samedi 5 avril 2025

Abdelkader Boumala 2

 


Traces lumineuses du calligraphe

Abdelkader Boumala

en son atelier au Bois des Arcades, 


(2 eme partie)





« Le 6 juillet 1978 j’étais revenu du Caire. Les réponses à mes démarches étant contraires à tous mes vœux, je n’ai pu ni intégrer l’Ecole des beaux-arts d’Alger, ni une Direction des AE ou de la Présidence pour y exercer ma spécialité de calligraphe…

Je suis resté 7 mois au chômage jusqu’à ce que j’intègre la SNED en 1979 grâce à son DG, Baghli, qui 4 ans auparavant, responsable au Ministère de l’information et de la culture m’avait attribué une bourse d’étude au Caire… »

 

 Modernité de l’écriture calligraphique à la charnière des années 70-80.

 

Avant d’exercer à la SNED, Abdelkader Boumala réalise une série inédite de trois calligraphies en koufi carré déjà exposées dans le précédent blog et que je reprends ici pour leur importance.


« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ».

« Et Nous t’avons envoyé comme Miséricorde pour tous les Mondes »

 

Dans la première de couleur froide, si la lecture se fait de gauche à droite, le dégradé du bleu de Prusse, [une couleur que l’artiste affectionne] se fait elle depuis le bas jusqu’au ciel du bleu clair. Deux mouvements en harmonie croisée qui permettent une lecture aisée d’un texte sacré cher au calligraphe…



Dans la seconde de même format mais de couleur chaude, la lecture et le dégradé s’unissent dans le même sens de gauche à droite. 

Le texte est devenu difficilement lisible …



Dans la troisième, seul subsiste le contraste du noir et blanc d’un texte illisible, indéchiffrable….

 

Boumala, qui avait fait trois années d’études modernes en art avant de choisir la calligraphie (au lieu de la céramique comme l’espéraient certains de ses enseignants), me dit que les esquisses de ce travail, il les avait déjà commencées avant même son départ pour le Caire…

 

« En 78 j’étais impressionné par le travail du peintre Vasarely. A la réflexion je me suis dit : pourquoi ne pas travailler mieux que lui mon texte alors que son travail ne se fait que sur la forme… 

"C’est ainsi que j’ai travaillé trois versions sous trois formes de lignes, de dégradés de couleur froide ou chaude jusqu’au noir et blanc intégral … C’est un travail que j’ai mené d’une seule traite durant les 48 heures qui ont suivies le décès du Président Houari Boumediene… »

 

« La SNED ne fut qu’un intermède de 6 mois » …

 

A l’âge de 26 ans, il se trouve intégré à la Direction du Livre où il est rejoint par les jeunes miniaturistes Boukaroui, Bentounès et Ali Gafsi qui avaient poursuivi leurs études en Iran… 



IL collabore à la revue de culture générale pour enfants « JARIDATI », dont il me tire du fond de sa bibliothèque la seule poignée de numéros publiés il y a plus de 45 ans… 

Il réalise aussi dans cette institution de grosse industrie culturelle des couvertures de livres dont une pour le professeur Saadallah dont le temps de travail en tant que chercheur prévalait sur tout et va profondément le marquer en devenant son ami…

 

De nouvelles tâches accaparent le calligraphe à la Présidence de la République.

 

D’août 1981 à décembre 1984, il va collaborer seul ou avec d’autres artistes à d’importantes réalisations.




Boumala m’ouvre ses tiroirs… 

A l’intérieur du Musée de l’Armée il conçoit un texte gigantesque de 35 mètres de long et deux mètres de haut en style koufi-Fatimide…

Epoque où il réalise la calligraphie de plusieurs plaques de marbre que Chadli Bendjedid, Chef de l’Etat inaugure, ainsi que des parchemins enroulés dans des tubes cimentés sous la première pierre d’édifices…

Avant la principale réalisation à laquelle il collabore pour la coupole du Maqam Echahid de Riad El Feth inaugurée en 1984, il participe à la fresque en céramique murale du Foyer de l’Ecole des Banques de Bouzaréah en 1983. La calligraphie est de Boumala et la céramique signée Boumahdi.



Reproduction photo conservée par Boumala dans ses tiroirs montrant un détail de la fresque

 

 

La Coupole de Maqam Echahid (1984)


Carton de la 1ere maquette imaginée par Boumala.






Maquette finale pour une réalisation de 6 mètres de diamètre en espace réel

Au centre, la Bismillah en khat Toulouth de Mohamed Cherifi.

 

Les multiples mouvements circulaires compartimentés et harmonisés par les Lâm-Alif en gras

sur le dernier grand cercle mettent en valeur le verset :

« Oua lâ tahssibna elladhîna qoutilou fî sabîli allahi amouâtan bal ahyâoun

‘indâ rabbihim arzaqoun », calligraphié en koufi.fatimide.



Boumala explique sur la grande photographie couleur de la coupole l’étagement des contributions (dont celle de Bachir Yelles pour ce qui est des arcs porteurs) et dont la réalisation architecturale résistante et légère, en fibre de verre, est confiée au constructeur canadien Lavalin.




Il participe cette même année 1984 à l’exposition collective « 10 ans de peinture algérienne », organisée au Musée national des Beaux-Arts d’Alger.

 

1988 : De la Mosquée de Garidi aux « Amis du Tassili ». 


« C’est du plâtre creusé par un artisan marocain, mais seulement à 5 millimètres de profondeur ce qui n’est pas suffisant pour donner toute la force de vision à la calligraphie. Le projet initial était de calligraphier tout le pourtour de la grande salle de prière, mais le manque d’argent à annulé cela. »

 

La même année, Sid Ahmed Kerzabi, Directeur du Parc national du Tassili et Président des « Amis du Tassili », dont Abdelkader Boumala est le voisin de résidence à Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger, lui commande la maquette du Diplôme d’honneur calligraphié en lettres tifinagh.

 


Après cette année, vont suivre ce que Boumala appelle « des années creuses » qui sont surtout dues à la longue maladie de son épouse et mère de ses enfants, puis sa disparition… Lui, qui déjà à l’âge d’à peine quinze ans, la disparition de son père l’avait obligé à être le responsable de sa famille à Taher, dans la wilaya de Béjaia…

Malgré le fait qu’il enseigne à l’Ecole des beaux-arts depuis 1985, qu’il participe en 1989 à un hommage collectif au peintre et miniaturiste Mohamed Temmam (1915-1988) dont il avait été l’élève au début des années 70, s’ajoute à cet aspect « de tristesse et de creux », les évènements d’octobre 88 et la chappe de plomb des longues et terribles années du terrorisme qui vont suivre …


Ses différentes participations aux semaines culturelles organisée à l’échelle régionale ou internationale (de Rabat à Baghdâd, puis en Europe) n’atténueront pas ce profond sentiment de difficulté et de pessimisme…




1997-1998 : « L’Enfant jazz » !

 

Ne pouvant se rencontrer à Alger, le projet de livre sur le recueil de poésie « L’Enfant jazz » est amorcé à Paris entre l’écrivain Mohamed Dib et le plasticien Rachid Koraichi en 1996 ; il aboutira en 1998 grâce à Mustapha Ourif, Directeur de la galerie Isma de Riadh El Feth.

Le livre contient 28 poèmes en français de Dib en miroir de 28 lithographies de Koraichi ; et Dib avait choisi le format rectangulaire (m’informe Ourif) parce que cela lui rappelait un fusil ce qui référait directement à la situation tragique d’alors en Algérie.

Boumala monte sur un escabeau pour descendre l’exemplaire numéroté qu’il possède…







La sortie du livre et vernissage de l’exposition, avec 100 premiers exemplaires de bibliophilie numérotés et signés par les auteurs, dont l’éditeur est Mustapha Ourif, s’est fait simultanément à Paris (Atelier Bordas de lithographie) et à Alger (Galerie Isma) en 1998.



Puis un nouveau siècle s'annonça et  avec lui une repride de la modernité !




« Oua houwa ‘alâ koulli chayïn qâdirin »


Dès le début des années 2000, tout en poursuivant son enseignement à l’Ecole supérieure des beaux-arts, Abdelkader Boumala renoue personnellement avec la recherche académique et passe avec succès son diplôme de magister.

Son travail inédit, très fouillé et précis porte sur les fondements de l’itinéraire artistique de Omar Racim (1884-1959).

Il fait la tentative de publier ce travail sous forme d’ouvrage grand public, mais le projet reste sans suite faute d’éditeur.





« El Hamdou Li-llah ».  ou la modernité du carré…

40 x 40 cm, peint en bleu de Prusse. 2023




« Qoul a’oudhou bi-Rabbi el falaqi » .2024

 

L’on voit bien par l’éclat des couleurs et le brio des lignes de cette calligraphie prise parmi une dizaine d'autres que Boumala développe une pratique artistique qui renoue et dépasse

les premières tentatives de la fin des années 70 du siècle passé

évoquées au début de cet article.

 

 

 

 

 

 

Abderrahmane Djelfaoui

Bois des Arcades (Riad El Feth) – Douéra

5 avril 2025

 

 

 

PS ; Pour être juste, il faut dire que ce papier qui résume vite et même saute bien des étapes n’est que la pose d’un certain nombre de pièces d’un puzzle pour aller vers le cœur de la création calligraphique chez Abdelkader Boumala.