dimanche 23 mars 2025

Alger-Paris-Le Caire dans l’Atelier du Calligraphe Abdelkader Boumala.

 


Alger-Paris-Le Caire dans l’Atelier du Calligraphe

Abdelkader Boumala.

 

-----------------(1ere partie) ----------------




Quand on entre pour la première fois, on se dit que cet atelier ne semble pas fait pour recevoir plus de trois personnes à la fois…

A droite de l’entrée, c’est un mur entier qui fait bibliothèque jusqu’au plafond. Des centaines de livres d’art, livres rares, encyclopédie, revues et catalogues y sont minutieusement rangés. Impeccablement ordonnés.

Face à ce mur, l’artiste expose aussi jusqu’au plus haut sa collection de calligraphies encadrées ; la plupart sont signées par d’autres artistes ; seules deux ou trois sont siennes… 


Calligraphier Jibran Khalil Jibran.

A peine installés, je lui pose immédiatement la question de comment il a élaboré la belle calligraphie d’un extrait du célèbre « Jardin du Prophète » du poète et artiste visuel libanais…

« Comme toujours je ne choisis qu’un texte que je sens et qui me touche, sinon je ne le fais pas. C’est pour ça que je ne prends pas de commande, pour qu’on ne m’impose pas un texte qui ne me dit rien… » 

« Le jardin du Prophète » (détail). – 50 cm x 60 cm - 1988

 

Une calligraphie qui donne à la fois l’impression

d’une architecture marbrée et d’une partition musicale

(Photographie : Abderrahmane Djelfaoui)

 

« Cet extrait de « Hâdiqet en-nabbi » de Jibran Khalil Jibran, je le découvrais pour la première fois, vers 1976, peint sur le mur d’un restaurant en France. Il m’a plu… J’ai demandé à un ami de m’acheter le livre et il m’est resté longtemps en tête avant que je le réalise. Ce texte écrit dans les années 30 je le trouve toujours d’actualité en 2025 ! En plus de la profondeur du texte c’est le mot très fort de Wayloun, Wayloun, Wayloun qui revient que j’ai rehaussé en or dans le style koufi ; le reste du texte en différentes couleurs en naskhi… ».

 

Un exemple d’esquisse sur le thème de la beauté…

 

« Je fais beaucoup plus de calligraphie moderne que de miniature, et l’inspiration vient quand ça vient ! Le message que je veux transmettre est généralement tiré du Livre Saint ou des dires de Ali Ben Abi Taleb que j’adore…Un texte court… Après avoir trouvé le texte qui me convainc, reste la manière de le travailler ; et là commence la recherche, les esquisses…Des étapes où j’essaie de mettre ce que j’ai dans la tête sur du papier par le biais de plusieurs essais de lignes, de styles… Qu’est-ce qu’il est possible de transmettre par la forme, la graphie ?... Y a-t-il ou pas une harmonie ? … Et quand je sens que ça va donner, je commence à travailler au propre ; tout au long de ce travail le temps n’existe alors plus pour moi !.. Voilà l’exemple d’un travail sur un verset coranique : Badi3ou essamaouâti oua el ardi qui traine depuis plus de deux ans et dont la finition n’aboutit pas encore… Badi3, c’est le Beau, plus que le Beau… »



Sur l’enluminure du fond, l’artiste appose plusieurs essais de calques au crayon…

Sachant la fine connaissance de Boumala des travaux calligraphiques de Omar et Mohamed Racim ainsi que de leur oncle et de leur père Ali et Mohamed, je lui demande ce qu’il sait de leurs rapports à l’Écrit.

« Ce sont pour la plupart des textes coraniques qui ont un rapport avec la Beauté, sinon les thèmes de la Victoire, avec un côté nationaliste… L’avantage des frères Racim (le père et l’oncle) est qu’ils avaient deux ateliers dans la Casbah au 19 -ème siècle. Ces ateliers étaient visités par des gens de haut niveau, des hommes de lettres de l’époque, par le Gouverneur général de 1890 et sa femme, par Mohamed Abdou en 1903 en présence de Omar Racim qui n’avait que 19 ans… Dans le même sens, Omar Racim aura par la suite des relations importantes avec Tewfik El Madani, avec le poète Mohamed Laid Khalifa, avec la musique et les musiciens algériens, des écrivains européens, des personnalités du monde de la presse et de la culture au Caire… »

 

Mon interlocuteur en profite pour rappeler que Omar Racim fut l’auteur de nombreuses plaques de rues émaillées, pour la plupart de la Casbah qui ont malheureusement disparues avant la fin de la guerre de libération nationale et dont il ne nous reste que des photos… 

Une parmi les nombreuses plaques de rues réalisées par Omar Racim (1884-1959) 


Flash-back sur les études d’art de Boumala à Alger puis au Caire.

Après deux ans d’études à l’Ecole des beaux-arts d’Alger (1972-74), Abdelkader Boumala avait obtenu à l’âge de 22 ans une bourse pour se spécialiser dans l’écriture et la dorure à l’Ecole de perfectionnement en Calligraphie Arabe du Caire. Il y arrive après la guerre du Kippour contre Israël menée par Sadate et El Assad… La situation sociale est très difficile. Le Caire à lui seul compte déjà (il y a 50 ans) 6 millions d’habitants !.. Pourtant Boumala, studieux, va demeurer là pendant quatre ans.  

 

« Il faut dire que si chez nous chacun vit et travaille dans son petit coin, en Egypte ce n’est pas la même chose parce qu’ils ont des cercles où les gens se rencontrent en tant que musiciens, plasticiens, calligraphes, poètes et mêmes les étudiants ont leurs nawadi! Dans ce cadre en tant qu’étudiants nous voulions connaitre les calligraphes, connaitre aussi l’histoire des anciens calligraphes et comment ils travaillaient. De plus en visitant les souks populaires on trouvait des calligraphies imprimées ou leurs reproductions en noir et blanc en vente, souvent pas cher d’ailleurs… »

 

C’est dans cette ville légendaire du Caire que le jeune Abdelkader mûri la pratique et la réflexion de son art particulièrement au contact quotidien de deux de ses professeurs. L’un qui enseignait l’enluminure était attaché à la réalisation d’objets au palais royal. Le second, le plus important était Sayed Ibrahim, célèbre calligraphe et poète…



Des rayons de sa bibliothèque Abdelkader retire deux gros ouvrages d’art bien reliés. Une biographie et l’autre qui contient l’ensemble des œuvres calligraphiques du maître ; beaux livres que Sayed Ibrahim lui a dédicacés…






J’apprends que né en 1897 au Caire, Sayed Ibrahim enseigne à l’Ecole de perfectionnement en calligraphie du Caire depuis 1938 puis à l’Université américaine du Caire de 1970 à 1977. En 1946 il participe à la création au Caire de la revue d’avant-garde littéraire Appolo …

Pour ce qui concerne l’Algérie : l’historien Abou El Kassem Saadallah fut l’élève de Sayed Ibrahim au Caire en 1957 ; ce sera ensuite le tour de Mohamed Chérifi (aujourd’hui célèbre doyen des calligraphes algériens, né en 1935) qui obtiendra le premier Prix de la Calligraphie arabe en 1962 sous la direction de Sayed Ibrahim…

 

Il faut aussi savoir que l’institut international pour l’histoire des arts et du patrimoine d’Istamboul (IRCICA) a honoré la compétition internationale de calligraphie de l’an 2000 du nom : « Sayed Ibrahim Compétition » … Le destin a voulu que Abdelkader Boumala est rejoint à la même Ecole du Caire en 1976 par le calligraphe Mohamed Bouthlidja, natif de Souk Ahras, qui venait de passer une année à l’Ecole supérieure des beaux-arts de Paris… 

 

« Sayed Ibrahim était un grand monsieur qui avait son propre atelier et un niveau de vie appréciable. Nous nous rencontrions en dehors des cours et il m’invitait chez lui en famille en tant qu’étudiant… »



On voit sur cette photo des années 70, le maître chez lui près de l’une de ses calligraphies encadrée, entouré de Abdelkader Boumala agenouillé au premier plan (en veston à col rouge) à côté de son fils Khaled Sid Ibrahim et derrière lui Salah Bibriss qui venait de terminer ses études de calligraphie…

Retour d’Orient…




« Sorti major de promotion de l’Ecole du Caire, je suis revenu en Algérie, fin des années 70, avec tout ce que j’avais découvert et appris de longues années durant sur les calligraphies dans la vieille université d’El Azhar, dans les mosquées de Sidna Hussein, d’Ibn Touloun, d’Ibn El ‘As et d’autres, dans les palais, les coupoles, celles gravées sur le marbre et même celles de l’Egypte antique.. Mon souhait alors était de travailler avec le bureau d’études de la Sonatrach qui a réalisé la grande mosquée de Constantine. Ce souhait fabuleux ne s’est pas réalisé… C’était d’autant plus décevant que ce type de travaux dans nos mosquées n’existait pas à l’époque ; sauf dans quelques zaouias…»

 

Modernité de la recherche à la charnière des années 70-80.

 

« A l’époque j’étais impressionné par le travail du peintre Vasarely. A la réflexion je me suis dit : pourquoi ne pas travailler mieux que lui mon texte alors que son travail ne se fait que sur la forme… C’est ainsi que j’ai travaillé trois versions du même texte sous trois formes de lignes, de dégradés de couleur froide ou chaude jusqu’au noir et blanc intégral ou le texte n’est plus lisible … C’est un travail que j’ai mené d’une seule traite durant les 48 heures qui ont suivies le décès du Président Houari Boumediene… »


« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.

De haut en bas et de droite à gauche le texte est ici entièrement lisible.


« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.

Difficulté de lecture ; moins de 50 % du texte est décryptable…




« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.

Mis à part quelques lettres, le texte est illisible.

 

*

 

 

Sur l’approfondissement de cette recherche en calligraphie algérienne moderne, nous reviendront dans la seconde partie de ce récit avec son croisement avec différentes autres fonctions occupées successivement par l’artiste jusqu’à son aboutissement dans les actuelles années du 21 eme siècle.

 

 

 

 

 

Abderrahmane Djelfaoui

Bois des Arcades (Riadh El Feth) – Douéra

Février – Mars 2025

 



samedi 15 mars 2025

Ahmed Djellil, star du cyclisme, raconte son enfance dans la guerre…

 

Ahmed Djellil, star du cyclisme,

raconte son enfance dans la guerre…



La dernière neige vue de Makouda…

 

Je suis né en 1944, et c’est là à Makouda que j’ai commencé à prendre conscience de la vie avant d’aller à l’école…. Nos parents habitaient la plaine, mais le centre de Makouda c’est la montagne ; enfant je faisais donc cinq kilomètres à pied pour aller de la maison du grand père où je suis né en bas du village, jusqu’à l’école située sur les hauteurs...

 

Ce n’est que bien après que mon père a construit une maison en haut de Makouda… Avant ce ramadan j’étais là-bas avec ma femme pour lui montrer le chemin quotidien que je faisais qu’il neige ou pas ; et lui montrer aussi le cimetière où sont enterrés mes parents… Notre habillement d’enfant était réduit ; nous n’avions pas de chaussettes mais juste un bout de galette dans la guelmouna du burnous pour la journée… Il n’y avait pas de cantine et parfois il faisait moins 5°… Sur un des chemins de traverse il y avait un endroit où j’enlevais de la craie pour écrire sur l’ardoise. C’était fabuleux : je n’avais que six, sept ans ! Nous montions en groupe de cinq ou six cousins pour passer la journée à l’école. Souvent le soir chacun redescendait seul sans lumière, en traversant le cimetière… 



Makouda de haut en bas, années 50…

 

L’école c’était le savoir et j’y allais avec plaisir. J’étais un bon élève. En plus comme mon père était commerçant en haut de Makouda, c’est moi qui tenais le magasin d’alimentation générale en sortant de l’école. Il allait chercher la marchandise en voiture, et moi j’avais 8 ans. On vendait de tout y compris de la paille, donc calcul mental, prix, poids et tout ! Et le soir, quand la nuit était déjà tombée, je redescendais seul à travers les oliviers et la foret jusqu’à la maison familiale…

 

Un jour sortant de l’école, et comme je courrais très fort j’ai eu un point de côté. J’avais tellement mal je me suis étendu sur un tas de paille séchée qui était sur le bord du chemin, sur le dos…

 

Et là j’entends quelque chose derrière moi… J’ai fermé les yeux… C’était un serpent ! je suis resté immobile. Peur ?  Je ne savais pas ce que c’était la peur…

 

Quand j’y pense maintenant je me dis c’est incroyable ! J’étais petit… J’ai ouvert les yeux et je l’ai vu partir. C’était avant la guerre vers 1952-53. J’ai raconté ça à mes enfants… Mais cette enfance belle n’était pas facile. C’était même terrible !..



Assis au pied d’un olivier plus que centenaire

 près du cimetière des parents, Ahmed Djellil se souvient…  

 

Un directeur d’école nommé Christian Buono

Le Directeur de l’école était le beau-frère de Maurice Audin. Cet homme, Christian Buono, était marié avec la sœur de Maurice Audin, Charlye Audin. Leur fille s’appelait Geneviève… Il était directeur et il donnait aussi des cours, mais moi je ne l’ai pas eu comme enseignant. C’est un autre français qui me donnait des cours, mais il me connaissait et connaissait mon père. Il avait le même âge que mon père, la quarantaine comme ça. Il portait des lunettes ; il n’était pas grand de taille. Il était alerte, vif… Bien habillé, simplement. Net !



Christian Buono.


70 ans après, Ahmed Djellil devant le portail d’école de son enfance

 

Je me rappelle bien de lui parce qu’il est venu me voir après l’indépendance, en 1964, quand j’étais devenu une star du cyclisme. J’avais gagné le Grand Prix de l’indépendance en 1963 en tant qu’espoir sur le parcours Alger-Tizi Ouzou et retour. C’était après les attentats de l’OAS… J’avais 18 ans… Un agent des PTT gagnait moins de 300 DA…

J’étais en 4ème catégorie espoir et j’ai dépassé les séniors de haut niveau en arrivant 1er de toutes catégories à Montserrat Orangina à Birmandraes ! J’avais gagné la belle somme de 3750 francs ! C’était dans tous les journaux et ça m’a ouvert la porte de la sélection nationale avec les Zaaf, Hamza, El Baragui, Mahieddine et bien d’autres… Mon père qui ne savait pas que je faisais du cyclisme était à l’arrivée. Quand il a vu que c’était moi le premier, il n’en revenait pas !

 

Le cyclisme était très populaire en Algérie, et certainement informé de ma victoire par les journaux, Christian Buono a cherché à me retrouver et il a fini par venir jusque chez moi à la maison à Alger. Il connaissait bien mon père. Il connaissait un peu notre passé de guerre à Makouda, aussi il était fier et fou de joie… Il m’a dit : Ah, mon petit Louison ! par rapport à Louison Bobet qui avait gagné trois fois le tour de France entre 1953 et 1955… Je lui ai répondu en souriant : Ecoutez monsieur, je ne suis pas Louison Bobet, je ne suis que Djellil de Makouda.


Le jeune Djellil devenu champion cycliste !

Ce qui est fantastique c’est que Christian Buono qui savait que j’étais blessé a tenu à venir soutenir ensuite à l’entrainement quand la sélection nationale préparait les jeux africains pour le mois de juillet 1965 où je me suis classé 4ème … Avant, en mai 1965, j’ai été sélectionné pour la Course de la Paix, une course de 15 jours à travers la RDA, la Tchécoslovaquie et la Pologne. En passant dans chaque ville, personne ne travaillait, c’était la fête ! C’était le top des tops et j’étais l’un des meilleurs coureurs africains là-dedans. C’était fantastique ! Une course mondialement connue ; malheureusement, un jour de chaleur torride dans les hauts Tatra, montagnes entre la Pologne et la Slovaquie, alors que ça roulait à 60 à l’heure j’ai fait une chute, je me suis cassé la clavicule en tombant sur le pavé et je me suis retrouvé à l’hôpital …


Le début de la révolution algérienne

Un matin de 54-55 un convoi militaire français devait déboucher dans la montée juste après le tournant à quelques dizaines de mètres de la maison de mon grand-père… C’était la guerre. Devant chez nous, il y avait un grand arbre…

Quelques moudjahidine ont vite installé haut un fusil mitrailleur 24 et attendaient… Sur la première jeep qui est apparue au tournant ils ont tiré tuant les soldats et ils ont décroché… Ça a été terrible pour les habitants de la zone pendant toute la journée et après…

 

Ça me rappelle une autre image un an après : on ramenait les corps de quatre jeunes soldats français partis en opération et tués dans une embuscade sur une route par les moudjahidine dans les environs de Makouda. Je les connaissais…Un soldat devant le magasin par rage me donne une gifle si forte qu’il m’a fait tomber à terre ! Je me dis aujourd’hui encore : si j’avais une arme je ne sais pas ce que j’aurais fait ! Ce jour-là, j’avais une haine des français ; j’avais 11 ans… Je me rappelle que même le chien de la maison n’aimait pas les français. C’était un chien méchant.

C’était d’autant plus humiliant qu’on avait un proche parent revenu de la guerre d’Allemagne avec un bras complètement disloqué qu’il n’utilisait plus. On m’avait raconté qu’à son retour il avait dormi 15 jours d’affilée pour récupérer…


Ahmed Djellil debout près de ce qui fut l’épicerie générale, 

qui allait être occupée par l’armée française, 

avec au-dessus l’étage d’habitation familiale.


Vue de l’autre côté de la rue, vers le sud-ouest

 

 Un autre souvenir juste en face du magasin de mon père : j’assiste au premier attentat ! Un résistant tire avec un vieux pistolet sur le garde champêtre qui tombe avec son sang qui coule.  L’autre l’achève à coups de crosse. Je regardais… Puis il s’enfuit ! Les militaires français arrivent. Il n’y avait plus personne que mon père, mon oncle et moi … Je me rappelle même du nom de la victime, Kaci Moudèche, un voisin que je connaissais, qui était du côté français et qui étais jaloux parce que mon père avait un commerce et le soupçonnait de travailler avec le FLN. C’est que mon père avait milité au Parti du Peuple Algérien (PPA), mais à l’époque je ne savais pas moi-même ce que c’était ; ce n’est qu’après l’indépendance que j’ai compris…

 

Fin 56 mon père est arrêté. Il est resté prisonnier trois mois dans une cave à fumier ; c’était celle d’une vieille maison en face qui faisait office de prison. Cette maison appartenait à un moudjahed, l’armée française l’a occupée. Arezki mon père était donc prisonnier en face de notre propre maison…  


Une des rares photos d’Arezki, tête nue, avec un parent.

En France, avant la guerre de libération nationale

 

Le drame s’amplifie avec la tragédie du grand père…

 

Il s’appelait Ahmed, comme moi, et avait une grande personnalité allah yerhmou. J’étais son petit enfant préféré. Comme il avait des biens, il avait engagé un enseignant d’arabe spécialement pour moi, deux de mes cousins et mon jeune oncle Lounès qui est mort au maquis pour nous donner des cours à la maison. Lounès était un vrai arabisant à l’époque. Mon grand-père voulait qu’on soit bien instruits. L’enseignant habitait avec nous. Je me rappelle il lisait régulièrement le journal Le Monde et il a fait le pèlerinage au lieux saints vers 1948. C’était un monsieur pieux qui dés cinq heures du matin était dans les champs pour travailler. La foi était une relation entre lui et son Créateur…

Le grand père Ahmed à droite  et son fils Lounès en médaillon


Milieu de l’année 1957, dès la libération conditionnelle de mon père, un matin dès la fin du couvre-feu, mon père, ma mère, moi et mes deux sœurs avons embarqués dans la camionnette 203, bâche rabattue et nous avons fui Makouda pour aller d’une seule traite nous installer à Tipasa… La guerre devait se poursuivre au village, dans les villages alentours, dans toute la région par des bombardements au napalm, l’Opération Jumelles en Kabylie… La France faisant pire que les nazis.

 

Pour en revenir à notre famille, je vais dire les choses rapidement. Lounès, le fils de mon grand-père qui portait un béret basque, avait fini par tuer en 1960 un maquisard qui avait été retourné et mis au service de l’armée française à Makouda.

Il avait été contacté par les frères du maquis pour cette mission. Cette mission était possible parce que le commandement français avait obligé Lounés à une demie journée de corvée à la caserne (c’est-à-dire dans notre propre maison) et une demie journée libre pour lui…

Vivant avec la soldatesque française, Lounès avait réussi à endormir la vigilance du traitre dont les délations provoquaient carnage sur carnage. Un jour de ramadan Lounès a demandé au traitre de l’aider à transporter un madrier. Il était midi et les soldats étaient occupés à bouffer.. Quand le traitre s’est baissé, Lounès a sorti son pistolet de sous le béret et l’a tué sur le coup …

En athlète, il a réussi sauter derrière la maison et les barbelés, puis il est allé rejoindre le maquis par la plaine…

 Dans la maison du grand père en bas de Makouda, on ne savait rien… Quand le grand père El Hadj Ahmed est monté vers notre maison paternelle, les soldats l’ont encerclé avec trois membres de notre famille. Les soldats leur ont donné des pioches et leur ont ordonné de creuser une tombe. Devant la maison paternelle… Ils les ont assassinés tous les quatre et les ont poussés dans le même trou... A plus de 80ans je ne peux que murmurer QUELLE CIVILISATION !



Ahmed Djellil médite auprès des tombes de son grand père et de son père,

au cimetière familial de Makouda dominant la plaine.

 

 

 

Après l’indépendance, le grand père et les trois membres de la famille ont été à nouveau enterrés dans le cimetière familial chacun dans une tombe.

 

Lounés lui est tombé au champ d’honneur, au maquis. La ville de Makouda a baptisé de son nom une des écoles primaires à l’entrée de la ville.





Abderrahmane Djelfaoui

SEBALA (Draria)  – MAKOUDA – DRARIA

14 et 15 mars 2025


dimanche 9 mars 2025

NABDH EL-HOUROUF LE POULS DES LETTRES

 



NABDH EL-HOUROUF

LE POULS DES LETTRES


Galerie HALLA – Alger

Du 8 mars au 10 avril 2025



L’exposition invite les publics à visiter près d’une cinquantaine d’œuvres de calligraphes algériens contemporains dont le vernissage (est-ce un hasard ?..) s’est tenu fin de la première semaine de ramadhan et dans la soirée de la journée même du 8 mars…

Y sont exposés une douzaine de calligraphes femmes et hommes qui vivent et travaillent à Alger, au Mzab, à Mostaganem, Souk Ahrass et même au moyen orient…

 C’est pourquoi le titre de l’exposition (« Le pouls des lettres ») indique bien l’importance donnée à une tendance contemporaine de la calligraphie arabe dans notre pays ; celle d’un art vivant, un art contemporain en relation avec les acquis universels de notre temps.

 La seule critique que l’on peut faire d’entrée de jeu est que cette exposition n’a pas de catalogue. Elle en manque cruellement. Le catalogue aurait été « le cœur » battant de ce « pouls des lettres » par la traçabilité d’une bonne présentation biographique, historique et culturelle de tous les croisements réels (humains, thématique, graphique, technique des matériaux utilisés, etc) de ce noble courant de l’art du 21 -ème siècle.

 Nous exposons ici rapidement quelques-unes de ces œuvres et incitons nos lecteurs à aller visiter, goûter et méditer d’eux-mêmes la fluidité de cet art à la belle galerie Halla. 


CHERIFI MOHAMED. 





Doyen de l’art de la calligraphie dans notre pays (créateur par ailleurs de nombreux billets de banque, de pièces de monnaie, etc), les mots qui me viennent immédiatement à l’esprit face à cette œuvre photographiée sont : la clarté, le mouvement d’ailes des lettres et l’aura de spiritualité qui poursuit une longue et riche tradition millénaire de la calligraphie arabe.

 

BOUMALA ABDELKADER



Magnifique et rigoureuse calligraphie d’un texte du poète et artiste visuel libanais Gibran Khalil Gibran (1883-1931) dont l’œuvre mondialement célèbre est « Le Prophète ».


Un vrai « pouls des lettres » dans sa splendeur avec comme première phrase de ce tableau: « oualoun li-oumatîn takthourou fiha el-madhahibou oua et-tâouaïfou oua takhlou min ed-dîn… »

 

BEHIRI MOHAMED




Avec ces deux calligraphies, 

BEHIRI Mohamed obtient à Istamboul le 2 -ème Prix du Jaly Thoulouth



Illumination :


بسم الله الرحمن الرحيم
{وَٱتَّبِعْ مَا يُوحَىٰٓ إِلَيْكَ وَٱصْبِرْ حَتَّىٰ يَحْكُمَ ٱللَّهُ وَهُوَ خَيْرُ ٱلْحَٰكِمِينَ}
سورة يونس، 109

 

Né en 1959 à Maghnia, il commence ses études d'art à Oran puis les finit à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger (1980).  Il part ensuite à Istamboul où il réalise un magister en arts islamiques. Il est second lauréat pour le Jaly Thoulouth. 

Il quitte la Turquie pour les Emirats arabes unis où il enseigne durant une dizaine d’années avant d’aller participer à la création de l’Ecole de la miniature en Jordanie… 

Ce grand calligraphe qui vit et travaille aujourd’hui à Tlemcen est , après Chérifi Mohamed, le second à être titulaire d’un doctorat sur l’art de la calligraphie.


 DJAMAI REDHA



Quelle gesse est dite ici par un jeune artiste plasticien et calligraphe né à Tebessa, Maitre de conférences à l’université de Mostaganem et également doctorant en philosophie à Alexandrie, en Egypte ?..

Face à cette étonnante toile d’un réalisme situé au milieu de deux mondes (avec sa semblance de deux morceaux de scotch…) je ressens la réflexion d’un message, celui d’une écriture de l’écriture… Un palimpseste.

 

BOUTHLIDJA MOHAMED


                                                                               Dimensions : 62 cm x 93 cm

 

Calligraphie de lettres solaires donnant l’impression d’un tissage de laine ! Tissage berbère. Le support est une mince feuille de bois…

Après des études aux beaux-arts d’Alger, puis de Paris, il a étudié près de cinq ans à l’Ecole de la calligraphie du Caire d’où il sort classé 2ème de sa promotion (en 1977) des toutes les écoles de calligraphie d’Egypte.

Il vit et travaille à Souk Ahras, où il a son atelier et a ouvert une galerie d’art.

 

ZAROUR ZHAREDDINE

Dimensions : 45 cm x 45 cm - Matériau : Verre sablé


Voilà des yeux de lettres superposées et en relief qui nous ouvre, comme en un moment musical, un monde nageant en osmose avec un autre monde.

Zaarour, issu de l’ESBA d’Alger où il avait Abdelkader Boumala pour professeur, est un artiste spécialisé dans la réalisation sur verre de cadeaux d’entreprises ou personnalisés ainsi que dans les projets de décoration hôtelière en intérieur..

Il vit et travaille à Alger et au Qatar.

  


KEZAS YASMINE

Dimension :105 cm x 85 cm



Ce détail de la composition de Kezas Yasmine me donne une sensation inédite, celle d’une  calligraphie bijoutière…



KAS ASSIA


Dimensions : 11 cm x 11 cm

  

Ne ressemble-t-il pas à un  oiseau nageur, un oiseau émérite du sens des lettres?..

  



KHEITAR OMAR

Dimensions : 40 cm x 28 cm

 

 

Tension et perplexité dans la recomposition des lettres malgré l’origine éparse de leurs strates culturelles…

Comme si les éclats de l’abstraction et ceux du réalisme voulaient se rassembler dans l’harmonie en une feuille unique. Lecture une à voix multiples…

 


LAOUISSI RAMISSA



Dimensions : 49 cm x 64 cm



Dimensions : 49 cm x 64 cm

 

Seul émane le son or de LUI… 

Il ne nous suffit que d’ouvrir doucement les portes du silence et de l'intention bonne… 

 

Avec nos remerciements quant à l’initiative de la Direction et du Gérant de la Galerie ainsi qu’aux calligraphes qui entonnent pour nous ces chants aux « pouls de leurs lettres » . Plus qu’une simple visite, cette exposition peut devenir par la richesse des émotions, des réflexions et de l’envolée de notre imagination par la méditation un vrai voyage. Une découverte inattendue.

 






 


Texte et photographies :

Abderrahmane DJELFAOUI

La 1ere et dernière photographies sont de:

Chafika Aitoudia


Douéra

9 Mars 2025