dimanche 14 février 2016

Le Cheval Algérie

Le hasard a voulu que je participe récemment à une visite de la ferme d’élevage Chikhaoui située entre les hauts plateaux du Sersou et les plaines steppiques qui commencent au-delà de la montagne du Nador, dans la région de Sougheur, wilaya de Tiaret. Dans le petit groupe qui eut à partager l’agréable disponibilité et sympathie du propriétaire de ce haras pour nous présenter ses poulinières, ses poulains et ses étalons, se trouvait une personne qui possède une profonde connaissance des chevaux d’Algérie tout en pratiquant le métier de préhistorienne, son enseignement et sa recherche depuis au moins quatre décennies …

La jument "Semra"  âgée de 4 ans, née à la ferme Chikhaoui  (photo Abderrahmane Djelfaoui)


« Il y a chez les Algériens du bled, me dit madame Ginette Aumassip, un amour du cheval qui dépasse l’entendement »… Effectivement, ayant fait remarquer à notre hôte éleveur que ses chevaux étaient très bien traités, parce qu’ils étaient très doux et sans peur avec des mères que l’on pouvait approcher (« ce qui n’est pas toujours le cas et est même rarement le cas ailleurs dont en France», notait-elle, « parce qu’il faut que l’animal sente bien qu’il est en toute confiance et qu’on a pour lui de l’affection, voire de l’amour »), l’éleveur qui est aussi un fin connaisseur de la vie quotidienne de la région  depuis le 18 ème siècle avait répondu  simplement: « Ils sont comme nos enfants ». « Autrement dit, souligne madame Aumassip,  le cheval n’est pas un simple objet de prestige comme dans beaucoup de sociétés contemporaines, mais dans l’Algérie des hauts plateaux, que ce soit vers Tiaret ou vers Sétif, le cheval est en un membre de la famille… D’ailleurs comme les villes à l’heure actuelle sont constituées de beaucoup de migrations en provenance des campagnes, il y a dans les villes une fraction importante de la population qui est encore extrêmement liée au cheval. Et une autre partie de la population, peut être par snobisme, acquiert pour elle et ses enfants un contact particulier avec le cheval, pour laquelle il est devenu un compagnon, un hobby… Le cheval fait partie de l’identité des Algériens et pour cela je lui accorde personnellement une position très forte.»

De ce type de constat, et de fil en aiguille, la discussion me mena personnellement à questionner madame Aumassip, préhistorienne, sur ce que, justement, avait pu être le cheval dans l’aire géographique représentée par l’Algérie d’aujourd’hui à l’époque de l’antiquité gréco-romaine, d’abord, puis de façon plus précise dans la lointaine, très lointaine préhistoire…

Où repère-t-on des dessins ou des peintures préhistoriques de chevaux ?

« On a de la gravure dans les zones rocheuses, dans la montagne. Ce qui veut dire qu’on a tout l’Atlas saharien et presque tout son long sur des centaines de kilomètres. Il y a évidemment des endroits qui sont peut être mieux connus et recensés comme la région de Djelfa et Laghouat pour ces chevaux. Il y a ensuite la Gara Benslaloum, au sud d’Ain Sefra où il y a pas mal de restes préhistoriques de chevaux gravés. On retrouve ces gravures dans les montagnes aujourd’hui arides, parce qu’il y a eu moins d’humidité et donc moins de détérioration de ces représentations à travers le temps. Elles ont été mieux conservées. Il est possible qu’il y en ait ailleurs. D’ailleurs de temps à autre on trouve des vestiges qui permettent de le confirmer. On en trouve ensuite énormément dans le Tassili. Cette région saharienne est d’une richesse inouïe. Mais de façon particulière, la représentation du cheval préhistorique est concentrée dans la région de Djanet et le long de la frontière libyenne.  Cette forte concentration reprend pour l’essentiel une image stéréotypée qui est celle d’un cheval dit  au galop volant… »


Madame Aumassip devant son ordinateur où elle montre l’arrivée de deux chars attelés chacun de deux chevaux
au galop peints sur une paroi du Tassili (photo Abderrahmane Djelfaoui)

Peinture rupestre de deux chevaux de la préhistoire : Ce sont des chevaux dont le corps s’inscrit dans un carré. Ils ont la queue attachée bas, caractère propre au barbe. Environ 1500 ans avant JC 



La célèbre stèle d'Ibizar (Grande Kabylie), qui représente un cheval par sa queue plantée bas, sa forte encolure, sa tete fine aux orbites plates donne à penser que c'est un barbe.



Toujours à propos de cette question de course, madame Aumassip, fait un saut dans l’histoire pour rapporter une étonnante anecdote sur le cheval barbe écrite par Kadri. « En 1865, alors qu’il veillait au creusement du canal de Suez, Ferdinand de Lesseps reçu en cadeau un cheval barbe venant de Tunis. Il fut plaisanté à ce sujet par le khédive d’alors Mohamed Said avec lequel il entretenait des relations d’amitié profonde (…) Lesseps riposta en organisant une joute. A ce défi participèrent 17 chevaux de choix de Syrie et d’Egypte (…) Le vainqueur de la course fut le barbe »…

Que peut-on déduire des caractéristiques de ce cheval préhistorique d’Afrique du nord?

« Le cheval préhistorique d’Afrique du nord était petit, c’est un fait certain. On le voit nettement sur les peintures du Tassili où l’on a le plus souvent deux chevaux qui sont en extension maximum attelés à un char. C’est une figure typique du Tassili qui pose aux spécialistes nombre de problèmes d’interprétation. Ces interprétations sont nombreuses. Pour ma part, je pense que ces gravures et dessins représentent des courses ; plus précisément le moment des arrivées de courses… Ainsi quand deux chars sont proches l’on remarque que le premier est en train d’arrêter ses chevaux, pendant que celui légèrement en arrière est encore en train d’arriver. On remarque que comme il ne gagnera pas, il baisse les bras… Pour moi ces deux peintures représentent tout à fait les caractéristiques d’une arrivée de course… C’est à une centaine de kilomètres de Djanet. C’est particulier à ce secteur là. On ne les retrouve pas tels que ailleurs… Ailleurs, nous n’avons pas de chevaux attelés, que ce soit dans le Hoggar, dans le sud oranais ou le sud algérois… Pendant longtemps certains préhistoriens mettaient cette différence sur le fait de la négligence du peintre puisque ce n’était pas conforme à tout le reste de la figure représentée qui est très précise, fine, stylisée. Toutefois des travaux de recherches ont été fait sur ce char et un ancien officier français, Jean Spruyte, qui s’y est beaucoup intéressé à démontré qu’en fait le nombre de rayon jouait sur la vitesse. Moins il y a de rayons et plus ça va vite. Cela a été un élément supplémentaire dans le travail d’interprétation pour aller vers la course, puisque, évidemment, dans la course la roue a un rôle des plus importants…»

Madame Aumassip qui est originaire de la Dordogne, me confiait en aparté, que c’est enfant, à l’âge de 8 ans, qu’elle avait vu les premières représentations préhistoriques dans sa région. On venait alors  à la fin de l’été 1940 de découvrir la grotte de Lascaux ( dans le Périgord noir  sur la commune de Montignac (Dordogne), à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Périgueux ) et elle eut comme les enfants de paysans et de la campagne de la région plaisir de découvrir étonnée, « mais sans comprendre ce que c’était » ces peintures avant le reste du monde, avant tous les officiels, les spécialistes, les journalistes  …

Gravure d’un cheval dans la grotte de Lascaux


mosaïque d’Hippone datée du 4ème siècle après JC. On remarque la petitesse du cheval qui fait que les jambes du cavalier dépassent la ligne du ventre. (Photo Daoud)


Un fils de Massinissa aux Olympiades de la Grèce antique… 

« Par ailleurs dans les mosaïques romaines, où le cheval est-il le plus représenté ? C’est ici,  en Afrique du nord. Il y a ici deux ou trois fois plus de représentations de chevaux qu’il n’y en a dans les autres pays à l’époque de l’empire romain. Ailleurs on représente bien plus de personnages et autres…
« J’ai retrouvé récemment  sur internet une information présentée comme une grande révélation alors que c’est quelque chose que l’on sait depuis toujours. Cette information est que les chevaux d’Afrique du nord ont été très prisés par les grecs anciens de l’antiquité… Et je crois bien que c’est un fils de Massinissa, Mastanabal, qui a été un des grands vainqueurs des olympiades avec des chevaux numides, des chevaux d’ici… Il parait que cette course a été un succès fou parce qu’il avait gagné d’une façon époustouflante. Cela est même rapporté dans un enseignement qui se donne à l’heure actuelle à l’université de Constantine, et c’est bien la première fois qu’un professeur parle de ce genre de choses en enseignant l’histoire romaine…
« Donc, de par ses représentations de chevaux sur les mosaïques, on sait que l’antiquité a donné au cheval local une importance considérable qui, de ce fait, était beaucoup plus intégré à la vie quotidienne ; avec certainement une symbolique extrêmement forte. On a ainsi trouvé un établissement de thermes, je crois, où il est écrit et signifié qu’il y a un rapport étroit entre la victoire avec le cheval et la victoire sur les forces du mal… Ce qui donne au cheval une puissance symbolique très forte. »

Char de course à chevaux peint sur une poterie grecque antique.
Les participants à ces jeux sacrés étaient des professionnels sous l’observation
de collèges de magistrats qui supervisaient les épreuves.


Quels acquis génétiques du cheval depuis la préhistoire en Algérie ?

« Il y a un laboratoire américain, dont je n’ai malheureusement pas les références, qui a montré (et j’en ai une image) que le cheval barbe s’était séparé de la branche cabaline  500 000 ans avant les autres. Ce qui lui donne des caractéristiques génétiques  très particulières faisant de lui un cheval sobre, résistant et pouvant dans la plupart des cas réparer de lui-même des blessures occasionnés à ses tissus… A l’heure où l’on parle aujourd’hui de bio diversité, on a là un caractère fabuleux que l’on a tout intérêt à conserver. Parce qu’on s’est aperçu qu’on a utilisé le barbe comme améliorateur de quantité d’autres chevaux. Non seulement comme améliorateur mais il servi en croisement pour constituer énormément de races à travers l’histoire et à travers le monde. Si l’on fait une cartographie du sang barbe que l’on retrouve dans les autres chevaux on couvre la totalité de la planète.
« Le lieu de naissance et de développement du cheval barbe c’est l’Afrique du Nord. A cette époque là il y avait un cheval sauvage qu’on appelle Equus Algéricus. C’est lui qu’on a domestiqué il n’y a pas très longtemps préhistoriquement parlant ; c'est-à-dire qu’il a été domestiqué au cours du deuxième ou troisième millénaire avant Jésus Christ. Grosso modo à l’époque de Babylone… C’est tardif comme domestication d’animal mais le cheval est un des derniers animaux mammifères à avoir été domestiqué. Donc génétiquement parlant, il a des caractéristiques particulières. C’est un élément essentiel de biodiversité. On a d’ailleurs constaté que les races animales très anciennes avaient un potentiel supérieur aux autres…. »


Schéma de la séparation de la branche barbe, 500 000 ans avant JC. 


Un potentiel colossal en danger…

« Comme je le disais tout à l’heure, si l’on fait le compte des différentes parties de la population algérienne d’aujourd’hui qui s’intéressent au cheval, cela ferait quel pourcentage ? Certainement très important. En jouant sur le cheval je pense qu’on touche prés de 80% de la population algérienne. Il fait partie de l’identité… Or la situation actuelle dans laquelle on a mis de nos jours le créneau cheval est tout à fait déplorable. Il faut absolument qu’on récupère la chose et qu’on ait les moyens pour le faire…
« Les éleveurs sont dans des situations financières très difficiles. Et les éleveurs sont de plus en plus nombreux parce que jusqu’à très récemment beaucoup de gens avait un cheval mais on ne les considérait pas comme éleveurs, parce que leur cheval n’était pas officiellement reconnu. Or à l’heure actuelle de plus en plus de personnes font des démarches pour avoir des papiers pour leurs chevaux. Etre considérés comme éleveurs…
« Il y a bien une aide de l’Etat aux éleveurs pour la nourriture du cheval mais elle n’est pas distribuée d’une façon efficace et régulière. Il y a des lourdeurs paperassières et comme presque partout ailleurs des détournements et des problèmes… Exemple, on oblige encore des gens de Tébessa à venir à Tiaret pour récupérer un papier ! Et si ce sont des gens qui dépendent de la fédération équestre, ils doivent d’abord passer à Alger puis ensuite venir à Tiaret. Et ils viennent de partout d’Algérie où il y a du cheval, de Guelma, de Tlemcen, etc. C’est invraisemblable  à l’ère de l’informatique !
« Ce processus décourage un certain nombre de personnes. La porte est ouverte au trafic. Pire, dans de telles situations, les gens prés des frontières vendent leurs chevaux dans les pays voisins, parce que c’est plus facile et réalisent des bénéfices…
« Or avec le cheval barbe et avec le cheval arabe barbe, il y a un potentiel colossal. Pour moi avoir un potentiel c’est pouvoir réactiver une race qui a montré qu’elle avait des qualités extraordinaires auxquelles les européens doivent beaucoup.
« Dés l’instant où l’on valorise ce potentiel on a une possibilité d’exportation qui peut être remarquable parce que personne ailleurs qu’au Maghreb n’a justement ce cheval et la possibilité de l’élever dans les conditions qui sont les siennes. Ailleurs on peut bien sur l’élever mais il faudra en permanence faire de la retrempe (c'est-à-dire faire des croisements avec des chevaux originaires du berceau , donc d’ici) si on veut le garder…

« On a un cheval qui peut être du point de vue sportif un des meilleurs chevaux. Le seul handicap est qu’il est petit et ne peut pas, dans certaines compétitions, sauter au-delà d’une certaine hauteur… Mais il est d’une endurance extraordinaire. En ce moment partout dans le monde on développe l’endurance en tant que sport. Et il est le meilleur dans ce domaine là si on fait de la longue distance. Il est imbattable. En courte distance, le cheval arabe est certainement supérieur au cheval barbe. On peut donc développer sur les deux distances.
« Ensuite : équithérapie ; c’est un domaine qui n’est pas du tout développé. On parle d’art-thérapie mais pas d’équithérapie. Or pour les handicapés et en particulier pour les autistes, on a avec le cheval barbe un moyen de soins qui est le meilleur qu’on connaisse à l’heure actuelle. Si on met un enfant autiste qui pleure, qui hurle, qui est désespéré et désespère les siens, si on le met en contact avec un barbe, cela va améliorer son état ; ça va le transformer. Il y a eu des expériences. Et l’on cite même le cas d’un gamin qui au bout d’un certain nombre de semaines ou de mois où il a côtoyé un cheval s’est enfin  mis à parler, au mois à s’exprimer mieux, à prononcer des phrases. Ce qui est prodigieux… C’est là aussi un potentiel phénoménal et qu’on peut développer facilement. Et l’avantage du barbe c’est qu’il est d’une sobriété extraordinaire pour ce qui est de sa nourriture. Un peu comme le chameau. Il se nourrit de la moitié peut être de la ration d’un autre cheval… »

Voilà déjà quelques bonnes raisons, suffisantes, pour se mettre sérieusement au travail à l’échelle du pays. Une affaire à encourager ; populariser. Je laisse derrière moi les magnifiques amandiers du Sersou en fleurs et m’en reviens vers la capitale toujours plus riche du métal de ses voitures, ses troupeaux de chevaux virtuels… A suivre.

Madame Aumassip devant une jument attendant de passer son test échographique à la ferme Chikhaoui (photo Abderrahmane Djelfaoui)



Abderrahmane Djelfaoui

2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Il serait enrichissant aussi de rdtrouver les innombrables anecwotes et récits autour du cheval de même que le melhoun de nos bardes qui le decrivent si bien

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