samedi 5 avril 2025

Abdelkader Boumala 2

 


Traces lumineuses du calligraphe

Abdelkader Boumala

en son atelier au Bois des Arcades, 


(2 eme partie)





« Le 6 juillet 1978 j’étais revenu du Caire. Les réponses à mes démarches étant contraires à tous mes vœux, je n’ai pu ni intégrer l’Ecole des beaux-arts d’Alger, ni une Direction des AE ou de la Présidence pour y exercer ma spécialité de calligraphe…

Je suis resté 7 mois au chômage jusqu’à ce que j’intègre la SNED en 1979 grâce à son DG, Baghli, qui 4 ans auparavant, responsable au Ministère de l’information et de la culture m’avait attribué une bourse d’étude au Caire… »

 

 Modernité de l’écriture calligraphique à la charnière des années 70-80.

 

Avant d’exercer à la SNED, Abdelkader Boumala réalise une série inédite de trois calligraphies en koufi carré déjà exposées dans le précédent blog et que je reprends ici pour leur importance.


« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ».

« Et Nous t’avons envoyé comme Miséricorde pour tous les Mondes »

 

Dans la première de couleur froide, si la lecture se fait de gauche à droite, le dégradé du bleu de Prusse, [une couleur que l’artiste affectionne] se fait elle depuis le bas jusqu’au ciel du bleu clair. Deux mouvements en harmonie croisée qui permettent une lecture aisée d’un texte sacré cher au calligraphe…



Dans la seconde de même format mais de couleur chaude, la lecture et le dégradé s’unissent dans le même sens de gauche à droite. 

Le texte est devenu difficilement lisible …



Dans la troisième, seul subsiste le contraste du noir et blanc d’un texte illisible, indéchiffrable….

 

Boumala, qui avait fait trois années d’études modernes en art avant de choisir la calligraphie (au lieu de la céramique comme l’espéraient certains de ses enseignants), me dit que les esquisses de ce travail, il les avait déjà commencées avant même son départ pour le Caire…

 

« En 78 j’étais impressionné par le travail du peintre Vasarely. A la réflexion je me suis dit : pourquoi ne pas travailler mieux que lui mon texte alors que son travail ne se fait que sur la forme… 

"C’est ainsi que j’ai travaillé trois versions sous trois formes de lignes, de dégradés de couleur froide ou chaude jusqu’au noir et blanc intégral … C’est un travail que j’ai mené d’une seule traite durant les 48 heures qui ont suivies le décès du Président Houari Boumediene… »

 

« La SNED ne fut qu’un intermède de 6 mois » …

 

A l’âge de 26 ans, il se trouve intégré à la Direction du Livre où il est rejoint par les jeunes miniaturistes Boukaroui, Bentounès et Ali Gafsi qui avaient poursuivi leurs études en Iran… 



IL collabore à la revue de culture générale pour enfants « JARIDATI », dont il me tire du fond de sa bibliothèque la seule poignée de numéros publiés il y a plus de 45 ans… 

Il réalise aussi dans cette institution de grosse industrie culturelle des couvertures de livres dont une pour le professeur Saadallah dont le temps de travail en tant que chercheur prévalait sur tout et va profondément le marquer en devenant son ami…

 

De nouvelles tâches accaparent le calligraphe à la Présidence de la République.

 

D’août 1981 à décembre 1984, il va collaborer seul ou avec d’autres artistes à d’importantes réalisations.




Boumala m’ouvre ses tiroirs… 

A l’intérieur du Musée de l’Armée il conçoit un texte gigantesque de 35 mètres de long et deux mètres de haut en style koufi-Fatimide…

Epoque où il réalise la calligraphie de plusieurs plaques de marbre que Chadli Bendjedid, Chef de l’Etat inaugure, ainsi que des parchemins enroulés dans des tubes cimentés sous la première pierre d’édifices…

Avant la principale réalisation à laquelle il collabore pour la coupole du Maqam Echahid de Riad El Feth inaugurée en 1984, il participe à la fresque en céramique murale du Foyer de l’Ecole des Banques de Bouzaréah en 1983. La calligraphie est de Boumala et la céramique signée Boumahdi.



Reproduction photo conservée par Boumala dans ses tiroirs montrant un détail de la fresque

 

 

La Coupole de Maqam Echahid (1984)


Carton de la 1ere maquette imaginée par Boumala.






Maquette finale pour une réalisation de 6 mètres de diamètre en espace réel

Au centre, la Bismillah en khat Toulouth de Mohamed Cherifi.

 

Les multiples mouvements circulaires compartimentés et harmonisés par les Lâm-Alif en gras

sur le dernier grand cercle mettent en valeur le verset :

« Oua lâ tahssibna elladhîna qoutilou fî sabîli allahi amouâtan bal ahyâoun

‘indâ rabbihim arzaqoun », calligraphié en koufi.fatimide.



Boumala explique sur la grande photographie couleur de la coupole l’étagement des contributions (dont celle de Bachir Yelles pour ce qui est des arcs porteurs) et dont la réalisation architecturale résistante et légère, en fibre de verre, est confiée au constructeur canadien Lavalin.




Il participe cette même année 1984 à l’exposition collective « 10 ans de peinture algérienne », organisée au Musée national des Beaux-Arts d’Alger.

 

1988 : De la Mosquée de Garidi aux « Amis du Tassili ». 


« C’est du plâtre creusé par un artisan marocain, mais seulement à 5 millimètres de profondeur ce qui n’est pas suffisant pour donner toute la force de vision à la calligraphie. Le projet initial était de calligraphier tout le pourtour de la grande salle de prière, mais le manque d’argent à annulé cela. »

 

La même année, Sid Ahmed Kerzabi, Directeur du Parc national du Tassili et Président des « Amis du Tassili », dont Abdelkader Boumala est le voisin de résidence à Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger, lui commande la maquette du Diplôme d’honneur calligraphié en lettres tifinagh.

 


Après cette année, vont suivre ce que Boumala appelle « des années creuses » qui sont surtout dues à la longue maladie de son épouse et mère de ses enfants, puis sa disparition… Lui, qui déjà à l’âge d’à peine quinze ans, la disparition de son père l’avait obligé à être le responsable de sa famille à Taher, dans la wilaya de Béjaia…

Malgré le fait qu’il enseigne à l’Ecole des beaux-arts depuis 1985, qu’il participe en 1989 à un hommage collectif au peintre et miniaturiste Mohamed Temmam (1915-1988) dont il avait été l’élève au début des années 70, s’ajoute à cet aspect « de tristesse et de creux », les évènements d’octobre 88 et la chappe de plomb des longues et terribles années du terrorisme qui vont suivre …


Ses différentes participations aux semaines culturelles organisée à l’échelle régionale ou internationale (de Rabat à Baghdâd, puis en Europe) n’atténueront pas ce profond sentiment de difficulté et de pessimisme…




1997-1998 : « L’Enfant jazz » !

 

Ne pouvant se rencontrer à Alger, le projet de livre sur le recueil de poésie « L’Enfant jazz » est amorcé à Paris entre l’écrivain Mohamed Dib et le plasticien Rachid Koraichi en 1996 ; il aboutira en 1998 grâce à Mustapha Ourif, Directeur de la galerie Isma de Riadh El Feth.

Le livre contient 28 poèmes en français de Dib en miroir de 28 lithographies de Koraichi ; et Dib avait choisi le format rectangulaire (m’informe Ourif) parce que cela lui rappelait un fusil ce qui référait directement à la situation tragique d’alors en Algérie.

Boumala monte sur un escabeau pour descendre l’exemplaire numéroté qu’il possède…







La sortie du livre et vernissage de l’exposition, avec 100 premiers exemplaires de bibliophilie numérotés et signés par les auteurs, dont l’éditeur est Mustapha Ourif, s’est fait simultanément à Paris (Atelier Bordas de lithographie) et à Alger (Galerie Isma) en 1998.



Puis un nouveau siècle s'annonça et  avec lui une repride de la modernité !




« Oua houwa ‘alâ koulli chayïn qâdirin »


Dès le début des années 2000, tout en poursuivant son enseignement à l’Ecole supérieure des beaux-arts, Abdelkader Boumala renoue personnellement avec la recherche académique et passe avec succès son diplôme de magister.

Son travail inédit, très fouillé et précis porte sur les fondements de l’itinéraire artistique de Omar Racim (1884-1959).

Il fait la tentative de publier ce travail sous forme d’ouvrage grand public, mais le projet reste sans suite faute d’éditeur.





« El Hamdou Li-llah ».  ou la modernité du carré…

40 x 40 cm, peint en bleu de Prusse. 2023




« Qoul a’oudhou bi-Rabbi el falaqi » .2024

 

L’on voit bien par l’éclat des couleurs et le brio des lignes de cette calligraphie prise parmi une dizaine d'autres que Boumala développe une pratique artistique qui renoue et dépasse

les premières tentatives de la fin des années 70 du siècle passé

évoquées au début de cet article.

 

 

 

 

 

 

Abderrahmane Djelfaoui

Bois des Arcades (Riad El Feth) – Douéra

5 avril 2025

 

 

 

PS ; Pour être juste, il faut dire que ce papier qui résume vite et même saute bien des étapes n’est que la pose d’un certain nombre de pièces d’un puzzle pour aller vers le cœur de la création calligraphique chez Abdelkader Boumala.





samedi 15 mars 2025

Ahmed Djellil, star du cyclisme, raconte son enfance dans la guerre…

 

Ahmed Djellil, star du cyclisme,

raconte son enfance dans la guerre…



La dernière neige vue de Makouda…

 

Je suis né en 1944, et c’est là à Makouda que j’ai commencé à prendre conscience de la vie avant d’aller à l’école…. Nos parents habitaient la plaine, mais le centre de Makouda c’est la montagne ; enfant je faisais donc cinq kilomètres à pied pour aller de la maison du grand père où je suis né en bas du village, jusqu’à l’école située sur les hauteurs...

 

Ce n’est que bien après que mon père a construit une maison en haut de Makouda… Avant ce ramadan j’étais là-bas avec ma femme pour lui montrer le chemin quotidien que je faisais qu’il neige ou pas ; et lui montrer aussi le cimetière où sont enterrés mes parents… Notre habillement d’enfant était réduit ; nous n’avions pas de chaussettes mais juste un bout de galette dans la guelmouna du burnous pour la journée… Il n’y avait pas de cantine et parfois il faisait moins 5°… Sur un des chemins de traverse il y avait un endroit où j’enlevais de la craie pour écrire sur l’ardoise. C’était fabuleux : je n’avais que six, sept ans ! Nous montions en groupe de cinq ou six cousins pour passer la journée à l’école. Souvent le soir chacun redescendait seul sans lumière, en traversant le cimetière… 



Makouda de haut en bas, années 50…

 

L’école c’était le savoir et j’y allais avec plaisir. J’étais un bon élève. En plus comme mon père était commerçant en haut de Makouda, c’est moi qui tenais le magasin d’alimentation générale en sortant de l’école. Il allait chercher la marchandise en voiture, et moi j’avais 8 ans. On vendait de tout y compris de la paille, donc calcul mental, prix, poids et tout ! Et le soir, quand la nuit était déjà tombée, je redescendais seul à travers les oliviers et la foret jusqu’à la maison familiale…

 

Un jour sortant de l’école, et comme je courrais très fort j’ai eu un point de côté. J’avais tellement mal je me suis étendu sur un tas de paille séchée qui était sur le bord du chemin, sur le dos…

 

Et là j’entends quelque chose derrière moi… J’ai fermé les yeux… C’était un serpent ! je suis resté immobile. Peur ?  Je ne savais pas ce que c’était la peur…

 

Quand j’y pense maintenant je me dis c’est incroyable ! J’étais petit… J’ai ouvert les yeux et je l’ai vu partir. C’était avant la guerre vers 1952-53. J’ai raconté ça à mes enfants… Mais cette enfance belle n’était pas facile. C’était même terrible !..



Assis au pied d’un olivier plus que centenaire

 près du cimetière des parents, Ahmed Djellil se souvient…  

 

Un directeur d’école nommé Christian Buono

Le Directeur de l’école était le beau-frère de Maurice Audin. Cet homme, Christian Buono, était marié avec la sœur de Maurice Audin, Charlye Audin. Leur fille s’appelait Geneviève… Il était directeur et il donnait aussi des cours, mais moi je ne l’ai pas eu comme enseignant. C’est un autre français qui me donnait des cours, mais il me connaissait et connaissait mon père. Il avait le même âge que mon père, la quarantaine comme ça. Il portait des lunettes ; il n’était pas grand de taille. Il était alerte, vif… Bien habillé, simplement. Net !



Christian Buono.


70 ans après, Ahmed Djellil devant le portail d’école de son enfance

 

Je me rappelle bien de lui parce qu’il est venu me voir après l’indépendance, en 1964, quand j’étais devenu une star du cyclisme. J’avais gagné le Grand Prix de l’indépendance en 1963 en tant qu’espoir sur le parcours Alger-Tizi Ouzou et retour. C’était après les attentats de l’OAS… J’avais 18 ans… Un agent des PTT gagnait moins de 300 DA…

J’étais en 4ème catégorie espoir et j’ai dépassé les séniors de haut niveau en arrivant 1er de toutes catégories à Montserrat Orangina à Birmandraes ! J’avais gagné la belle somme de 3750 francs ! C’était dans tous les journaux et ça m’a ouvert la porte de la sélection nationale avec les Zaaf, Hamza, El Baragui, Mahieddine et bien d’autres… Mon père qui ne savait pas que je faisais du cyclisme était à l’arrivée. Quand il a vu que c’était moi le premier, il n’en revenait pas !

 

Le cyclisme était très populaire en Algérie, et certainement informé de ma victoire par les journaux, Christian Buono a cherché à me retrouver et il a fini par venir jusque chez moi à la maison à Alger. Il connaissait bien mon père. Il connaissait un peu notre passé de guerre à Makouda, aussi il était fier et fou de joie… Il m’a dit : Ah, mon petit Louison ! par rapport à Louison Bobet qui avait gagné trois fois le tour de France entre 1953 et 1955… Je lui ai répondu en souriant : Ecoutez monsieur, je ne suis pas Louison Bobet, je ne suis que Djellil de Makouda.


Le jeune Djellil devenu champion cycliste !

Ce qui est fantastique c’est que Christian Buono qui savait que j’étais blessé a tenu à venir soutenir ensuite à l’entrainement quand la sélection nationale préparait les jeux africains pour le mois de juillet 1965 où je me suis classé 4ème … Avant, en mai 1965, j’ai été sélectionné pour la Course de la Paix, une course de 15 jours à travers la RDA, la Tchécoslovaquie et la Pologne. En passant dans chaque ville, personne ne travaillait, c’était la fête ! C’était le top des tops et j’étais l’un des meilleurs coureurs africains là-dedans. C’était fantastique ! Une course mondialement connue ; malheureusement, un jour de chaleur torride dans les hauts Tatra, montagnes entre la Pologne et la Slovaquie, alors que ça roulait à 60 à l’heure j’ai fait une chute, je me suis cassé la clavicule en tombant sur le pavé et je me suis retrouvé à l’hôpital …


Le début de la révolution algérienne

Un matin de 54-55 un convoi militaire français devait déboucher dans la montée juste après le tournant à quelques dizaines de mètres de la maison de mon grand-père… C’était la guerre. Devant chez nous, il y avait un grand arbre…

Quelques moudjahidine ont vite installé haut un fusil mitrailleur 24 et attendaient… Sur la première jeep qui est apparue au tournant ils ont tiré tuant les soldats et ils ont décroché… Ça a été terrible pour les habitants de la zone pendant toute la journée et après…

 

Ça me rappelle une autre image un an après : on ramenait les corps de quatre jeunes soldats français partis en opération et tués dans une embuscade sur une route par les moudjahidine dans les environs de Makouda. Je les connaissais…Un soldat devant le magasin par rage me donne une gifle si forte qu’il m’a fait tomber à terre ! Je me dis aujourd’hui encore : si j’avais une arme je ne sais pas ce que j’aurais fait ! Ce jour-là, j’avais une haine des français ; j’avais 11 ans… Je me rappelle que même le chien de la maison n’aimait pas les français. C’était un chien méchant.

C’était d’autant plus humiliant qu’on avait un proche parent revenu de la guerre d’Allemagne avec un bras complètement disloqué qu’il n’utilisait plus. On m’avait raconté qu’à son retour il avait dormi 15 jours d’affilée pour récupérer…


Ahmed Djellil debout près de ce qui fut l’épicerie générale, 

qui allait être occupée par l’armée française, 

avec au-dessus l’étage d’habitation familiale.


Vue de l’autre côté de la rue, vers le sud-ouest

 

 Un autre souvenir juste en face du magasin de mon père : j’assiste au premier attentat ! Un résistant tire avec un vieux pistolet sur le garde champêtre qui tombe avec son sang qui coule.  L’autre l’achève à coups de crosse. Je regardais… Puis il s’enfuit ! Les militaires français arrivent. Il n’y avait plus personne que mon père, mon oncle et moi … Je me rappelle même du nom de la victime, Kaci Moudèche, un voisin que je connaissais, qui était du côté français et qui étais jaloux parce que mon père avait un commerce et le soupçonnait de travailler avec le FLN. C’est que mon père avait milité au Parti du Peuple Algérien (PPA), mais à l’époque je ne savais pas moi-même ce que c’était ; ce n’est qu’après l’indépendance que j’ai compris…

 

Fin 56 mon père est arrêté. Il est resté prisonnier trois mois dans une cave à fumier ; c’était celle d’une vieille maison en face qui faisait office de prison. Cette maison appartenait à un moudjahed, l’armée française l’a occupée. Arezki mon père était donc prisonnier en face de notre propre maison…  


Une des rares photos d’Arezki, tête nue, avec un parent.

En France, avant la guerre de libération nationale

 

Le drame s’amplifie avec la tragédie du grand père…

 

Il s’appelait Ahmed, comme moi, et avait une grande personnalité allah yerhmou. J’étais son petit enfant préféré. Comme il avait des biens, il avait engagé un enseignant d’arabe spécialement pour moi, deux de mes cousins et mon jeune oncle Lounès qui est mort au maquis pour nous donner des cours à la maison. Lounès était un vrai arabisant à l’époque. Mon grand-père voulait qu’on soit bien instruits. L’enseignant habitait avec nous. Je me rappelle il lisait régulièrement le journal Le Monde et il a fait le pèlerinage au lieux saints vers 1948. C’était un monsieur pieux qui dés cinq heures du matin était dans les champs pour travailler. La foi était une relation entre lui et son Créateur…

Le grand père Ahmed à droite  et son fils Lounès en médaillon


Milieu de l’année 1957, dès la libération conditionnelle de mon père, un matin dès la fin du couvre-feu, mon père, ma mère, moi et mes deux sœurs avons embarqués dans la camionnette 203, bâche rabattue et nous avons fui Makouda pour aller d’une seule traite nous installer à Tipasa… La guerre devait se poursuivre au village, dans les villages alentours, dans toute la région par des bombardements au napalm, l’Opération Jumelles en Kabylie… La France faisant pire que les nazis.

 

Pour en revenir à notre famille, je vais dire les choses rapidement. Lounès, le fils de mon grand-père qui portait un béret basque, avait fini par tuer en 1960 un maquisard qui avait été retourné et mis au service de l’armée française à Makouda.

Il avait été contacté par les frères du maquis pour cette mission. Cette mission était possible parce que le commandement français avait obligé Lounés à une demie journée de corvée à la caserne (c’est-à-dire dans notre propre maison) et une demie journée libre pour lui…

Vivant avec la soldatesque française, Lounès avait réussi à endormir la vigilance du traitre dont les délations provoquaient carnage sur carnage. Un jour de ramadan Lounès a demandé au traitre de l’aider à transporter un madrier. Il était midi et les soldats étaient occupés à bouffer.. Quand le traitre s’est baissé, Lounès a sorti son pistolet de sous le béret et l’a tué sur le coup …

En athlète, il a réussi sauter derrière la maison et les barbelés, puis il est allé rejoindre le maquis par la plaine…

 Dans la maison du grand père en bas de Makouda, on ne savait rien… Quand le grand père El Hadj Ahmed est monté vers notre maison paternelle, les soldats l’ont encerclé avec trois membres de notre famille. Les soldats leur ont donné des pioches et leur ont ordonné de creuser une tombe. Devant la maison paternelle… Ils les ont assassinés tous les quatre et les ont poussés dans le même trou... A plus de 80ans je ne peux que murmurer QUELLE CIVILISATION !



Ahmed Djellil médite auprès des tombes de son grand père et de son père,

au cimetière familial de Makouda dominant la plaine.

 

 

 

Après l’indépendance, le grand père et les trois membres de la famille ont été à nouveau enterrés dans le cimetière familial chacun dans une tombe.

 

Lounés lui est tombé au champ d’honneur, au maquis. La ville de Makouda a baptisé de son nom une des écoles primaires à l’entrée de la ville.





Abderrahmane Djelfaoui

SEBALA (Draria)  – MAKOUDA – DRARIA

14 et 15 mars 2025


dimanche 9 mars 2025

NABDH EL-HOUROUF LE POULS DES LETTRES

 



NABDH EL-HOUROUF

LE POULS DES LETTRES


Galerie HALLA – Alger

Du 8 mars au 10 avril 2025



L’exposition invite les publics à visiter près d’une cinquantaine d’œuvres de calligraphes algériens contemporains dont le vernissage (est-ce un hasard ?..) s’est tenu fin de la première semaine de ramadhan et dans la soirée de la journée même du 8 mars…

Y sont exposés une douzaine de calligraphes femmes et hommes qui vivent et travaillent à Alger, au Mzab, à Mostaganem, Souk Ahrass et même au moyen orient…

 C’est pourquoi le titre de l’exposition (« Le pouls des lettres ») indique bien l’importance donnée à une tendance contemporaine de la calligraphie arabe dans notre pays ; celle d’un art vivant, un art contemporain en relation avec les acquis universels de notre temps.

 La seule critique que l’on peut faire d’entrée de jeu est que cette exposition n’a pas de catalogue. Elle en manque cruellement. Le catalogue aurait été « le cœur » battant de ce « pouls des lettres » par la traçabilité d’une bonne présentation biographique, historique et culturelle de tous les croisements réels (humains, thématique, graphique, technique des matériaux utilisés, etc) de ce noble courant de l’art du 21 -ème siècle.

 Nous exposons ici rapidement quelques-unes de ces œuvres et incitons nos lecteurs à aller visiter, goûter et méditer d’eux-mêmes la fluidité de cet art à la belle galerie Halla. 


CHERIFI MOHAMED. 





Doyen de l’art de la calligraphie dans notre pays (créateur par ailleurs de nombreux billets de banque, de pièces de monnaie, etc), les mots qui me viennent immédiatement à l’esprit face à cette œuvre photographiée sont : la clarté, le mouvement d’ailes des lettres et l’aura de spiritualité qui poursuit une longue et riche tradition millénaire de la calligraphie arabe.

 

BOUMALA ABDELKADER



Magnifique et rigoureuse calligraphie d’un texte du poète et artiste visuel libanais Gibran Khalil Gibran (1883-1931) dont l’œuvre mondialement célèbre est « Le Prophète ».


Un vrai « pouls des lettres » dans sa splendeur avec comme première phrase de ce tableau: « oualoun li-oumatîn takthourou fiha el-madhahibou oua et-tâouaïfou oua takhlou min ed-dîn… »

 

BEHIRI MOHAMED




Avec ces deux calligraphies, 

BEHIRI Mohamed obtient à Istamboul le 2 -ème Prix du Jaly Thoulouth



Illumination :


بسم الله الرحمن الرحيم
{وَٱتَّبِعْ مَا يُوحَىٰٓ إِلَيْكَ وَٱصْبِرْ حَتَّىٰ يَحْكُمَ ٱللَّهُ وَهُوَ خَيْرُ ٱلْحَٰكِمِينَ}
سورة يونس، 109

 

Né en 1959 à Maghnia, il commence ses études d'art à Oran puis les finit à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger (1980).  Il part ensuite à Istamboul où il réalise un magister en arts islamiques. Il est second lauréat pour le Jaly Thoulouth. 

Il quitte la Turquie pour les Emirats arabes unis où il enseigne durant une dizaine d’années avant d’aller participer à la création de l’Ecole de la miniature en Jordanie… 

Ce grand calligraphe qui vit et travaille aujourd’hui à Tlemcen est , après Chérifi Mohamed, le second à être titulaire d’un doctorat sur l’art de la calligraphie.


 DJAMAI REDHA



Quelle gesse est dite ici par un jeune artiste plasticien et calligraphe né à Tebessa, Maitre de conférences à l’université de Mostaganem et également doctorant en philosophie à Alexandrie, en Egypte ?..

Face à cette étonnante toile d’un réalisme situé au milieu de deux mondes (avec sa semblance de deux morceaux de scotch…) je ressens la réflexion d’un message, celui d’une écriture de l’écriture… Un palimpseste.

 

BOUTHLIDJA MOHAMED


                                                                               Dimensions : 62 cm x 93 cm

 

Calligraphie de lettres solaires donnant l’impression d’un tissage de laine ! Tissage berbère. Le support est une mince feuille de bois…

Après des études aux beaux-arts d’Alger, puis de Paris, il a étudié près de cinq ans à l’Ecole de la calligraphie du Caire d’où il sort classé 2ème de sa promotion (en 1977) des toutes les écoles de calligraphie d’Egypte.

Il vit et travaille à Souk Ahras, où il a son atelier et a ouvert une galerie d’art.

 

ZAROUR ZHAREDDINE

Dimensions : 45 cm x 45 cm - Matériau : Verre sablé


Voilà des yeux de lettres superposées et en relief qui nous ouvre, comme en un moment musical, un monde nageant en osmose avec un autre monde.

Zaarour, issu de l’ESBA d’Alger où il avait Abdelkader Boumala pour professeur, est un artiste spécialisé dans la réalisation sur verre de cadeaux d’entreprises ou personnalisés ainsi que dans les projets de décoration hôtelière en intérieur..

Il vit et travaille à Alger et au Qatar.

  


KEZAS YASMINE

Dimension :105 cm x 85 cm



Ce détail de la composition de Kezas Yasmine me donne une sensation inédite, celle d’une  calligraphie bijoutière…



KAS ASSIA


Dimensions : 11 cm x 11 cm

  

Ne ressemble-t-il pas à un  oiseau nageur, un oiseau émérite du sens des lettres?..

  



KHEITAR OMAR

Dimensions : 40 cm x 28 cm

 

 

Tension et perplexité dans la recomposition des lettres malgré l’origine éparse de leurs strates culturelles…

Comme si les éclats de l’abstraction et ceux du réalisme voulaient se rassembler dans l’harmonie en une feuille unique. Lecture une à voix multiples…

 


LAOUISSI RAMISSA



Dimensions : 49 cm x 64 cm



Dimensions : 49 cm x 64 cm

 

Seul émane le son or de LUI… 

Il ne nous suffit que d’ouvrir doucement les portes du silence et de l'intention bonne… 

 

Avec nos remerciements quant à l’initiative de la Direction et du Gérant de la Galerie ainsi qu’aux calligraphes qui entonnent pour nous ces chants aux « pouls de leurs lettres » . Plus qu’une simple visite, cette exposition peut devenir par la richesse des émotions, des réflexions et de l’envolée de notre imagination par la méditation un vrai voyage. Une découverte inattendue.

 






 


Texte et photographies :

Abderrahmane DJELFAOUI

La 1ere et dernière photographies sont de:

Chafika Aitoudia


Douéra

9 Mars 2025