dimanche 27 septembre 2020

« Mitalika », Un design pour la « Biennale de Dakar », 2006

 




« Mon tout premier prototype était une chaise en métal pour une expo de fin d’année à l’Ecole des beaux-arts en 1998 dont je dois encore avoir l’esquisse dessinée au crayon quelques part … 

Mais le premier projet que j’ai mené à terme en tant que professionnelle, dit la designer Chafika Aitoudhia, fut celui d’un luminaire, en rotin, en 2003 exposé lors de L’année de l’Algérie en France… Juste trois ans après être sortie diplômée de l’Ecole supérieure des beaux-arts. »



Luminaire en rotin - 2003





 

MITALIKA – la conception


« Pourquoi une table, je ne sais pas… J’aurais pu travailler sur un siège ou une chaise… Mais une table c’est aussi travailler sur un objet plus important dans la structure d’un espace : ça peut être une table basse posée à même le sol ou sur un tapis ; ça peut être une table de travail ; une table de cuisine… J’ai fini par choisir de concevoir  une longue table de salon qui peut aussi servir comme table à manger…

Je voulais sortir de la pratique traditionnelle de disposer symétriquement les plats sur une table. Une autre manière de voir le service... Aussi le fait que les gens autour de la table puissent se répartir autrement. C'est à tout cela que, dans mon esprit, servent les cercles de différents diamètres qu'on voit sur le dessus. D'ailleurs cette longue table peut tout aussi bien ne servir qu'à deux personnes. En me demandant : "quelles chaises pourraient aller avec cette table"....






MITALIKA, vue de coté

 

 

« Mais l’intérêt de la recherche n’est pas seulement l’usage de la table elle-même, mais aussi son environnement. Son rapport à l’espace. Ne pas dessiner une table qui serait seulement un plan sur lequel on sert à boire ou à manger ; faire qu’elle soit un objet d’art, une sculpture pour le plaisir du regard. Pour l’élégance du lieu… 

 

« La recherche sur le thème m’a pris entre trois semaines et un mois… L’image de cette table m’était venue un jour lors d’une pause déjeuner au bureau… Je déjeunais seule d’un sandwich au fromage. Du gruyère… Et ce gruyère m’a peu à peu donner une idée… Pourquoi ne pas utiliser les « vides » qu’il y a dans le morceau de gruyère ?... De là, à la maison, le soir, je réalisais toute une série d’esquisses au crayon dont la plupart sont parties à la corbeille… Puis je suis passée à  la conception à l’ordinateur sur un simple PC ; une conception en 3D… 



« Le travail à l’écran fut long.  Je ne voulais pas d’une table avec des piètements traditionnels et symétriques… Alors ?...

« Alors je décidais qu’une face de l’empiétement ne serait pas pleine, face aux deux pieds traditionnels à l’autre extrémité de la table. Pour que cette partie évidée (en un cercle parfait) puisse être utilisée par une personne qui s’assoit à cette extrémité, je lui donnais un angle. C’est là l’essentiel de ma conception.



Empiétement MITALIKA - détail

 

 

« Arrivée ce stade, j’envoyais le dossier numérique au secrétariat de la Biennale de Dakar 2006.

Mon projet fut sélectionné. 

 

« A partir de cette sélection, commença pour moi une autre phase, la plus importante, plus compliquée, plus délicate, qui était le processus de réalisation physique à Alger de MITALIKA… Une phase où j’ai dû beaucoup « courir »…


 

FAIRE, UNIVERS DU FER…

 

« Première opération : préparer les plans d’exécution à l’échelle réelle de cette table faisant 2 mètres 40 de longueur, 80 cm de largeur et 75 cm de hauteur…

Imprimer les plans.

 

« Deuxièmement : prendre contact avec les sociétés susceptibles de réaliser le prototype, sachant que les sociétés spécialisés dans la réalisation de prototypes n’existent pas en Algérie…

« Un contact avec un premier industriel en inox a consisté en une réunion de deux heures pour lui faire part de l’ensemble des données et les lui expliquer.  Au final il voulait que je change toutes les formes circulaires en formes rectangulaires. Son argument : la nécessité d’utiliser plusieurs séries d’outils lui serait très couteux… Comme ce n’était pas du tout ma conception, je refusais ces changements.

 

« Après avoir vainement relancé durant un mois un second industriel qui était spécialisé dans la découpe numérique mais dont je ne pus jamais accéder à l’atelier,  j’optais de travailler avec un artisan en ferronnerie d’art dont on m’avait donné l’adresse, dans la banlieue d’Alger. Contacté, il m’orienta vers son apprenti qui venait juste de s’installer à son compte. Ce dernier, très jeune n’avait pour tout instrument que des cisailles à main !… Il était d’accord.

Il a étalé le plan à l’échelle réelle et, par un véritable travail de dentelle à la main, il s’est mis à découper pièce par pièce… Un travail qui dura une dizaine de jours…

Cette opération terminée, il passa à l’assemblage et montage final de la table.

 

« Il me restait de faire chromer la table. A nouveau, je fis le tour de toutes les entreprises spécialisées dans le chromage. Mais à chaque fois surgissait un problème : soit leurs cuves de chromage étaient petites, soit celui qui avait les cuves correspondantes avait un problème technique et pas de technicien pour le réparer… 

Face à cette situation insoluble j’optais à nouveau pour un travail artisanal de peinture par un tôlier ! Ce qui fut fait et bien fait.



Chez le tôlier…

 

ALGER-DAKAR, L’IMPOSSIBLE VOYAGE

 

« Durant toutes les opérations précédentes, je ne cessais en parallèle de préparer « notre départ », (ma table et moi) vers Dakar…

La Biennale avait tout pris en charge : les billets d’avion, l’hébergement et le transport garanti de l’œuvre. Pour cela la Biennale me mit en contact avec SDV Dakar, société internationale de transport spécialisée dans le déménagement. Celle-ci m’orienta sur sa filiale SDV Algérie à Hamadi qui me donna un dossier à remplir.

Ce que je fis en adjoignant l’autorisation du Ministère de la culture à exporter mon œuvre. Ce dossier rempli et remis à SDV, la société n’arriva pas à faire passer ce dossier à la douane algérienne. Le responsable à l’export de ladite société était étonné ; c’est, me dit-il, la première fois que pareille  chose nous arrive

Le temps passa. Le problème de l’exportation de mon œuvre demeurait insoluble. Mon voyage fut annulé…

 

« Dépitée, une année après ma seule satisfaction fut que ma table participa à l’ouverture officielle du nouveau musée d’art moderne le Mama en 2007 dans le cadre d’une exposition désign du Maghreb… 



MITALIKA – vue d’ensemble

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Abderrahmane Djelfaoui

Photos et 3D par Chafika Aitoudiah


 




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