A la question de savoir comment le projet de traduction de
la poésie d’Anna Gréki vers l’anglais est
né, la traductrice et poétesse italienne Cristina Viti répond :
Dans mon travail il s’est toujours agi de métissage et de nomadisme
culturel…
En traduisant un poète algérien, Tahar Lamri, je me suis mis à
m’intéresser à la poésie et à la littérature algérienne. C’est ainsi que mes
recherches m’ont amené vers de petits
morceaux d’Anna Gréki que j’ai trouvé en ligne. J’ai été frappée par l’élégance
de forme de cette poésie alors qu’Anna était politiquement très engagée ;
une alliance plutôt rare. J’ai voulu me procurer ses livres ; ce qui n’a
pas été facile.
Jusqu’au moment où avec une collègue d’origine et de culture
algérienne, Souheila Haïmiche, on s’est mises à discuter ensemble du dernier
recueil d’Anna Gréki, « TEMPS FORTS », qu’on m’avait ramené de
Paris…
Un début de collaboration faite de conversations a commencée il y a
environ quatre ou cinq ans, bien avant le travail de traduction proprement dit…
J’en avais alors parlé à notre éditeur londonien Smoke Stack Books sans qu’une
décision nette soit prise…
Mais il y a six mois, Andy l’éditeur me rappelle et demande : Est-ce
que vous êtes toujours en train de travailler sur ce projet d’Anna Gréki ?
J’ai répondu oui ! Alors il a dit : on le publie fin
septembre…
Il nous a fallu travailler vite et bien avec Souheila Haïmiche dont la
connaissance des nuances du français algérien et du contexte politico-culturel
du pays me donne la chance de travailler plus précisément que je ne l’aurais pu
faire toute seule. !
Ceci étant, Smoke Stack Books avait déjà édité une anthologie de poètes
algériens de la guerre déjà publiée en français par le poète Francis Combes …
Pouvez-vous nous donner le nom de quelques autres auteurs qui ont
été édité par Smoke Stack books ?...
Il y a pour les français : Louis Aragon et Francis
Combes… Mais pour l’année 2020 on peut citer des essayistes, poètes ou écrivains
de divers pays tels Sylvia Pankhurst, Alexander
Tvardovsky, Konstantin Simonov, Laura Fusco, Chawki Abdelamir, Nikolas Calas,
Tasos Leivaditis, Nancy Charley, Jo Colley et Anna Gréki…
Livre
distribué à Londres dès le 1er octobre 2020
Pourquoi avoir choisi le second recueil d’Anna Gréki édité en 1966 (quelques mois après la mort de
la poétesse) pour le traduire et le diffuser aujourd’hui à Londres ?
Anna Grèki n’était pas très connue en Angleterre. On ne savait presque
rien sur sa vie ; bien entendu avant de découvrir votre livre j’en savais
personnellement bien peu moi aussi. Je me posais toute une série de questions,
dont j’ai trouvé quelques réponses dans votre travail…
Mais dans votre approche personnelle qui vous a le plus «
frappé » dans cette œuvre d’Anna Gréki ?..
J’ai toujours cherché cette combinaison magique entre les idées
politiques et l’élégance formelle ; -c’est ce que j’ai trouvé
immédiatement en elle. Anna était « tout feu tout flamme », comme on
dit. Son élégance est proportionnelle à son engagement. Dans les écrits qu’elle
publie à l’Indépendance, ou qu’elle n’avait pas encore publiés, elle parlait
très haut et vraiment très clair contre tout revanchisme culturel… C’est cette
attitude que je recherche chez l’écrivain parce que c’est seulement en
combattant dans la langue contre ce qui n’est pas dit, qu’on ne dit pas, qu’on
ne laisse pas dire, qu’on peut combattre tout autoritarisme répressif ou le
fascisme comme dans certains pays…. Tout commence par l’interdiction d’un mot…
Or « TEMPS FORTS » est le recueil d’une femme qui a vécu la
révolution et qui en a payé le prix fort (voir : « ALGERIE CAPITALE
ALGER »). Sa liberté c’est de
traiter ce qu’elle a devant les yeux et
de le dire clairement ; c’est avec l’Indépendance que tout commence pour
elle …
[…] L’indépendance au chant du coq où l’as-tu mise?
Tu veux saigner la grenade avec un couteau
Plonger chaque cervelle dans un bain de sel
Que l’herbe qui y pousse reste à ras de peau
Quel est ce peuple roi chien que l’on musèle?
La misère qui hurle a encore du talent
Etc…
Que voulez-vous dire par : etc… ?
Une chose très importante pour moi est sa lucidité quant
à la liberté qu’on puisse parler plusieurs langues. Le plurilinguisme certes,
mais aussi son respect pour la pluralité des langages, elle qui était au fait
de tout ce qui se parlait en Algérie et qui écrivait qu’elle avait les yeux
chaouia, par exemple… Ce qui m’a beaucoup émue, parce que je me sens moi-même
concernée du fait qu’en tant qu’italienne je suis issue d’une nation où coexistent
plusieurs langues qu’on appelle « dialectes »… Cela est dû, même si sa
formation était enracinée en partie dans la culture française, a une formation
à plusieurs étages ; une formation moderniste et surréaliste, si l’on veut.
Je la vois d’ailleurs bien se promener avec un livre d’Apollinaire dans les
mains tout en continuant sa conversation. Dans ses images les plus violentes je
vois du Buñuel… Etc…
Vous venez d’évoquer une des réalités culturelles de
votre pays, mais qu’en est-il de votre parcours personnel de poétesse et de traductrice ?
Oh, comme le disait Katherine Mansfield, la vérité sur
soi-même semble toujours arrogante, mais voilà:
Mon cas n’est pas unique: je viens d’une famille où
l’italien se mêle à l’écho du français et aux accents très vifs de la langue
dite « dialecte » d’une des vallées des Alpes. A ce mélange s’ajoute
très tôt l’anglais, et je commence toute jeune l’étude des langues et la
pratique de la traduction. A dix-sept ans je décroche mon bac ; à
vingt-et-un je pars à Londres où je continue mes études tout en me plongeant
dans le vif de la langue. Travail, écriture, voyage, musique, partage de
poésie, métissage culturel recherché et poursuivi. Je commence à publier mes
traductions dans des revues spécialisées, puis à proposer à différents éditeurs
les auteurs que je rencontre sur mon chemin et que je pense méritent être mieux
connus. J’ai traduit la romancière Elsa Morante, le poète albanais Gëzim Hajdari, la poétesse
Amelia Rosseli , des travaux du critique italien Furio Jesi et bien d’autres
encore…
Mes poèmes et traductions ont été publiées dans plusieurs revues, notamment : Modern Poetry in Translation , Agenda, Asymptote, The White Review et Shearsman Magazine…
En ce moment même, poursuit Cristina Viti, je
travaille à la création d’une série d’ateliers de traduction (King’s College,
University of London) visant à illuminer la figure du traducteur comme
activiste culturel et la centralité de la forme dans sa pratique.
Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui
lien direct vers le livre:
https://smokestack-books.co.
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