M’hamed Djelid re-découvert et honoré
à Sidi Bel Abbès
Le théâtre régional de Sidi Bel Abbés a eu l’ingénieuse
idée d’organiser une journée d’étude pour présentation de l’ouvrage posthume de
M’hamed Djelid (1943-1990) enfin édité en
un seul volume par le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et
Culturelle d’Oran (CRASC).
J’avais donc fait les 400 kms de route depuis Alger, avec mon épouse et ma fille, mais sincèrement, sans m’attendre à ce que cette manifestation soit d’un niveau aussi attractif, foisonnant de belles de rencontres, de débats d’idées, de bons mots, de témoignages inédits et de lectures poétiques…
Ici les seventie’s !
La première et
la plus inattendue rencontre alors que je discutais au salon d’attente avec
Abdelkader Belkhorissat, directeur de l’école des beaux-arts de la ville, a
lieu avec Hanitet Mokhtar que je ne connaissais pas. Très vite j’apprends dans
une atmosphère très décontractée que l’homme au petit chapeau de paille sur la
tête est polyglotte parlant bien sûr le français et l’arabe, mais tout aussi
aisément l’anglais, le russe et l’espagnol… Il anime quotidiennement à la radio
de Sidi Bel Abbès une émission intitulée HISTO-FEN. Il est accompagné d’un ami ancien
musicien des années 70 …
A ma droite Abdelkader Belkhorissat.
A la gauche de l’homme de radio son ami musicien
Cette première rencontre sera suivie un peu plus tard par celle d’un vieil ami proche du dramaturge Ould Abderrahmane Kaki qui déambulait pensif ou rêveur avec une chéchia sur la tête…. Plus tard encore vers midi avec un ancien comédien de la troupe de Kateb Yacine fin des années 70 à Sidi Bel Abbès…
Kateb Yacine dessiné par Arab
Pour l’heure on appelle le public à entrer en salle et la
séance est bientôt solennellement ouverte. On invite Mohamed Miliani comme modérateur
des travaux. Frère du regretté Hadj Miliani, professeur de littérature à l’université
de Mostaganem, Mohamed est professeur en didactique des langues et des sciences
de l’éducation. Il introduit le sujet, rappelant dans quelles conditions le
travail d’adaptation de l’énorme manuscrit de Djelid (trois tomes de 700 pages
chacun) a été engagé, sans ordinateur à cette époque du terrorisme dévastateur,
seulement avec une machine à écrire mécanique …Il donne la parole au Pr. Sidi
Mohamed Lakhdar-Barka, professeur vde littérature comparée à l’université d’Oran,
qui a dirigé l’équipe qui, après de longs et difficiles travaux , a mis au
point, sur la base du manuscrit initial, l’ouvrage final de M’hamed Djelid
intitulé « L’activité théâtrale en Algérie 1945-1980 »…
Un livre de 700 pages, reliure cartonnée. Il explique comment l’auteur « a mené
une investigation approfondie à partir de formes théâtrales embryonnaires (chants,
danses folkloriques, déclamations poétiques, représentations festives des
foyers et médersas, ensembles scolaires, etc), que l’on retrouve dans toutes
les pratiques sociales et genres culturels de la société algérienne, sur
environ quatre décennies » …
Djelid ,
Histoire et histoires
Après ce magistral exposé de nombreux intervenants vont se
succéder pour apporter leurs témoignages dont celui, documenté de Missoum Laroussi
natif de Chlef qui commente des extraits des sept heures d’enregistrements vidéo
d’un grand nombre de ceux qui furent les compagnons proches de Djelid depuis l’indépendance
jusqu’à la fin des années 60. Il explique comment après le filmage à l’époque de
la covid 19, la plupart d’entre eux ne sont plus aujourd’hui de notre monde…
Missoum Laroussi aux cotés du frère
de M’hamed Djelid, Abdelkader Djelid.
Après les témoignages précis de multiples intellectuels d’Oran,
de Sidi Bel Abbes, de Mostaganem ou d’Alger (dont il est vraiment difficile de
résumer l’originalité et la pertinence de chacun d’entre eux en une phrase) , c’est
au tour du frère de M’hamed Djelid de prendre lentement et longuement la parole
pour évoquer son frère, leur commune enfance et adolescence orphelins de leur
père ; la pugnacité de M’hamed Djelid et son désintérêt pécunier total au point
d’être des années durant instituteur sans être jamais payé… Au fil du récit et
des anecdotes, plus dramatiques les unes que les autres, se dessine l’image d’un
pays intérieur des années 60 ; un pays vivant, combattant, fier, généreux
et digne malgré tous les aléas de la vie quotidienne d’alors… Un récit du cœur.
Un récit vrai, simple, populaire qui est chaleureusement acclamé puis suivi de
la déclamation poétique d’un poème de M’hamed Djelid extrait de son recueil « PLAIES »
puis d’un débat.
Portrait de M’hamed Djelid
Tout aussi poignant et heureux est l’hommage qui est
finalement rendu par les organisateurs de la manifestation à la famille Djelid
en la personne de Abdelkader Djelid et de sa petite nièce, très émue…
Profitant du mouvement d’allégresse dans la salle, je
demande au professeur Sidi Mohamed Lakhdar Barka de me dédicacer le livre dont
il a dirigé les travaux jusqu’à son édition finale. Il s’incline avec
courtoisie et m’informe que le livre sera présent et exposé à la vente au SILA,
début du mois de novembre à Alger.
Le partage et le plaisir sont encore loin d’être épuisés. Les organisateurs appellent gentiment et à plusieurs reprises tous les présents à un repas traditionnel. Je me retrouve à une table où je vais partager un couscous local salé-sucré garni de pois chiches et de raisin sec caramélisés, de viande, le tout arrosé d’une délicieuse sauce, accompagné de dattes et de lben (petit lait)… Le plaisir du palais n'empêchant nullement une amicale discussion sur les question du patrimoine et du devoir de mémoire...
De gauche à droite : moi-même,
Abdelkader Belkhorissat, le professeur Lakhdar Mansouri (également metteur en
scène), Ghaouti Azri (ancien directeur du Théâtre régional d’Oran) et Sekkal
Hichem (directeur du Musée Zabana d’Oran).
Abderrahmane Djelfaoui
Douéra, 25 octobre 2024
Je viens de finir le manuscrit d’un
livre d’art sur la vie et l’œuvre de Mustapha Adane, un des artistes le plus
créatif de notre pays aujourd’hui âgé de 91 ans..