Témoignage sur Anna Gréki par
Malika Laliam, pédiatre et ancienne professeur des hôpitaux universitaires.
Draria, le 15 juillet 2018
Madame
Malika Laliam, au Centre des arts ESPACO (photographie Abderrahmane Djelfaoui)
…Elle s’appelait Colette, il me semble, mais on l’appelait mademoiselle Grégoire. J’étais sa petite
élève, dans les années 1953 comme ça…
…Je suis née à Annaba. J’avais cinq ans quand je suis entrée à l’école primaire,
l’école du Marché aux blés… Cela parce que je vivais avec ma grand-mère et mon
grand père qui lui avait un commerce juste face au marché central de légumes et
de poissons, au centre ville ; ça s’appelait la rue Jean Jaurès. L’école
du Marché aux blés n’était pas loin de la maison. Pour vous situer un peu les
choses, mon grand père avait commencé par faire une ou deux années à l’Ecole
normale d’instituteurs de la Bouzaréah à Alger. Il venait de Kabylie et c’est
son oncle qui l’avait envoyé faire des études à Alger avant qu’il ne s’installe
à Annaba. Par contre c’est mon père qui connaissait Grégoire, le père de
Colette…
Le marché aux légumes et poissons de
l’ex Bône (Annaba)
1950 : J’ai fais l’école préparatoire première et deuxième année à
Oued Zenati (Oued Edh hab, actuelle wilaya de Guelma) où mon père était
instituteur à l’école indigène, avec une école de garçons et moi d’un autre
coté à l’école de filles. Une époque
avec deux régimes : une école pour les « petits arabes » et pour
les français c’était autre chose… Comme j’étais l’ainée de la famille et que
mon père était obligé de rester à Oued Zénati où il avait son poste, il m’a
envoyée à Annaba chez mon grand père, lequel a surveillé mes études primaires…
Et c’est comme ça que je suis rentrée à l’école du Marché aux blés
directement au Cours élémentaire première année… Et au Cours moyen première
année, aux alentours de 1953, 1954, alors que notre maitresse de français était
absente, on eu comme remplaçante mademoiselle
Grégoire pendant environ 6 mois. Elle nous a appris la poésie. Elle était
communiste…. C’est comme ça que toute petite j’ai appris des poèmes de Pablo
Neruda, de la poésie russe et des petites chansons russes !
Pablo Neruda lisant son poème « Hauteurs du Macchu Picchu » à la
radio en 1947
Les petites chansons russes, pour nous nous fillettes de l’école
primaire, c’était Pétrouchka, et
d’autres. Elle nous avait imbibée des ces chants. Il faut dire que chez les
enseignants engagés, de gauche, il y avait à cette époque un petit attrait pour
la chose russe, pour la Russie…
Colette était magnifique, belle, blonde avec des cheveux lâchés qui lui
descendaient dans le dos jusqu’aux reins… D’ailleurs chaque fois que j’entendrais
plus tard le chanteur Gilbert Bécaud chanter « Nathalie », je
pensais à Mademoiselle Grégoire…
Malika
Laliam et… le tableau noir…
(photo
Abderrahmane Djelfaoui)
Je n’avais que 8 ans mais ça m’a frappé et j’en ai été marquée. J’ai
beaucoup aimée cette jeune femme; et moi je suis sensible au Beau, allah ghaleb. Elle s’habillait
simplement, elle n’était pas sophistiquée avec du rouge à lèvres ou des
chaussures à talons et tout ça ; non, du tout. Elle était discrète ;
elle n’était ni tapageuse, ni tape-à-l’œil. Elle parlait très gentiment et elle
nous faisait chanter, nous, les petits enfants…
C’est pour ça qu’après plus de 65 ans je ne peux pas l’appeler Anna
Gréki, je l’appelle encore Mademoiselle Grégoire alors que j’ai
72 ans ! Elle me faisait penser un peu à notre style de vie à nous à la
maison ; nous étions une famille d’enseignants où tout était tranquille,
tout étaitt réglo… Je me souviens comme si c’était hier !.. Mademoiselle
Grégoire était adorable avec les enfants. Elle devait avoir à peine 20
ans et elle ne faisait pas de différence entre les enfants indigènes et les
français….
« … Avec un famélique entrain les gosses dorment
dans leurs habits fiévreux qui s’évaporeront
demain prés du poêle de la classe
aux dents de lait… »
Anna Gréki
Bône 1956
Extrait de : Algérie,
capitale Alger ; 1963
.. Des lainages mouillés… J’en ai vu des misères ; j’ai vécu
l’école sous le colonialisme! On avait une autre enseignante pied noir, mais
alors mauvaise!..
Malgré ça je me souviens de quelques unes de mes camarades de classes
dont certaines étaient mes copines… Il y avait une petite israélite ;
c’était la concurrence entre elle et moi. Elle s’appelait Michelle El Kaïm. On
était assise l’une à coté de l’autre. La course ! A chaque composition
c’était soit elle la première et moi la deuxième, soit moi la première et elle la
deuxième de la classe. C’était une excellente élève… Il y avait Liliane
Dubourg. Danielle Perez n’habitait pas loin de l’école, son père était
préparateur en pharmacie. Il y avait aussi Joëlle Bracal ; l’immeuble où
elle habitait avec ses parents était mitoyen à celui où j’habitais avec mes
grands parents ; on se parlait d’une terrasse à l’autre. Mais ses parents n’aimaient
pas qu’elle vienne parler avec moi ; ils lui criaient : « Joëëëëlle Viens Ici ! »… Je me
rappelle également d’une russe blanche ; elle s’appelait Michelle
Kondratiev, elle était miséreuse… Il y en avait une qui était bien et dont
la mère était institutrice, - je la vois très bien -, elle s’appelait Nelly
Alain ; sa mère qui avait divorcé avait reprit son nom de jeune fille :
Stefan. Et quand Nelly fêtait son anniversaire, j’étais invitée, j’étais de la
fête. Il y avait quand même quelques pieds noirs qui étaient proches de
nous…
Et les Algériennes, les pauvres,
il n’y en avait pas beaucoup. Peu être les cinq doigts de la main… Il y avait
Fadhila Hamzaoui, la pauvre ; elle était grande de taille et Dieu l’avait
faite grande. Elle avait 13 ans ans alors que nous on n’avait pas 10 ans. Eh
bien, ils sont renvoyés à 13 ans. On s’arrangeait pour les faire redoubler puis
on les renvoyait pour passer le certificat d’études ou faire une école de
formation : la cuisine, la couture… Et dans cette école, parmi les Algériennes
je pense qu’il n’y a que moi qui suis allée au lycée… En 56 j’étais au lycée il
me semble ; j’étais en sixième…
Mademoiselle Grégoire, Je ne
l’ai connue donc que pendant six mois ; elle faisait un remplacement d’une
maitresse qui était partie peut être en congé de maternité ; à moins que
ce ne soit son père qui l’avait placée là en attente d’un poste. Son père était directeur à l’école mitoyenne de
garçons à Annaba. Mon père connaissait son père ; les instituteurs se
connaissaient tous… Monsieur Grégoire on ne le voyait seulement que le jeudi
quand ils organisaient la séance hebdomadaire de cinéma à l’école de garçons
avec des films de Charlot. Le jeudi après midi les deux écoles, garçons et
filles, on allait au cinéma…
Charlie
Chaplin : THE KID (1921)
Propos recueillis par
Abderrahmane Djelfaoui
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