dimanche 2 février 2025

Et je rencontre Haroun, le célèbre dessinateur, dans un café à Douéra…

 




Et je rencontre Haroun, 

le célèbre dessinateur, dans un café à Douéra…



C’est un vieil homme de bonne taille avec un bonnet de laine sur la tête.  A la seconde où je lui serre la main, ce que je remarque surtout ce sont ses yeux curieux et amusés, comme si son enfance lointaine de la montagne des neiges et des oliviers n’a jamais quitté l’imaginaire qui lui a inspiré des milliers de dessin de presse et autres depuis près de 80 ans… 




A son visage qui donne l’impression d’avoir été découpé dans la crête d’une montagne, je me dis : n’est-il pas né à Larbaa Nath Iraten, l’ex Fort National au temps de la deuxième guerre mondiale ?...

En vérité son visage est celui d’un honnête homme qui dégage une aura de bienveillance et de gentillesse. Il parle avec douceur et, même si parfois la mémoire n’est pas immédiatement au rendez-vous, il s’exprime avec des mots clairs qui vous invitent à partager les moments simples et difficiles de sa longue vie créatrice et humble. Et ce n’est pas au hasard que j’emploie le mot humble. N’a-t-il pas adapté en bande dessinée « Le fils du pauvre » de Mouloud Feraoun en 1973 ?...

Une bande dessinée qui est parue dans le journal Echaab, chaque jour pendant un mois et demi avec lecture des images de droite à gauche puisque c’était un journal en arabe…




En fait pour moi, en cet hiver pluvieux et neigeux de 2025, Ahmed Haroun dans ce café est l’être qui du mouvement de ses yeux m’indique que dehors la pluie s’est arrêtée de tomber pour laisser monter un arc-en-ciel qui colore lentement le ventre des nuages…

Je suis d’ailleurs reconnaissant de partager avec lui une petite table carrée , comme on est toujours reconnaissant à un vieil ami de quartier ou un de ces « anciens » camarades de classe retrouvés avec qui nous nous asseyons partager un petit quart d’heure de discussion qui peut durer plus d’une heure avec des dizaines d’idées et des centaines d’images et d’émotions !

Quand je lui dis que je passe sur ce boulevard depuis trois ans et que je n’avais pas remarqué ce petit café, il me répond avec le sourire que sa famille ne l’a en fait ouvert que depuis trois mois, et que lui  est installé ici à Douéra depuis l’âge de 17 ans en 1957 !

A cet âge il revenait de Larba Nath Irathen où la guerre de libération faisait rage, avec tous les jours des morts… « En arrivant ici à Douéra au magasin paternel qui était tenu par un gérant, ‘Ami Hmed, je lui ai dit étonné : il n’y a pas de guerre ici, hein ? Il y a de la musique et tout semble tranquille » …



Amirouche (1980), une bande dessinée inachevée qui « tentait de raconter la vie d’un héros mythique de la révolution dont les exploits avaient bercé l’enfance d’Ahmed Haroun »

 

Après un court moment de silence, il est interpellé par un retour de mémoire ; il reprend son récit presque à la limite du murmure pour me conter ce moment d’adolescence où sa carrière de dessinateur a été réellement mise sur rails.

 

« En 1959, dit-il, je suivais le Tour de France cycliste. J’avais moi-même un vélo de course et je faisais du cyclisme avec mon ami intime le futur champion Ahmed Djellil. Nous avions acheté ensemble nos vélos (qui étaient des vélos d’occasion, parce qu’on n’avait pas les moyens d’en acheter des neufs) et nous nous étions inscrits pour notre licence chez Distempa de Birmandrais. Nous nous entrainions sur des parcours de Douéra à Médéa et retour, ou Douéra-Tizi Ouzou et retour deux fois par semaine…Il y avait aussi Saddouki, Hamza Madjid et surtout Ali Sayeh qui en tant que sprinter gagnait de vitesse tous les européens ! »




Après l’indépendance, entre 1963 et 1965, Ahmed Djellil a participé plusieurs fois à La   Course de la Paix qui se déroulait dans les pays de l’Est : Tchécoslovaquie, RDA, Pologne ». 

« A cette époque tout le monde se déplaçait en bicyclette à Douéra et dans la Mitidja, il n’y avait presque pas de voitures. C’était donc normal, aussi mon père ne m’a dit ni oui ni non pour la course cycliste…

Et cette année 59, poursuit Ahmed Haroun, il y a eu un espagnol, Bahamontès, maillot jaune qui pour la première fois a remporté le Tour de France. C’était un grimpeur ! Et il n’était pas le seul ; il y avait autour de lui des cracks comme Louison Bobet et d’autres… A partir d’un numéro du journal que j’avais entre les mains, j’ai dessiné son portrait. »



Je me doute bien que depuis plus de 60 ans il n’a pas dû garder ce portrait… Et il m’explique pourquoi il ne l’a pas gardé.

« Je l’ai dessiné en couleurs avec son maillot jaune. Il y avait un copain du village qui est venu me voir, Henri Thomas dont les parents avaient une charcuterie à Douéra. Et je lui ai vendu ce portrait pour un franc à l’époque ! Portrait qu’il a montré à sa mère ; et celle-ci à demander après moi. J’ai été voir madame Thomas qui était une voisine et elle m’a dit : mais mon fils pourquoi tu ne vas pas aux Beaux-Arts ? …  Je lui ai répondu que je ne connaissais pas… Elle m’a dit : ne t’en fais pas… Quelques jours elle m’avait ramené l’adresse de l’Ecole des Beaux-arts au parc de Galland. Quelques jours encore après j’ai pris le bus et j’y suis allé sans informer mon père ; j’avais 17-18 ans… La suite de mon entrée à l’Ecole des beaux-arts et des études que j’ai suivi, je l’ai raconté dans mon livre : « La bonne destinée » paru en 2010 chez Dalimen » …


En évoquant la maison d’édition DALIMEN, Haroun me rappelle à la fois la parution du livre d’art que j’avais réalisé en collaboration avec Mustapha Nedjai (en 2007)  « Nedjai à Nedjai, une odyssée » et surtout le comité de préparation, en 2008, du 1er Festival de la bande dessinée, le FIBDA, dans lequel j'avais fait, entre autres, cette photo qui regroupait autour de la table des programmations du Festival : l'écrivain Rachid Boudjedra, le peintre Arezki Larbi (1955-2024), le caricaturiste Le Hic et le bédéiste et auteur de films d'animation : Mohamed Aram (1933-Fevrier 2020)



De gauche à droite : Mohamed Aram, Le Hic (en casquette),

Arezki Larbi assis et Rachid Boudjedra debout


Je lève les yeux pour prendre le temps de regarder les quelques images des caricatures de Haroun qui sont accrochées en enfilade sur les murs du café, au-dessus de la tête des consommateurs qui discutent en sirotant leur café..






 







Avant de nous quitter, Ahmed Haroun me promet de me ramener demain la reproduction d’une toile de peinture qui lui valu le 1er Prix en 1974, pour le 20 eme anniversaire de la révolution. Une autre discussion donc en prévision, dans ce même café, sur une autre corde à l’arc créatif de Haroun ; la corde de la peinture à l’huile sur toile ; peinture réaliste, lui qui fut, soit dit en passant, membre de l’Union Nationale des Peintres Algériens, UNAP…

 

 

 

Abderrahmane Djelfaouui

Douéra, le 2 février 2025

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