jeudi 4 septembre 2025

1er JANVIER 1950, JOUR DU MOULOUD:

DES FUNERAILLES POPULAIRES

ONT LIEU AU CIMETIERE 

 SIDI M'HAMED D'ALGER...


...  Avec environ 300 000 habitants après la seconde guerre mondiale, Alger était  alors considérée par la France coloniale comme "la Métropole de l'Afrique du Nord française"...


Le boulevard de Lyon (aujourd'hui Belouizdad), 
avec au fond de l'image le Djbel d'El 'Aquiba, dans les années 50.


Les immeubles modernes donnant sur les grandes rues commerçantes comme sur le marché de gros de Belcourt sont essentiellement habités par des européens. 

Au cimetière de Sidi M’Hamed, boulevard de Lyon où passe le tramway dans les deux sens,  une marche de plusieurs milliers de personnes accompagne  ce dimanche « un fils du pays » vers sa dernière demeure. La foule qui accompagne le défunt est tellement dense qu’elle reste en grande partie hors les murs du grand cimetière algérois. L'un de ces murs donne sur la ruelle populaire en pente raide qui va vers Clos Salembier, au-delà du djebel...

                                                 Photo: Abderrahmane Djelfaoui


Ammar Belkhodja, journaliste et historien scrutant depuis plusieurs décennies l’inédit ou l’occulté des traces du mouvement nationaliste me confirme par téléphone depuis la ville de Tiaret où il réside : « Il y avait au moins 12 000 Algériens !.. " 

Imaginons un instant ces milliers d'Algériens ("non Français") défilant en silence derrière la dépouille de Ali El Hammami, ce dimanche 1er janvier, c'est à dire au-lendemain même du réveillon européen du nouvel an!..

Rappelons un fait politique important qui s'était produit quelques semaines auparavant, en décembre 1949. "Messali [1er dirigeant du Parti du Peuple Algérien- PPA] proposa une action commune au PCA [Parti communiste algérien] et à l'UDMA [Union Démocratique du Manifeste Algérien, de Farhat Abbas] sur la base de la déclaration lue au Congrès de la Paix par le professeur Mandouze au nom de 21 organisations algériennes. Cette déclaration énonçait le droit du peuple algérien d'être souverain et indépendant et affirmait :"Tous les peuples coloniaux sont en état de guerre car le colonialisme est un état de guerre chronique". Une nouvelle fois, le PCA rejeta cette proposition". (Extrait de "Messali Hadj" de Benjamin Stora. Editions Hachette, 2004. )

Messali El Hadj en 1950


L'enterrement de Ali El Hammami a donc lieu dans cette atmosphère de grand mobilisation et de crise du mouvement national. 

Que se passe-t-il au cimetière de Sidi M'hamed?  Amar Belkhodja me précise toujours au téléphone: 

"Ferhat Abbas Président de l'UDMA y a fait l’oraison funèbre accompagné par Bachir El Ibrahimi [Président de l'Association des Oulémas] et Tewfik El Madani [Historien et futur ministre des habous à l'indépendance]. Mais aussi de nombreuses associations, dont l’association des instituteurs. Ce fils du pays est, d’après les registres mêmes du cimetière, le premier à être enterré ce premier janvier 1950»… 

Farhat Abbas fait l'oraison funèbre de Ali El Hammami




Monographie de plus de 300 pages éditée en 2008




LE PARCOURS D'UN INTELLECTUEL ANTICOLONIALISTE ET DEFENSEUR DE L'UNITE MAGHREBINE

Mais qui est donc Ali El Hammami ?

Né en 1902 à Tiaret, où il fait ses études primaires, Ali El Hammami accompagne jeune ses parents à la Mecque qui, sur le chemin du retour, s’installent à Alexandrie. Après le décès de ses parents, enterrés à Alexandrie même , Ali qui a à peine plus de vingt ans (et ne cesse de relire l’immense ouvrage d’Ibn Khaldoun depuis son adolescence) s’engage sur un cargo et débarque à Tanger. De là, il ne va pas tarder à prendre part à la guerre du Rif sous le commandement d’Abdelkrim qui combat les armées coloniales dirigées par Pétain… 

 

Abdelkrim El Khattabi en janvier 1925


Après le Rif, ce sera ensuite Paris d’où en 1924 l’Emir Khaled délègue El Hammami à un congrès à Moscou où il partagera la chambre de Ho Chi Minh qu’il instruisit de la guerre de résistance populaire du Rif…

Ho Chi Minh, au début des années 20...


De Moscou, il voyagera longuement à Sébastopol, à Istanbul, en Italie, à Madrid, Berlin, Genève… 

Traqué en Europe il finira par s’installer longuement à Baghdâd où, une dizaine d’années durant, il fait fonction d’enseignant d’histoire et de géographie. 

Baghdad , 1940


Début des années 40 il commence enfin à Baghdad la rédaction en français de son long roman, Idris ; qui portera en sous titre «roman d’un nord africain ». 
Ce n’est qu’à partir de 1946 qu’il est autorisé à résider au Caire où il publiera Idris en 1948, préfacé par l’Emir Abdelkrim El Khattabi banni de son pays, le Rif depuis plus de 20 ans…




Dans l’une des pages de ce roman El Hammami s’épanche : « C’est à l’étranger où l’on apprend le mieux à connaitre son pays : la vieille terre où reposent les aïeux, où la langue déliée, a balbutié son premier mot, où l’œil a saisi sa première couleur et où le cerveau, ayant atteint sa maturité, l’on a commencé à comprendre un peu la trame des joies et des souffrances qui ont confabulé l’histoire de la famille à laquelle on appartient par toutes les fibres du corps et de l’âme ».

Dans une étude critique le Dr. Chikh Bouamrane explique : «  Ce qui frappe à la lecture d’Idriss, c’est d’abord la vaste culture de Ali El Hammamy.  Il a non seulement une connaissance sure de l’histoire de l’Islam, mais aussi de l’Europe. Les grands problèmes politiques et socio économiques lui sont familiers. En outre, rien d’important ne lui échappe de la culture arabe. Il cite souvent et parfois critique Ibn Toumert, Ibn Rochd, Ibn Khaldoun, Al Afghani, Abdou… Il se réfère aussi à la littérature française, compare telle zaouïa à l’abbaye de Thélème, tel ou tel personnage à un héros de Balzac ou d’Edmond About »…
Quelques paragraphes plus loin, il ajoute : « Idriss est un témoignage sur une période des plus troublées de l’histoire du Maghreb et sur la résistance permanente de ses habitants contre l’oppression étrangère. »

Plus de quinze jours avant son enterrement, Ali El Hammami, participait au Premier Congrès économique musulman de Karachi au Pakistan en tant que membre de la délégation tripartite du Maghreb. Ce premier Congrès réunissait 18 pays musulmans tenant compte que le Pakistan avait été créé deux ans auparavant en 1947...

Ouverture du 1er Congrès économique musulman à Karachi- 1949


Dans le préambule de la Déclaration préparatoire à ce Congrès destiné aux délégations participantes, il était  souligné:      « Nous considérons qu'une région sous-développée ou en retard constitue un défi à la conscience et à l'intérêt bien compris du monde. Pour le progrès des pays islamiques, nous recommandons la coopération économique, l'échange mutuel de connaissances et l'expansion des échanges commerciaux ».

Prenant ensuite l’avion du retour pour le Caire avec les délégués de Tunisie et du Maroc, l’appareil s’écrase le lundi 12 décembre 1949 près de Karachi... 
 
C’est donc la dépouille ramenée depuis le Pakistan qu’on enterrait à Alger en ce jour médian du vingtième siècle…

Ce jour du 1er Janvier 1950, est le jour de la célébration du Mouloud Ennabaoui où toute une nuit la Casbah d'Alger vibrera aux sons des tambours, des ghaitas, des pétards, de la joie des enfants zigzagant follement dans les escaliers entre les petites terrasses de café et les poules... 


Dessin de T. Vernet, dans le reportage: "Mouloud à Alger", de Nicholas Bouvier, publié dans le Courrier de Genève, rubrique: Terres et Peuples, 
le samedi 18 mars 1950.






Et bonne fête d'el Mouloud Ennabaoui 2025
(Faïence entourée de plâtre sculpté. Ezzaouia Belkaidiya, Birmandraes, Alger)




Abderrahmane Djelfaoui
Alger, le 04-septembre 2025

vendredi 29 août 2025

Quelques propos et souvenirs de Mustapha Adane sur sa participation au Festival Panafricain ( PANAF) de 1969

 

Quelques propos et souvenirs de Mustapha Adane sur sa participation au Festival Panafricain ( PANAF) de 1969

 

 

[…] Pour le PANAF, si j’étais informé des délégations algériennes qui parcouraient les pays du continent pour inviter les officiels et les artistes, comme des préparatifs et de l’embellissement de la capitale, des rénovations de certaines salles d’exposition comme la mairie d’Alger, etc, nous ne savions pas grand-chose de la manière dont ce festival allait se dérouler ni l’ampleur qu’il aurait…... L’initiative était surtout politique et était traitée au niveau gouvernemental d’Etat à Etat... La surprise allait être inouïe le jour de l’ouverture tant la manifestation organisée chez nous sept ans après notre indépendance chèrement acquise fut la plus grandiose d’Afrique...

 

C’est donc en amont, quelques semaines avant la tenue du PANAF que j’ai créé une médaille pour le PANAF. Je n’avais alors à ma disposition d’autres informations que la date, le lieu, le logo et l’intitulé de la manifestation en arabe, en français et en anglais...




Photo : Abd. Djelfaoui

 

Pour ce qui est des arts plastiques nous n’avons malheureusement pas eu le temps d’avoir de vrais contacts entre artistes africains... A la galerie de la mairie d’Alger, galerie officielle où j’organisais une très grande exposition, ils étaient arrivés en bloc avec les caisses contenant leurs œuvres choisies par leurs gouvernements ; on a fait déballer la centaine de toiles et autres objets d’art, on les a arrangés. […]  Le gros problème c’est que tout s’est passé rapidement sans qu’il y ait eu de réunion, d’échanges bien organisés, de catalogues ou rencontres débats entre nous ou avec le public. On sentait que c’étaient les gouvernements qui géraient et décidaient tout par le haut ! Pour les arts plastiques nous n’avions pour fonction que d’être une grande salle d’exposition de toute l’Afrique, l’Algérie comprise...



Le Président Boumediene, accompagné dans sa visite

par Adane Mustapha Président de l’UNAP

 


[…] Ailleurs qu’à la mairie d’Alger, L’Union nationale des artistes peintres (UNAP) avait monté une exposition à la petite galerie [de la rue Pasteur] où étaient exposés les seuls peintres algériens. Une autre exposition d’arts africains avait lieu au Musée national des beaux-arts du Hamma dont le conservateur était Ahmed Kara, peintre. […]


Une œuvre d’un peintre sénégalais 



Avec Choukri Mesli, professeur comme moi à l’Ecole des beaux-arts, nous avons décidé de contacter les peintres marocains, pas nombreux (dont le célèbre peintre et militant Mahjoubi Ahardane que Mesli à rencontré seul) et les peintres tunisiens pour projeter une union maghrébine des arts graphiques... Mais cela n’a jamais été plus loin…

Je pense que les choses ont été plus spectaculaires pour des artistes comme Myriam Makéba et d’autres musiciens, ce qui était normal vu la forte charge de leur chant et l’importance de leur public... De même pour le cinéma et certainement le théâtre.  Les écrivains étaient eux nombreux en symposium au Club des Pins ainsi qu’au centre de l’attention de la presse...

 

Il faut dire aussi que les médias français qui dominaient à l’époque le monde des arts francophones ne donnaient de chance qu’au compte-goutte aux plasticiens africains pour se faire connaitre... Epoque où le néocolonialisme mettait par exemple au pouvoir ses pions comme Bokassa qui se déclarait « Empereur de Centrafrique » ! L’envergure des manifestations artistiques du PANAF avait pris la plupart des médias français au dépourvu... Ils ont voulu quand même s’en accaparer. Heureusement pour cet évènement capital du PANAF il y a eu le film de William Klein ! […]

 

Abderrahmane Djelfaoui

Larges extraits de mon ouvrage : 

« Adane au fil de ses naissances », chapitre 11.



 





dimanche 18 mai 2025

Qui sait ce qu’était Rmilet La’oued à Bab el oued ?..

 


Qui sait ce qu’était Rmilet La’oued à Bab el oued ?..

 

 

C’est ce que m’a raconté l’artiste Mustapha Adane à l’époque lointaine de son enfance entre 1933 et les dures années de la deuxième guerre mondiale…

Ce témoignage est extrait du premier chapitre du livre : « Adane au fil de ses naissances » dont le manuscrit achevé ces derniers mois attend d’être édité.

 

Né au n° 2 de l’impasse de l’intendance dans la basse Casbah (ruelle qui n’existe plus aujourd’hui), Mustapha Adane, est un fin connaisseur de la ville d’Alger et de son centre historique. Avant même qu’il ne soit adolescent, il avait pour voisin le regretté Sid Ali Kouiret (qui fréquentait la même école primaire derrière Ketchaoua), et connaissait également Mustapha Toumi ou Ali Drabki avec lequel il allait écouter Hadj Mrizek et bien d’autres dans leurs soirées de fêtes et mariages…



Djamaa' Ketchaoua était « La cathédrale d’Alger » durant la période coloniale.

Ici, souvenir de La Cathédrale en1930 sous forme de cendrier…

 

Dans nos discussions, Mustapha Adane, recoupe souvent tel ou tel fait de l’actualité de ce 21 -ème siècle par une évocation brève, vivante et humoristique de tel ou tel aspect vécu de la Casbah, sa vie communautaire, les jeux inventifs de ses gosses, ses fêtes traditionnelles dans la rue, la proximité de la caserne des sénégalais « dont les soldats ne mangeaient que du riz », les forts de cette cité millénaire aux noms oubliés avec des pans de leur histoire à la fois réelle et légendaire tel Bordj Ezzoubia (le fossé des immondices) ou le Fort de la Négresse (Bordj Taklit), etc…


Le Fort Setti-Taklitt (aujourd’hui disparu) est vu dans ce dessin du 19 eme siècle à peu près du lieu où se situe aujourd’hui le Bastion 23.

 

 

 

Mais venons-en à l’anecdote « en mode rigolo » comme aime à dire l’artiste lui-même

 

[… ] Au bas de la Casbah, me dit Mustapha Adane, après Ka’ Essour et le marché Nelson, Remilat La’ouad était une plage de Bab El Oued réservée aux musulmans…. La sortie du tunnel qui venait de la pêcherie débouchait juste à côté. Un peu plus loin, dans le prolongement de cette énorme plage trônait la piscine El Ketani…


 

Les gens l’appellent encore aujourd’hui Remilet La’oued ; mais savent-ils pourquoi on l’appelait comme ça au 19 -ème siècle ? En fait c’est parce qu’il y avait la caserne des militaires d’où, vers 1870, on sortait les chevaux de la cavalerie pour les faire tourner sur la plage. Cette cavalerie qui était chargé de surveiller et réprimer les tribus indigènes… Alors on entrainait les chevaux à marcher et à galoper sur le sable et les galets de la plage et même sur les vagues… Bien sûr quand la voiture et l’auto-mitrailleuse sont apparues, le cheval pour la cavalerie a disparu ! Mais le nom est resté… 




C’était une plage pour les musulmans et seulement pour eux ; il leur arrivait même de camper là… C’était en dehors de Bab El Oued où vivaient les espagnols ; loin d’eux …

Quand j’y suis allé pour la première fois j’avais cinq ans ! On y allait à pied, on y allait en bande de gosses de la basse Casbah.  

J’étais un blondinet turbulent et fonceur. El bhar, el bhar ! : la mer !..

J’y allais, bien sûr sans avertir quiconque dans la grande maison paternelle où vivaient aussi nombre de familles de voisins…


Mustapha Adane à l’âge de cinq ans

 

Ma mère qui me cherchait à la maison et dans l’impasse ne m’ayant pas trouvé avait alerté tout le monde : ça y est, il a dû lui arriver quelque chose de mauvais…

 

Et là : ça déclenche une incroyable aventure. Le tram de l’époque qui traversait le bas de Bab El Oued avait une station à côté de Remilat La‘oued. Le wattman de ce tram, Djellouli, Allah yerhmou, habitait chez nous où il était locataire. … Et ma mère de le supplier : retrouve mon fils, je ne sais plus où il est ! Il a dû partir avec ses diables de copains…



Arrêt du tram face aux escaliers de la pêcherie

 

Djellouli qui prend son service sur la ligne arrive à l’arrêt de Remilet La’oued et, de loin, l’œil perçant, il distingue une petite tête blonde… Ça ne peut être que lui ! (C’est à dire moi !). Pour Djellouli (comme pour tous les gens de mon quartier) : Il n’y avait que moi pour avoir une tête pareille ! 

Il serre le frein du tram et descend jusque sur la plage. Il m’a empoigné, m’a remonté et jeté comme un sac devant lui, dans l’espace étroit où, debout, il conduisait le tram. Moi accroupi dans la demi-obscurité je ne voyais que ses jambes ! … Le tram a fait retour jusqu’à Djamâa el kbir, à côté de la Chambre de commerce. Là il y avait une ruelle qui remontait droit en face de chez mon père. Cette ruelle commençait avec Kahwet Tlemçani et le café de mon père était à l’autre bout…

 

Et le wattman laissant à nouveau son tram à l’arrêt m’emmène jusque sous le nez de mon père ; une catastrophe ! Il me donne une raclée et ordonne à son employé de me ramener en pleurs à la maison …

Mustapha Adane aujourd’hui en 2025

(Photographie Abderrahmane Djelfaoui)

 

 

 

 

 


© Abderrahmane Djelfaoui

Khraissiya-Douéra

18 mai 2025

 



vendredi 18 avril 2025

Cyclistes algériens à La Havane : Cuba Si !

 



Cyclistes algériens à La Havane : 

Cuba Si !



L’équipe algérienne dans le stade de La Havane. Photo : Prensa Latina

 

Comme toute histoire de légende, l’histoire de nos cyclistes professionnels à Cuba est une belle histoire…. 

Beauté de l’invitation et beauté du voyage transatlantique ; parce que, comme me le raconte Ahmed Djelil, capitaine de cette équipe, l’aventure est à plusieurs étapes. D’abord d’Alger à La havane c’est d’abord Alger-Madrid par Air Algérie, puis le lendemain avec la Compagnie d’aviation cubaine la traversée de l’Atlantique Nord (en avion à hélices en 1969) jusqu’à Gander en Terre Neuve (en dessous du Groenland), puis le survol des Bermudes face à la Côte Est des USA avant de déboucher enfin après des heures de vol sur les Bahamas et atterrir dans la capitale et ville portuaire de Cuba : La Havane…

Un périple de plus de 10 000 kilomètres ! Et cela juste 7 ans après l’Indépendance de l’Algérie…

 

Feuilleton n° 1 : Algérie années 70 !

                                                    

Savoir que le Tour cycliste de Cuba est inscrit au Calendrier international des Tours cyclistes et donc plusieurs nations y concourent. L’équipe nationale de l’Algérie, pays ami de Cuba, était officiellement invitée et attendue par la Fédération cubaine du cyclisme. Elle était la seule d’Afrique à participer à ce Tour de qualité en 1969.  D’ailleurs quand l’équipe atterrira à l’aéroport de La Havane elle sera reçue à la descente même de l’avion non seulement par des officiels mais aussi par une population enthousiaste !...

 

Pour broder sur cette petite histoire d’amitié (qui est en fait une grande histoire), l’agence de presse cubaine Prensa Latina qui faisait en 1965 le classement de centaines de sportifs professionnels du continent africain toutes disciplines confondues avait classé Ahmed Djelil (cyclisme) à la 5 -ème place et Hacène Lalmas (football) à la 7 -ème…


Ahcène Lalmas


Feuilleton n° 2 : Panique au-dessus de l’Atlantique Nord !

 

Ahmed Djelil, me dit : je vais te raconter cette histoire incroyable…

« A l’époque c’était des avions à hélices qui faisaient de longs trajets. Le vol était archicomble et les membres de notre équipe étions depuis plus d’une heure en train de jouer à la belotte à l’arrière de l’avion. Comme j’étais à côté du hublot j’ai vu l’hélice ne tournait pas : elle était à l’arrêt… Je l’ai dit à mes compagnons, jeunes et inconscients.  Tout le monde s’est mis à regarder et ça a été le chaos dans l’avion qui faisait demi-tour pour revenir sur Madrid ! Mais comme les réservoirs étaient pleins de kérosène, il a dû éjecter pendant plus de deux heures son kérosène pour permettre à l’appareil de revenir en toute sécurité. Le danger c’était qu’en vidant ainsi ses réservoirs, si jamais il y avait une étincelle tout pouvait exploser. Si nous algériens étions inconscients, le reste des passagers étaient affolés. Je me rappelle de la femme de l’ambassadeur de Cuba à Madrid, qui ne fut calmée que par un membre de notre équipe, Kaddour Mahieddine, de Blida, allah yerhmou, qui alla chercher une couverture pour l’envelopper ce qui la calma… En fait l’équipe d’Algérie, inconsciente mais très calme, a pris possession de l’avion pour calmer les passagers apeurés. Nous avons atterri sains et saufs à Madrid.

« Mais pour remplacer la pièce défectueuse de l’avion il fallait qu’il l’importe de ne je ne sais quel pays, ce qui a fait que nous sommes restés en attente une semaine à Madrid ! Sans pouvoir ni nous entrainer ni savoir que faire de notre temps. Le Tour à Cuba devait commencer, et avait commencé sans nous !.. »

 

Contre son retard, l’Algérie bénéficie d’un nouveau départ du Tour.

 

Voilà comment Wikipédia résume à sa manière à l’arrivée des Algériens à Cuba.

« … La commission technique du Tour de Cuba décida de couper la compétition en deux Parties. Les cinq premières étapes donnèrent lieu à un classement autonome, appelé le Tour d'Oriente. Le vainqueur en était [le cubain] Sergio « Pipian » Martinez. Le Tour prit un second départ (…) le 11 février 1969 à Holguin avec l'accord des coureurs cubains et mexicains, "en solidarité avec le peuple frère algérien". Deux coureurs algériens se mirent en évidence, dont Kaddour Mahieddine, vainqueur d'une étape et Madjid Hamza 2e de cette même étape »


 « Pépian », un héros populaire.

 

Et voilà comment Ahmed Djelil résume « Pépian ».

« C’était un coureur extraordinaire. Il était bon sur tous les plans. Il était rapide. C’est lui qui a gagné l’étape la plus difficile, celle de la Sierra Maestra devant Mahieddine. Il connaissait le terrain, il avait aussi le matériel qu’il fallait. Il faut dire qu’il était aussi populaire que le Président de Cuba ». Fidel Castro…



« Non seulement nous étions bien reçus, insiste Ahmed Djelil, notamment par la population, mais nous étions reçus nous Algériens avec considération. C’était extraordinaire ».

 

Sur la photo de l’Agence de Presse Cubaine Prensa Latina, ’équipe algérienne composée de Sayah Ali, Mahiedine Kadour, Hamza Madjid, Chibane Belkacem avec au centre son capitaine d’équipe Ahmed Djelil (entouré d’un cercle gris), discute avec le ministre de la jeunesse et des sports de Cuba, à gauche le poing levé.

 

Feuilleton n°3 : « le Mur » de la Sierra Maestra…


L’équipe algérienne au départ. Dos à dos Djelil (en casquette blanche)

et Mahiedinne (en casque, de profil)



« Il faut d’abord dire que c’était le début de saison pour nous. Une saison cycliste qui commence normalement au mois de février pour se terminer au mois d’août. Donc pour nous le Tour de Cuba était prématuré, il s’est fait avant que nous ayons commencé nos entrainements. Nous étions partis pour Cuba parce que c’est un pays ami. Nous n’étions pas prêts ; nous n’étions pas dans l’état de forme qui se prépare à partir de mai-juin.

 

« Deuxièmement nous sommes partis sans connaitre les réalités de la topographie de Cuba, avec un matériel qui n’était pas adéquat pour leur terrain de montagne ; surtout pour les vitesses des vélos ; nous étions partis avec des braquets pour rouler sur le plat ou légèrement en côte. Le braquet est ce qui permet la transmission de la chaine du pédalier avant vers les roues dentées du pignon arrière. Nous n’avions pas les vitesses qu’il fallait pour monter les pentes raides de la Sierra Maestra. Nous avons été pénalisés par ça. »

 

[On pourrait traduire Sierra Maestra par : La Maitresse de la chaine de montagnes



Vue d’une partie de la Sierra Maestra et sa végétation foisonnante (un des monts culmine

à plus de 1900 mètres d’altitude).

Photo : Oôinn

 

 

A 56 ans de distance Ahmed Djelil se souvient encore avec émotion et soupir de cette épreuve !

 

« Dans les 10 derniers kilomètres de l’étape de la Sierra Maestra, nous avons vu un mur se dresser devant nous… Les jeeps que les équipes techniques utilisaient pour ravitailler, pour dépanner ou donner des conseils, ces jeeps là n’arrivaient pas à monter en première !

« Par exemple chez nous, pour monter à Chréa il fallait un braquet de vitesse de 21. Mais là-bas un 21 ne suffisait pas ; pour monter leur montagne il fallait un 32 ! Nous n’avions pas ce braquet ; nous avons été pris de court, parce que nous ne savions pas… Moi-même à certains endroits j’ai dû mettre pied à terre, alors que j’étais le meilleur grimpeur de l’équipe… Ensuite pour remonter sur le vélo ce n’est pas une mince affaire ! C’était très dur !

 

« N’empêche qu’un des nôtre, Mahiedine Kadour, a fini deuxième de l’étape. Il était tout à fait derrière le peloton ; j’ai été le chercher et je l’ai enguelé en lui disant que la course se fait devant pas derrière !. Dans ce type de course de haut niveau il y a la tête et les jambes ! Il n’y a pas que la force. Je pense que l’entraineur en me désignant capitaine d’équiper savait ce qu’il faisait. Mahiedine est passé devant. Nous étions une équipe combative. Nos coureurs ont fait en sorte de bloquer le peloton et Mahiedine a fini par arriver deuxième, allah yerhmou… »

 

Après cette épreuve, l’équipe algérienne bénéficie d’une journée de repos dans un village touristique fait de huttes dans la Sierra Maestra.


Chibane Belkacem en blanc, Hamza Madjid au milieu et Ahmed Djelil en survet noir.

 

 

Mahiedine acclamé par la population !

 

« Par la suite notre comportement a été extra. Nous avons participé d’une façon permanente à la combativité de toutes les étapes qui ont suivies. En tant que capitaine d’équipe, mon rôle était de surveiller, de ramener dans ou devant le peloton celui qui restait derrière ; d’encourager et d’essayer d’attaquer…

« C’est comme ça que Mahiedine a ensuite gagné une belle étape sur le plat. Il était encore à l’arrière ce qui m’a mis en colère. Je lui ai crié dessus en lui disant : ce n’est pas ta place ici ! Allez, attaque ! Il est parti comme une flèche. La centaine de coureurs du peloton ne le connaissaient pas. Ils l’ont laissé partir devant pensant qu’ils le rattraperaient et le boufferaient facilement par la suite. Mais Mahiedine roule ; il roule prenant 100 mètres, puis de200 mètres et EBQA  3LA KHIR ! Au revoir !

Je me suis mis moi-même avec Hamza Madjid et Chibane Belkacem devant le peloton pour couvrir Mahiedine et lui permettre de maintenir son avance. L’extraordinaire c’est qu’après la remise des prix à la fin de cette étape, comme il était premier, on lui a aussi remis une corbeille de légumes avec des choux fleurs et tout ça. Cuba était un pays pauvre… Lui, entouré de monde qui l’acclamait, tout gai, a distribué sa corbeille à la population. Ils étaient heureux… C’était à l’intérieur du pays… »



Mahiedine Kadour à Cuba, alors qu’il avait 25 ans

 

 

 Au final du Tour complet de Cuba de ce mois de février 1969, le capitaine d’équipe, Ahmed Djelil, est appelé à recevoir un trophée pour l’ensemble l’équipe algérienne.


Ahmed Djelil à côté de son interprète tenant le trophée. Photo : Prensa Latina.



Les Algériens visitent une usine de canne à sucre.



Photos : Prensa Latina






Un des meilleurs souvenirs de Djelil…

 

Sur la plage de Varadéro, une des plus belles plages de Cuba. Cette plage populaire avec ses hôtels et ses complexes touristiques, s’étend sur plus de 20 kms de sable blanc et une eau de mer d'un bleu turquoise … Ahmed se fait photographier (février 1969) avec des noix de coco.




La plage de Varadéro , aujourd’hui au 21 -ème siècle.

 

 

 



Abderrahmane Djelfaoui

Sébala (Draria) - Douéra

16 et 17 avril 2025