mercredi 25 décembre 2024

Décembre 1884- Décembre 2024 : Il y a 140 ans naissait Omar Racim…

 

Décembre 1884- Décembre 2024 : 

Il y a 140 ans naissait Omar Racim…



Image de la page de couverture du catalogue « Omar Racim 1884-1959 », en date de février 2009, dû à « Makhbar el-hadhâri, li-jami’at el-jazaïr » …

 

Abdelkader Boumoula, calligraphe, ayant fait des études à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger qu'il a ensuite poursuivi au Caire, m’a invité à passer à son atelier au Bois des arcades, à Alger…

Même s’il fait très frais et gris dehors, le courant passe vite. Nous plongeons à la seconde même dans l’univers des frères Mohamed et Omar Racim dont la vie et les travaux le passionne depuis des décennies.

En fait, après m’avoir donné de plein fouet l’information qu’une miniature de Mohamed Racim venait  de se vendre il y a à peine une semaine en France à quelques 27 300 euros [Que dire de plus ? Que dire de sensé ?..] Abdelkader, sortant au fur et à mesure, livres, catalogues et documents de sa riche bibliothèque murale, engage l’essentiel de l’entretien sur Omar Racim, son itinéraire et son œuvre.

Les gens qui ont de grandes bibliothèques m’ont toujours respectueusement impressionné, non pas parce qu’ils seraient plus intelligents que les autres, mais certainement plus patients dans l’étude, dans l’étendue de leurs recherches ; plus attentifs également aux leçons humaines sur la longue durée. Une bibliothèque qui nous aura permis d’évoquer au passage autant un Hamid Tahri (son livre biographique sur Sid Ahmed Serri), que la fameuse revue allemande de qualité «Fikrun wa fen », des revues égyptiennes, celles de l’UNESCO, etc, etc…   


Abdelkader Boumala dans son atelier

 

UN HOMMME D’UN AUTRE SIECLE ?

« Son nom complet, selon les traditions musulmanes qui soulignent la filiation, était Omar Ben Ali ben Saïd ben Mohamed Racim el Bijaï » ; puis mon hôte ajoute qu’il arrivait à Omar Racim de signer certains de ses textes du patronyme de Es-Sanhadji… Malgré son ton calme, mesuré, Abdelkader Boumala déroule d’innombrables informations en un récit captivant et, soyons francs, qui m'interpelle de façon critique sur ma méconnaissance du sujet, certains de ses hauts faits comme certaines zones d’ombre. C’est que ce calligraphe est aussi un excellent pédagogue.

Omar Racim nait il y a donc plus d’un siècle et demi, le 23 décembre 1884, dans la maison paternelle située au haut de la Casbah, rue qui porte aujourd’hui le nom des frères Racim. La famille est nombreuse, elle se compose de cinq filles et de deux garçons : lui-même, Omar, puis Mohamed. 

Abdelkader Boumala souligne que tous les documents et témoignages en sa possession certifient l’éveil remarquable précoce de l’enfant puis de l’adolescent à assimiler le Coran, les savoirs et savoir-faire de son environnement dans la Casbah du 19 -ème siècle finissant, alors que l’Algérie colonisée, son peuple surtout, se trouvait ravalé à un état de sous-humanité…

 Ces dispositions engageront Omar Racim de façon active avant la 1ere Guerre mondiale dans le réformisme musulman dont l’icône est alors Mohamed Abdou qui est d’ailleurs venu faire une visite à Alger et que le jeuner Omar, à peine âgé de 19 ans, rencontrera en présence du Cheikh Abdelhalim Bensmaïa... Omar Racim fera d'ailleurs lui-même, à l'âge de 25 ans, en 1909, son premier voyage au Caire où il sera profondément impressionné par le développement général de la culture et particulièrement de la presse écrite, situation à l'opposé tragique de ce qui se passe dans son pays...

Pour l'heure il commence d’abord sa vie active comme ouvrier d’imprimerie, très tôt, s’occupe d’une association théâtrale, fait du journalisme, puis tente de créer une revue du nom de « El Dzazair », assure la rédaction et la calligraphie d’un journal oranais (El Haq el Wahrani), avant de pouvoir créer son propre journal : « Dou el-Fakar» à Alger, rue Rovigo …


Exemplaire du Dimanche 14 juin 1914. 14 jours après la sortie de ce numéro, le prétexte de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche provoque le début des hostilités en Europe avant d’embraser prés d’une vingtaine de nations en Afrique, en Asie ; dans l’Océan Atlantique enfin. On l’appellera La Grande Guerre.


LES ALGERIENS AU CŒUR D’UN CONFLIT MONDIAL.

Nous savons aujourd’hui que dans cette guerre qui n’était pas la nôtre, près de 300 000 soldats nord africains y ont participés ; sur ce nombre plus de 28 000 y sont morts et enterrés ; près de 8000 autres sont portés disparus à jamais…

Et qu’en est-il du journal de Omar Racim ? L’administration coloniale ordonne la fermeture du journal le jour même de l’assassinat à Sarajevo. Un an plus tard, Omar Racim est arrêté.

Abdelkader Boumala dans un livre d’art collectif sur les Racim, écrivait au chapitre « Face aux tribunaux » :

« [des] sources affirment, qu’au début de la guerre, [Omar Racim] était en relation épistolaire avec des nationalistes militants égyptiens. Une de ces lettres aurait échouée entre les mains des services britanniques qui l’auraient transmise aux autorités coloniales en Algérie. Cette affaire était liée à l’arrestation des militants égyptiens Mohamed Talaat et Amine Arraf’i, éditorialistes politiques dans un certain nombre de journaux égyptiens de l’époque, comme « Ech-Chaab », publication dont Omar Racim était le correspondant algérien ». L’intellectuel et artiste devait être exilé définitivement au bagne en Guyane à plus de 6000 kms de l’Algérie…

« Omar Racim est emprisonné à Barberousse, dans la cellule d’isolement n° 40. Et c’est sa famille qui le pourvoyait en nourriture car l’administration coloniale n’avait pas prévu de budget pour les prisonniers destinés au bagne ». Une détention tragique qui durera 6 ans soit plus de 2000 jours et 2000 nuits...

 

L’OISEAU EMPRISONNE



Loupe en main, Abdelkader Boumala me détaille le magnifique tableau à l’enluminure végétale avec un oiseau en son centre. Daté de 1920 (Omar Racim ayant 36 ans), cette œuvre est réalisée en prison, en état d’isolement total par rapport au monde. L’oiseau, c’est évidemment le prisonnier lui-même…



Cette tragédie carcérale marquera à jamais Omar Racim qui, de plus, après sa libération se sent délaissé sinon honni par une partie des élites algériennes malhonnêtes et couardes, comme il y en a d’ailleurs toujours eu dans toutes les sociétés et à toutes les époques… Il se remet cependant au travail avec courage, abnégation et une grande créativité artistique qui le mènera à s’occuper aussi de musique andalouse… En 1931 il dessine la couverture de l’ouvrage « Kitab el Djazair » de Ahmed Tewfik El Madani (historien et homme politique algérien/ 1899-1983).

La discussion et les découvertes (mes découvertes) duraient depuis plus d’une heure et demie (ce que je ne fais que synthétiser très fort ici), quand arriva un autre calligraphe et peintre connu, un ami et ancien camarade d’études de Abdelkader Boumala : Boukéroui Tahar, qui, après l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger, a poursuivi de longues années d'études quant à la calligraphie et la miniature aussi bien à Téhéran (Iran) qu' à Boston (USA). ..




Midi était passée de loin. Allions nous déjeuner tous les trois ensemble. Je ne pouvais pas et m'en excusais. Je devais faire mes courses domestiques puis repartir vers chez moi à plus de 30 kms de là… 

Je ne repartais toutefois pas les mains vides. Abdelkader Boumala me fit l’honneur de me prêter la copie de son magister soutenu avec mention « Excellent » en 2007 à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger. Un ouvrage de recherche et de vulgarisation précieux, de plus de 300 pages, qui était « à deux doigts d’être édité » mais qui reste malheureusement dans son carton pour on ne sait combien de décennies encore…






Abderrahmane Djelfaoui

25 décembre 2024


mardi 10 décembre 2024

Mostefa-Mosta-Kouaci / Hommages croisés…

 


Mostefa-Mosta-Kouaci 

 Hommages croisés…




Lors de l’exposition des œuvres photographiques de Mohamed Kouaci d’octobre 2013 au Bastion 23 d’Alger, Madame Veuve Kouaci m’avait demandé s’il était possible d’en organiser une autre.

Je me proposais immédiatement de contacter l’ami Mostefa Abderrahmane à Mostaganem, ancien directeur de la maison de la culture et personnalité culturelle respectée et très active de la région.

La réponse fut positive. Une nouvelle exposition des œuvres en noir et blanc de Mohamed Kouaci fut programmée pour le milieu du mois de décembre en parallèle des Journées du Documentaire et du Film Court de Mostaganem…




Cette initiative permettait de croiser en un même lieu et au même moment de jeunes cinéastes, comédiens, animateurs venus de plusieurs régions du pays et une exposition de photographies historiques jusque-là inédite dans cette ville de grande tradition culturelle et artistique. 


Autour d’un thé, à la cafétéria de la maison de la culture Ould Abderrahmane Kaki, l’amitié rassemble de gauche à droite : l’architecte, peintre et photographe Sid Ahmed Zerhouni, Abderrahmane Djelfaoui, un jeune comédien, l’acteur Ahmed Bénaissa, le cinéaste Mostefa Abderrahmane, le comédien Hassen Kechach ainsi que le musicien et collaborateur inséparable de Mostefa Abderrahmane : Mohamed Ould Maamar…

 

Je me rends compte aujourd’hui que l’initiative de cette exposition photo croisait en fait surtout les itinéraires de deux grands photographes de deux grandes phases de l’histoire contemporaine de notre pays : Mohamed Kouaci (Blida 1922-Alger 1996) et Mostefa Abderrahmane (Mostaganem 1947-2024). Le premier qui était devenu le photographe du GPRA et de son journal El Moudjahed à Tunis ; le second, qui après des études de photographie à l’Ecole supérieure Louis Lumière de Paris allait devenir un documentariste et photographe de renom par ses recherches sur l’histoire des exactions coloniales sur les populations civiles d’Algérie.…



Mostefa Abderrahmane devant une célèbre photographie prise par Mohamed Kouaci durant la guerre de libération nationale où des femmes d’un douar avait arrêté un soldat de l’armée coloniale française…



Mostefa Abderrahmane me commentant, après l’accrochage des œuvres dans la grande salle d’exposition, les photographies de Fidel Castro et Che Guevara prises par Mohamed Kouaci près d’un demi-siècle plus tôt…





A cet accrochage d’œuvres historiques était également présent Djilali Boudjema, acteur et Directeur d’une troupe théâtrale créée à la création de l’Association El Moudja en 1978 (dont Mostefa Abderrahmane était vice-président) … Ce qui me rappelle la belle aventure de son petit théâtre de poche des années 90 nommé Bachali Allal bâti sur pilotis, les pieds dans l’eau à plusieurs mètres du rivage et une longue jetée en bois à la Salamandre, à Mostaganem Suite à cet espace de plein air où a vécu et est mort le comédien Sirat Boumedienne, Djilali Boudjema force à nouveau le destin et ouvre une Ecole primaire de théâtre à la Salamandre même pour tous les débutants et particulièrement pour les jeunes de la rue…





Photographie prise par Mostefa Abderrahmane devant un graffiti de mur photographié lui-même à l’indépendance par feu Mohamed Kouaci



 Deux instantanés de l’exposition lors de l’inauguration officielle ouverte par le wali…






Sid Ahmed Zerhouni devant une série de photographies prises par Mohamed Kouaci : le portrait de Frantz Fanon à Tunis (1925-1961) , Monseigneur Duval, archevêque d’Alger (1903-1996) et, juste derrière Zerhouni : le Président Ben Bella (1916-2012)…



Mostefa Abderrahmane, dans un salon de la maison de la culture Ould Abderrahmane Kaki, en compagnie d’un vénérable paysan de la région de Mostaganém qui me rappelle le visage de l’immortel chantre de la poésie populaire Cheikh Ain Tedless qui joua en 1988 le rôle de Sidi, personnage principal dans le long métrage de fiction « la Citadelle » de Mohamed Chouikh ...



Mostefa Abderrahmane répondant lors de cette manifestation aux questions d’une journaliste dans l’espace à ciel ouvert de la Maison de la culture Ould Abderrahmane Kaki sous une belle lumière d’hiver….



En marge de cette mémorable rencontre, Mostefa Abderrahmane convia madame veuve Kouaci et sa nièce à une visite des hauteurs de la ville de Mostaganem pour en apprécier la beauté et la richesse du panorama donnant autant sur la vielle ville que sur la baie marine…







Diplôme d’honneur au nom de Mohamed Kouaci remis à sa veuve Safia Kouaci


Photographie souvenir : Mohamed Ould Maamar, le cinéaste documentariste Hadj Fitas, madame veuve Safia Kouaci, Abderrahmane Djelfaoui et Mostefa Abderrahmane. 




Abderrahmane Djelfaoui. Alger. 10 décembre 2024












vendredi 25 octobre 2024

 

M’hamed Djelid re-découvert et honoré à Sidi Bel Abbès

 

Le théâtre régional de Sidi Bel Abbés a eu l’ingénieuse idée d’organiser une journée d’étude pour présentation de l’ouvrage posthume de M’hamed Djelid  (1943-1990) enfin édité en un seul volume par le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle d’Oran (CRASC).  

Photo El Moudjahid


J’avais donc fait les 400 kms de route depuis Alger, avec mon épouse et ma fille, mais sincèrement, sans m’attendre à ce que cette manifestation soit d’un niveau aussi attractif, foisonnant de belles de rencontres, de débats d’idées, de bons mots, de témoignages inédits et de lectures poétiques…

Ici les seventie’s ! 

La première et la plus inattendue rencontre alors que je discutais au salon d’attente avec Abdelkader Belkhorissat, directeur de l’école des beaux-arts de la ville, a lieu avec Hanitet Mokhtar que je ne connaissais pas. Très vite j’apprends dans une atmosphère très décontractée que l’homme au petit chapeau de paille sur la tête est polyglotte parlant bien sûr le français et l’arabe, mais tout aussi aisément l’anglais, le russe et l’espagnol… Il anime quotidiennement à la radio de Sidi Bel Abbès une émission intitulée HISTO-FEN. Il est accompagné d’un ami ancien musicien des années 70 …


A ma droite Abdelkader Belkhorissat. A la gauche de l’homme de radio son ami musicien


Cette première rencontre sera suivie un peu plus tard par celle d’un vieil ami proche du dramaturge Ould Abderrahmane Kaki qui déambulait pensif ou rêveur avec une chéchia sur la tête…. Plus tard encore vers midi avec un ancien comédien de la troupe de Kateb Yacine fin des années 70 à Sidi Bel Abbès…

Kateb Yacine dessiné par Arab

 

Pour l’heure on appelle le public à entrer en salle et la séance est bientôt solennellement ouverte. On invite Mohamed Miliani comme modérateur des travaux. Frère du regretté Hadj Miliani, professeur de littérature à l’université de Mostaganem, Mohamed est professeur en didactique des langues et des sciences de l’éducation. Il introduit le sujet, rappelant dans quelles conditions le travail d’adaptation de l’énorme manuscrit de Djelid (trois tomes de 700 pages chacun) a été engagé, sans ordinateur à cette époque du terrorisme dévastateur, seulement avec une machine à écrire mécanique …Il donne la parole au Pr. Sidi Mohamed Lakhdar-Barka, professeur vde littérature comparée à l’université d’Oran, qui a dirigé l’équipe qui, après de longs et difficiles travaux , a mis au point, sur la base du manuscrit initial, l’ouvrage final de M’hamed Djelid intitulé « L’activité théâtrale en Algérie 1945-1980 »… Un livre de 700 pages, reliure cartonnée. Il explique comment l’auteur « a mené une investigation approfondie à partir de formes théâtrales embryonnaires (chants, danses folkloriques, déclamations poétiques, représentations festives des foyers et médersas, ensembles scolaires, etc), que l’on retrouve dans toutes les pratiques sociales et genres culturels de la société algérienne, sur environ quatre décennies » …


 


 








Djelid , Histoire et histoires

Après ce magistral exposé de nombreux intervenants vont se succéder pour apporter leurs témoignages dont celui, documenté de Missoum Laroussi natif de Chlef qui commente des extraits des sept heures d’enregistrements vidéo d’un grand nombre de ceux qui furent les compagnons proches de Djelid depuis l’indépendance jusqu’à la fin des années 60. Il explique comment après le filmage à l’époque de la covid 19, la plupart d’entre eux ne sont plus aujourd’hui de notre monde…


Missoum Laroussi aux cotés du frère de M’hamed Djelid, Abdelkader Djelid.

 

Après les témoignages précis de multiples intellectuels d’Oran, de Sidi Bel Abbes, de Mostaganem ou d’Alger (dont il est vraiment difficile de résumer l’originalité et la pertinence de chacun d’entre eux en une phrase) , c’est au tour du frère de M’hamed Djelid de prendre lentement et longuement la parole pour évoquer son frère, leur commune enfance et adolescence orphelins de leur père ; la pugnacité de M’hamed Djelid et son désintérêt pécunier total au point d’être des années durant instituteur sans être jamais payé… Au fil du récit et des anecdotes, plus dramatiques les unes que les autres, se dessine l’image d’un pays intérieur des années 60 ; un pays vivant, combattant, fier, généreux et digne malgré tous les aléas de la vie quotidienne d’alors… Un récit du cœur. Un récit vrai, simple, populaire qui est chaleureusement acclamé puis suivi de la déclamation poétique d’un poème de M’hamed Djelid extrait de son recueil « PLAIES » puis d’un débat.

Portrait de M’hamed Djelid

 

Tout aussi poignant et heureux est l’hommage qui est finalement rendu par les organisateurs de la manifestation à la famille Djelid en la personne de Abdelkader Djelid et de sa petite nièce, très émue…




Profitant du mouvement d’allégresse dans la salle, je demande au professeur Sidi Mohamed Lakhdar Barka de me dédicacer le livre dont il a dirigé les travaux jusqu’à son édition finale. Il s’incline avec courtoisie et m’informe que le livre sera présent et exposé à la vente au SILA, début du mois de novembre à Alger.


Le partage et le plaisir sont encore loin d’être épuisés. Les organisateurs appellent gentiment et à plusieurs reprises tous les présents à un repas traditionnel. Je me retrouve à une table où je vais partager un couscous local salé-sucré garni de pois chiches et de raisin sec caramélisés, de viande, le tout arrosé d’une délicieuse sauce, accompagné de dattes et de lben (petit lait)… Le plaisir du palais n'empêchant nullement une amicale discussion sur les question du patrimoine et du devoir de mémoire...



De gauche à droite : moi-même, Abdelkader Belkhorissat, le professeur Lakhdar Mansouri (également metteur en scène), Ghaouti Azri (ancien directeur du Théâtre régional d’Oran) et Sekkal Hichem (directeur du Musée Zabana d’Oran).



Abderrahmane Djelfaoui

Douéra, 25 octobre 2024


Mon profil: 

Je viens de finir le manuscrit d’un livre d’art sur la vie et l’œuvre de Mustapha Adane, un des artistes le plus créatif de notre pays aujourd’hui âgé de 91 ans..


samedi 12 octobre 2024

 

Terrasse-café un vendredi matin,

avec Rachid Khettab, historien et éditeur…

 

Rendez-vous avait été pris au téléphone pour nous rencontrer ce matin tôt, à mi-chemin des lieux d’habitation de l’un et de l’autre ; Rachid Khettab venant de Ain Taya sur la côte est d’Alger et moi du Sahel ouest (Douéra)


Lumière rasante sur les collines 


Lieu de RDV, une agréable placette bien ombragée, avec des cafés-terrasse face à une ancienne église devenue bibliothèque publique…



L'église aux palmiers 

Nous nous asseyons à une table, loin des fumeurs et, en attendant la venue du serveur, Rachid me parle d’entrée de jeu de son retour de vacances dans la région de Timimoune…

Il est ravi que les routes soient désormais bien entretenues et que de nouvelles voies ont été ouvertes depuis le nord vers le sud saharien. Je déduis de ses propos qu’il a eu le plaisir, en tant que vacancier, de faire des milliers de kilomètres en voiture…

Puis il cherche dans la mémoire de son téléphone pour me montrer des photos et… tombe sur d’extraordinaires et humbles tombes d’un très vieux cimetière berbère de cette région sud-ouest du pays. A la tête de presque chaque tombe une jarre de terre cuite… On dirait que notre entretien démarre sur l’Histoire de traditions primordiales venues du fond des âges…


Oued Aissa- Daira de Charouine- Photo Rachid Khettab


Abordant d’une façon générale la nécessité du champ culturel, une évocation admirative furtive l’amène à se remémorer l’écrivain et psychiatre algérien Nabile Farés (qu’il connait bien et « qui n’a jamais pris la nationalité française », me précise-t-il) puis nous passons à son dernier ouvrage : « Docteur Mohamed Debaghine. Un intellectuel chez les plébéiens », paru à Alger, chez Dar Khattab en 2023.

Un livre qui, par sa densité, ses références, sa limpidité et sa totale nouveauté dans les recherches biographiques nationales contemporaines, mériterait bon nombre de tables rondes, de colloques, d’émissions et autres articles d’explicitation pour un très large public… Savoir, par exemple, que la bibliographie du livre cite quelques 70 livres étudiés sans compter les journaux et autres sources…

Un livre d'ailleurs commencé aux alentours de 2014-2015 et achevé en 2022...

Rachid Khattab m’avoue dans la foulée qu’ayant donné à lire son ouvrage à l’historien Mohamed Harbi, celui-ci l’ayant apprécié avait dit pour résumer le bien-fondé de l’hommage ainsi rendu avec sa pertinence professionnelle bien connue : « C’est que Lamine Debaghine connait bien l’Algérie et connait bien le monde » …



Un ouvrage où l'auteur dessine la personnalité secrète de Lamine Debaghine et met en lumière , documents à l'appui, les relations franches, le plus souvent complexes de ce dirigeant hors pair avec les héros du mouvement de libération nationale et maghrébins depuis les années 30. Ainsi de El Hadj Messali , Mohamed Belouizdad, Ahmed Bouda, Didouche Mourad, Krim Belkacem, Ferhat Abbas, Ait Ahmed, Mohamed Khider, El Mehdi Ben Barka, Allal El Fassi, Bourguiba, et tant d'autres...


Le hasard qui approfondi le tour de vis de l’Histoire…

A ce stade de nos échanges, je vois une personne que je connais (mais il ne m’a pas vu) qui traverse la terrasse à quelques mètres de nous. Je l’appelle, il se retourne et viens vers nous. C’est pratiquement un voisin du quartier pour ne pas dire presque un membre de ma famille d’il y a plus de trente ans quand nous habitions Kouba. Nadjib Berrazouane, professeur de langue anglaise qui va vite s’intégrer à nos échanges tout en avouant ne rien connaitre du célèbre personnage politique de la révolution algérienne dont nous discutions…

Ce qui nous mène à discuter de la nature et de l’équilibre des diverses sources d’historiens, d’archives et de réseaux (algériens en arabe ou en français, comme des sources françaises) sur lesquelles il a longuement travaillé pour écrire cet ouvrage précis et précieux. (Il faut dire que Rachid Khattab souligne particulièrement sa dette envers l’énorme travail d’historien de l’Algérie contemporaine fournit par le regretté Mahfoud Kaddache ; notamment son livre en deux tomes : « Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951 », paru à Alger en 1980)



Le vis de l’Histoire c’est que, un propos en amenant un autre sur la culture et son écriture, amène Nadjib à me faire remarquer que son oncle est un ami proche depuis des décennies de l’artiste Mustapha Adane dont je viens de terminer le manuscrit du récit de sa vie et de son œuvre ! Enorme détail que je ne savais évidemment pas (et comment aurais-je pu le savoir avant cette rencontre) quant à ce très vénérable personnage de Kouba âgé de 90 ans que je n’avais plus rencontré depuis un quart de siècle… J’en prends bonne note.

Nadjib étant professeur de langue anglaise nous en venons par la bande à faire des comparaisons très rapides et générales entre les études historiques de type anglo-américaine et celles qui, ici, dominent le champ culturel : à savoir les études françaises qui ne sont pas souvent (et c’est peu dire) adéquates à la très longue histoire de notre société, ses fractures, ses tragédies, mais surtout les cycles de son dynamisme sous-terrain « incroyable » …  La discussion avait démarré sur la simple notation des acronymes qui ont pour but supposé de simplifier nos connaissances : GPRA, CPA, ONU, SMS, BRICS, HSBC, OTAN, OMG, AI, SONAR, PhD, etc… L’un d’eux, nous informe Nadjib est OK… Veut-il dire : D’accord ?... Que non ! L’histoire remonte en réalité aux batailles coloniales anglaises qui après les affrontements contre les indigènes criaient de façon vantarde : OK ! c’est-à-dire « zero killed », autrement dit : zéro tués (chez nous les anglais…) R.A.S (rien à signaler) ou encore CQFD (ce qu’il fallait dire) …

La liaison est vite faite par Rachid Khettab qui nous instruit d’un algérien vivant à N.Y (New York) aux USA, ancien moudjahed, ayant écrit un livre : « Instituteurs révoltés dans l’Algérie coloniale », auteur qui s’appelle Daneil Ali Vérin. Et Rachid de faire une recherche rapide sur son portable pour nous présenter « l’ami américain » et la couverture de son ouvrage…


Mine de rien, depuis 8 heures trente, heure de ma rencontre avec Rachid, le temps a passé comme un enchantement. Il est déjà 11 heures et Nadjib s’excuse pour prendre congé…

Nous le retenons encore moi et Rachid pour qu’il nous éclaire sur la question de l’apprentissage des langues concernant deux adultes bien âges comme nous sommes…

Bien sûr, il y a des solutions. Il explique, il donne des exemples et nous donne même rendez-vous pour débuter dès le week-end prochain. Ici on peut « dire » : que l’histoire passe du trot au galop !

Avant de nous séparer nous demandons gentiment à un client assis pas loin de nous s’il veut bien nous prendre une photo à nous trois, qui nous a entendu débattre d’histoire (avec grand et petit h) pendant plus de deux heures. Plus que le temps d’un film ou d’une émission-débat habituelle sur YouTube…



Nadjib, Abderrahmane et Rachid, ou l’histoire d’une photo un vendredi matin…

 

Mais pour Rachid et moi ce n’est pas encore tout à fait terminé. Nous poursuivons un moment sur le débarquement américain TORCH en Afrique du nord (Oran, Alger particulièrement) en 1942 ; un fait d’histoire qui occupe une position très sensible (si ce n’est un fait de rupture dans l’histoire du mouvement révolutionnaire algérien (il faut pour cela lire patiemment le chapitre IV de la 1ere partie de l’ouvrage de Rachid Khettab qui développe sur « les promesses américaines de 1942 » et, surtout, l’occasion d’un soulèvement raté en 1942 », étant entendu que la France avait été défaite par l’armée de Hitler et que l’Algérie vivait douloureusement sous la férule du maréchal Pétain)…

Puis vient évidemment l’honneur d’avoir pour moi une dédicace de ce livre extraordinaire, non pas comme d’habitude en librairie, mais à la terrasse d’un café par une matinée lumineusement ombrée d’automne…




Surprise… Surprise ?...

Notre rencontre aurait pu se clore là…

Rachid avait une surprise pour moi. Un dernier livre que sa petite et courageuse maison d’édition venait de mettre à jour.

En arrivant prés de sa voiture en stationnement, il ouvre la malle du véhicule et, là, je vois des paquets de « Lamine Debaghine » empaquetés sous cellophane, mais également un autre petit ouvrage de couleur sable… Timimoune ?

 Il en prend un exemplaire et me l’offre. Non ce n’est pas Timimoun, mais « LAWCEM » … Ce qui me rappelle le fameux manifeste AOUCHEM, premier du genre, diffusé à Alger par un groupe de jeunes artistes algériens engagés en 1967et amoureux du patrimoine de l’art populaire … Une « autre histoire », en réalité intimement liée, dans le cadre de la longue durée, à celle du mouvent de libération nationale qui se poursuit jusqu’à nos jours. La vis sans fin…





Abderrahmane Djelfaoui

12 octobre 2024