jeudi 25 juin 2015

Zinet, La Bataille d’Alger- (séquence une, première)

D’entrée de jeu Ali Marok me signale que tout comme avec René Vautier ou M’Hamed Issiakhem, il n’a pas eu une amitié assidue avec Mohamed Zinet. « Comme eux, j’ai par éducation et par contrainte du mener ma vie seul »…

Il s’explique: « Je suis un rural, un paysan.  Quand j’ai un objectif, je fonce et je ne vois que mon sillon. J’avais des sillons à faire dans ma vie professionnelle. Je n’avais pas le temps d’être d’un clan ou d’un groupe… Alors en cours de route, j’entends des choses, beaucoup de choses que j’enregistre et oublie sur le moment. Mon image c’est mon oreille. Elle m’aide à faire l’image… Ainsi il se peut que j’ai entendu parler de Zinet avant de le rencontrer pour la première fois sur le tournage de La Bataille d’Alger »…
Ils se rencontrèrent en effet dans le groupe qui préparait la production du film avec le réalisateur, Gillo Pontecorvo, le scénariste Franco Solinas, les producteurs italien et algérien, les assistants réalisateurs Ruggero Deodato, Moussa Haddad, Mohamed Zinet et les opérateurs de prise de vue dont Ali MaroK.
« Cela se passait au Maurétania et c’était la première fois que j’allais dans ce grand bâtiment du Maurétania qui est au dessus de la gare de l’Agha… Je ne sais d’ailleurs pas qui a proposé mon nom pour que je sois dans cette équipe ; était-ce Habib Redha, associé à la production et acteur, ou Bazi qui a terminé sa vie au Canada en tant que directeur photo ?..  Bazi technicien avait un frère aine: Salah Bazi, proche de Yacef Saadi et importante personnalité à Casbah Film ainsi que dans La Bataille d'Alger; Salah  avait été au début de la guerre de libération le camarade de Taleb Abderrahmane…"

Ce qui semble avoir frappé Ali Marok dans sa rencontre avec Zinet c’est la ressemblance de ce dernier, dit-il, avec le célèbre comédien Rachid Ksentini. « Je connaissais les gens d’Alger, mais pas Zinet. Quand je l’ai connu en ce milieu des années 60 c’était un patchwork d’influences innocentes. Il y avait en lui des influences de Charlot, de Buster Keaton et de tous ces films qu’il avait vu. Mais ce que j’ai surtout ressenti c’est qu’il ressemblait comme une goutte d’eau à Ksentini . Ksentini au caractère de révolté et Zinet physiquement de même, mais muet »…
J’écoute attentivement Ali Marok et je me dis qu’il n’a pas pu connaitre Ksentini, « Le Charlot Arabe » (dont on a peu de photographies) puisque Ksentini né à la Casbah en 1887 avait décédé à l’âge de 56 ans en 1944. Cependant avant de s’adonner à la chanson et au théâtre, Ksentini avait été un matelot au long cours qui avait connu l’Europe, l’Amérique du nord, la Chine et l’Inde… Peut être que c’est Zinet enfant de la Casbah qui (avait peut être vu) et avait du entendre beaucoup parler des fabuleux voyages de Ksentini ; Zinet qui à peine sorti de l’adolescence réussira avec peu d’argent en poche à faire un tour d’Europe à pieds et devenir célèbre avant l’heure dans son quartier… Ce qui se disait déjà de la légende de Zinet et que Ali Marok aurait entendu et mémorisé au fond de lui sur plus d’un demi siècle…


Préparer les scènes de foules

Avant d’être engagé sur La Bataille d’Alger, Mohamed Zinet (qui fut membre de la troupe du FLN à Tunis où il avait entre autres tenu le rôle de Lakhdar dans le Cadavre encerclé de Kateb Yacine monté par Jean-Marie Serreau), avait été assistant réalisateur d’Ennio Lorenzini sur le film documentaire Mains libres , réalisé en 1964. Auparavant, il avait fait un premier stage au fameux Berliner Ensemble en 1959, dirigé par la femme de Bertolt Brecht, en RDA, puis, en 1961, dans un théâtre de la RFA à Munich. Bien plus tôt, fin des années 40, Zinet avait dés l’âge de 15 ans créé sa propre troupe à Alger, El Manar E-Djazairi  (le flambeau algérien) dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’elle attirait des jeunes de la mouvance du PPA qui deviendront plus tard des cadres de la guerre de libération, particulièrement à Alger. Dans ce mouvement il connait sans nul doute son voisin de quartier Himoud Brahimi (célèbre pour ses plongées en apnée de plus de 4 minutes sous la jetée nord d’Alger…) et Ismaël Ait Djafer, casbadji comme lui, qui publie à Alger en 1952 le célèbre poème La complainte des mendiants arabes de la Casbah et de Yasmina tuée par son père …
C’est grâce à un tel profil qu’à 33ans Mohamed Zinet est coopté au poste sensible de troisième assistant réalisateur de Gillo Pontecorco chargé de la préparation des scènes de foules.




Ali Marok, opérateur et cadreur, se rappelle que « cette figuration était très importante par le nombre. Il fallait que l’assistant qui les prépare donne son rôle à chacun, les fasse répéter et répéter encore… Il fallait surtout que ces figurants anonymes comprennent bien ce que leur disait Zinet et qu’ils appliquent, ensuite, ses directives et ses conseils le mieux possible… L’écrasante majorité d’entre eux n’avaient aucune connaissance de la pratique du cinéma… ». En effet, en 1965, seuls Une si jeune paix, de Jacques Charby et La Nuit a Peur du Soleil, de Mustapha Badie, avaient déjà été tournés en tant que films de fiction sans compter le film d’archives L’aube des damnés, réalisé par Ahmed Rachedi… « En tout cas, poursuit Ali Marok, tous ces figurants étaient très disciplinés, heureux d’être là. Fiers… 

« C’était d’ailleurs presque tous les jours la fête. Il faut se rendre compte qu’à l’époque beaucoup de ces jeunes figurants avaient vécus les manifestations de décembre 1960 et de l’indépendance. C’était pour eux une sorte de réincarnation. Pour les plus jeunes, les ados, c’était une sorte de participation à la libération par film interposé… L’atmosphère était à la liesse populaire. Les rues de la Casbah, durant tout le tournage, ne désemplissaient pas. C’étaient des fleuves humains. Et tout se passait très bien. Sans qu’il n’y ait jamais aucun faux pas, aucun heurt… »
« Je me souviens de la satisfaction et de l’admiration de Pontecorvo quant à la manière de Zinet de préparer et de gérer tous ces amateurs comme s’ils étaient une pâte entre ses mains… Même après toutes ces répétitions qui duraient toute la journée, Pontecorvo faisait à son tour beaucoup de répétitions avec la caméra déchargée que je tenais tout en le suivant pour le choix des plans …
« Une des techniques de Pontecorvo pour tourner réellement les scènes de foules était la suivante. Toute la matinée et début d’après midi il laissait faire le travail de préparation que menait Zinet et qu’il suivait de loin… Puis vers le milieu ou fin d’après midi quand il sentait que les figurants étaient rodés mais fatigués, presque à bout, qu’ils ne portaient plus aucune attention à l’équipe de réalisation, à la caméra, il tournait alors. Et les résultats étaient excellents»…

Gillo Pontecorvo dirigeant Ali la Pointe et Petit Omar

En marge des foules.

« Nous formions italiens et algériens une équipe homogène. Personne ne jalousait personne. Moussa Haddad, Zinet, moi ainsi que bien d’autres comédiens et collaborateurs algériens étions jeunes ; nous avions soif d’apprendre avec un cinéaste de la trempe de Pontecorvo. Durant six mois le film était une immense production en ébullition dans Alger, de jour comme de nuit.
« La Bataille d’Alger c’était un enfer de travail – il nous arrivait de travailler 26 heures sur 24, notamment quand Yacef Saadi en interface avec Bigeard joue son propre rôle ! Saadi avait des difficultés d’élocution, tout en étant un comédien amateur même s’il avait de grandes responsabilités dans le film. En tout cas ce travail était pour moi un vrai paradis, même si cela provoquait parfois des scènes de ménage avec ma jeune épouse parce que je rentrais à 2 heures ou à 3 heures du matin … Pontecorvo avait une passion hors norme pour les tournages de nuit. Il voulait avoir le meilleur choix de prises de vues pour son montage plus tard. L’équipe de réalisation n’était pas nombreuse ; elle était appliquée, inventive et bien soudée…
« J’étais un jeune marié (mon premier bébé, ma fille ainée, venait de naître le 20 juin, le lendemain du coup d’Etat de Boumedienne). J’habitais alors prés du pont des sept merveilles au Telemly (mon voisin de palier était le cinéaste Jacques Charby, marié à une algérienne),  et je ramenais mon manger avec moi ne voulant pas partager les sandwiches de la production. Je mangeais seul au moment de la pause, qui n’était jamais très longue. Le plus proche de moi qui aussi mangeait seul était Pontécorvo dont l’épouse ramenait le repas directement sur le plateau… Sa femme était en sainte. Elle allait accoucher d’un fils… Ce fils est aujourd’hui à son tour un cinéasteC’est tout ça La Bataille d’Alger et plus encore ! Plus. Plus. Plus.»


Abderrahmane Djelfaoui

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