Le challenge de ce printemps 2017
est de « ramener » Anna
Gréki (1931-1966) dans une ville qu’elle a bien connue pour y avoir vécue avec
ses parents (son père alors directeur d’école), y avoir écrit un de ses plus
longs poèmes critique (« Bône 1956 »)
et surtout d’avoir quitté Bouna quelques
jours après son 26 ème anniversaire pour être appréhendée, à son arrivée en
gare d’Alger, un 20 mars 1957 par les paras de Massu…
Je me remémorais ces durs moments
vécus par Anna (« Bône-villa Sesini,
un aller simple… », http://djelfalger.blogspot.com/2015/03/bone-villa-sesini-un-aller-simple.html ) tout en regardant par le hublot de l’avion
une terre et une mer lumineusement embrumées, « silencieuses »…
… Le port gazier de Skikda (ex Philippeville) où Colette Grégoire
(future Anna Gréki) fit de brillantes études secondaires après la seconde
guerre mondiale… Une ville lieu de naissance de l’islamologue Malek Chebel (1953-2016) comme du sociologue Ali El Kenz (qui fut un de mes profs à
la Fac d’Alger et que j’ai revu avec plaisir au Salon International du Livre de
Paris ce mois de mars) ; ville où Mgr Duval (que les pieds noirs
méprisants appelaient « Mohamed
Duval ») commencera aussi sa carrière vers l’archevêché d’Alger avant
1954…
Alors qu’Annaba se profile au pied du vieux mont de l’Edough, que le
complexe sidérurgique multi usines s’allonge démesurément au premier plan dans
la riche plaine du même nom, l’avion entreprend sa descente sur l’aéroport …
Les roues n’ont pas encore touché le sol que je relis cet extrait où
Anna, en 1956, dans la guerre, évoque la chape de plomb des mercantis coloniaux sur sa ville …
« …Debout sur la colline ronde Saint Augustin
bronzé d’un geste de statue bénit
les tabac-coto-toma-coop industrielles
salvatrices d’un surplus exclusivement agricole
bienfait fumeux douillet juteux.
Dans la vapeur humaine et grasse des Choumarelles
Dans la vapeur humaine et grasse des Choumarelles
lavant leur cul dans la Seybouse
enrosée de fleurs de pêchers
précoces – comme un zeste de citron la lune
aromatise la pâte humiliée qui gonfle.
Avec un famélique entrain les gosses dorment
dans leurs habits fiévreux qui s’évaporeront
demain prés du poêle de la classe
au dent de lait… »
Et en moins de temps qu’il ne faut pour chercher tous les beaux mots du
monde, me voila au centre de la cité, longeant sa Place de la révolution et ses magnifiques ficus d’hier et
d’aujourd’hui avec en perspective l’hôtel Sheraton
nouvellement édifié …
En moins d’une journée je me rends compte que ce nouvel et très
imposant édifice de verre est l’objet d’un débat contradictoire des jeunes sur
les réseaux sociaux. Les uns sont pour ; d’autres, l’amalgamant au boom
qatari, sont contre estimant qu’il vient troubler un ordre spatial et temporel
qui n’est pas le sien…
J’observe et j’écoute… Sous l’ombrage extraordinaire des arbres du
Cours où je sirote un café dans une
mignonne petite tasse (non pas un jetable,
s’il vous plait) je regarde une jeune fille assise à sa table, ignorant les
dizaines d’hommes qui l’entourent… Je sors le cahier qui m’a servi de bloc de
voyage à Paris et j’écris sur le champ :
« Sous des arbres centenaires
sirotant souvenir d’un café avec ombres
et feuilles qui jonchent le sol le rêve et la détente
à trois tables de la mienne
une jeune fille est face à moi cheveux lâchés
devant sa crème citron qu’elle goûte
d’une cuillère et d’une paille
plus son smartphone adoré
à qui elle livre ses petits secrets »
Anna Gréki n’écrivait-elle pas elle-même à la fin de « Bône 1956 » :
« Je transcris avec des mots ce qui se fait sans paroles
Les horizons bornés s’élargissent un beau matin
avec des mains qui retournent l’ombre »….
A droite des tuiles rouges : la rue de la Bibliothèque Principale de lecture publique où je suis invité à
présenter mon livre sur Anna Gréki... Si l’on bifurque et l’on continue
quelques centaines de mètres l’on se retrouve dans le populeux « Marché aux grains »… Derrière les
tuiles rouges : le Cours de la
Révolution avec le café-kiosque et terrasse de feu Berrabah où je pris mon
café et au fond, montant vers les nuages, les fumées blanches de l’usine
Fertial d’ammoniac sur les rives de la Seybouse ; rives qui ne sont évidemment
plus ce qu’elles étaient…
Et dans cette ville légère, encastré
entre quelques buildings,
un arbre de vie poétique...
*
A la salle de conférence de la Bibliothèque, en présence du poète Driss
Boudiba également Directeur de la culture de la wilaya d’Annaba, la jeune
lycéenne Arij Boulenouar, présentée par la Directrice de l’institution, madame
Saléha Nouacer, me fait l’honneur d’introduire la séance en lisant son poème:
« Jenett el ouroud »
(« Paradis des fleurs ») .
Puis c’est à mon tour de prendre la parole pendant prés d’une heure
pour « conter » Anna Gréki
à travers de multiples anecdotes de son attachante et dense vie (une courte vie
qui n’aura duré que 35 ans…) allant de la petite enfance dans les Aurès jusqu'à
ses dernières activités après l’indépendance, en passant par Collo, Bône, la
Sorbonne à la veille de 54 puis les années d’humiliations partagées avec une
quarantaine de ses sœurs à la prison
de Serkadji, parmi lesquelles Djamila Bouhired, Zhor Zerari, Nassima Hablal,
Janine Belkhodja, Nelly Poro, Eliett Fatma Zohra Loup, Fadila Dziria et tant
d’autres…
Après une lecture de poèmes (« Menaa » et « Le camp »), un débat vivant
s’installe. Auditeurs et auditrices se disent étonnés et fiers du parcours
d’une militante poétesse dont ils avouent n’avoir rien su jusqu’à ce jour… En
présence de Tahar Neyha, conseiller culturel de la Bibliothèque qui fait
circuler le micro, de vives interrogations sur l’accession à la traduction en
arabe de la poésie d’Anna Gréki réalisée par Tahar Chériaa il y a plus d’un
demi siècle, sur l’état réel de notre patrimoine immatériel, comme sur sa
pleine connaissance, sa préservation et sa transmission sont posées, soulignées,
développées…
J’invite alors l’ami Said Dahmani,
historien du Maghreb médiéval (particulièrement des travaux d’Ibn Khaldoun), qui
participa aux chantiers de fouilles de Honayn et de la Kal’at B. Hammad, Conservateur
en Chef Honoraire du site et du musée d’Hippone à venir dialoguer avec moi avec
la salle. Ce qu’il fait avec une netteté du propos et une tranquille franchise…
Puis
arriva le moment des dédicaces, approche
des
visages…
Avec Khadra Belhadef initiatrice-agitatrice de tant de
rencontres
Khadra
qui m’aida à transporter mon lourd caba de livres ramené d’Alger jusqu’à la
Bibliothèque
Avec Yasmine Gamâoune, conseillère culturelle (à
droite)
et ses amies
Avec
Seloua Lamiss Messai, poétesse et journaliste (à gauche
Avec la poétesse Marie Meriem, auteure du recueil
« Face à la mer » présenté au SILA
Avec Monya Ziane (artiste peintre) et M. Fassih
(professeur de lettres arabe à l’université)
Avec le
syndicaliste Belabed Mounir qui a tenu à ce que je dédicace le livre à ses
trois charmantes fillettes
Avec Tahar Neyha (debout), conseiller culturel ; Mounir Gouri, artiste plasticien ; Seloua Lamiss Messai, poéte-journaliste ; Khadra Belhadef, agitatrice culturelle ; Monya Ziane, artiste peintre ; moi-même ; Foued Saadaoui, historien de l’art ; Mohamed, agent bibliothécaire ; El hadi Hamdikène, photographe.
Tous ces visages pleins de vie,
d’allant, d’espoir tendre ou piqué d’humour ne m’en rappellent pas moins ces
quelques vers d’Anna Gréki extraits de « ALGERIE CAPITALE
ALGER » :
« … Surface de nos visages si
vulnérables
Avec des meurtrissures secrètes autour
Des yeux au coin de la bouche –
Volubilis
et bouquet de diss – surfaces de nos
visages…. »
Et le voyage d’Anna continue le
lendemain à une quinzaine de kilomètres d’Annaba, en altitude, sur la montagne
de Seraidi… Rapide visite sous une pluie froide à l’hôtel du Ksar (El Mountazah), conçu à flanc de falaise
par Pouillon…
Une photo de l’ami photographe El Hadi Hamdikène
Puis nous allons rejoindre au centre du
village le petit restaurant-jardin « Forest
Grill » (ex « Clairière »)
que tient d’une main avisée et douce Karima Chibane, informaticienne mais
également écrivain à ses heures… Elle m’apprend qu’elle avait acheté « Anna Gréki, les mots d’amour, les mots de
guerre » à Alger, avait commencé à le lire, mais que sa mère le lui a
pris… Comme il me restait un exemplaire dans un sachet à l’emblème de l’éditeur,
je me suis offert le plaisir de le lui dédicacer sur une table de son charmant restaurant
en attendant que nos pizzas cuisent…
Notre hôtesse
recevant Anna
Seraidi vu d’avion dans la lumière
rasante de fin de jour…
… 48 heures c’est vraiment trop court et
cela ne m’a pas permis d’aller à la recherche du domicile de ses parents à
Annaba, des itinéraires qu’elle-même faisait dans cette ville, ses ruelles de
villas et jardins, ses environs, ses forets et ses plages…
Retour blanc mousseux sur l’ALGERIE,
CAPITALE ALGER….
Abderrahmane
Djelfaoui
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