Anna Gréki a re-traversé la
Méditerranée en direction d’Orly sud dans mon sac à dos neuf…
En cabine elle a survolée ce
qu’on appelle depuis des millénaires la mare
nostrum et le vieux continent à quelques 10 000 mètres d’altitude…
Je m’en étonne, comme je
m’étonne de ce monde où Colette, alias Anna Gréki, ne marchera plus à travers
les rues d’Alger ou de l’ex Bône (Annaba), ne prendra plus un autocar poussif, un
train inox ou un bateau, ne lèvera plus ses yeux vers le ciel suivre la trainée
blanche d’un jet, le vol d’une tourterelle, d’un corbeau, d’une corneille, ni commander
ici ou ailleurs un noir à une terrasse de café (avec une mousse qui tourne en
gros plan comme dans un film de la nouvelle
vague) ni surtout déclamer les premiers vers d’un nouveau poème dans sa
tète de femme libre…
Pourtant dans ma traversée de l’immense
et beau Paris, cette mégalopole lancée en quatrième vitesse dans la campagne
des présidentielles et tout ce qu’elle suppose de vacheries et de coups bas, Anna
est bien là avec ses livres, sa culture plurielle, son humeur, sa mémoire et
une grande partie de son idéal humaniste et solidaire ; elle qui a bien connue
les bancs et les couloirs de la Sorbonne à l’époque de la bataille de Dien
Bien Phu (mai 1954), moment où avec ses « camarades des colonies » elle dut affronter les étudiants
extrémistes de droit dirigés par un certain Le Pen…
Mélanchon aux feux rouges d’un rond
point de Bercy…
Pourtant à quelques dix minutes-un quart d’heure après la sortie de ses
cours en littérature moderne, j’imagine bien la jeune Colette (notre poétesse non
encore totalement connue et reconnue) passer prés de la statue de Montaigne,
traverser l’ile de la Cité avec un clin d’œil mi tendre-mi moqueur à l’imposante
Cathédrale Notre Dame pour, de l’autre coté de la Seine sillonnée de lourdes péniches,
aller flâner aux Marché aux fleurs édifié de kiosques style 1900 agréablement
entourés d’arbres… Elle y allait peut
être avec son aimé Ahmed Inal disponible entre deux de ses innombrables réunions
syndicales ou politiques…
Le Marché
aux fleurs à la place Louis Lépine (Gouverneur Général de l’Algérie durant deux
ans,
Préfet de
police de Paris qui en modernisa les modes d’alerte…)
Un itinéraire qui la conduisait certainement jusqu’aux Halles, « le ventre de Paris », comme Zola
titrait un de ses romans ; ces immenses halles au cœur de paris, bruyantes
et hautes en couleurs humaines qui ont complètement changé d’aspect aujourd’hui
à plus de soixante ans de distance…
La
Canopée-sortie Forum des halles en fin de journée….
Chez mon ami Jacques Fournier (qui a vécu dans le Dahra, à Sidi Ali [ex
Cassaigne] pas loin de Mostaganem, jusqu’en 1947, avant de « monter » faire ses études de
sciences po à Paris), je trouve des encadrés noir et blanc de ce que furent les halles d’alors lui qui
habite un appartement dans la coquette
rue Montorgueil passée à la postérité grâce à une peinture de Claude Monet en
1878 …
Au bout de l’image, à droite, la rue
Montorgueil…..
Une femme
décharge des sacs d’oignons et des cageots de salade….
Ce qu’Anna
a certainement observé avec une fierté de féministe d’esprit et d’espoir en 1953-54…
Mais que furent les autres impressions et pensées de Colette la bônoise
en slalomant entre tant de commerçants, livreurs et milliers d’acheteurs
penchés sur les étals à l’air libre sur la chaussée ?... Les casbahs du
pays, peut être ; sinon les petits marchés des Aurès et de Collo de son
enfance… Aura-t-elle aussi martelé les pavés gelés de ces ruelles du 1er
arrondissement en cette terrible année glaciale où Paris dut allumer des
braséros aux ronds points et coins de rues ?...
Sur une de ses tables de travail de l’ami Jacques je retrouve, a coté
de ses propres ouvrages sur l’Algérie, mon propre « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de guerre », que je lui
avais dédicacé lors de son passage à Alger en octobre 2016… (voir : http://djelfalger.blogspot.com/2016/12/tizi-ouzou-alger-jacques-fournier.html)
Je retrouve aussi là, à portée de main dans l’une de ses riches bibliothèques,
l’édition sous jaquette du livre de Simone de Beauvoir et Giselle Halimi (avec
un dessin de Picasso) défendant la cause de Djamila Boupacha qui subit
le martyre après son arrestation en 1960 à Alger par l’armée coloniale… Collette/Anna
était alors expulsée d’Algérie vers le sud de la France après son
emprisonnement à Serkadji puis son passage au camp militaire de Beni
Messous ; elle se retrouvera bientôt à Tunis où elle polira avec passion
et patience son célèbre recueil « ALGERIE CAPITALE ALGER » écrit clandestinement
aux cotés de Djamila Bouhired, Louisette Ighilahriz, Zhor Zerari et tant
d’autres sœurs incarcérées ; un recueil qui ne sera édité qu’en 1963 avec
une préface de Mostefa Lacheraf lui-même libéré de la prison de Fresnes…
(photo : Abderrahmane Djelfaoui)
Pierre
Bourdieu : « Images d’Algérie,
une affinité élective » ;
Actes Sud/
Sindbad/ Camera Austria
Puis ce sont les boyaux du métro et ses correspondances pour me rendre
dans le 15ème où je suis invité par le Centre Culturel Algérien de
Paris. J’interviens en soirée après
Farid Benyaa (architecte, peintre et galeriste) pour, à travers de multiples
anecdotes, retracer l’itinéraire hors normes d’Anna Gréki militante de la cause
nationale et poétesse d’un humanisme sobre et percutant. Anna Gréki : cette
femme au caractère trempé, généreuse et belle qui, je me souviens l’avoir dit,
portait de longs gants blancs alors qu’elle n’était qu’institutrice dans un
Alger auquel une armada de parachutistes faisait une guerre de professionnels…
De la scène sous les spots où nous sommes assis Farid Benyaa et moi, je
sens la forte attention de l’assistance parmi laquelle se trouvent la moudjahida Zoulikha Bekadour et Jacques
Fournier…
Avec Farid Benyaa, lors de mon
intervention du 15 mars (photo CCA)
Une auditrice me dit : « Nous
étions suspendus à vos lèvres »... J’en suis ravi, ce qui n’empêche
nullement le débat centré sur Anna d’être fraternel, pluriel, interrogatif et
contradictoire. Tout fuse et se croise : l’Histoire, l’instruction, les témoignages,
la démocratie et les grandes figures de notre révolution, les interpellations et
les interrogations vives quant à ce que sera notre statut dans ce nouveau
siècle qui s’ouvre avec peine…
Après les interventions sur scène et
les débats qui ont été filmés, c’est la séance dédicace avec lecture des poèmes
d’Anna en prime…
Avec Monia Saidi,
juriste à Paris, admiratrice d’Anna lors de la séance dédicace
*
48 heures après (durant lesquelles j’ai pu visiter l’exposition « Les routes du sud » au Musée du
quai Branly, je mets un petit lot de « mots
d’amour et mots de guerre » dans mon sac à dos et me voilà faisant route
par car puis par train vers la Bretagne où vivent ma fille et mon gendre… Sur
ces 500 kms je regarde les paysages, étonné et émerveillé de tant d’arbres,
tant de forets…
Je lis aussi le dernier livre de l’américaine Alice Kaplan qui enquête
pas à pas, méticuleusement, sur la genèse du roman d’Albert Camus, « L’étranger » ; surtout
l’histoire de « l’Arabe » sans nom… Une enquête qui la mène, il y a
moins de deux ans, elle professeur à l’université de Yale (la deuxième plus
riche du monde…) à poursuivre ses recherches dans les archives d’Oran… Les
révélations à la fin de l’ouvrage, bien charpenté et bien écrit, sont totalement inattendues. Un vrai pied de
nez de l’histoire réelle à la fiction. A lire, relire…. Je me demande ce
qu’aurait pensé Anna de ces révélations ; elle qui avait certainement une
opinion tranchée sur ce roman et son thème de fond…
Albert Camus vs. Anna Gréki. Deux trajectoires de vie et d’écriture
divergentes. Deux générations différentes avec deux types d’engagement qui ne
se recoupent pas sur le nœud de vie essentiel à chacun…
Abderrahmane
Djelfaoui
Prochain article-suite : SOUVENIRS
DU XXI ème SIECLE : UNE
ALGERIENNE EN ILE-DE-FRANCE, BRETAGNE ET SON RETOUR…
Difficile de ne pas endosser avec toi un sac à dos tout neuf et le remplir à travers ce périple poétique et historique de pépites et d'extraordinaires''pshiit'';bruits
RépondreSupprimerSenteurs et couleurs de l'âme d'une grande Dame dans l'âme de la grande Dame Paris...Un Incroyable destin qui se poursuit dans des aventures livresques pour ne jamais cesser d'exister,car au-delà de la mort,il y a l'écrit éternel.merci poète