Traces lumineuses du calligraphe
Abdelkader Boumala
en son atelier au Bois des
Arcades,
« Le
6 juillet 1978 j’étais revenu du Caire. Les réponses à mes démarches étant
contraires à tous mes vœux, je n’ai pu ni intégrer l’Ecole des beaux-arts
d’Alger, ni une Direction des AE ou de la Présidence pour y exercer ma
spécialité de calligraphe…
Je suis
resté 7 mois au chômage jusqu’à ce que j’intègre la SNED en 1979 grâce à son
DG, Baghli, qui 4 ans auparavant, responsable au Ministère de l’information et
de la culture m’avait attribué une bourse d’étude au Caire… »
Avant d’exercer
à la SNED, Abdelkader Boumala réalise une série inédite de trois calligraphies en
koufi carré déjà exposées dans le précédent blog et que je reprends ici pour
leur importance.
« Oua Ma Arsalnaka Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ».
« Et Nous t’avons envoyé comme Miséricorde pour
tous les Mondes »
Dans la première
de couleur froide, si la lecture se fait de gauche à droite, le dégradé du bleu
de Prusse, [une couleur que l’artiste affectionne] se fait elle depuis le bas
jusqu’au ciel du bleu clair. Deux mouvements en harmonie croisée qui permettent
une lecture aisée d’un texte sacré cher au calligraphe…
Dans la seconde de même format mais de couleur chaude, la lecture et le dégradé s’unissent dans le même sens de gauche à droite.
Le texte est devenu difficilement lisible …
Dans la troisième,
seul subsiste le contraste du noir et blanc d’un texte illisible,
indéchiffrable….
Boumala, qui avait
fait trois années d’études modernes en art avant de choisir la calligraphie (au
lieu de la céramique comme l’espéraient certains de ses enseignants), me dit
que les esquisses de ce travail, il les avait déjà commencées avant même son
départ pour le Caire…
« En 78 j’étais impressionné par le travail du peintre Vasarely. A la réflexion je me suis dit : pourquoi ne pas travailler mieux que lui mon texte alors que son travail ne se fait que sur la forme…
"C’est ainsi que j’ai travaillé
trois versions sous trois formes de lignes, de dégradés de couleur froide ou
chaude jusqu’au noir et blanc intégral … C’est un travail que j’ai mené d’une
seule traite durant les 48 heures qui ont suivies le décès du Président Houari
Boumediene… »
« La
SNED ne fut qu’un intermède de 6 mois » …
A l’âge de 26 ans,
il se trouve intégré à la Direction du Livre où il est rejoint par les jeunes miniaturistes
Boukaroui, Bentounès et Ali Gafsi qui avaient poursuivi leurs études en
Iran…
IL collabore à la revue de culture générale pour enfants « JARIDATI », dont il me tire du fond de sa bibliothèque la seule poignée de numéros publiés il y a plus de 45 ans…
Il réalise aussi dans cette institution de grosse industrie
culturelle des couvertures de livres dont une pour le professeur Saadallah dont
le temps de travail en tant que chercheur prévalait sur tout et va profondément le
marquer en devenant son ami…
De nouvelles
tâches accaparent le calligraphe à la Présidence de la République.
D’août 1981 à décembre 1984, il va collaborer seul ou avec d’autres artistes à d’importantes réalisations.
A l’intérieur
du Musée de l’Armée il conçoit un texte gigantesque de 35 mètres de long et
deux mètres de haut en style koufi-Fatimide…
Epoque où il
réalise la calligraphie de plusieurs plaques de marbre que Chadli Bendjedid,
Chef de l’Etat inaugure, ainsi que des parchemins enroulés dans des tubes cimentés
sous la première pierre d’édifices…
Avant la
principale réalisation à laquelle il collabore pour la coupole du Maqam Echahid
de Riad El Feth inaugurée en 1984, il participe à la fresque en céramique
murale du Foyer de l’Ecole des Banques de Bouzaréah en 1983. La calligraphie
est de Boumala et la céramique signée Boumahdi.
Reproduction photo conservée
par Boumala dans ses tiroirs montrant un détail de la fresque
La Coupole
de Maqam Echahid (1984)
Carton de la 1ere
maquette imaginée par Boumala.
Maquette finale pour une réalisation de 6 mètres de diamètre en espace réel
Au centre, la
Bismillah en khat Toulouth de Mohamed Cherifi.
Les multiples mouvements
circulaires compartimentés et harmonisés par les Lâm-Alif en gras
sur le dernier grand
cercle mettent en valeur le verset :
« Oua lâ
tahssibna elladhîna qoutilou fî sabîli allahi amouâtan bal ahyâoun
‘indâ rabbihim
arzaqoun », calligraphié
en koufi.fatimide.
Boumala
explique sur la grande photographie couleur de la coupole l’étagement des
contributions (dont celle de Bachir Yelles pour ce qui est des arcs porteurs)
et dont la réalisation architecturale résistante et légère, en fibre de verre,
est confiée au constructeur canadien Lavalin.
Il participe
cette même année 1984 à l’exposition collective « 10 ans de peinture
algérienne », organisée au Musée national des Beaux-Arts d’Alger.
« C’est du plâtre creusé par un artisan marocain, mais
seulement à 5 millimètres de profondeur ce qui n’est pas suffisant pour donner
toute la force de vision à la calligraphie. Le projet initial était de calligraphier
tout le pourtour de la grande salle de prière, mais le manque d’argent à annulé
cela. »
La même année,
Sid Ahmed Kerzabi, Directeur du Parc national du Tassili et Président des
« Amis du Tassili », dont Abdelkader Boumala est le voisin de
résidence à Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger, lui commande la maquette du
Diplôme d’honneur calligraphié en lettres tifinagh.
Après cette année, vont suivre ce que Boumala appelle « des années creuses » qui sont surtout dues à la longue maladie de son épouse et mère de ses enfants, puis sa disparition… Lui, qui déjà à l’âge d’à peine quinze ans, la disparition de son père l’avait obligé à être le responsable de sa famille à Taher, dans la wilaya de Béjaia…
Malgré le fait qu’il enseigne à l’Ecole des beaux-arts depuis 1985, qu’il participe en 1989 à un hommage collectif au peintre et miniaturiste Mohamed Temmam (1915-1988) dont il avait été l’élève au début des années 70, s’ajoute à cet aspect « de tristesse et de creux », les évènements d’octobre 88 et la chappe de plomb des longues et terribles années du terrorisme qui vont suivre …
Ses différentes participations aux semaines culturelles organisée à l’échelle régionale ou internationale (de Rabat à Baghdâd, puis en Europe) n’atténueront
pas ce profond sentiment de difficulté et de pessimisme…
1997-1998 :
« L’Enfant jazz » !
Ne pouvant se
rencontrer à Alger, le projet de livre sur le recueil de poésie « L’Enfant
jazz » est amorcé à Paris entre l’écrivain Mohamed Dib et le
plasticien Rachid Koraichi en 1996 ; il aboutira en 1998 grâce à Mustapha
Ourif, Directeur de la galerie Isma de Riadh El Feth.
Le livre
contient 28 poèmes en français de Dib en miroir de 28 lithographies de
Koraichi ; et Dib avait choisi le format rectangulaire (m’informe Ourif)
parce que cela lui rappelait un fusil ce qui référait directement à la
situation tragique d’alors en Algérie.
Boumala monte
sur un escabeau pour descendre l’exemplaire numéroté qu’il possède…
La sortie du livre et vernissage de l’exposition, avec 100 premiers exemplaires de bibliophilie numérotés et signés par les auteurs, dont l’éditeur est Mustapha Ourif, s’est fait simultanément à Paris (Atelier Bordas de lithographie) et à Alger (Galerie Isma) en 1998.
Puis un nouveau siècle s'annonça et avec lui une repride de la modernité !
« Oua houwa ‘alâ koulli chayïn qâdirin »
Dès le début
des années 2000, tout en poursuivant son enseignement à l’Ecole supérieure des
beaux-arts, Abdelkader Boumala renoue personnellement avec la recherche
académique et passe avec succès son diplôme de magister.
Son travail
inédit, très fouillé et précis porte sur les fondements de l’itinéraire artistique de Omar Racim (1884-1959).
Il fait la
tentative de publier ce travail sous forme d’ouvrage grand public, mais le
projet reste sans suite faute d’éditeur.
« El Hamdou
Li-llah ». ou la modernité du carré…
40 x 40 cm, peint en bleu de
Prusse. 2023
« Qoul a’oudhou
bi-Rabbi el falaqi » .2024
L’on voit bien par l’éclat des
couleurs et le brio des lignes de cette calligraphie prise parmi une dizaine d'autres que Boumala développe une
pratique artistique qui renoue et dépasse
les premières tentatives de
la fin des années 70 du siècle passé
évoquées au
début de cet article.
Abderrahmane Djelfaoui
Bois des Arcades (Riad El Feth) – Douéra
5 avril 2025
PS ;
Pour être juste, il faut dire que ce papier qui résume vite et même saute bien
des étapes n’est que la pose d’un certain nombre de pièces d’un puzzle pour
aller vers le cœur de la création calligraphique chez Abdelkader Boumala.