Il
y a plus de quatre ans, un dimanche de novembre 2012, à Mosta, dans une des
ruelles la vieille cité du nom berbère de Tigditt - si vieille cité dont
des pans entiers de murs et de toits croulent encore…. je prenais la photo de
cette brunette lumineuse au visage d’enfance à la fois doux et sauvage, qui
observe et qui, me disais-je, attend certainement un peut être…
Et « ce peut être » se fraye peut être
aujourd’hui un chemin par les
contournements laborieux d’une grâce fragile, inattendue, mais porteuse d’une
étincelle d’espoir (même si, comme pour l’hirondelle, une étincelle ne fait pas toujours bon feu…)
L’évènement (un mot à sa juste
taille, parce que c’est un évènement) :
l’institution publique qu’est la Bibliothèque
Principale de Lecture Publique a, à l’initiative de madame Hayet Mammeri, Directrice,
invité deux personnalités culturelles de la ville (le cinéaste documentariste
Mostefa Abderrahmane et le professeur d’université Mansour Benchehida) à
intervenir sur leur livre commun « KAKI
le dramaturge de l’essentiel », édité il y a déjà plus de onze années…
Evénement, puisque KAKI est
l’enfant génial de cette ville ; lui qui à l’âge de 22-23 ans allait adapter
en arabe dialectal, en pleine guerre de libération nationale, prés de la
populeuse Souiqa de Tigditt, (pour un
travail de laboratoire sans public), une pièce fétiche du théâtre mondial
« En attendant Godot » écrite
en 1952 par Samuel Beckett, auteur irlandais qui ne se verra décerner le Prix Nobel de littérature que dix ans
plus tard en 1969…
Première et dernière pages de l’adaptation manuscrite de
« En attendant Godot », que Abderrahmane
Kaki
écrit et rature sur un simple cahier de devoirs mensuels d’écolier
de CM1….
MAAZOUZ
LE FRERE CADET
Cette adaptation dialectale restera
longtemps dans les tiroirs de Abdelkader Ould Abderrahmane, dit Abderrahmane
Kaki, et ne sera finalement montée pour
un jeu de scène entre comédiens que dix ans plus tard, par la troupe l’ « Art scénique » dirigée par Ould
Abderrahmane Maazouz, le frère cadet de Kaki en 1968...
L’« Art scénique » où jouait aussi Mostefa Abderrahmane ira depuis
Mosta avec « Fin de partie »,
autre pièce de Samuel Beckett, représenter l’Algérie au Festival d’Avignon et y
rencontrer avec ravissement un Kateb Yacine qui montait « Le bourgeois sans culotte, ou le spectre du
parc Monceau », un spectacle inédit, inclassable puisque la pièce se
jouait en marchant pendant une heure (avec les spectateurs) de salle en salle
et de couloirs en escaliers du Musée
Calvet au centre d’Avignon…
Sur
cette photo (1970) de la collection particulière de Mostefa Abderrahmane,
On voit défiler une partie de la troupe
« Art scénique » que Maazouz dirigea de 1969 à 1977
au
centre ville de Mostaganem.
De
gauche à droite : en blanc, Omar Ould Abderrahmane (fils ainé de Kaki,
décédé), Djilali Bendani (décédé)
et
Khaled Maaza tenant la pancarte.
Maazouz Ould
Abderrahmane dans un cliché rare de la collection de Mostefa Abderrahmane
… Pour mémoire, Mostefa
Abderrahmane me rappelle que le regretté Maazouz avait joué des rôles dans
« La bataille d’Alger » de
Pontecorvo, « La nuit a peur du
soleil » de Mustapha Badie mais aussi et surtout dans « Les hors la loi » de Tewfik Fares
aux cotés de Sid Ahmed Agoumi, Cheikh Nourredine et Mohamed Chouikh (l’autre
mostaganémois…)
Maazouz, mordu de
cinéma réalisera plusieurs courts métrages dans les années 70 que
m’énumère Mostefa Abderrahmane: « La
malle », « Aicha ou Es3id »,
« Avant théâtre », et « Sur la route », tous produits à
Mostaganem…
Un amour du cinéma qui
était non seulement marque de fabrique de toute une génération d’algériens de
la guerre et d’après l’indépendance, mais surtout celui de la famille Kaki,
puisque Ould Abderrahmane Kaki, le grand frère, aimait passionnément « Le trésor de la sierra Madre » de
John Huston ; « Sur les
quais », « Viva Zapata »,
« A l’Est Eden », « América América » d’Elia Kazan
fondateur de l’Actor’s studio avec
Lee Strasberg ou « West Side Story »
qu’il voyait tous au Ciné Lux de Tigditt
face à l’école Jean Maire son école primaire…
« KAKI LE
DRAMATURGE DE L’ESSENTIEL »
Au programme de la
conférence sur Kaki (qui correspond avec la Journée mondiale du livre et des droits d’auteurs, comme l’explique
madame Hayet Maameri), a été projeté un film court réalisé à l’automne 1990 sur
Kaki, avec une caméra VHS compact de fortune par Mostefa Abderrahmane…
Ce film est un
morceau d’anthologie radieux et émouvant malgré la mauvaise qualité des images,
où l’on voit Kaki parler du théâtre de
Samuel Beckett en plein Souk tout en côtoyant les humbles et les pauvres avec
qui, jovial et fume-cigarette en main, il échange parfois une blague…
L’évocation se
poursuit par une petite interview à Sidi Mejdoub, une plage populaire dans le
prolongement du quartier de Tigditt qui est, dit Kaki, « mon lieu de prédilection »… Un lieu
chargé d’histoire portant le nom d’un
poète du 16 éme siècle qui confectionnait des « paroles » pour les femmes et dont un sanctuaire est depuis
érigé au-dessus du rivage sensé protéger la ville de toute invasion venant de
la mer…
Une « prédilection qui vient de loin »,
ajoute Mostefa Abderrahmane conférencier, puisque l’homme aux quarante créations
dramaturgiques recensées avait, lui né en février 1934 à la rue 34 de Tigditt, avait son enfance durant bu de la poésie populaire déclamée par les femmes comme on boit du lait !
Mostefa
Abderrahmane intervenant aux cotés de son ami Mansour Benchehida
Une enfance
culturellement privilégiée avec de surcroit un oncle mélomane et flutiste qui l’affectionnait…
Son regretté frère Maazouz (décédé au Canada) notait dés les premières lignes
de la préface au livre de Mostefa Abderrahmane et Mansour Benchehida : « Kaki n’est pas un homme de théâtre, c’est un
phénomène de théâtre […] Déjà dans les années 40, Kaki jouait des petites saynètes dans le giron du
mouvement nationaliste scout et c’est là qu’il prit goût à la pratique
dramatique […] Tout le comique de cette époque comportait comme une empreinte
du comique de Charlot. Le phénomène Kaki va briller par un talent de comédien
et d’écrivain »…
A la question de
savoir de quels auteurs Ould Abderrahmane Kaki s’est nourri, Mostefa
Abderrahmane proche ami des frères disparus, précise avec netteté et respect :
« Ce sont d’abord les poètes et chantres
maghrébins tels Abdelaziz Maghraoui, Bensahla, Sidi Lakhdar Benkhlouf, Cheikh
Hamada, El Anka… Mais également Bertolt Brecht, Constantin Stanislavsky, Peter
Brook, Antonin Artaud, Carlo Gozzi, Eugène Ionesco, Gordon Craig, Irvin
Piscator, Jean Vilar, Vsevolod Meyerhold, Augosto Boal, Gabriel Garcia Marquez… »
« De tout cela, ajoute-t-il, Kaki a tenu,
malgré la pauvreté des moyens, à faire un théâtre en prise avec la richesse et
la complexité de notre personnalité ; un théâtre en prise avec le
quotidien ».
Faisant part au
public d’un témoignage du dramaturge Said Benyoucef, Directeur artistique au Canada,
dans une lettre qu’il lui adressait en date du 17 avril 2017, le conférencier
lit ce passage…
« …Un jour l’apostrophant sur Shakespeare à
propos d’une certaine controverse, il m’offrit l’ouvrage d’un critique
contemporain de ce dernier en lançant : « Pour connaitre un auteur,
il faut lire ses détracteurs ! »
« Kaki
était habité par les démons de la transgression mais toujours au plus prés des
conventions. Il savait parler aux publics présents et pressants
« L’homme
n’était pas mystérieux ni distant et ne cultivait aucune posture le mettant sur
un piédestal. Il savait écouter ceux qui avaient quelque chose à dire… »
Parmi le public
venu participer à cette belle conférence on voit ici de droite à gauche :
Sid Ahmed
Zerhouni, professeur d’architecture et peintre ;
Mohammed Ouldmaamar
musicien et un des légataires du mythique cinéma CinéLux ;
Benaichouba
Benabdallah ancien comédien de la troupe de Kaki, marionnettiste et créateur de
marionnettes…
GODOT
ENTRE PARENTHESES ?..
A cette Bibliothèque de quartier bellement rénovée et
repeinte du vieux quartier de Tigditt, où eut lieu la conférence suivie d’un vibrant
et pathétique débat puis d’une magnifique séance dédicace de livres, j'ai
rencontré un ancien éducateur de la jeunesse, particulièrement de ce qu'on
appelle la délinquance...
Il s'appelle Bentahar Mohamed et avait commencé lui même à jouer dans une pièce de théâtre à l'âge de 16 ans, à Mostaganem, en incarnant le rôle de Carmidès dans une pièce espagnole...
Mordu, comme il dit, pour la lecture du livre depuis le primaire que ce soit en français ou en arabe, c'est juste après l'indépendance qu'il découvre Anna Gréki (même génération d’âge que Abderrahmane KAKI…) en achetant son recueil ALGERIE CAPITALE ALGER à l'époque où la SNED ouvrait une librairie dans presque toutes les villes du pays...
"Pour moi c'est une femme engagée, mais j'ai surtout senti en elle une femme algérienne au sens noble du terme... Ses poèmes sortent du cœur... C'est avec plaisir que j'ai lu son livre en ce début des années 60 et son souvenir est resté gravé dans ma mémoire..."
Après une seconde de silence, il ajoute "Je lui rend hommage, à elle, comme à toutes celles et ceux qui ont défendu l'indépendance de l'Algérie: Alleg, Yveton, Maillot, Audin et tant d'autres"…
Il s'appelle Bentahar Mohamed et avait commencé lui même à jouer dans une pièce de théâtre à l'âge de 16 ans, à Mostaganem, en incarnant le rôle de Carmidès dans une pièce espagnole...
Mordu, comme il dit, pour la lecture du livre depuis le primaire que ce soit en français ou en arabe, c'est juste après l'indépendance qu'il découvre Anna Gréki (même génération d’âge que Abderrahmane KAKI…) en achetant son recueil ALGERIE CAPITALE ALGER à l'époque où la SNED ouvrait une librairie dans presque toutes les villes du pays...
"Pour moi c'est une femme engagée, mais j'ai surtout senti en elle une femme algérienne au sens noble du terme... Ses poèmes sortent du cœur... C'est avec plaisir que j'ai lu son livre en ce début des années 60 et son souvenir est resté gravé dans ma mémoire..."
Après une seconde de silence, il ajoute "Je lui rend hommage, à elle, comme à toutes celles et ceux qui ont défendu l'indépendance de l'Algérie: Alleg, Yveton, Maillot, Audin et tant d'autres"…
Bentahar Mohamed assis, avec face à lui le Docteur
Mansour Benchehida et le cinéaste Mostefa Abderrahmane.
Entre un hier pas tout a fait
révolu et un aujourd’hui lumineusement explosé au futur, Tigditt couve peut
être la venue d’une neuve cuvée d’artistes algériennement mondialisés….
Abderrahmane
Djelfaoui, texte et photos
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