« Mars » était tout à
la fois le dieu de la guerre et celui des cultures et des troupeaux chez les
romains de l’antiquité, nous apprenait-on au lycée, il y a encore une
cinquantaine d’années… Une lointaine époque qui fait presque
« vestiges » à l’exemple des ruines de Tipaza ou de Timgad…
Mais de nos jours ce mois des
mimosas et bien d’autres arbres fleuris de chez nous est devenu le mois où l’on
célèbre la mémoire des martyrs, tel Larbi Ben M’hidi, bien sur, mais tous les
innombrables, d’Est en Ouest, des rives de la Méditerranée aux très lointaines
dunes sahariennes qui bordent l’Ahaggar…
Jeudi 2 mars donc, je sors du
métro et marche à pas rapides vers la Grande poste… Au carrefour, de l’autre coté
du trottoir sous l’œil bonhomme d’un policier, une élégante et jeune dame de
plus de 85 ans traverse.. J‘ai l’impression d’une séquence de film « nouvelle vague » tant, svelte et
sereine, cheveux d’un argent brillant et doux, heureuse, elle traverse la chaussée
sous un soleil printanier… Beaucoup d’Algérois, particulièrement les riverains
d’Hussein Dey et du haut Panorama connaissent bien cette silhouette discrète …
Je l’arrête à mon
niveau et, elle hésite, quelques longues secondes à me reconnaitre… Je lui
parle du livre… Oui : Anna, je répète… et ajoute Louisette Ighilahriz et les
biscuits Bimo qu’elle lui offre à chaque fois qu’elle la visite chez
elle … « AHH… Mais bien sur… » Et
de rire comme une adolescente en s’excusant de sa médiocre mémoire, vu son âge…
(photo
Abderrahmane Djelfaoui)
Cette dame c’est Eliett Fatma Zohra Loup née dans une ferme à Birtouta
avant la deuxième guerre mondiale. Elle, qui fut la camarade d’Anna Gréki ;
la compagne de cellule de Zhor Zerari, Baya Hocine, Fadela Dziria, Jaqueline
Guerroudj et tant d’autres « sœurs »
à Serkadji au même moment (1957-59) où étaient également emprisonnés Moufdi
Zakaria, Henri Alleg, Laadi Flici et El Badji au quartier des condamnés à
morts…
Elle me dit qu’elle vient d’acheter deux séries de timbres d’Algérie
qu’elle me montre avec fierté et sourire… Elle insiste pour que j’en prenne un exemplaire
de chaque qu’elle m’offre. « Ca me
rappelle tant mon enfance », dit-elle…
Souvenir ….
Eliett
Loup et Louisette Ighilahriz
lisant une
poésie sur la « ville de cent lieux, ville noire »
lors d’un
après midi autour d’un thé et de biscuits Bimo sur les hauteurs d’Hussein Dey
en aout 2015…
(photo
Abderrahmane Djelfaoui)
Samedi 4 mars :
Bibliothèque principale de lecture publique au centre de la ville de
Mostaganem. De son trottoir on voit comme si on était en parapente, suspendu en
plein ciel, une partie du port et la mer
jusqu’à son horizon, là bas, au-delà de la baie d’Arzew où brulent les
torchères des GNL… La séance publique est consacrée à mon dernier livre sur la
poétesse « Anna Gréki, les mots d’amour,
les mots de guerre »… Dans l’assistance chaleureuse d’artistes et
d’hommes de culture, plusieurs personnes aussi qui furent des moudjahidines,
des fidais, des résistants
clandestins efficaces et dévoués à l’indépendance nationale. Parmi eux, assis
au premier rang aux cotés de Lila
Benzaza, un membre de l’OS de l’ouest, Nacer Kouini, 91 ans qui connut de
longues et terribles incarcérations dans les prisons coloniales… C’est par lui
que j’eus l’honneur de recevoir mon diplôme de participation aux activités de
la Bibliothèque Principale de Lecture Publique de Mostaganem…
Avec Nacer
Kouini, membre de l’OS (photo Belkacem Meftah) à qui j’ai dédicacé avec plaisir
mon livre
essai sur Anna Gréki, militante de la cause nationale
Un participant « atypique » de cette belle rencontre aura été
un militant dont l’activité avait commencé avant les années 50 et qui me sorti
d’un sac un cadre où, sous verre, était bien mis en évidence un article sur un
leader incontesté de cette époque avec pour grand titre : « cette
terre n’est pas à vendre ». Il insista pour me dire, lui qui avait
été jusqu’au Vietnam en 3ebaya et burnouss, que nombreux sinon innombrables
furent déjà les martyrs de la cause nationale avant le 1er novembre
54…
Discutant
avec le vieux militant de la cause nationale El Hadi Hmida Kouka,
avec entre
nous le plasticien Said Debladji (photo Belkacem Meftah)
Notre hôtesse, la Directrice de la bibliothèque me demande de remette à
mon tour un diplôme d’honneur à un illustre et humble artiste de la ville de
Mosta : Mostefa Abderrahmane. Je saisi l’occasion pour le présenter
longuement au public en mettant l’accent sur les méthodes de « travail
pauvre » de ce cinéaste qui a réalisé nombre d’excellents films
documentaires sur ce qu’ont subies les populations algériennes sous la férule
coloniale parmi lesquels : « Grotte de Ghar Frachich, 167 ans après les enfumades » , « Les cuves de la mort », « Ain Sefra, ciel, soleil, tortionnaires »,
etc…
Jaquette
du film documentaire de témoignage sur le camp de Cassaigne
réalisé
par Mostefa Abderrahmane
Emu des
souvenirs dramatiques de toute une vie d’enquêtes historiques et de tournages
avec le concours des rescapés et des témoins d’époque : Mostefa
Abderrahmane, lui qui avait sa carrière artistique en interprétant des rôles de
théâtre sous la direction de feu Ould Abderrahmane Kaki…
Dimanche 5 mars au matin :
dans le bureau de la Directrice de la Bibliothèque, rencontre avec Lila
Benzaza, auteure. Cette brave et combative dame est issue d’une famille de
résistants au long fil des décennies de l’occupation coloniale ; fille
d’un militant de la cause nationale torturé de multiples fois, adolescente,
elle fut fidaiya dans la guérilla
urbaine à Oran ; elle est la sœur d’un militant de la Fédération de France chahid ainsi
que la nièce et la cousine de plusieurs martyrs…
Lila
Benzaza
« J’écris simplement sur le
vécu d’hier et d’aujourd’hui et j’aurais aimé voir mes récits portés à l’écran »…
Elle dit expressément ne pas écrire de romans de guerre ; elle qui a écrit
et publiée plusieurs romans dont «La
ferme des deux sœurs », « Zineb
mère courage », « Le fils
de Aichata » ou « Voyage au
bout de l’enfer »… Il y a quelques jours elle reçoit la notification de
sa nomination au Prix international de poésie Léopold Sedar Senghor (pour son
poème « Voile de brume »)
décerné à Milan et qui la nomme Ambassadrice de ce Prix de la francophonie pour
l’année 2017….
Le clou de la matinée, sur le parvis de la Bibliothèque, avec une
classe de lycéens venus regarder un court film sur l’histoire de l’Algérie à
l’invitation du très jeune Directeur du Musée du Moudjahid de la ville aura été
d’applaudir et de crier ensemble: « VIVA L’ALGERIE ! VIVA
L’ALGERIE ! VIVA L’ALGERIE ! »
Abderrahmane
Djelfaoui
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