Bab el Oued
celle des 3 horloges qui tournent toujours…
En publiant récemment (2025) une photo de moi à Bab El Oued, je me suis souvenu d’une interview sur mon livre « Bab El Oued, ville ouverte » que m’avait fait l’ami cinéaste et photographe El Hadi Hamdikène dans le quotidien Le Jeune Indépendant, vers 2004…
2025
BAB EL OUED MÂ
ED-DEHECH EL OUED !
(BAB EL OUED N’A PAS ETE EMPORTE PAR L’OUED!)
Une Interview de
Abderrahmane Djelfaoui
Par El Hadi Hamdikène
Pour Le Jeune Indépendant
« Bab El Oued
ville ouverte (1999)
La photo de couverture est signée Hocine Zaourar
Votre livre « Bab El Oued ville ouverte »
n’était-il pas au début un ensemble de simples notes destinées à faire un
film ?
En 1998/99, dans Alger qui sortait à peine du calvaire
terroriste, ma préoccupation de cinéaste documentariste était de donner à des
gens anonymes, des gens simples, la possibilité de témoigner. Certains
exprimaient courageusement ce besoin de dire, notamment des femmes. C’est ainsi
qu’il y a eu, grâce à l’entremise de l’association « SOS culture Bab El
Oued » une entente avec des dizaines d’individus et de familles de Bab El
Oued pour préparer un documentaire de long métrage sur la vie du quartier le
plus populeux d’Alger. Nous avons enquêté pendant des mois, jours et nuits.
Malheureusement, les promesses de financement du film faites à l’association
n’ont pas été tenues au moment du tournage. Dans cette situation où le film
était mort-né, j’ai alors pensé à utiliser mes notes pour rédiger un livre.
L’aventure de faire un livre, mon premier livre, a commencé comme ça.
Le titre est un peu un clin d’œil à Roberto Rossellini et à son mythique
« Rome ville ouverte » ?
Oui. Un beau film humain que ce film en noir et blanc
qu’interprétait Anna Magnani. Un film qui exprimait la volonté de la majorité
des Italiens de renouer avec la vie après les affres de la seconde guerre
mondiale…
« Bab El Oued ville ouverte » est une sorte de voyage dans les
entrailles de votre quartier d’enfance ; comment avez-vous vécu ce travail
d’enquête ?
Bab El Oued n’est pas le quartier de mon enfance. C’étaient
Belcourt et Fontaine Fraîche qui ont été mes quartiers d’enfance. Mais
l’éditeur parisien qui avait accepté de tirer le livre avait cru, enthousiasmé
par ce récit de vie, que j’étais « un enfant de Bab El Oued ». Et il
a mis ça en quatrième de couverture avant que je ne m’en aperçoive.
Cela dit, les gens à Bab El Oued ont été si extraordinaires
et généreux que je me suis senti tout de suite chez moi dans ce vieux quartier.
Le travail avec eux m’a moi-même aidé à faire le deuil d’une période
épouvantable. Quand la vie se complique ce sont souvent les gens simples qui
peuvent vous aider.
Dans ce livre vous décrivez avec force détails les atmosphères, les rencontres, la vie de ce quartier où « les jeunes n’ont que la mer devant eux et le béton derrière » …Il y a aussi des passages émouvants sur des personnages hors du commun comme le photographe de presse Boukerche, l’ex pickpocket Guilara, le pêcheur Milano. Qu’en dites-vous ?
Ce que je peux dire, c’est qu’un gars du milieu comme
Guilara m’a fortement soutenu pour faire ce livre. Il est malheureusement
décédé très peu de temps avant qu’on puisse lui offrir un des premiers
exemplaires du bouquin qui arrivait de l’autre côté de la Méditerranée. Milano,
lui, était une légende vivante dans le port d’Alger alors qu’il n’avait qu’une
vulgaire baraque pour vivre sur le quai Est de la pêcherie. Il était une mine
d’informations sur toutes les questions sensibles du port et nombre de ses transactions.
Il en parlait avec un humour viril de casbadji tout en se demandant à
haute voix sur ce qui avait pu le pousser à revenir d’Italie où il était
pépère ; revenir ici pour ne même pas pouvoir offrir un minuscule
appartement aux membres de sa famille…
Le film que vous vouliez réaliser s’intitule « Hard El Houma
Hard » (Dur le quartier, dur !). Pourquoi ce titre ?
D’un autre côté, dans le texte de présentation du livre,
il y a ces mots étranges de jeunes de Bab El Oued qui disent : « Les
enfants de Bab El Oued ne sont pas des cannibales ! Bab El Oued ce n’est
pas Kaboul ! ».
Extrait du livre au
chapitre « Mardi 20 octobre 98 » / « 21 heures passées
» …
Pourquoi Hard? Mais allez donc faire un tour de
fond dans ce type de quartier, où des quartiers populaires comme La Glacière,
et vous comprendrez que ce terme est encore faible par rapport à la réalité…
Pour le reste je n’avais pas du tout trouvé étrange à cette
époque que des jeunes, sachant bien quel film on voulait faire, m’aient demandé
de transmettre partout dans le monde que « les enfants de Bab El Oued ne
sont pas des cannibales, parssk Bab El Oued c’est pas Kaboul ». Et
qui pense encore à Kaboul de nos jours ?..
Vous êtes réalisateur formé à l’école du cinéma de Prague ; quel genre de films avez-vous réalisé à l’époque où vous étiez à la télévision nationale.
Oui j’ai fait l’école de Prague, en Tchécoslovaquie,
aujourd’hui la Tchéquie. En revenant de ces grandes écoles nous croyions alors
naïvement que nous allions édifier un cinéma national et une culture qui aident
à vivre et qui libèrent. Beaucoup de ces « artistes croyants » ne
sont malheureusement plus de ce monde. D’autres sont ailleurs. Et beaucoup
préfèrent se taire par pudeur ou par dépit. Les deux d’ailleurs vont parfois
ensemble. Ne jamais oublier comme disent les gens qui n’ont pour moyen de
locomotion que leurs jambes qu’El Djazaïr c’est blad el mou’djizât !
Comme le « code de la route » et comme « l’école »,
« la télé » aurait pu jouer un grand rôle dans notre vie en
contribuant à faire émerger des citoyens normaux et responsables, des citoyens
du XXI ème siècle ; des citoyens du monde. Cela dit, est-ce qu’on peut
dans ce pays qui est le nôtre aller plus vite que le moteur qui tousse dans
notre tête ? Voilà peut être un bon thème d’enquête pour des dizaines de
journalistes tous les jours pendant dix ans !
Vous étiez dans les années 70 animateur à la Cinémathèque algérienne.
J’imagine que cette période a été très riche pour vous en contacts humains et
en découvertes cinématographiques. Quels en ont été les moments forts ?
A l’époque, nous avions participé
à créer ces évènements, dont un très grand nombre étaient internationaux, de
façon tout à fait simple, quotidienne. Nous ne sentions pas que c’étaient des
« évènements ». Nous étions simplement dans l’air du temps, comme on
dit. Nous aimions ce que nous faisions, nous le faisions avec l’ardeur de la
jeunesse. Aujourd’hui, cette époque cinémathèque reste un grand moment
d’échanges allant de l’Amérique latine à la Palestine, de Sembène Ousmane à
Volker Schlondorff, de « Tahya ya didou » de Mohamed Zinet à Henri
Langlois, Créateur de la Cinémathèque française qui présentait chaque jour à 13
heures, vingt jours durant, les films burlesques américains des années 20 aux
habitués de la rue Larbi Ben M’Hidi. Des centaines de noms de personnalités
qu’on ne peut toutes citer, sont venues là, débattre, parler, écouter, échanger
des impressions et des passions.
Un moment parmi d’autres a été la venue de Werner Herzog
pour présenter son film « Les nains aussi commencent petits ». Il
préparait son prochain film qui allait le rendre célèbre : « Aguire,
la colère des dieux ». Eh bien, il ne voulait pas moins comme acteur
principal pour ce futur film que la participation du regretté… Houari
Boumedienne ! Nous avons eu du mal, à l’époque, de dissuader Werner Herzog
quant à ce choix insensé. Il a finalement tourné le film avec Klaus Kinski…
Klaus Kinski sur
l’affiche du film
La Cinémathèque était vraiment un lieu unique où se
rencontraient, sans façon, des gens du peuple, des médecins, des journalistes,
des écrivains, des étudiants, de petits fonctionnaires, des cinéastes, des
touristes de passage, des « fous » d’Alger, des ambassadeurs, des
marins et que sais-je encore ? Tout cela, chaque jour, chaque soir, dans
une atmosphère électrique et fraternelle, solidaire. C’était une cinémathèque
hors normes, une cinémathèque de gauche…
N’oublions d’ailleurs pas que la Cinémathèque c’était aussi
tout un réseau, dense, de ciné clubs, à travers tout le territoire national,
alimenté par les propres archives de cette institution qui n’avait vraiment pas
beaucoup de moyens financiers, et qui n’en n’a jamais beaucoup eu. Il y eu
malgré toute l’incompréhension de certains ministres de la culture de l’époque
des cinés clubs de villages, des ciné clubs de petites villes, des ciné clubs
d’universités, de lycées, etc. Je crois qu’il faudrait écrire tout un livre,
plusieurs livres même sur cette période débordante et sympa où l’activité
culturelle avait un sens et de vrais espoirs. Tout n’était pas rose, mais tout
n’était pas triste. Il y avait bien entendu des contraintes et des peurs, pour
ne pas dire plus, mais il y avait aussi tout de même dans l’air quelque chose
qui ressemblait à un projet de société.
El Hadi
Hamdikène
El Hadi
Hamdikène que je photographiais à Annaba en 2017
Bibliographie de Abderrahmane Djelfaoui
-
« Claps
de douleur », in revue Empreintes,
dirigée par la poétesse Zaynab Lâwadj [1997].
-
« Bab
El Oued ville ouverte » Editions Paris
Méditerranée, [1999].
-
« Maqamât
de Jean-Paul Grangaud», récit de vie du professeur JP Grangaud, pédiatre
algérien d’origine pied noir. Editions
Casbah, Alger. [2000].
-
Participation à l’ouvrage collectif « L’Algérie :
histoire, société et culture », sous la coordination de l’historien
Hassan Rémaoun. Editions Casbah,
Alger [septembre 2000].
-
Collaborateur à tous les numéros de La Revue
des ARCHERS depuis sa parution en 2001, Marseille
-
Contribution
au numéro 1 hors-série de Autre
Sud intitulé « Poésie
d’aujourd’hui. Des îles Canaries à la Méditerranée », en
compagnie de douze poètes de langue espagnole et douze de langue française.
Même livraison en espagnol par Cadernos
ATENEO de la Laguna, n° 12 [mai
2002].
-
« Algeri separazione (Alger
séparation) »,
recueil bilingue de poèmes traduits du français en italien par Bruno
Rombi. Editions Libroitaliano
World, Ragusa. Italie. [Octobre 2002]
-
« Après sinistre déluge »,
recueil bilingue de poésie, traduit du français à l’arabe (ma ba’dâ
ettoufâne) par Inam Bioud. Casbah éditions. Alger [Novembre 2002]
-
Créateur
et rédacteur en chef de la revue 12
x 2 Poésie contemporaine de deux rives, éditée par la Fondation
Mahfoud Boucebci, Alger. [Mars
2003]
-
Postface
à « Algérie outre mémoire » de Mohand Abouda, éd. Rubicube, Alger [2004]
Filmographie récente :
-
Réalisation d’un très court métrage « Aidons les, ils seront heureux »
sur deux associations algériennes (de Blida et Hadjout) travaillant au profit
des adolescents marginalisés et des enfants abandonnés. ONG Terre des hommes, [février 2000]
-
« Rendez
la mer aux enfants sahraouis », documentaire sur le camp Sahraoui de
Dakhla au sud de Tindouf produit par l’ONG enfants réfugiés du monde
[2002]