vendredi 18 avril 2025

Cyclistes algériens à La Havane : Cuba Si !

 



Cyclistes algériens à La Havane : 

Cuba Si !



L’équipe algérienne dans le stade de La Havane. Photo : Prensa Latina

 

Comme toute histoire de légende, l’histoire de nos cyclistes professionnels à Cuba est une belle histoire…. 

Beauté de l’invitation et beauté du voyage transatlantique ; parce que, comme me le raconte Ahmed Djelil, capitaine de cette équipe, l’aventure est à plusieurs étapes. D’abord d’Alger à La havane c’est d’abord Alger-Madrid par Air Algérie, puis le lendemain avec la Compagnie d’aviation cubaine la traversée de l’Atlantique Nord (en avion à hélices en 1969) jusqu’à Gander en Terre Neuve (en dessous du Groenland), puis le survol des Bermudes face à la Côte Est des USA avant de déboucher enfin après des heures de vol sur les Bahamas et atterrir dans la capitale et ville portuaire de Cuba : La Havane…

Un périple de plus de 10 000 kilomètres ! Et cela juste 7 ans après l’Indépendance de l’Algérie…

 

Feuilleton n° 1 : Algérie années 70 !

                                                    

Savoir que le Tour cycliste de Cuba est inscrit au Calendrier international des Tours cyclistes et donc plusieurs nations y concourent. L’équipe nationale de l’Algérie, pays ami de Cuba, était officiellement invitée et attendue par la Fédération cubaine du cyclisme. Elle était la seule d’Afrique à participer à ce Tour de qualité en 1969.  D’ailleurs quand l’équipe atterrira à l’aéroport de La Havane elle sera reçue à la descente même de l’avion non seulement par des officiels mais aussi par une population enthousiaste !...

 

Pour broder sur cette petite histoire d’amitié (qui est en fait une grande histoire), l’agence de presse cubaine Prensa Latina qui faisait en 1965 le classement de centaines de sportifs professionnels du continent africain toutes disciplines confondues avait classé Ahmed Djelil (cyclisme) à la 5 -ème place et Hacène Lalmas (football) à la 7 -ème…


Ahcène Lalmas


Feuilleton n° 2 : Panique au-dessus de l’Atlantique Nord !

 

Ahmed Djelil, me dit : je vais te raconter cette histoire incroyable…

« A l’époque c’était des avions à hélices qui faisaient de longs trajets. Le vol était archicomble et les membres de notre équipe étions depuis plus d’une heure en train de jouer à la belotte à l’arrière de l’avion. Comme j’étais à côté du hublot j’ai vu l’hélice ne tournait pas : elle était à l’arrêt… Je l’ai dit à mes compagnons, jeunes et inconscients.  Tout le monde s’est mis à regarder et ça a été le chaos dans l’avion qui faisait demi-tour pour revenir sur Madrid ! Mais comme les réservoirs étaient pleins de kérosène, il a dû éjecter pendant plus de deux heures son kérosène pour permettre à l’appareil de revenir en toute sécurité. Le danger c’était qu’en vidant ainsi ses réservoirs, si jamais il y avait une étincelle tout pouvait exploser. Si nous algériens étions inconscients, le reste des passagers étaient affolés. Je me rappelle de la femme de l’ambassadeur de Cuba à Madrid, qui ne fut calmée que par un membre de notre équipe, Kaddour Mahieddine, de Blida, allah yerhmou, qui alla chercher une couverture pour l’envelopper ce qui la calma… En fait l’équipe d’Algérie, inconsciente mais très calme, a pris possession de l’avion pour calmer les passagers apeurés. Nous avons atterri sains et saufs à Madrid.

« Mais pour remplacer la pièce défectueuse de l’avion il fallait qu’il l’importe de ne je ne sais quel pays, ce qui a fait que nous sommes restés en attente une semaine à Madrid ! Sans pouvoir ni nous entrainer ni savoir que faire de notre temps. Le Tour à Cuba devait commencer, et avait commencé sans nous !.. »

 

Contre son retard, l’Algérie bénéficie d’un nouveau départ du Tour.

 

Voilà comment Wikipédia résume à sa manière à l’arrivée des Algériens à Cuba.

« … La commission technique du Tour de Cuba décida de couper la compétition en deux Parties. Les cinq premières étapes donnèrent lieu à un classement autonome, appelé le Tour d'Oriente. Le vainqueur en était [le cubain] Sergio « Pipian » Martinez. Le Tour prit un second départ (…) le 11 février 1969 à Holguin avec l'accord des coureurs cubains et mexicains, "en solidarité avec le peuple frère algérien". Deux coureurs algériens se mirent en évidence, dont Kaddour Mahieddine, vainqueur d'une étape et Madjid Hamza 2e de cette même étape »


 « Pépian », un héros populaire.

 

Et voilà comment Ahmed Djelil résume « Pépian ».

« C’était un coureur extraordinaire. Il était bon sur tous les plans. Il était rapide. C’est lui qui a gagné l’étape la plus difficile, celle de la Sierra Maestra devant Mahieddine. Il connaissait le terrain, il avait aussi le matériel qu’il fallait. Il faut dire qu’il était aussi populaire que le Président de Cuba ». Fidel Castro…



« Non seulement nous étions bien reçus, insiste Ahmed Djelil, notamment par la population, mais nous étions reçus nous Algériens avec considération. C’était extraordinaire ».

 

Sur la photo de l’Agence de Presse Cubaine Prensa Latina, ’équipe algérienne composée de Sayah Ali, Mahiedine Kadour, Hamza Madjid, Chibane Belkacem avec au centre son capitaine d’équipe Ahmed Djelil (entouré d’un cercle gris), discute avec le ministre de la jeunesse et des sports de Cuba, à gauche le poing levé.

 

Feuilleton n°3 : « le Mur » de la Sierra Maestra…


L’équipe algérienne au départ. Dos à dos Djelil (en casquette blanche)

et Mahiedinne (en casque, de profil)



« Il faut d’abord dire que c’était le début de saison pour nous. Une saison cycliste qui commence normalement au mois de février pour se terminer au mois d’août. Donc pour nous le Tour de Cuba était prématuré, il s’est fait avant que nous ayons commencé nos entrainements. Nous étions partis pour Cuba parce que c’est un pays ami. Nous n’étions pas prêts ; nous n’étions pas dans l’état de forme qui se prépare à partir de mai-juin.

 

« Deuxièmement nous sommes partis sans connaitre les réalités de la topographie de Cuba, avec un matériel qui n’était pas adéquat pour leur terrain de montagne ; surtout pour les vitesses des vélos ; nous étions partis avec des braquets pour rouler sur le plat ou légèrement en côte. Le braquet est ce qui permet la transmission de la chaine du pédalier avant vers les roues dentées du pignon arrière. Nous n’avions pas les vitesses qu’il fallait pour monter les pentes raides de la Sierra Maestra. Nous avons été pénalisés par ça. »

 

[On pourrait traduire Sierra Maestra par : La Maitresse de la chaine de montagnes



Vue d’une partie de la Sierra Maestra et sa végétation foisonnante (un des monts culmine

à plus de 1900 mètres d’altitude).

Photo : Oôinn

 

 

A 56 ans de distance Ahmed Djelil se souvient encore avec émotion et soupir de cette épreuve !

 

« Dans les 10 derniers kilomètres de l’étape de la Sierra Maestra, nous avons vu un mur se dresser devant nous… Les jeeps que les équipes techniques utilisaient pour ravitailler, pour dépanner ou donner des conseils, ces jeeps là n’arrivaient pas à monter en première !

« Par exemple chez nous, pour monter à Chréa il fallait un braquet de vitesse de 21. Mais là-bas un 21 ne suffisait pas ; pour monter leur montagne il fallait un 32 ! Nous n’avions pas ce braquet ; nous avons été pris de court, parce que nous ne savions pas… Moi-même à certains endroits j’ai dû mettre pied à terre, alors que j’étais le meilleur grimpeur de l’équipe… Ensuite pour remonter sur le vélo ce n’est pas une mince affaire ! C’était très dur !

 

« N’empêche qu’un des nôtre, Mahiedine Kadour, a fini deuxième de l’étape. Il était tout à fait derrière le peloton ; j’ai été le chercher et je l’ai enguelé en lui disant que la course se fait devant pas derrière !. Dans ce type de course de haut niveau il y a la tête et les jambes ! Il n’y a pas que la force. Je pense que l’entraineur en me désignant capitaine d’équiper savait ce qu’il faisait. Mahiedine est passé devant. Nous étions une équipe combative. Nos coureurs ont fait en sorte de bloquer le peloton et Mahiedine a fini par arriver deuxième, allah yerhmou… »

 

Après cette épreuve, l’équipe algérienne bénéficie d’une journée de repos dans un village touristique fait de huttes dans la Sierra Maestra.


Chibane Belkacem en blanc, Hamza Madjid au milieu et Ahmed Djelil en survet noir.

 

 

Mahiedine acclamé par la population !

 

« Par la suite notre comportement a été extra. Nous avons participé d’une façon permanente à la combativité de toutes les étapes qui ont suivies. En tant que capitaine d’équipe, mon rôle était de surveiller, de ramener dans ou devant le peloton celui qui restait derrière ; d’encourager et d’essayer d’attaquer…

« C’est comme ça que Mahiedine a ensuite gagné une belle étape sur le plat. Il était encore à l’arrière ce qui m’a mis en colère. Je lui ai crié dessus en lui disant : ce n’est pas ta place ici ! Allez, attaque ! Il est parti comme une flèche. La centaine de coureurs du peloton ne le connaissaient pas. Ils l’ont laissé partir devant pensant qu’ils le rattraperaient et le boufferaient facilement par la suite. Mais Mahiedine roule ; il roule prenant 100 mètres, puis de200 mètres et EBQA  3LA KHIR ! Au revoir !

Je me suis mis moi-même avec Hamza Madjid et Chibane Belkacem devant le peloton pour couvrir Mahiedine et lui permettre de maintenir son avance. L’extraordinaire c’est qu’après la remise des prix à la fin de cette étape, comme il était premier, on lui a aussi remis une corbeille de légumes avec des choux fleurs et tout ça. Cuba était un pays pauvre… Lui, entouré de monde qui l’acclamait, tout gai, a distribué sa corbeille à la population. Ils étaient heureux… C’était à l’intérieur du pays… »



Mahiedine Kadour à Cuba, alors qu’il avait 25 ans

 

 

 Au final du Tour complet de Cuba de ce mois de février 1969, le capitaine d’équipe, Ahmed Djelil, est appelé à recevoir un trophée pour l’ensemble l’équipe algérienne.


Ahmed Djelil à côté de son interprète tenant le trophée. Photo : Prensa Latina.



Les Algériens visitent une usine de canne à sucre.



Photos : Prensa Latina






Un des meilleurs souvenirs de Djelil…

 

Sur la plage de Varadéro, une des plus belles plages de Cuba. Cette plage populaire avec ses hôtels et ses complexes touristiques, s’étend sur plus de 20 kms de sable blanc et une eau de mer d'un bleu turquoise … Ahmed se fait photographier (février 1969) avec des noix de coco.




La plage de Varadéro , aujourd’hui au 21 -ème siècle.

 

 

 



Abderrahmane Djelfaoui

Sébala (Draria) - Douéra

16 et 17 avril 2025






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