vendredi 18 avril 2025

Cyclistes algériens à La Havane : Cuba Si !

 



Cyclistes algériens à La Havane : 

Cuba Si !



L’équipe algérienne dans le stade de La Havane. Photo : Prensa Latina

 

Comme toute histoire de légende, l’histoire de nos cyclistes professionnels à Cuba est une belle histoire…. 

Beauté de l’invitation et beauté du voyage transatlantique ; parce que, comme me le raconte Ahmed Djelil, capitaine de cette équipe, l’aventure est à plusieurs étapes. D’abord d’Alger à La havane c’est d’abord Alger-Madrid par Air Algérie, puis le lendemain avec la Compagnie d’aviation cubaine la traversée de l’Atlantique Nord (en avion à hélices en 1969) jusqu’à Gander en Terre Neuve (en dessous du Groenland), puis le survol des Bermudes face à la Côte Est des USA avant de déboucher enfin après des heures de vol sur les Bahamas et atterrir dans la capitale et ville portuaire de Cuba : La Havane…

Un périple de plus de 10 000 kilomètres ! Et cela juste 7 ans après l’Indépendance de l’Algérie…

 

Feuilleton n° 1 : Algérie années 70 !

                                                    

Savoir que le Tour cycliste de Cuba est inscrit au Calendrier international des Tours cyclistes et donc plusieurs nations y concourent. L’équipe nationale de l’Algérie, pays ami de Cuba, était officiellement invitée et attendue par la Fédération cubaine du cyclisme. Elle était la seule d’Afrique à participer à ce Tour de qualité en 1969.  D’ailleurs quand l’équipe atterrira à l’aéroport de La Havane elle sera reçue à la descente même de l’avion non seulement par des officiels mais aussi par une population enthousiaste !...

 

Pour broder sur cette petite histoire d’amitié (qui est en fait une grande histoire), l’agence de presse cubaine Prensa Latina qui faisait en 1965 le classement de centaines de sportifs professionnels du continent africain toutes disciplines confondues avait classé Ahmed Djelil (cyclisme) à la 5 -ème place et Hacène Lalmas (football) à la 7 -ème…


Ahcène Lalmas


Feuilleton n° 2 : Panique au-dessus de l’Atlantique Nord !

 

Ahmed Djelil, me dit : je vais te raconter cette histoire incroyable…

« A l’époque c’était des avions à hélices qui faisaient de longs trajets. Le vol était archicomble et les membres de notre équipe étions depuis plus d’une heure en train de jouer à la belotte à l’arrière de l’avion. Comme j’étais à côté du hublot j’ai vu l’hélice ne tournait pas : elle était à l’arrêt… Je l’ai dit à mes compagnons, jeunes et inconscients.  Tout le monde s’est mis à regarder et ça a été le chaos dans l’avion qui faisait demi-tour pour revenir sur Madrid ! Mais comme les réservoirs étaient pleins de kérosène, il a dû éjecter pendant plus de deux heures son kérosène pour permettre à l’appareil de revenir en toute sécurité. Le danger c’était qu’en vidant ainsi ses réservoirs, si jamais il y avait une étincelle tout pouvait exploser. Si nous algériens étions inconscients, le reste des passagers étaient affolés. Je me rappelle de la femme de l’ambassadeur de Cuba à Madrid, qui ne fut calmée que par un membre de notre équipe, Kaddour Mahieddine, de Blida, allah yerhmou, qui alla chercher une couverture pour l’envelopper ce qui la calma… En fait l’équipe d’Algérie, inconsciente mais très calme, a pris possession de l’avion pour calmer les passagers apeurés. Nous avons atterri sains et saufs à Madrid.

« Mais pour remplacer la pièce défectueuse de l’avion il fallait qu’il l’importe de ne je ne sais quel pays, ce qui a fait que nous sommes restés en attente une semaine à Madrid ! Sans pouvoir ni nous entrainer ni savoir que faire de notre temps. Le Tour à Cuba devait commencer, et avait commencé sans nous !.. »

 

Contre son retard, l’Algérie bénéficie d’un nouveau départ du Tour.

 

Voilà comment Wikipédia résume à sa manière à l’arrivée des Algériens à Cuba.

« … La commission technique du Tour de Cuba décida de couper la compétition en deux Parties. Les cinq premières étapes donnèrent lieu à un classement autonome, appelé le Tour d'Oriente. Le vainqueur en était [le cubain] Sergio « Pipian » Martinez. Le Tour prit un second départ (…) le 11 février 1969 à Holguin avec l'accord des coureurs cubains et mexicains, "en solidarité avec le peuple frère algérien". Deux coureurs algériens se mirent en évidence, dont Kaddour Mahieddine, vainqueur d'une étape et Madjid Hamza 2e de cette même étape »


 « Pépian », un héros populaire.

 

Et voilà comment Ahmed Djelil résume « Pépian ».

« C’était un coureur extraordinaire. Il était bon sur tous les plans. Il était rapide. C’est lui qui a gagné l’étape la plus difficile, celle de la Sierra Maestra devant Mahieddine. Il connaissait le terrain, il avait aussi le matériel qu’il fallait. Il faut dire qu’il était aussi populaire que le Président de Cuba ». Fidel Castro…



« Non seulement nous étions bien reçus, insiste Ahmed Djelil, notamment par la population, mais nous étions reçus nous Algériens avec considération. C’était extraordinaire ».

 

Sur la photo de l’Agence de Presse Cubaine Prensa Latina, ’équipe algérienne composée de Sayah Ali, Mahiedine Kadour, Hamza Madjid, Chibane Belkacem avec au centre son capitaine d’équipe Ahmed Djelil (entouré d’un cercle gris), discute avec le ministre de la jeunesse et des sports de Cuba, à gauche le poing levé.

 

Feuilleton n°3 : « le Mur » de la Sierra Maestra…


L’équipe algérienne au départ. Dos à dos Djelil (en casquette blanche)

et Mahiedinne (en casque, de profil)



« Il faut d’abord dire que c’était le début de saison pour nous. Une saison cycliste qui commence normalement au mois de février pour se terminer au mois d’août. Donc pour nous le Tour de Cuba était prématuré, il s’est fait avant que nous ayons commencé nos entrainements. Nous étions partis pour Cuba parce que c’est un pays ami. Nous n’étions pas prêts ; nous n’étions pas dans l’état de forme qui se prépare à partir de mai-juin.

 

« Deuxièmement nous sommes partis sans connaitre les réalités de la topographie de Cuba, avec un matériel qui n’était pas adéquat pour leur terrain de montagne ; surtout pour les vitesses des vélos ; nous étions partis avec des braquets pour rouler sur le plat ou légèrement en côte. Le braquet est ce qui permet la transmission de la chaine du pédalier avant vers les roues dentées du pignon arrière. Nous n’avions pas les vitesses qu’il fallait pour monter les pentes raides de la Sierra Maestra. Nous avons été pénalisés par ça. »

 

[On pourrait traduire Sierra Maestra par : La Maitresse de la chaine de montagnes



Vue d’une partie de la Sierra Maestra et sa végétation foisonnante (un des monts culmine

à plus de 1900 mètres d’altitude).

Photo : Oôinn

 

 

A 56 ans de distance Ahmed Djelil se souvient encore avec émotion et soupir de cette épreuve !

 

« Dans les 10 derniers kilomètres de l’étape de la Sierra Maestra, nous avons vu un mur se dresser devant nous… Les jeeps que les équipes techniques utilisaient pour ravitailler, pour dépanner ou donner des conseils, ces jeeps là n’arrivaient pas à monter en première !

« Par exemple chez nous, pour monter à Chréa il fallait un braquet de vitesse de 21. Mais là-bas un 21 ne suffisait pas ; pour monter leur montagne il fallait un 32 ! Nous n’avions pas ce braquet ; nous avons été pris de court, parce que nous ne savions pas… Moi-même à certains endroits j’ai dû mettre pied à terre, alors que j’étais le meilleur grimpeur de l’équipe… Ensuite pour remonter sur le vélo ce n’est pas une mince affaire ! C’était très dur !

 

« N’empêche qu’un des nôtre, Mahiedine Kadour, a fini deuxième de l’étape. Il était tout à fait derrière le peloton ; j’ai été le chercher et je l’ai enguelé en lui disant que la course se fait devant pas derrière !. Dans ce type de course de haut niveau il y a la tête et les jambes ! Il n’y a pas que la force. Je pense que l’entraineur en me désignant capitaine d’équiper savait ce qu’il faisait. Mahiedine est passé devant. Nous étions une équipe combative. Nos coureurs ont fait en sorte de bloquer le peloton et Mahiedine a fini par arriver deuxième, allah yerhmou… »

 

Après cette épreuve, l’équipe algérienne bénéficie d’une journée de repos dans un village touristique fait de huttes dans la Sierra Maestra.


Chibane Belkacem en blanc, Hamza Madjid au milieu et Ahmed Djelil en survet noir.

 

 

Mahiedine acclamé par la population !

 

« Par la suite notre comportement a été extra. Nous avons participé d’une façon permanente à la combativité de toutes les étapes qui ont suivies. En tant que capitaine d’équipe, mon rôle était de surveiller, de ramener dans ou devant le peloton celui qui restait derrière ; d’encourager et d’essayer d’attaquer…

« C’est comme ça que Mahiedine a ensuite gagné une belle étape sur le plat. Il était encore à l’arrière ce qui m’a mis en colère. Je lui ai crié dessus en lui disant : ce n’est pas ta place ici ! Allez, attaque ! Il est parti comme une flèche. La centaine de coureurs du peloton ne le connaissaient pas. Ils l’ont laissé partir devant pensant qu’ils le rattraperaient et le boufferaient facilement par la suite. Mais Mahiedine roule ; il roule prenant 100 mètres, puis de200 mètres et EBQA  3LA KHIR ! Au revoir !

Je me suis mis moi-même avec Hamza Madjid et Chibane Belkacem devant le peloton pour couvrir Mahiedine et lui permettre de maintenir son avance. L’extraordinaire c’est qu’après la remise des prix à la fin de cette étape, comme il était premier, on lui a aussi remis une corbeille de légumes avec des choux fleurs et tout ça. Cuba était un pays pauvre… Lui, entouré de monde qui l’acclamait, tout gai, a distribué sa corbeille à la population. Ils étaient heureux… C’était à l’intérieur du pays… »



Mahiedine Kadour à Cuba, alors qu’il avait 25 ans

 

 

 Au final du Tour complet de Cuba de ce mois de février 1969, le capitaine d’équipe, Ahmed Djelil, est appelé à recevoir un trophée pour l’ensemble l’équipe algérienne.


Ahmed Djelil à côté de son interprète tenant le trophée. Photo : Prensa Latina.



Les Algériens visitent une usine de canne à sucre.



Photos : Prensa Latina






Un des meilleurs souvenirs de Djelil…

 

Sur la plage de Varadéro, une des plus belles plages de Cuba. Cette plage populaire avec ses hôtels et ses complexes touristiques, s’étend sur plus de 20 kms de sable blanc et une eau de mer d'un bleu turquoise … Ahmed se fait photographier (février 1969) avec des noix de coco.




La plage de Varadéro , aujourd’hui au 21 -ème siècle.

 

 

 



Abderrahmane Djelfaoui

Sébala (Draria) - Douéra

16 et 17 avril 2025






samedi 5 avril 2025

Abdelkader Boumala 2

 


Traces lumineuses du calligraphe

Abdelkader Boumala

en son atelier au Bois des Arcades, 


(2 eme partie)





« Le 6 juillet 1978 j’étais revenu du Caire. Les réponses à mes démarches étant contraires à tous mes vœux, je n’ai pu ni intégrer l’Ecole des beaux-arts d’Alger, ni une Direction des AE ou de la Présidence pour y exercer ma spécialité de calligraphe…

Je suis resté 7 mois au chômage jusqu’à ce que j’intègre la SNED en 1979 grâce à son DG, Baghli, qui 4 ans auparavant, responsable au Ministère de l’information et de la culture m’avait attribué une bourse d’étude au Caire… »

 

 Modernité de l’écriture calligraphique à la charnière des années 70-80.

 

Avant d’exercer à la SNED, Abdelkader Boumala réalise une série inédite de trois calligraphies en koufi carré déjà exposées dans le précédent blog et que je reprends ici pour leur importance.


« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ».

« Et Nous t’avons envoyé comme Miséricorde pour tous les Mondes »

 

Dans la première de couleur froide, si la lecture se fait de gauche à droite, le dégradé du bleu de Prusse, [une couleur que l’artiste affectionne] se fait elle depuis le bas jusqu’au ciel du bleu clair. Deux mouvements en harmonie croisée qui permettent une lecture aisée d’un texte sacré cher au calligraphe…



Dans la seconde de même format mais de couleur chaude, la lecture et le dégradé s’unissent dans le même sens de gauche à droite. 

Le texte est devenu difficilement lisible …



Dans la troisième, seul subsiste le contraste du noir et blanc d’un texte illisible, indéchiffrable….

 

Boumala, qui avait fait trois années d’études modernes en art avant de choisir la calligraphie (au lieu de la céramique comme l’espéraient certains de ses enseignants), me dit que les esquisses de ce travail, il les avait déjà commencées avant même son départ pour le Caire…

 

« En 78 j’étais impressionné par le travail du peintre Vasarely. A la réflexion je me suis dit : pourquoi ne pas travailler mieux que lui mon texte alors que son travail ne se fait que sur la forme… 

"C’est ainsi que j’ai travaillé trois versions sous trois formes de lignes, de dégradés de couleur froide ou chaude jusqu’au noir et blanc intégral … C’est un travail que j’ai mené d’une seule traite durant les 48 heures qui ont suivies le décès du Président Houari Boumediene… »

 

« La SNED ne fut qu’un intermède de 6 mois » …

 

A l’âge de 26 ans, il se trouve intégré à la Direction du Livre où il est rejoint par les jeunes miniaturistes Boukaroui, Bentounès et Ali Gafsi qui avaient poursuivi leurs études en Iran… 



IL collabore à la revue de culture générale pour enfants « JARIDATI », dont il me tire du fond de sa bibliothèque la seule poignée de numéros publiés il y a plus de 45 ans… 

Il réalise aussi dans cette institution de grosse industrie culturelle des couvertures de livres dont une pour le professeur Saadallah dont le temps de travail en tant que chercheur prévalait sur tout et va profondément le marquer en devenant son ami…

 

De nouvelles tâches accaparent le calligraphe à la Présidence de la République.

 

D’août 1981 à décembre 1984, il va collaborer seul ou avec d’autres artistes à d’importantes réalisations.




Boumala m’ouvre ses tiroirs… 

A l’intérieur du Musée de l’Armée il conçoit un texte gigantesque de 35 mètres de long et deux mètres de haut en style koufi-Fatimide…

Epoque où il réalise la calligraphie de plusieurs plaques de marbre que Chadli Bendjedid, Chef de l’Etat inaugure, ainsi que des parchemins enroulés dans des tubes cimentés sous la première pierre d’édifices…

Avant la principale réalisation à laquelle il collabore pour la coupole du Maqam Echahid de Riad El Feth inaugurée en 1984, il participe à la fresque en céramique murale du Foyer de l’Ecole des Banques de Bouzaréah en 1983. La calligraphie est de Boumala et la céramique signée Boumahdi.



Reproduction photo conservée par Boumala dans ses tiroirs montrant un détail de la fresque

 

 

La Coupole de Maqam Echahid (1984)


Carton de la 1ere maquette imaginée par Boumala.






Maquette finale pour une réalisation de 6 mètres de diamètre en espace réel

Au centre, la Bismillah en khat Toulouth de Mohamed Cherifi.

 

Les multiples mouvements circulaires compartimentés et harmonisés par les Lâm-Alif en gras

sur le dernier grand cercle mettent en valeur le verset :

« Oua lâ tahssibna elladhîna qoutilou fî sabîli allahi amouâtan bal ahyâoun

‘indâ rabbihim arzaqoun », calligraphié en koufi.fatimide.



Boumala explique sur la grande photographie couleur de la coupole l’étagement des contributions (dont celle de Bachir Yelles pour ce qui est des arcs porteurs) et dont la réalisation architecturale résistante et légère, en fibre de verre, est confiée au constructeur canadien Lavalin.




Il participe cette même année 1984 à l’exposition collective « 10 ans de peinture algérienne », organisée au Musée national des Beaux-Arts d’Alger.

 

1988 : De la Mosquée de Garidi aux « Amis du Tassili ». 


« C’est du plâtre creusé par un artisan marocain, mais seulement à 5 millimètres de profondeur ce qui n’est pas suffisant pour donner toute la force de vision à la calligraphie. Le projet initial était de calligraphier tout le pourtour de la grande salle de prière, mais le manque d’argent à annulé cela. »

 

La même année, Sid Ahmed Kerzabi, Directeur du Parc national du Tassili et Président des « Amis du Tassili », dont Abdelkader Boumala est le voisin de résidence à Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger, lui commande la maquette du Diplôme d’honneur calligraphié en lettres tifinagh.

 


Après cette année, vont suivre ce que Boumala appelle « des années creuses » qui sont surtout dues à la longue maladie de son épouse et mère de ses enfants, puis sa disparition… Lui, qui déjà à l’âge d’à peine quinze ans, la disparition de son père l’avait obligé à être le responsable de sa famille à Taher, dans la wilaya de Béjaia…

Malgré le fait qu’il enseigne à l’Ecole des beaux-arts depuis 1985, qu’il participe en 1989 à un hommage collectif au peintre et miniaturiste Mohamed Temmam (1915-1988) dont il avait été l’élève au début des années 70, s’ajoute à cet aspect « de tristesse et de creux », les évènements d’octobre 88 et la chappe de plomb des longues et terribles années du terrorisme qui vont suivre …


Ses différentes participations aux semaines culturelles organisée à l’échelle régionale ou internationale (de Rabat à Baghdâd, puis en Europe) n’atténueront pas ce profond sentiment de difficulté et de pessimisme…




1997-1998 : « L’Enfant jazz » !

 

Ne pouvant se rencontrer à Alger, le projet de livre sur le recueil de poésie « L’Enfant jazz » est amorcé à Paris entre l’écrivain Mohamed Dib et le plasticien Rachid Koraichi en 1996 ; il aboutira en 1998 grâce à Mustapha Ourif, Directeur de la galerie Isma de Riadh El Feth.

Le livre contient 28 poèmes en français de Dib en miroir de 28 lithographies de Koraichi ; et Dib avait choisi le format rectangulaire (m’informe Ourif) parce que cela lui rappelait un fusil ce qui référait directement à la situation tragique d’alors en Algérie.

Boumala monte sur un escabeau pour descendre l’exemplaire numéroté qu’il possède…







La sortie du livre et vernissage de l’exposition, avec 100 premiers exemplaires de bibliophilie numérotés et signés par les auteurs, dont l’éditeur est Mustapha Ourif, s’est fait simultanément à Paris (Atelier Bordas de lithographie) et à Alger (Galerie Isma) en 1998.



Puis un nouveau siècle s'annonça et  avec lui une repride de la modernité !




« Oua houwa ‘alâ koulli chayïn qâdirin »


Dès le début des années 2000, tout en poursuivant son enseignement à l’Ecole supérieure des beaux-arts, Abdelkader Boumala renoue personnellement avec la recherche académique et passe avec succès son diplôme de magister.

Son travail inédit, très fouillé et précis porte sur les fondements de l’itinéraire artistique de Omar Racim (1884-1959).

Il fait la tentative de publier ce travail sous forme d’ouvrage grand public, mais le projet reste sans suite faute d’éditeur.





« El Hamdou Li-llah ».  ou la modernité du carré…

40 x 40 cm, peint en bleu de Prusse. 2023




« Qoul a’oudhou bi-Rabbi el falaqi » .2024

 

L’on voit bien par l’éclat des couleurs et le brio des lignes de cette calligraphie prise parmi une dizaine d'autres que Boumala développe une pratique artistique qui renoue et dépasse

les premières tentatives de la fin des années 70 du siècle passé

évoquées au début de cet article.

 

 

 

 

 

 

Abderrahmane Djelfaoui

Bois des Arcades (Riad El Feth) – Douéra

5 avril 2025

 

 

 

PS ; Pour être juste, il faut dire que ce papier qui résume vite et même saute bien des étapes n’est que la pose d’un certain nombre de pièces d’un puzzle pour aller vers le cœur de la création calligraphique chez Abdelkader Boumala.





dimanche 23 mars 2025

Alger-Paris-Le Caire dans l’Atelier du Calligraphe Abdelkader Boumala.

 


Alger-Paris-Le Caire dans l’Atelier du Calligraphe

Abdelkader Boumala.

 

-----------------(1ere partie) ----------------




Quand on entre pour la première fois, on se dit que cet atelier ne semble pas fait pour recevoir plus de trois personnes à la fois…

A droite de l’entrée, c’est un mur entier qui fait bibliothèque jusqu’au plafond. Des centaines de livres d’art, livres rares, encyclopédie, revues et catalogues y sont minutieusement rangés. Impeccablement ordonnés.

Face à ce mur, l’artiste expose aussi jusqu’au plus haut sa collection de calligraphies encadrées ; la plupart sont signées par d’autres artistes ; seules deux ou trois sont siennes… 


Calligraphier Jibran Khalil Jibran.

A peine installés, je lui pose immédiatement la question de comment il a élaboré la belle calligraphie d’un extrait du célèbre « Jardin du Prophète » du poète et artiste visuel libanais…

« Comme toujours je ne choisis qu’un texte que je sens et qui me touche, sinon je ne le fais pas. C’est pour ça que je ne prends pas de commande, pour qu’on ne m’impose pas un texte qui ne me dit rien… » 

« Le jardin du Prophète » (détail). – 50 cm x 60 cm - 1988

 

Une calligraphie qui donne à la fois l’impression

d’une architecture marbrée et d’une partition musicale

(Photographie : Abderrahmane Djelfaoui)

 

« Cet extrait de « Hâdiqet en-nabbi » de Jibran Khalil Jibran, je le découvrais pour la première fois, vers 1976, peint sur le mur d’un restaurant en France. Il m’a plu… J’ai demandé à un ami de m’acheter le livre et il m’est resté longtemps en tête avant que je le réalise. Ce texte écrit dans les années 30 je le trouve toujours d’actualité en 2025 ! En plus de la profondeur du texte c’est le mot très fort de Wayloun, Wayloun, Wayloun qui revient que j’ai rehaussé en or dans le style koufi ; le reste du texte en différentes couleurs en naskhi… ».

 

Un exemple d’esquisse sur le thème de la beauté…

 

« Je fais beaucoup plus de calligraphie moderne que de miniature, et l’inspiration vient quand ça vient ! Le message que je veux transmettre est généralement tiré du Livre Saint ou des dires de Ali Ben Abi Taleb que j’adore…Un texte court… Après avoir trouvé le texte qui me convainc, reste la manière de le travailler ; et là commence la recherche, les esquisses…Des étapes où j’essaie de mettre ce que j’ai dans la tête sur du papier par le biais de plusieurs essais de lignes, de styles… Qu’est-ce qu’il est possible de transmettre par la forme, la graphie ?... Y a-t-il ou pas une harmonie ? … Et quand je sens que ça va donner, je commence à travailler au propre ; tout au long de ce travail le temps n’existe alors plus pour moi !.. Voilà l’exemple d’un travail sur un verset coranique : Badi3ou essamaouâti oua el ardi qui traine depuis plus de deux ans et dont la finition n’aboutit pas encore… Badi3, c’est le Beau, plus que le Beau… »



Sur l’enluminure du fond, l’artiste appose plusieurs essais de calques au crayon…

Sachant la fine connaissance de Boumala des travaux calligraphiques de Omar et Mohamed Racim ainsi que de leur oncle et de leur père Ali et Mohamed, je lui demande ce qu’il sait de leurs rapports à l’Écrit.

« Ce sont pour la plupart des textes coraniques qui ont un rapport avec la Beauté, sinon les thèmes de la Victoire, avec un côté nationaliste… L’avantage des frères Racim (le père et l’oncle) est qu’ils avaient deux ateliers dans la Casbah au 19 -ème siècle. Ces ateliers étaient visités par des gens de haut niveau, des hommes de lettres de l’époque, par le Gouverneur général de 1890 et sa femme, par Mohamed Abdou en 1903 en présence de Omar Racim qui n’avait que 19 ans… Dans le même sens, Omar Racim aura par la suite des relations importantes avec Tewfik El Madani, avec le poète Mohamed Laid Khalifa, avec la musique et les musiciens algériens, des écrivains européens, des personnalités du monde de la presse et de la culture au Caire… »

 

Mon interlocuteur en profite pour rappeler que Omar Racim fut l’auteur de nombreuses plaques de rues émaillées, pour la plupart de la Casbah qui ont malheureusement disparues avant la fin de la guerre de libération nationale et dont il ne nous reste que des photos… 

Une parmi les nombreuses plaques de rues réalisées par Omar Racim (1884-1959) 


Flash-back sur les études d’art de Boumala à Alger puis au Caire.

Après deux ans d’études à l’Ecole des beaux-arts d’Alger (1972-74), Abdelkader Boumala avait obtenu à l’âge de 22 ans une bourse pour se spécialiser dans l’écriture et la dorure à l’Ecole de perfectionnement en Calligraphie Arabe du Caire. Il y arrive après la guerre du Kippour contre Israël menée par Sadate et El Assad… La situation sociale est très difficile. Le Caire à lui seul compte déjà (il y a 50 ans) 6 millions d’habitants !.. Pourtant Boumala, studieux, va demeurer là pendant quatre ans.  

 

« Il faut dire que si chez nous chacun vit et travaille dans son petit coin, en Egypte ce n’est pas la même chose parce qu’ils ont des cercles où les gens se rencontrent en tant que musiciens, plasticiens, calligraphes, poètes et mêmes les étudiants ont leurs nawadi! Dans ce cadre en tant qu’étudiants nous voulions connaitre les calligraphes, connaitre aussi l’histoire des anciens calligraphes et comment ils travaillaient. De plus en visitant les souks populaires on trouvait des calligraphies imprimées ou leurs reproductions en noir et blanc en vente, souvent pas cher d’ailleurs… »

 

C’est dans cette ville légendaire du Caire que le jeune Abdelkader mûri la pratique et la réflexion de son art particulièrement au contact quotidien de deux de ses professeurs. L’un qui enseignait l’enluminure était attaché à la réalisation d’objets au palais royal. Le second, le plus important était Sayed Ibrahim, célèbre calligraphe et poète…



Des rayons de sa bibliothèque Abdelkader retire deux gros ouvrages d’art bien reliés. Une biographie et l’autre qui contient l’ensemble des œuvres calligraphiques du maître ; beaux livres que Sayed Ibrahim lui a dédicacés…






J’apprends que né en 1897 au Caire, Sayed Ibrahim enseigne à l’Ecole de perfectionnement en calligraphie du Caire depuis 1938 puis à l’Université américaine du Caire de 1970 à 1977. En 1946 il participe à la création au Caire de la revue d’avant-garde littéraire Appolo …

Pour ce qui concerne l’Algérie : l’historien Abou El Kassem Saadallah fut l’élève de Sayed Ibrahim au Caire en 1957 ; ce sera ensuite le tour de Mohamed Chérifi (aujourd’hui célèbre doyen des calligraphes algériens, né en 1935) qui obtiendra le premier Prix de la Calligraphie arabe en 1962 sous la direction de Sayed Ibrahim…

 

Il faut aussi savoir que l’institut international pour l’histoire des arts et du patrimoine d’Istamboul (IRCICA) a honoré la compétition internationale de calligraphie de l’an 2000 du nom : « Sayed Ibrahim Compétition » … Le destin a voulu que Abdelkader Boumala est rejoint à la même Ecole du Caire en 1976 par le calligraphe Mohamed Bouthlidja, natif de Souk Ahras, qui venait de passer une année à l’Ecole supérieure des beaux-arts de Paris… 

 

« Sayed Ibrahim était un grand monsieur qui avait son propre atelier et un niveau de vie appréciable. Nous nous rencontrions en dehors des cours et il m’invitait chez lui en famille en tant qu’étudiant… »



On voit sur cette photo des années 70, le maître chez lui près de l’une de ses calligraphies encadrée, entouré de Abdelkader Boumala agenouillé au premier plan (en veston à col rouge) à côté de son fils Khaled Sid Ibrahim et derrière lui Salah Bibriss qui venait de terminer ses études de calligraphie…

Retour d’Orient…




« Sorti major de promotion de l’Ecole du Caire, je suis revenu en Algérie, fin des années 70, avec tout ce que j’avais découvert et appris de longues années durant sur les calligraphies dans la vieille université d’El Azhar, dans les mosquées de Sidna Hussein, d’Ibn Touloun, d’Ibn El ‘As et d’autres, dans les palais, les coupoles, celles gravées sur le marbre et même celles de l’Egypte antique.. Mon souhait alors était de travailler avec le bureau d’études de la Sonatrach qui a réalisé la grande mosquée de Constantine. Ce souhait fabuleux ne s’est pas réalisé… C’était d’autant plus décevant que ce type de travaux dans nos mosquées n’existait pas à l’époque ; sauf dans quelques zaouias…»

 

Modernité de la recherche à la charnière des années 70-80.

 

« A l’époque j’étais impressionné par le travail du peintre Vasarely. A la réflexion je me suis dit : pourquoi ne pas travailler mieux que lui mon texte alors que son travail ne se fait que sur la forme… C’est ainsi que j’ai travaillé trois versions du même texte sous trois formes de lignes, de dégradés de couleur froide ou chaude jusqu’au noir et blanc intégral ou le texte n’est plus lisible … C’est un travail que j’ai mené d’une seule traite durant les 48 heures qui ont suivies le décès du Président Houari Boumediene… »


« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.

De haut en bas et de droite à gauche le texte est ici entièrement lisible.


« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.

Difficulté de lecture ; moins de 50 % du texte est décryptable…




« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.

Mis à part quelques lettres, le texte est illisible.

 

*

 

 

Sur l’approfondissement de cette recherche en calligraphie algérienne moderne, nous reviendront dans la seconde partie de ce récit avec son croisement avec différentes autres fonctions occupées successivement par l’artiste jusqu’à son aboutissement dans les actuelles années du 21 eme siècle.

 

 

 

 

 

Abderrahmane Djelfaoui

Bois des Arcades (Riadh El Feth) – Douéra

Février – Mars 2025