Et je rencontre Haroun,
le célèbre dessinateur, dans un café à Douéra…
C’est un
vieil homme de bonne taille avec un bonnet de laine sur la tête. A la seconde où je lui serre la main, ce que je
remarque surtout ce sont ses yeux curieux et amusés, comme si son enfance lointaine
de la montagne des neiges et des oliviers n’a jamais quitté l’imaginaire qui lui
a inspiré des milliers de dessin de presse et autres depuis près de 80 ans…
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A son visage qui
donne l’impression d’avoir été découpé dans la crête d’une montagne, je me dis :
n’est-il pas né à Larbaa Nath Iraten, l’ex Fort National au temps de la
deuxième guerre mondiale ?...
En vérité son
visage est celui d’un honnête homme qui dégage une aura de bienveillance et de
gentillesse. Il parle avec douceur et, même si parfois la mémoire n’est pas
immédiatement au rendez-vous, il s’exprime avec des mots clairs qui vous
invitent à partager les moments simples et difficiles de sa longue vie
créatrice et humble. Et ce n’est pas au hasard que j’emploie le mot humble.
N’a-t-il pas adapté en bande dessinée « Le fils du pauvre » de
Mouloud Feraoun en 1973 ?...
Une bande dessinée qui est parue dans le journal Echaab,
chaque jour pendant un mois et demi avec lecture des images de droite à gauche
puisque c’était un journal en arabe…
En fait pour moi, en cet hiver pluvieux et neigeux de 2025, Ahmed Haroun dans ce café est l’être qui du mouvement de ses yeux m’indique que dehors la pluie s’est arrêtée de tomber pour laisser monter un arc-en-ciel qui colore lentement le ventre des nuages…
Je suis d’ailleurs reconnaissant de partager avec lui une petite table carrée , comme on est toujours reconnaissant à un vieil ami de quartier ou un de ces « anciens » camarades de classe retrouvés avec qui nous nous asseyons partager un petit quart d’heure de discussion qui peut durer plus d’une heure avec des dizaines d’idées et des centaines d’images et d’émotions !
Quand je lui
dis que je passe sur ce boulevard depuis trois ans et que je n’avais pas
remarqué ce petit café, il me répond avec le sourire que sa famille ne l’a en fait
ouvert que depuis trois mois, et que lui est installé ici à Douéra depuis l’âge de
17 ans en 1957 !
A cet âge il revenait
de Larba Nath Irathen où la guerre de libération faisait rage, avec tous les
jours des morts… « En arrivant ici à Douéra au magasin paternel qui
était tenu par un gérant, ‘Ami Hmed, je lui ai dit étonné : il n’y a pas
de guerre ici, hein ? Il y a de la musique et tout semble tranquille »
…
Amirouche (1980), une bande dessinée inachevée qui « tentait
de raconter la vie d’un héros mythique de la révolution dont les exploits
avaient bercé l’enfance d’Ahmed Haroun »
Après un court moment
de silence, il est interpellé par un retour de mémoire ; il reprend son
récit presque à la limite du murmure pour me conter ce moment d’adolescence où
sa carrière de dessinateur a été réellement mise sur rails.
« En
1959, dit-il, je suivais le Tour de France cycliste. J’avais moi-même un vélo
de course et je faisais du cyclisme avec mon ami intime le futur champion Ahmed
Djellil. Nous avions acheté ensemble nos vélos (qui étaient des vélos d’occasion,
parce qu’on n’avait pas les moyens d’en acheter des neufs) et nous nous étions
inscrits pour notre licence chez Distempa de Birmandrais. Nous nous entrainions
sur des parcours de Douéra à Médéa et retour, ou Douéra-Tizi Ouzou et retour
deux fois par semaine…Il y avait aussi Saddouki, Hamza Madjid et surtout Ali
Sayeh qui en tant que sprinter gagnait de vitesse tous les européens ! »
Après l’indépendance, entre 1963 et 1965, Ahmed Djellil a participé plusieurs fois à La Course de la Paix qui se déroulait dans les pays de l’Est : Tchécoslovaquie, RDA, Pologne ».
« A
cette époque tout le monde se déplaçait en bicyclette à Douéra et dans la
Mitidja, il n’y avait presque pas de voitures. C’était donc normal, aussi mon
père ne m’a dit ni oui ni non pour la course cycliste…
Et cette
année 59, poursuit Ahmed Haroun, il y a eu un espagnol, Bahamontès, maillot
jaune qui pour la première fois a remporté le Tour de France. C’était un
grimpeur ! Et il n’était pas le seul ; il y avait autour de lui des
cracks comme Louison Bobet et d’autres… A partir d’un numéro du journal que j’avais
entre les mains, j’ai dessiné son portrait. »
Je me doute
bien que depuis plus de 60 ans il n’a pas dû garder ce portrait… Et il m’explique
pourquoi il ne l’a pas gardé.
« Je l’ai
dessiné en couleurs avec son maillot jaune. Il y avait un copain du village qui
est venu me voir, Henri Thomas dont les parents avaient une charcuterie à
Douéra. Et je lui ai vendu ce portrait pour un franc à l’époque ! Portrait
qu’il a montré à sa mère ; et celle-ci à demander après moi. J’ai été voir
madame Thomas qui était une voisine et elle m’a dit : mais mon fils pourquoi
tu ne vas pas aux Beaux-Arts ? … Je
lui ai répondu que je ne connaissais pas… Elle m’a dit : ne t’en fais pas…
Quelques jours elle m’avait ramené l’adresse de l’Ecole des Beaux-arts au parc
de Galland. Quelques jours encore après j’ai pris le bus et j’y suis allé sans
informer mon père ; j’avais 17-18 ans… La suite de mon entrée à l’Ecole
des beaux-arts et des études que j’ai suivi, je l’ai raconté dans mon livre :
« La bonne destinée » paru en 2010 chez Dalimen » …
En évoquant la
maison d’édition DALIMEN, Haroun me rappelle à la fois la parution du livre d’art
que j’avais réalisé en collaboration avec Mustapha Nedjai (en 2007) « Nedjai à Nedjai, une odyssée » et
surtout le comité de préparation, en 2008, du 1er Festival de la
bande dessinée, le FIBDA, dans lequel j'avais fait, entre autres, cette photo qui regroupait
autour de la table des programmations du Festival : l'écrivain Rachid Boudjedra, le peintre Arezki Larbi (1955-2024), le
caricaturiste Le Hic et le bédéiste et auteur de films d'animation : Mohamed Aram (1933-Fevrier 2020)
De gauche à droite :
Mohamed Aram, Le Hic (en casquette),
Arezki Larbi assis et Rachid
Boudjedra debout
Je lève les yeux pour prendre le temps de regarder les quelques
images des caricatures de Haroun qui sont accrochées en enfilade sur les murs
du café, au-dessus de la tête des consommateurs qui discutent en sirotant leur
café..
Avant de nous
quitter, Ahmed Haroun me promet de me ramener demain la reproduction d’une
toile de peinture qui lui valu le 1er Prix en 1974, pour le 20 eme
anniversaire de la révolution. Une autre discussion donc en prévision, dans ce
même café, sur une autre corde à l’arc créatif de Haroun ; la corde de la
peinture à l’huile sur toile ; peinture réaliste, lui qui fut, soit dit en
passant, membre de l’Union Nationale des Peintres Algériens, UNAP…
Abderrahmane
Djelfaouui
Douéra, le 2
février 2025
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