Décembre 1884- Décembre 2024 :
Il y a 140 ans naissait Omar Racim…
Image de la page de
couverture du catalogue « Omar Racim 1884-1959 », en date de février
2009, dû à « Makhbar el-hadhâri, li-jami’at el-jazaïr » …
Abdelkader
Boumoula, calligraphe, ayant fait des études à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger qu'il a ensuite poursuivi au Caire, m’a invité à passer à son atelier au Bois des arcades, à
Alger…
Même s’il fait très frais et gris dehors, le courant passe vite. Nous plongeons à la seconde même dans l’univers des frères Mohamed et Omar Racim dont la vie et les travaux le passionne depuis des décennies.
En fait, après m’avoir donné de plein fouet l’information qu’une miniature de Mohamed Racim venait de se vendre il y a à peine une semaine en France à quelques 27 300 euros [Que dire de plus ? Que dire de sensé ?..] Abdelkader, sortant au fur et à mesure, livres, catalogues et documents de sa riche bibliothèque murale, engage l’essentiel de l’entretien sur Omar Racim, son itinéraire et son œuvre.
Les gens qui
ont de grandes bibliothèques m’ont toujours respectueusement impressionné, non
pas parce qu’ils seraient plus intelligents que les autres, mais certainement
plus patients dans l’étude, dans l’étendue de leurs recherches ; plus
attentifs également aux leçons humaines sur la longue durée. Une bibliothèque
qui nous aura permis d’évoquer au passage autant un Hamid Tahri (son livre biographique
sur Sid Ahmed Serri), que la fameuse revue allemande de qualité «Fikrun wa
fen », des revues égyptiennes, celles de l’UNESCO, etc, etc…
Abdelkader Boumala dans son atelier
UN HOMMME
D’UN AUTRE SIECLE ?
« Son nom complet, selon les traditions musulmanes
qui soulignent la filiation, était Omar Ben Ali ben Saïd ben Mohamed Racim el
Bijaï » ; puis mon hôte ajoute qu’il arrivait à Omar Racim de signer certains de ses
textes du patronyme de Es-Sanhadji… Malgré son ton calme, mesuré, Abdelkader Boumala déroule d’innombrables informations en un récit captivant et,
soyons francs, qui m'interpelle de façon critique sur ma méconnaissance
du sujet, certains de ses hauts faits comme certaines zones d’ombre. C’est que
ce calligraphe est aussi un excellent pédagogue.
Omar Racim nait il y a donc plus d’un siècle et demi, le 23
décembre 1884, dans la maison paternelle située au haut de la Casbah, rue qui
porte aujourd’hui le nom des frères Racim. La famille est nombreuse, elle se
compose de cinq filles et de deux garçons : lui-même, Omar, puis Mohamed.
Abdelkader Boumala souligne que tous les documents et
témoignages en sa possession certifient l’éveil remarquable précoce de l’enfant
puis de l’adolescent à assimiler le Coran, les savoirs et savoir-faire de son
environnement dans la Casbah du 19 -ème siècle finissant, alors que l’Algérie
colonisée, son peuple surtout, se trouvait ravalé à un état de
sous-humanité…
Ces dispositions engageront Omar Racim de façon active avant la 1ere Guerre mondiale dans le réformisme musulman dont l’icône est alors Mohamed Abdou qui est d’ailleurs venu faire une visite à Alger et que le jeuner Omar, à peine âgé de 19 ans, rencontrera en présence du Cheikh Abdelhalim Bensmaïa... Omar Racim fera d'ailleurs lui-même, à l'âge de 25 ans, en 1909, son premier voyage au Caire où il sera profondément impressionné par le développement général de la culture et particulièrement de la presse écrite, situation à l'opposé tragique de ce qui se passe dans son pays...
Pour l'heure il commence d’abord sa vie active comme ouvrier
d’imprimerie, très tôt, s’occupe d’une association théâtrale, fait du
journalisme, puis tente de créer une revue du nom de « El Dzazair »,
assure la rédaction et la calligraphie d’un journal oranais (El Haq el
Wahrani), avant de pouvoir créer son propre journal : « Dou el-Fakar»
à Alger, rue Rovigo …
Exemplaire du Dimanche 14 juin 1914.
14 jours après la sortie de ce numéro, le prétexte de l’assassinat de
l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche provoque le début des hostilités en
Europe avant d’embraser prés d’une vingtaine de nations en Afrique, en Asie ;
dans l’Océan Atlantique enfin. On l’appellera La Grande Guerre.
LES
ALGERIENS AU CŒUR D’UN CONFLIT MONDIAL.
Nous savons aujourd’hui que dans cette guerre qui n’était
pas la nôtre, près de 300 000 soldats nord africains y ont
participés ; sur ce nombre plus de 28 000 y sont morts et
enterrés ; près de 8000 autres sont portés disparus à jamais…
Et qu’en est-il du journal de Omar Racim ? L’administration
coloniale ordonne la fermeture du journal le jour même de l’assassinat à
Sarajevo. Un an plus tard, Omar Racim est arrêté.
Abdelkader Boumala dans un livre d’art collectif sur les
Racim, écrivait au chapitre « Face aux tribunaux » :
« [des] sources affirment, qu’au début de la guerre,
[Omar Racim] était en relation épistolaire avec des nationalistes militants
égyptiens. Une de ces lettres aurait échouée entre les mains des services
britanniques qui l’auraient transmise aux autorités coloniales en Algérie. Cette
affaire était liée à l’arrestation des militants égyptiens Mohamed Talaat et
Amine Arraf’i, éditorialistes politiques dans un certain nombre de journaux
égyptiens de l’époque, comme « Ech-Chaab », publication dont Omar
Racim était le correspondant algérien ». L’intellectuel et artiste
devait être exilé définitivement au bagne en Guyane à plus de 6000 kms de
l’Algérie…
« Omar Racim est emprisonné à Barberousse, dans la cellule d’isolement n° 40. Et c’est sa famille qui le pourvoyait en nourriture car l’administration coloniale n’avait pas prévu de budget pour les prisonniers destinés au bagne ». Une détention tragique qui durera 6 ans soit plus de 2000 jours et 2000 nuits...
L’OISEAU
EMPRISONNE
Loupe en main, Abdelkader Boumala me détaille le
magnifique tableau à l’enluminure végétale avec un oiseau en son centre. Daté
de 1920 (Omar Racim ayant 36 ans), cette œuvre est réalisée en prison, en état
d’isolement total par rapport au monde. L’oiseau, c’est évidemment le prisonnier lui-même…
Cette tragédie
carcérale marquera à jamais Omar Racim qui, de plus, après sa libération se sent délaissé sinon honni par une partie des élites algériennes malhonnêtes et
couardes, comme il y en a d’ailleurs toujours eu dans toutes les sociétés et à
toutes les époques… Il se remet cependant au travail avec courage, abnégation
et une grande créativité artistique qui le mènera à s’occuper aussi de musique
andalouse… En 1931 il dessine la couverture de l’ouvrage « Kitab el
Djazair » de Ahmed Tewfik El Madani (historien et homme politique algérien/ 1899-1983).
La discussion
et les découvertes (mes découvertes) duraient depuis plus d’une heure et demie (ce que
je ne fais que synthétiser très fort ici), quand arriva un autre calligraphe et
peintre connu, un ami et ancien camarade d’études de Abdelkader Boumala :
Boukéroui Tahar, qui, après l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger, a poursuivi de longues années d'études quant à la calligraphie et la miniature aussi bien à Téhéran (Iran) qu' à Boston (USA). ..
Midi était passée de loin. Allions nous déjeuner tous les trois ensemble. Je ne pouvais pas et m'en excusais. Je devais faire mes courses domestiques puis repartir vers chez moi à plus de 30 kms de là…
Je ne
repartais toutefois pas les mains vides. Abdelkader Boumala me fit l’honneur
de me prêter la copie de son magister soutenu avec mention
« Excellent » en 2007 à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger. Un
ouvrage de recherche et de vulgarisation précieux, de plus de 300 pages, qui
était « à deux doigts d’être édité » mais qui reste
malheureusement dans son carton pour on ne sait combien de décennies encore…
Abderrahmane Djelfaoui
25 décembre 2024
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