Etrange fil de vie que celui d’un recueil de
poésie ! Et plus encore ce matin je me dis: quel étrange croisement
entre un réalisateur de films de fiction, Moussa Haddad (Paix à son âme) et mon
premier recueil : « ô ville de cent lieux, ville noire » !…
Je ne sais plus bien dans quelle circonstance j’ai pris la photo qui doit avoir moins de quatre ou cinq ans d’âge… Bien que fatigué Moussa est moralement en forme. Tourné vers moi, vers l’objectif de l’appareil, il montre à bout de son bras, main gauche le petit livre de poche « ô ville de cent lieux, ville noire »… Nous sommes apparemment une salle de restaurant, presque comme partout ailleurs dans le monde sauf dirait-on en Algérie… Etait-ce à l’occasion du passage d’une amie tunisienne, monteuse de cinéma ?... La seule chose dont je me souvienne est que Moussa était vraiment content (il me l’a dit) qu’un copain, quelqu’un du milieu du cinéma comme nous, écrive un livre, édite, diffuse…
C’est que les rapports de Moussa à la ville, à cette ville
de cent lieux qu’est Alger (pas toujours ville noire pour lui, ni pour moi
d’ailleurs) sont indubitables !
Un de mes plus insistants souvenirs le concernant est de
l’avoir souvent rencontré (fin des années 90, débuts 2000 –on se connaissait de
longue date) descendant à pied du quartier de l’Oasis vers le croisement du
Ruisseau, Oued Kniss …
Une partie du quartier vu du
téléphérique, un jour d’hiver
Oued Kniss tout le monde savait ce qui s’y « trafiquait ».
Ventes à la criée ! Femmes en bordure d’un mur ombragé vendant « leur
or, leur argent » ! Dans un des magasins donnant sur le boulevard, La caverne d’Ali Baba, on pouvait
trouver pèle mêle des tableaux de paysages, des lampadaires échappés aux
bombardements, des appareils de projection de film années 40, des tapisseries,
des cuivres, plus tout ce qu’on ne pouvait pas voir de la rue…. Les trottoirs pour
leur part complètement noir, mouvant de monde le matin! Et la circulation
encombrée avec des taxis s’arrêtant toutes les 30 secondes là où il ne faut pas
au nez des policiers qui ne sifflent même plus…
On pouvait en ce lieu de la ville faire des
« trouvailles » innombrables d’objets de toutes sortes, inattendus, nécessaires
ou parmi les plus incongrus, objets souvent disparus depuis des générations et maintenant
(mais comment ?) réapparus là comme des révélations en amas à l’intérieur d’échoppes ou sur des
carrés à même la terre, la chaussée, les trottoirs de dizaines sinon centaines
de petits marchands improvisés du marché aux puces de ce Oued Kniss… qui n’était
pas encore le ouedkniss.com d’internet…
Une des rues perpendiculaires à Oued
Kniss, lui faisant face et qui ont été rasées depuis…
Et quelque part à la page 136 de « ô ville de cent lieux, ville
noire », quatre vers de circonstance :
ville d’enfer
affermée par mille et mille fermoirs
si complètement ouverte
aux cieux mer d’opale
La plupart du temps je remontais à pied vers Kouba et déjà nos regards
se croisaient de loin… On se serrait la main avec force sympathie ; Moussa
avec le sourire de celui qui revient d’une affaire où on aurait voulu
l’embobiner mais dont il s’en sortait en fier fils de la ville plein
d’expérience et de ressources…
Il y avait aussi dits ou non dits de souvenirs quant à « la boite
à stupeurs » (« dar el 3jeb ») que fut la Télévision,
l’Unique du boulevard des Martyrs, où avec tant d’autres nous avions
traversé les années de mélasse de la production de films avec un
« contentement » difficile à expliquer tant l’ambiance de camaraderie
et les illusions des jeux de lumière et d’ombres du 20 ème siècle finissant
étaient non seulement forts, productifs mais d’une nature intimement différente
d’aujourd’hui…
Moussa et « la ville noire » cela était déjà inscrit dés l’un
de ses premiers films dramatiques: « Les enfants de novembre ».
Film entièrement en Noir & Blanc ; réfléchissant une violence qui fut
celle de la lutte de libération nationale à la Casbah…
c’est à même les trottoirs des rues
désertes
lampadaires allumés d’invisibles
oiseaux
que dorment les innombrables
sans-toit
……………………………………………
la nuit peine
à vider leur ciel
quand le jour
découpe
un autre décor de cinéma
*
les oiseaux d’aube
rêvent encore
draps et couvertures
offrant pépiements
à l’enfance d’avant
ombres voix humaines
(page 137)
« La ville de cent lieux », ce sera plutôt son autre film,
moderne et intelligent, « Le défi » (« et-tahadi ») pour
lequel je fus son assistant appliqué, curieux, étonné, inquiet et même parfois
énervé tant la manière de faire aboutir son scénario était labyrinthique,
tortueuse, hors norme… Bien des années plus tard je me suis rendu compte que
pour l’assistant de Pontecorvo qu’il avait été sur « La bataille
d’Alger » c’était sa manière de passer par-dessus les barrières grossières
de la censure… Son défi…
qu’on radiographie la toux de nuit au
rayon des aboiements
(page 192)
Concernant « La bataille d’Alger », je lui avais à plusieurs
reprises fait la proposition d’un interview-témoignage. Sans dire explicitement
non, Moussa s’était toujours défilé… Je l’avais pourtant bien faite cette
interview au photographe Ali Marok, un des cameramen de Pontecorvo. Un témoignage
dans lequel Ali Marok avait souligné l’apport de Mohamed Zinet (celui qui
réalisera plus tard « Tahya ya didou ! ») pour l’organisation
des scènes de foules que Pontecorvo lui avait confié pour « La bataille d’Alger ».
C’est dire la connaissance profonde de la ville, de ses populations…
nuits de brume
sableuse de cent une mémoires
nuits chiennes de mer
agitées aux lumignons de vents
nuits dont Alger salée n’a que trop peur
on-dits sismiques
(page 103)
Ali Marok que je photographiais dans
le même quartier
en avril 2008
Ici
l’oiseau rencontre-t-il
jamais l’homme
maçon des toits ?
©Abderrahmane Djelfaoui, texte et photographies
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