Quand je rentrais dans les bureaux du
Commissaire du Festival National du Théâtre Amateur je trouvais Nouari Mohamed
entouré de gens qui ne cessaient d’aller et venir, d’entrer ou de sortir, de
lui passer des messages écrits ou chuchotés, d’attendre une décision de sa
part… Dans cet espace de moins de 15
mètres carrés où les portables n’arrêtaient pas de sonner, le Commissaire poursuivait
une discussion avec la députée Mahyouz…
L’homme, d’âge mûr, (dont on m’avait dit
qu’il était cadre financier à la retraite et ancien député à l’assemblée
nationale) me paru immédiatement maitre de la situation. Un homme d’expérience
et d’action. Sans plus de salamalec, il
me servit lui-même un café à
partir d’un thermos posé à coté de lui, et j’allais vite apprécier ses idées
claires et son franc parler.
Mohamed Nouari,
Commissaire du Festival National du Théâtre Amateur de Mostaganem
« Pour
ce qui est de mon parcours, dans les années 60 j’étais dans les SMA, les Scouts
Musulmans. C’est ainsi que j’ai commencé en prenant des responsabilités dans la
cuisine du festival où j’ai même participé à éplucher les pommes de terre et
les légumes. Après cela j’ai eu des responsabilités dans l’hébergement des
troupes, puis celles des achats. A partir de 1985 je suis devenu le second
responsable de ce Festival durant 10 ans, ensuite son premier responsable
durant 13 ans. J’ai quitté le festival durant 9 ans, un temps où j’ai été
député puis je suis revenu. Donc ce n’est pas par hasard que je me trouve là puisque
depuis mon enfance j’ai vécu le mouvement scout puis le festival depuis sa
création à ce jour…
« Evidemment,
il y a eu des années où on m’a marginalisé pour des raisons qu’on n’invoquera
pas ici… N’empêche, je vis à fond ce festival. Quand à la vie professionnelle,
les finances, c’est une formation qui m’a permis d’exercer des responsabilités
pendant 13 ans dans le Trésor , et qui a pu servi ici.. Après le mandat de
député, j’ai pris ma retraite, très jeune d’ailleurs. J’ai voulu me reconsacrer
entièrement au festival parce que je me suis rendu compte que durant mes 9
ans d’absence rien n’avait aidé le festival à avancer. Au contraire, il a
régressé sur tous les plans. »
Où en est-on exactement aujourd’hui 49
ans après le lancement du festival ?...
« Je
dirais d’abord que le théâtre amateur reflète un mode de vie de société. Il
reflète ce qui se passe sur tous les plans dans la vie publique. Tout dans la
société peut avoir des répercussions et des conséquences sur le mouvement du
théatre amateur.
« Je
dirais que le théâtre amateur aujourd’hui est malade. Le théâtre est malade
qu’il soit amateur ou professionnel. »
Mais quel type de maladie, je demande.
« Les
questions sont simples : Ya-til des productions ?... Quel est la
relation avec le public ?... A-t-il fait des efforts pour aller vers son
public ?... Pour aller vers des thématiques nouvelles ?... A-t-il gardé
la place qu’il avait auparavant ?... Je ne pense pas… [Koul
ouahed fe-echa3ba enta3ou, comme on dit].
Oui, et on va me répondre que c’est parce qu’il y a la
concurrence de ’informatique, de la parabole et tant d’autres choses. Mais
est-ce vraiment la raison ?... Je ne pense pas…
« Hier,
nous avions un débat: dans les années 70 et 80 il y avait des dizaines de
troupes. On a rappelé, pour ne prendre que l’exemple d’Annaba, qu’il existait
dans cette ville plusieurs troupes. Aujourd’hui : aucune ! Abdallah Hamlaoui
du GAC me confirmait hier aussi qu’on n’avait plus les troupes voulues à
Constantine. Et je peux continuer à citer comme ça d’autres wilayate…Alors
qu’on devrait avoir bien plus de troupes de théâtre amateur que dans les
décennies passées.
« Autre
élément de dispersion et de recul. Avant, le théâtre professionnel puisait dans
le théâtre amateur. Tous ceux qui sont aujourd’hui dans les théâtres régionaux
et le théâtre professionnel de quelle école sortent-ils si ce n’est du théâtre
amateur ! C’est la base. Je cite les cas d’Omar Fetmouche, des frères
Dekkar, d’Ali Abdoune, et, et, et… Le festival du théâtre amateur en est la
pépinière ! Et c’est la seule formation sur le tas ! Pas uniquement celle
de metteurs en scènes et de comédiens, mais aussi dans les différents métiers
du théâtre, dans toutes ses branches technico-artistiques… Quand je dis
que le théâtre est malade, c est d’ailleurs l’état de toute la culture…»
Omar Fetmouche, ancien animateur du
théâtre amateur de Bordj Menaiel, devenu Directeur du Théâtre régional de
Bejaia et aujourd’hui Directeur du Festival international du théâtre ; ici,
avec Abderrahmane Mostefa (en casquette) lui-même ancien de la troupe Art
Scénique de Mostaganem lors de la séance d’ouverture du festival sur la place
centrale de la ville…
Un cadre juridique archaïque et
étouffant..
« Je
me rappelle que durant les années 80 le théâtre amateur était l’élément essentiel
qui a permis l’existence de rétrospectives théâtrales en Algérie. De 80 à nos
jours a-t-on pu faire une rétrospective de ce théâtre ? Et durant ces
trente ans savons-nous combien de troupes ont totalement disparues ?... « Et
si cette situation subsiste, c’est entre autre à cause du cadre juridique qui
est très flou pour ne pas dire qu’il ne permet pas l’émergence de troupes neuves.
Par exemple partout dans le monde on parle de théâtre amateur ou de théâtre
professionnel, il n’y a pas de semi-professionnel ! Alors que dans notre
pays les systèmes hybrides on les rencontre à tout bout de champ !
« Dans
les années 80, la loi telle qu’aujourd’hui sur le mouvement associatif
n’existait pas. La loi de loi de l’époque, celle de 1975 était presque une copie
de la loi 1901 en France pour la création des associations. Une loi qui
permettait l’éclosion des troupes. Et chose importante, il n’y avait pas à
cette époque ces gens qui comme aujourd’hui veulent acheter tout le monde. Cet esprit,
je m’excuse de le dire, c’est de la prostitution ! Ceux qui veulent
prostituer tout le monde. Il n’y avait pas ça ! Puis nous n’avions pas
beaucoup de moyens. Ce qu’il y avait avant c’étaient des gens présents par
amour du théâtre. Des gens qui travaillaient dur. Il y avait une coordination
entre les troupes… Aujourd’hui on dit qu’il y a 80 troupes, mais quelle est la
relations entre elles ? Quelle est la relation entre ces troupes et le
festival ? Quelle est la relation entre n’importe laquelle de ces troupes
et les institutions culturelles ?...On en est arrivé à dire que le
professionnel est devenu l’ennemi de l’amateur. Jamais ! Ils sont
complémentaires et doivent se compléter…
« …il n’y avait pas à cette époque
ces gens qui comme aujourd’hui veulent acheter tout le monde… » (Photo
Mostefa Abderrahmane)
« D’un
autre coté, si la loi d’aujourd’hui parle d’associations culturelles et
politiques, elle ne parle pas du tout de coopératives, de compagnies de théâtre
ou autre. Les gens ont tout simplement trouvé un système hybride, ils sont allés
chez les notaires et on a ce qu’on a…
« Par
ailleurs il y l’aide qui est octroyée à tort et à travers ! Il y a des
troupes à qui on donne par exemple 50 000 DA et à d’autres troupes 8
millions de DA ! Sur quels critères ? Quelle base ? Est-ce parce
que ce sont des associations maisons ou des troupes amateurs dont on récompense
l’effort ?...Et comment faire la comparaison et la différence entre une
troupe et une autre ? Il y a des déséquilibres. Ces troupes, dans l’état
actuel, ne pourront jamais se concerter entre elles. Et puis il y en a quelques
unes qui osent bchtara ou je ne sais quoi, tisser des relations en Europe, pour
assister à des festivals ; alors que d’autres n’ont pas de moyens, n’ont
rien, ne savent même pas utiliser internet, ils sont là dans la misère…Les
décalages sont énormes,, énormes !
« Il
y a un proverbe chez nous qui dit : LIKOULI ZA1MANOU RIJALOU. A chaque
époque ses hommes ! Savoir s’adapter à chaque période, faire avec…Alors
qu’aujourd’hui malgré internet et la parabole on continue à parler de tout et
de rien à tout bout de champ ! [De façon
inconsidérée]. Oui. La culture dans notre pays,
où est donc sa place ? Quel effort est-on en train de faire ?...
Mais
alors comment expliquer, en dehors de la question des moyens, la créativité et
le foisonnement thématique humaniste et optimiste des troupes des années 70 et
80 ? Comment expliquer leur multiplicité et leur bonne humeur qu’on ne
retrouve plus. Ni d’ailleurs la force, la simplicité et la sagacité liée aux
grandes problématiques sociales et culturelles de l’époque?...
« Eh
ben, ces derniers temps je me dis : les gens criaient contre l’époque du
parti unique, de la dictature…Mais à la même époque il y avait beaucoup de
troupes. Il y avait de la création. Il y avait des gens qui étaient pour et
gens qui étaient contre. Il faut se rappeler qu’il y avait nombre de troupes
comme « Le Proletkult » qui ne marchaient pas avec la Ligne !
Elles existaient ! Mais aujourd’hui où l’on parle de démocratie, il n’y a
pas de troupes. Parce qu’on les a généralement prostituées ; celles qui
peuvent faire un travail…
« Aujourd’hui
alors qu’il y a énormément de lois, il y a pour moi un vide juridique. Même
dans l’organisation du festival. [Vous avez de gros
problèmes] Bien sur, parce qu’on me dit de
nommer un Commissariat. Le commissaire nomme des gens mais je ne sais même pas
combien de temps j’ai… [Le téléphone du commissaire ne
cesse de sonner…] Il faudrait que je dispose au
minimum d’un cadre juridique qui me permette de me sentir à l’aise, de faire
une feuille de route [ en toute visibilité]…A
toute politique ses moyens… On fait l’évaluation selon un plan de travail à
réaliser. On peut relever quelqu’un que si il y a détournement ou cas grave…Je
peux dans trois ou quatre mois ou juste après la clôture du festival partir,
hakdha ! (comme ça)…Il n’y a pas cette pérennité. Généralement quand les
gens viennent ils ne pensent pas à la continuité, à pérenniser une action
déterminée…
« Aujourd’hui
il y a 80 troupes à l’échelle nationale qui ont participé aux régionales et sur
ce nombre 17 seulement sont venues au festival… C’est peu par rapport à ce
qu’on peut avoir dans le cadre de la démocratie, dans le cadre des activités
culturelles, dans le cadre de la liberté d’expression, d’action. On peut faire
beaucoup de choses. On peut le faire ! Mais il y a un vide juridique …
« Dans
les années 80 on allait vers le public, on écoutait et on s’écoutait. Et maintenant ?...C’est
pour ça que j’ai dit au début que le théâtre n’est que le reflet de la société,
telle qu’elle est…Regardez ce bureau où nous sommes ; c’est le bureau du
festival après cinquante ans de festival ! Souvent quand je reçois un coup
de téléphone d’un ministre ou autre, je suis obligé de sortir dans la cour afin
que je puisse discuter dans la discrétion... »
Conférence critique et stimulante
d’Ahmed Cheniki, journaliste, enseignant et chercheur universitaire. Il
confronte les réalités du théâtre européen a la situation pauvre du théâtre en
Algérie et dans le monde arabe... un théâtre populaire est il possible?
Nécessite de nous sentir concernes par ce qui se passe dans le monde: Avignon
un festival qui a fait depuis 1947 d'un lieu dit une grande ville
internationale, Edimbourg, etc, etc...
L’Espoir multiplié par deux…
« Nous
allons bientôt fêter 50 ans d’édition de ce festival. Avant, dés septembre, nous
avons un plan de travail en deux volets. Le premier, on va faire un bilan
objectif ; tirer les leçons de cinquante années d’édition en tirant
des perspectives d’avenir ; on va évaluer sur tous les plans en essayant
de faire participer le plus grand nombre de personnes…
« Il
faut être optimiste dans la vie. Surtout dans notre pays [et
malgré tout !] Bien sûr ! Parce que deux
choses vous font soit avancer soit régresser dans ce que vous faites : ce
sont l’espoir et la volonté.
Mais
quelles perspectives concrètes voyez-vous ?
« Premièrement
à la question de savoir quel mystère a pu faire vivre 50 ans ce festival, je
vous répondrais : c’est la volonté des hommes. Leur amour pour cette
action. Parmi ceux qui ont créé ce festival, le dernier d’entre eux, encore
vivant, Hadj el Mekki, malade, j’ai vécu avec eux. Et beaucoup d’autres aussi
ont vécu avec eux cette aventure. C’est dans le sang. Personnellement je ne
peux pas dormir et laisser le festival, je m’excuse de l’expression, aller dans
la boue!
Pour
cette année j’avais visé deux objectifs
« Donner
au festival une dimension académique d’abord. Parce que si 50 ans durant on a
travaillé avec le sentiment, la passion, la nostalgie, il faut désormais une
base scientifique, académique. Une
accumulation afin que l’université avec ses chercheurs venant sur le terrain
puissent archiver le festival et donner des visions rationnelles sur les moyens
à mettre en œuvre, les mécanismes, les méthodes d’organisation. Parce que notre
organisation est, je pense, aujourd’hui archaïque. Que bon nombre de troupes
sortent du minimum d’instruction dans lequel elles se trouvent…Le
contraire : des professeurs d’université font des recherches sur le
théâtre sans être jamais monté une fois sur les planches ; sans savoir ce
que c’est… J’aimerais que tous les universitaires, les
chercheurs, les journalistes, tous ceux qui peuvent apporter ne serait-ce
qu’une petite pierre soient présents dans cette grand activité. Aujourd’hui
nous signons une convention avec l’université de Mostaganem où sont définis les
rôles respectifs de l’université et le notre en tant que festival. Dans une
année ou deux nous évaluerons ce travail..
« Le
deuxième objectif est
d’internationaliser le festival. [le faire confronter aux autres
expériences au-delà de nos frontières] Bien sur ! Je
revendique l’esprit amateur et je veux que ce festival le reste. Je voudrais
qu’il y ait des échanges d’expériences avec d’autres festivals qui ont lieu un
peu partout dans le monde. Il faudrait qu’il adhère aux institutions
internationales du théâtre amateur dont il ne fait pas partie du tout !
Que nos troupes aillent ailleurs ; que d’autres troupes viennent.
« Si
en lançant ces deux actions, en les faisant vivre sur le terrain, on en tirera
certainement d’autres visions que celles d’aujourd’hui. Voir plus clair.
« Je
suis quasiment sur qu’avec l’évaluation de ces cinquante années, les
perspectives viendront d’elles mêmes ! »
Et
concernant l’énorme question du public, quelle perspectives ?
« Il
faudrait qu’on aille vers le public. En septembre nous allons faire peut être
une rencontre sur la politique du théâtre amateur. Parce que je ne comprends
vraiment pas comment une troupe ayant réalisé un produit le joue une seule fois
en attendant que le public vienne à elle. Il faut aller dans les communes. Ils
n’y vont pas. Il n’y a pas de tournées. Il faut aller vers le public, que les
troupes soient amateurs ou professionnelles. Il faut aussi faire un bon
produit. Du coté du festival, la question est de savoir si les méthodes
d’organisation qui prévalent jusqu’à ce jour doivent continuer… Une multitude
de questions se posent. Posons les chacun à sa manière….
Les nécessités de travail, de réunions,
de multiples décisions à prendre et
surtout de préparation de la clôture du festival dans les meilleures conditions
étant telles, nous n’avons pu poursuivre cette instructive interview. Partie
remise, comme on dit…
Propos
recueillis par Abderrahmane Djelfaoui
Ecrivain
et cinéaste
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire