dimanche 16 décembre 2018

« Algérie »- Issiakhem / acte 2




Samedi 15 décembre 2018, Benamar Medienne, proche ami de M’Hamed Issiakhem et de Kateb Yacine , donnait une conférence au Mama (ex Galeries de France, durant la colonisation) rue Larbi Ben M’hidi, intitulée « Les Mille et une Vies d’Issiakhem… », où il parla entre autres de cet « humble tableau » nommé ALGERIE…

Flash-back : prés d’un an auparavant, le dimanche 8 janvier 2017, dans une salle haute au Musée Public National des Beaux Arts du Hamma, prés de Belcourt, Alger, avait lieu la cérémonie de remise officielle de l’œuvre de M’Hamed Issiakhem (« Algérie », sous verre, peint en France en 1960) rapatriée enfin en Algérie …



UNE TOILE ET DES MARQUEURS DE L’HISTOIRE…..


« à Jacques Arnault », signé par M. Issiakhem (photo Abderrahmane Djelfaoui)



En 1960, Jacques Arnault et M’Hamed Issiakhem ont pratiquement le même âge, 32 ans, lorsqu’ils se rencontrent à Paris et se lient d’amitié.
« J’ai connu M’hamed Issiakhem (témoignait Jacques Arnault Le 19 mars 2007) en France, quand il était dessinateur. Ce tableau représente une femme et ses deux enfants. Le père n’est pas présent parce qu’il est parti en guerre, le peintre le peint d’une main, parce qu’il a perdu son bras à l’âge de 15 ans dans l’explosion d’une grenade… Il y a un morceau de journal sur le coté, où il y a écrit un article sur la guerre d’Algérie… » A  signaler justement qu’à cette période le père et le frère de M’hamed Issiakhem sont combattants au maquis.

En pleine guerre d’Algérie Jacques Arnault, qui avait subi les affres des camps de concentration nazis et  était militant politique du PC  publiait aux « Editions sociales » en 1958 un livre politique fort intitulé « Le procès du colonialisme » ;  un livre que possédait feu mon père et qui allait passer de sa bibliothèque à la mienne….




Le tableau exposé au Musée Public National des Beau Arts



Madame Anissa Bouayad, Vice présidente de l’association « Art et mémoire au Maghreb », sise à Ivry sur Seine, qui accompagne le tableau de Paris à Alger, souligne et commente  l’essence du tableau « Algérie ».



Madame Anissa Bouayad (auteur de l’ouvrage :

Les Artistes Algériens Pendant la Guerre de Libération,
ed, la Decouverte, 2014)
lors de son intervention
au nom de « Art et mémoire au Maghreb »
(photo Abderrahmane Djelfaoui)



« Par des moyens esthétiques, dit-elle,  qui allient solide composition classique et matériaux contemporains vulnérables comme les coupures de journaux, l’artiste nous fait ressentir par ses tensions extrêmes qu’au-delà de la souffrance indicible se manifeste la volonté de résistance de tout un peuple incarné ici dans cette femme et dans son enfant qu’elle protège de sa main. […] Seuls quelques signes incrustés servent de marqueurs et de datation. Un article sur le Manifeste des 121 (octobre 1960), le mot ‘mourir’, le titre ‘l’humanité’ détourné ici, pour signifier au-delà du titre ce qui est en jeu.
« Autre marqueur, qui est plus qu’un détail, au centre géométrique du tableau, ce petit galon de tissu collé reprend les couleurs du drapeau algérien, sans emphase, sans insistance mais il est là, pour être vu à cette place centrale »

 « LA GRACE DU DON » 



Revenant enfin sur l’acte du donateur, elle commente que « ‘La grâce du don’ signifiait pour Jacques Arnault, vouloir sortir de l’échange marchand agressif et inégal qui fonde notre système socio économique actuel et son cortège d’injustices dans tous les domaines y compris la culture ! […] Car il trouve plus juste que d’autres, plus nombreux et plus concernés, profitent à leur tour de l’objet aimé dont il se sépare».

Madame Bouayad poursuit et précise que Jacques Arnault, au moment de sa rencontre avec Issiakhem, est rédacteur en chef de la revue « La nouvelle critique » et qu’il « prépara un numéro spécial sur la culture algérienne  en pleine guerre coloniale. Le numéro sorti en 1960 avec un brillant aperçu des lettres algériennes, de Kateb Yacine à Assia Djebar. Pour les arts plastiques c’est Issiakhem lui-même qui contribua à ce numéro. C’est en le préparant que les relations entre les deux hommes s’approfondirent. C’est dans cet élan créateur qu’Issiahkem offrit l’œuvre ‘Algérie’ à son ami Jacques Arnault ».
J’apprendrais d’ailleurs moi-même un peu plus tard de Djaafar Inal (collectionneur d’une importante partie de l’œuvre d’Issiakhem et dont il fera don au Mama) que Jacques Arnault était venu en Algérie juste après l’indépendance y enseigner la philosophie dans la banlieue d’Alger ; « il en profitait, dit-il, pour passer de temps à autre saluer l’équipe d’Alger républicain et donner un coup de main »….

Dessin de M’hamed Issiakhem pour la Une d’un 

spécial d’Alger républicain années 60…






Benamar Mediene, professeur des universités, essayiste,

ami et biographe du peintre M’hamed Issiakhem,
expliquant dans une courte intervention lors de cette cérémonie
ce que fut l’audace de l’artiste à chaque étape de sa vie
depuis ses premiers dessins d’enfants à l’école primaire,
sa première exposition dans l’Algérie coloniale avec un autoportrait,
ses brillantes études en France
et la manière dont il s’imbiba de façon créatrice
des leçons esthétiques de maîtres espagnols tels le Gréco et Goya….


M'Hamed Issiakhem 





Abderrahmane Djelfaoui

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