Voulant interviewer l’artiste Valentina Pavlovskaia Ghanem sur la
genèse de sa dernière collection à la nouvelle galerie BLOOM the Art Factory
d’Alger, je lui ai d’emblée demander au vu des fortes images peintes sur
les krafts exposés, si cette dernière
exposition a bien pour thème le corps féminin, sa force et sa sensualité…
Pas du tout ! répond-t-elle. Le titre d’abord : « Une
seconde intercalaire »… On sait par
exemple qu’il y a une lune intercalaire. Qu’il y a le jour intercalaire. C’est
comme si l’univers s’était dit : afin que les gens ne s’ennuient pas
trop, il faut créé quelque chose d’intercalaire…
Pour ce qui me concerne c’est parti d’un rêve que j’ai fait (un très
beau rêve en dormant, un peu frustrant mais que je ne vais pas raconter en
entier) où je demandais une seconde intercalaire pour sauver une petite fille. Un
beau rêve, mais dont la réalisation s’est faite aux forceps ! Avec des
douleurs et une déchirure extraordinaires…. Le travail terminé, quand la
galerie m’a demandé d’exposer j’ai tout de suite dit que mon titre sera :
UNE SECONDE INTERCALAIRE ou alors LA VERITE, RIEN QUE LA VERITE, JE LE JURE….
…Parce que c’est un travail que je faisais pour moi. Comme j’écris mon
journal quotidien depuis plusieurs années (où je note des poèmes d’Essénine,
Akhmatova, Blok…) cette collection était mon journal des moments où je me
sentais dans une situation de survie où il m’était même impossible de sauter
d’une journée à l’autre…Il fallait que je m’exprime… Ecrire c’est comme chiffrer
les choses, et au bout d’un long temps on peut perdre le sens ou l’atmosphère d’un
moment… Alors ces moments de douleur je les ai peints, pour moi, avec audace,
courage pour exprimer les sentiments les plus profonds traversés de douleur et de
déchirure… C’est cela ma collection. Tant pis peut être pour les gens qui y
voient autre chose…
Mais le corps n’est-il pas le support de l’expression même de cette
douleur et, parfois, du bonheur ?...
Qu’y a-t-il de plus expressif que le corps ? On ne va pas prendre
pour support une plante ! Que pourrait-elle expliquer ? Et le vent lui-même
que peut-il exprimer de douleur ?.. Réfléchissons : par quel
sujet, quelle matière peut-on exprimer un bouleversement qui change ta vie ?
Ce moment où tu dois te dépasser, que tu veux ou pas ! Un moment au-dessus
duquel il faut sauter pour continuer à survivre, vivre…
« Tel un fœtus
humain », dit Valentina en passant devant cette toile…
A quel moment de la journée ou de la nuit tu as travaillé aux toiles
de cette collection ?
D’abord chacune de mes toiles était travaillée par mon subconscient ;
par mes sens. Ma conscience n’est venue qu’à la fin du travail. La force d’expression
me venait souvent la nuit, souvent au milieu du sommeil qui me réveillait… Et comme tu sais je vais
alors dans mon atelier. Je jette sur le kraft les premiers jets tels que j’en
ai eu la vision dans une gestuelle inconsciente… Et toutes les toiles de cette
collection ont été commencées comme ça, par terre… Et s’il y a une chose que je
ne pourrais vraiment dire à personne c’était le dialogue avec moi-même…
Ce n’est qu’après que j’ai travaillé sur chevalet, pour affiner et
donner tout son sens à ce que je veux dire. A ce moment là bien sur la logique
qui revient en toute conscience, pour mieux
réfléchir à la composition, au rythme, etc…
Tant il
est difficile de photographier des œuvres sous plexiglas, à cause des reflets
inévitables…
Tu as beaucoup travaillée avec le pastel dans ta vie, pourquoi avoir
privilégié le fusain cette fois-ci?
Tout le travail est fait au fusain et au henné, ce qui n’est pas utilisé
par les peintres. Le henné parce que j’adore sa couleur, son odeur ; c’est
une couleur de la terre, une couleur de la joie des ambiances et de la
tradition. C’est aussi quelque chose de très intime…
Pour moi le mariage du fusain et du henné est quelque chose de
magique. Parfois je ne commençais qu’avec
le henné et ce n’était qu’après que je j’utilisais le fusain ; d’autres
fois c’était l’inverse… Mais j’ai aussi un peu travaillé ces toiles au pastel,
à l’acrylique sachant bien que l’essentiel était le fusain et le henné.
A mon sens travailler au fusain c’est un exploit. Parce que d’habitude
le fusain ne sert qu’à faire des croquis… Le travail fini au fusain est rare… Travailler
le fusain est une gymnastique extraordinaire! Et dans mon travail j’aime les
barrières, la difficulté, comme j’aime trouver de nouveaux moyens pour les dépasser
et me dépasser ; pour mieux m’exprimer par la suggestion qui est la forme
la plus élevée de l’art…
… Suggérer c’est très important ; dans n’importe quelle forme de
l’art c’est laisser à ceux qui regardent la possibilité d’imaginer… Lire un
livre en connaissant déjà la fin n’a rien d’intéressant ! Il faut laisser
imaginer ; libérer l’imagination !..
Pour en revenir au fusain et au charbon il y a quelque chose
d’important à souligner. Fusain, charbon et diamant sont de la même famille. Ce
sont des matières créées à des températures très élevées. Elles proviennent du
feu ! Alors essayer de dominer ce qui a été fait par le feu…
D’autre part avec le fusain et le charbon, comme tu n’as qu’une seule
couleur dure, forte, celui que tu invites à regarder devra approfondir avec son
propre monde, ce qu’il en comprend au plus profond de lui-même… Comme dans la
musique, chacun interprète à sa manière et retrouve en soi ce qu’il a caché…
Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui
Alger, le 30 octobre 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire