lundi 6 mars 2017

Mars Martyrs….

« Mars » était tout à la fois le dieu de la guerre et celui des cultures et des troupeaux chez les romains de l’antiquité, nous apprenait-on au lycée, il y a encore une cinquantaine d’années… Une lointaine époque qui fait presque « vestiges » à l’exemple des ruines de Tipaza ou de Timgad…
Mais de nos jours ce mois des mimosas et bien d’autres arbres fleuris de chez nous est devenu le mois où l’on célèbre la mémoire des martyrs, tel Larbi Ben M’hidi, bien sur, mais tous les innombrables, d’Est en Ouest, des rives de la Méditerranée aux très lointaines dunes sahariennes qui bordent l’Ahaggar…

Jeudi 2 mars donc, je sors du métro et marche à pas rapides vers la Grande poste… Au carrefour, de l’autre coté du trottoir sous l’œil bonhomme d’un policier, une élégante et jeune dame de plus de 85 ans traverse.. J‘ai l’impression d’une séquence de film « nouvelle vague » tant, svelte et sereine, cheveux d’un argent brillant et doux, heureuse, elle traverse la chaussée sous un soleil printanier… Beaucoup d’Algérois, particulièrement les riverains d’Hussein Dey et du haut Panorama connaissent bien cette silhouette discrète …

Je l’arrête à mon niveau et, elle hésite, quelques longues secondes à me reconnaitre… Je lui parle du livre… Oui : Anna, je répète… et ajoute Louisette Ighilahriz et les biscuits Bimo qu’elle lui offre à chaque fois qu’elle la visite chez elle … « AHH… Mais bien sur… » Et de rire comme une adolescente en s’excusant de sa médiocre mémoire, vu son âge…


(photo Abderrahmane Djelfaoui)

Cette dame c’est Eliett Fatma Zohra Loup née dans une ferme à Birtouta avant la deuxième guerre mondiale. Elle, qui fut la camarade d’Anna Gréki ; la compagne de cellule de Zhor Zerari, Baya Hocine, Fadela Dziria, Jaqueline Guerroudj et tant d’autres « sœurs » à Serkadji au même moment (1957-59) où étaient également emprisonnés Moufdi Zakaria, Henri Alleg, Laadi Flici et El Badji au quartier des condamnés à morts…
Elle me dit qu’elle vient d’acheter deux séries de timbres d’Algérie qu’elle me montre avec fierté et sourire… Elle insiste pour que j’en prenne un exemplaire de chaque qu’elle m’offre. « Ca me rappelle tant mon enfance », dit-elle…



Souvenir ….

Eliett Loup et Louisette Ighilahriz
lisant une poésie sur la « ville de cent lieux, ville noire »
lors d’un après midi autour d’un thé et de biscuits Bimo sur les hauteurs d’Hussein Dey en aout 2015…
(photo Abderrahmane Djelfaoui)

Samedi 4 mars : Bibliothèque principale de lecture publique au centre de la ville de Mostaganem. De son trottoir on voit comme si on était en parapente, suspendu en plein ciel,  une partie du port et la mer jusqu’à son horizon, là bas, au-delà de la baie d’Arzew où brulent les torchères des GNL… La séance publique est consacrée à mon dernier livre sur la poétesse « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de guerre »… Dans l’assistance chaleureuse d’artistes et d’hommes de culture, plusieurs personnes aussi qui furent des moudjahidines, des fidais, des résistants clandestins efficaces et dévoués à l’indépendance nationale. Parmi eux, assis au premier rang  aux cotés de Lila Benzaza, un membre de l’OS de l’ouest, Nacer Kouini, 91 ans qui connut de longues et terribles incarcérations dans les prisons coloniales… C’est par lui que j’eus l’honneur de recevoir mon diplôme de participation aux activités de la Bibliothèque Principale de Lecture Publique de Mostaganem…

Avec Nacer Kouini, membre de l’OS (photo Belkacem Meftah) à qui j’ai dédicacé avec plaisir
mon livre essai sur Anna Gréki, militante de la cause nationale

Un participant « atypique » de cette belle rencontre aura été un militant dont l’activité avait commencé avant les années 50 et qui me sorti d’un sac un cadre où, sous verre, était bien mis en évidence un article sur un leader incontesté de cette époque avec pour grand titre : « cette terre n’est pas à vendre ». Il insista pour me dire, lui qui avait été jusqu’au Vietnam en 3ebaya et burnouss, que nombreux sinon innombrables furent déjà les martyrs de la cause nationale avant le 1er novembre 54…

Discutant avec le vieux militant de la cause nationale El Hadi Hmida Kouka,
avec entre nous le plasticien Said Debladji (photo Belkacem Meftah)

Notre hôtesse, la Directrice de la bibliothèque me demande de remette à mon tour un diplôme d’honneur à un illustre et humble artiste de la ville de Mosta : Mostefa Abderrahmane. Je saisi l’occasion pour le présenter longuement au public en mettant l’accent sur les méthodes de « travail pauvre » de ce cinéaste qui a réalisé nombre d’excellents films documentaires sur ce qu’ont subies les populations algériennes sous la férule coloniale parmi lesquels : « Grotte de Ghar Frachich, 167 ans après les enfumades » , « Les cuves de la mort », « Ain Sefra, ciel, soleil, tortionnaires », etc… 

Jaquette du film documentaire de témoignage sur le camp de Cassaigne
réalisé par Mostefa Abderrahmane


Emu des souvenirs dramatiques de toute une vie d’enquêtes historiques et de tournages avec le concours des rescapés et des témoins d’époque : Mostefa Abderrahmane, lui qui avait sa carrière artistique en interprétant des rôles de théâtre sous la direction de feu Ould Abderrahmane Kaki…

Dimanche 5 mars au matin : dans le bureau de la Directrice de la Bibliothèque, rencontre avec Lila Benzaza, auteure. Cette brave et combative dame est issue d’une famille de résistants au long fil des décennies de l’occupation coloniale ; fille d’un militant de la cause nationale torturé de multiples fois, adolescente, elle fut fidaiya dans la guérilla urbaine à Oran ; elle est la sœur d’un militant de la Fédération de France chahid ainsi que la nièce et la cousine de plusieurs martyrs…

Lila Benzaza

« J’écris simplement sur le vécu d’hier et d’aujourd’hui et j’aurais aimé voir mes récits portés à l’écran »… Elle dit expressément ne pas écrire de romans de guerre ; elle qui a écrit et publiée plusieurs romans dont «La ferme des deux sœurs », « Zineb mère courage », « Le fils de Aichata » ou « Voyage au bout de l’enfer »… Il y a quelques jours elle reçoit la notification de sa nomination au Prix international de poésie Léopold Sedar Senghor (pour son poème « Voile de brume ») décerné à Milan et qui la nomme Ambassadrice de ce Prix de la francophonie pour l’année 2017….

Le clou de la matinée, sur le parvis de la Bibliothèque, avec une classe de lycéens venus regarder un court film sur l’histoire de l’Algérie à l’invitation du très jeune Directeur du Musée du Moudjahid de la ville aura été d’applaudir et de crier ensemble: « VIVA L’ALGERIE ! VIVA L’ALGERIE ! VIVA L’ALGERIE ! »



Abderrahmane Djelfaoui


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