée que
par un membre de notre équipe, Kaddour Mahieddine, de Blida, allah yerhmou, qui
alla chercher une couverture pour l’envelopper ce qui la calma… En fait
l’équipe d’Algérie, inconsciente mais très calme, a pris possession de l’avion
pour calmer les passagers apeurés. Nous avons atterri sains et saufs à Madrid.
« Mais
pour remplacer la pièce défectueuse de l’avion il fallait qu’il l’importe de ne
je ne sais quel pays, ce qui a fait que nous sommes restés en attente une
semaine à Madrid ! Sans pouvoir ni nous entrainer ni savoir que faire de
notre temps. Le Tour à Cuba devait commencer, et avait commencé sans nous !.. »
Contre son
retard, l’Algérie bénéficie d’un nouveau départ du Tour.
Voilà comment
Wikipédia résume à sa manière à l’arrivée des Algériens à Cuba.
« … La
commission technique du Tour de Cuba décida de couper la compétition en deux
Parties. Les cinq premières étapes donnèrent lieu à un classement autonome,
appelé le Tour d'Oriente. Le vainqueur en était [le cubain] Sergio
« Pipian » Martinez. Le Tour prit un second départ (…) le 11
février 1969 à Holguin avec l'accord des coureurs cubains et
mexicains, "en solidarité avec le peuple frère algérien". Deux
coureurs algériens se mirent en évidence, dont Kaddour Mahieddine, vainqueur
d'une étape et Madjid Hamza 2e de cette même étape »
« Pépian », un héros populaire.
Et voilà comment Ahmed Djelil résume
« Pépian ».
« C’était un coureur extraordinaire. Il était
bon sur tous les plans. Il était rapide. C’est lui qui a gagné l’étape la plus
difficile, celle de la Sierra Maestra devant Mahieddine. Il connaissait le
terrain, il avait aussi le matériel qu’il fallait. Il faut dire qu’il était
aussi populaire que le Président de Cuba ». Fidel Castro…
« Non seulement nous étions bien reçus,
insiste Ahmed Djelil, notamment par la population, mais nous étions reçus nous
Algériens avec considération. C’était extraordinaire ».
Sur la photo de l’Agence de Presse Cubaine Prensa
Latina, ’équipe algérienne composée de Sayah Ali, Mahiedine Kadour, Hamza
Madjid, Chibane Belkacem avec au centre son capitaine d’équipe Ahmed Djelil
(entouré d’un cercle gris), discute avec le ministre de la jeunesse et des
sports de Cuba, à gauche le poing levé.
Feuilleton
n°3 : « le Mur » de la Sierra Maestra…
L’équipe algérienne au
départ. Dos à dos Djelil (en casquette blanche)
et Mahiedinne (en casque,
de profil)
« Il
faut d’abord dire que c’était le début de saison pour nous. Une saison cycliste
qui commence normalement au mois de février pour se terminer au mois d’août.
Donc pour nous le Tour de Cuba était prématuré, il s’est fait avant que nous
ayons commencé nos entrainements. Nous étions partis pour Cuba parce que c’est
un pays ami. Nous n’étions pas prêts ; nous n’étions pas dans l’état de
forme qui se prépare à partir de mai-juin.
« Deuxièmement
nous sommes partis sans connaitre les réalités de la topographie de Cuba, avec
un matériel qui n’était pas adéquat pour leur terrain de montagne ;
surtout pour les vitesses des vélos ; nous étions partis avec des braquets
pour rouler sur le plat ou légèrement en côte. Le braquet est ce qui
permet la transmission de la chaine du pédalier avant vers les roues dentées du
pignon arrière. Nous n’avions pas les vitesses qu’il fallait pour monter les
pentes raides de la Sierra Maestra. Nous avons été pénalisés par ça. »
[On pourrait
traduire Sierra Maestra par : La Maitresse de la chaine de montagnes]
Vue d’une partie de la
Sierra Maestra et sa végétation foisonnante (un des monts culmine
à plus de 1900 mètres
d’altitude).
Photo : Oôinn
A 56 ans de
distance Ahmed Djelil se souvient encore avec émotion et soupir de cette
épreuve !
« Dans
les 10 derniers kilomètres de l’étape de la Sierra Maestra, nous avons vu un
mur se dresser devant nous… Les jeeps que les équipes techniques utilisaient
pour ravitailler, pour dépanner ou donner des conseils, ces jeeps là
n’arrivaient pas à monter en première !
« Par
exemple chez nous, pour monter à Chréa il fallait un braquet de vitesse de 21.
Mais là-bas un 21 ne suffisait pas ; pour monter leur montagne il fallait
un 32 ! Nous n’avions pas ce braquet ; nous avons été pris de court,
parce que nous ne savions pas… Moi-même à certains endroits j’ai dû mettre pied
à terre, alors que j’étais le meilleur grimpeur de l’équipe… Ensuite pour
remonter sur le vélo ce n’est pas une mince affaire ! C’était très
dur !
« N’empêche
qu’un des nôtre, Mahiedine Kadour, a fini deuxième de l’étape. Il était tout à
fait derrière le peloton ; j’ai été le chercher et je l’ai enguelé en lui
disant que la course se fait devant pas derrière !. Dans ce type de course
de haut niveau il y a la tête et les jambes ! Il n’y a pas que la force. Je
pense que l’entraineur en me désignant capitaine d’équiper savait ce qu’il
faisait. Mahiedine est passé devant. Nous étions une équipe combative. Nos
coureurs ont fait en sorte de bloquer le peloton et Mahiedine a fini par
arriver deuxième, allah yerhmou… »
Après cette
épreuve, l’équipe algérienne bénéficie d’une journée de repos dans un village
touristique fait de huttes dans la Sierra Maestra.
Chibane Belkacem en blanc,
Hamza Madjid au milieu et Ahmed Djelil en survet noir.
Mahiedine
acclamé par la population !
« Par la suite notre comportement a été extra.
Nous avons participé d’une façon permanente à la combativité de toutes les
étapes qui ont suivies. En tant que capitaine d’équipe, mon rôle était de
surveiller, de ramener dans ou devant le peloton celui qui restait
derrière ; d’encourager et d’essayer d’attaquer…
« C’est comme ça que Mahiedine a ensuite gagné
une belle étape sur le plat. Il était encore à l’arrière ce qui m’a mis en
colère. Je lui ai crié dessus en lui disant : ce n’est pas ta place
ici ! Allez, attaque ! Il est parti comme une flèche. La centaine de coureurs
du peloton ne le connaissaient pas. Ils l’ont laissé partir devant pensant
qu’ils le rattraperaient et le boufferaient facilement par la suite. Mais
Mahiedine roule ; il roule prenant 100 mètres, puis de200 mètres et EBQA 3LA KHIR ! Au revoir !
Je me suis mis moi-même avec Hamza Madjid et Chibane
Belkacem devant le peloton pour couvrir Mahiedine et lui permettre de maintenir
son avance. L’extraordinaire c’est qu’après la remise des prix à la fin de
cette étape, comme il était premier, on lui a aussi remis une corbeille de
légumes avec des choux fleurs et tout ça. Cuba était un pays pauvre… Lui,
entouré de monde qui l’acclamait, tout gai, a distribué sa corbeille à la
population. Ils étaient heureux… C’était à l’intérieur du pays… »
Mahiedine Kadour à Cuba,
alors qu’il avait 25 ans
Au final du Tour complet de Cuba de ce mois de
février 1969, le capitaine d’équipe, Ahmed Djelil, est appelé à recevoir un
trophée pour l’ensemble l’équipe algérienne.
Ahmed Djelil à côté de son
interprète tenant le trophée. Photo : Prensa Latina.
Les Algériens visitent une usine de canne à sucre.
Photos : Prensa Latina
Un des
meilleurs souvenirs de Djelil…
Sur la plage de
Varadéro, une des plus belles plages de Cuba. Cette plage populaire avec ses
hôtels et ses complexes touristiques, s’étend sur plus de 20 kms de sable blanc
et une eau de mer d'un bleu turquoise … Ahmed se fait photographier (février
1969) avec des noix de coco.
La plage de Varadéro , aujourd’hui
au 21 -ème siècle.
Abderrahmane
Djelfaoui
Sébala
(Draria) - Douéra
16 et 17
avril 2025