mercredi 25 décembre 2024

Décembre 1884- Décembre 2024 : Il y a 140 ans naissait Omar Racim…

 

Décembre 1884- Décembre 2024 : 

Il y a 140 ans naissait Omar Racim…



Image de la page de couverture du catalogue « Omar Racim 1884-1959 », en date de février 2009, dû à « Makhbar el-hadhâri, li-jami’at el-jazaïr » …

 

Abdelkader Boumoula, calligraphe, ayant fait des études à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger qu'il a ensuite poursuivi au Caire, m’a invité à passer à son atelier au Bois des arcades, à Alger…

Même s’il fait très frais et gris dehors, le courant passe vite. Nous plongeons à la seconde même dans l’univers des frères Mohamed et Omar Racim dont la vie et les travaux le passionne depuis des décennies.

En fait, après m’avoir donné de plein fouet l’information qu’une miniature de Mohamed Racim venait  de se vendre il y a à peine une semaine en France à quelques 27 300 euros [Que dire de plus ? Que dire de sensé ?..] Abdelkader, sortant au fur et à mesure, livres, catalogues et documents de sa riche bibliothèque murale, engage l’essentiel de l’entretien sur Omar Racim, son itinéraire et son œuvre.

Les gens qui ont de grandes bibliothèques m’ont toujours respectueusement impressionné, non pas parce qu’ils seraient plus intelligents que les autres, mais certainement plus patients dans l’étude, dans l’étendue de leurs recherches ; plus attentifs également aux leçons humaines sur la longue durée. Une bibliothèque qui nous aura permis d’évoquer au passage autant un Hamid Tahri (son livre biographique sur Sid Ahmed Serri), que la fameuse revue allemande de qualité «Fikrun wa fen », des revues égyptiennes, celles de l’UNESCO, etc, etc…   


Abdelkader Boumala dans son atelier

 

UN HOMMME D’UN AUTRE SIECLE ?

« Son nom complet, selon les traditions musulmanes qui soulignent la filiation, était Omar Ben Ali ben Saïd ben Mohamed Racim el Bijaï » ; puis mon hôte ajoute qu’il arrivait à Omar Racim de signer certains de ses textes du patronyme de Es-Sanhadji… Malgré son ton calme, mesuré, Abdelkader Boumala déroule d’innombrables informations en un récit captivant et, soyons francs, qui m'interpelle de façon critique sur ma méconnaissance du sujet, certains de ses hauts faits comme certaines zones d’ombre. C’est que ce calligraphe est aussi un excellent pédagogue.

Omar Racim nait il y a donc plus d’un siècle et demi, le 23 décembre 1884, dans la maison paternelle située au haut de la Casbah, rue qui porte aujourd’hui le nom des frères Racim. La famille est nombreuse, elle se compose de cinq filles et de deux garçons : lui-même, Omar, puis Mohamed. 

Abdelkader Boumala souligne que tous les documents et témoignages en sa possession certifient l’éveil remarquable précoce de l’enfant puis de l’adolescent à assimiler le Coran, les savoirs et savoir-faire de son environnement dans la Casbah du 19 -ème siècle finissant, alors que l’Algérie colonisée, son peuple surtout, se trouvait ravalé à un état de sous-humanité…

 Ces dispositions engageront Omar Racim de façon active avant la 1ere Guerre mondiale dans le réformisme musulman dont l’icône est alors Mohamed Abdou qui est d’ailleurs venu faire une visite à Alger et que le jeuner Omar, à peine âgé de 19 ans, rencontrera en présence du Cheikh Abdelhalim Bensmaïa... Omar Racim fera d'ailleurs lui-même, à l'âge de 25 ans, en 1909, son premier voyage au Caire où il sera profondément impressionné par le développement général de la culture et particulièrement de la presse écrite, situation à l'opposé tragique de ce qui se passe dans son pays...

Pour l'heure il commence d’abord sa vie active comme ouvrier d’imprimerie, très tôt, s’occupe d’une association théâtrale, fait du journalisme, puis tente de créer une revue du nom de « El Dzazair », assure la rédaction et la calligraphie d’un journal oranais (El Haq el Wahrani), avant de pouvoir créer son propre journal : « Dou el-Fakar» à Alger, rue Rovigo …


Exemplaire du Dimanche 14 juin 1914. 14 jours après la sortie de ce numéro, le prétexte de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche provoque le début des hostilités en Europe avant d’embraser prés d’une vingtaine de nations en Afrique, en Asie ; dans l’Océan Atlantique enfin. On l’appellera La Grande Guerre.


LES ALGERIENS AU CŒUR D’UN CONFLIT MONDIAL.

Nous savons aujourd’hui que dans cette guerre qui n’était pas la nôtre, près de 300 000 soldats nord africains y ont participés ; sur ce nombre plus de 28 000 y sont morts et enterrés ; près de 8000 autres sont portés disparus à jamais…

Et qu’en est-il du journal de Omar Racim ? L’administration coloniale ordonne la fermeture du journal le jour même de l’assassinat à Sarajevo. Un an plus tard, Omar Racim est arrêté.

Abdelkader Boumala dans un livre d’art collectif sur les Racim, écrivait au chapitre « Face aux tribunaux » :

« [des] sources affirment, qu’au début de la guerre, [Omar Racim] était en relation épistolaire avec des nationalistes militants égyptiens. Une de ces lettres aurait échouée entre les mains des services britanniques qui l’auraient transmise aux autorités coloniales en Algérie. Cette affaire était liée à l’arrestation des militants égyptiens Mohamed Talaat et Amine Arraf’i, éditorialistes politiques dans un certain nombre de journaux égyptiens de l’époque, comme « Ech-Chaab », publication dont Omar Racim était le correspondant algérien ». L’intellectuel et artiste devait être exilé définitivement au bagne en Guyane à plus de 6000 kms de l’Algérie…

« Omar Racim est emprisonné à Barberousse, dans la cellule d’isolement n° 40. Et c’est sa famille qui le pourvoyait en nourriture car l’administration coloniale n’avait pas prévu de budget pour les prisonniers destinés au bagne ». Une détention tragique qui durera 6 ans soit plus de 2000 jours et 2000 nuits...

 

L’OISEAU EMPRISONNE



Loupe en main, Abdelkader Boumala me détaille le magnifique tableau à l’enluminure végétale avec un oiseau en son centre. Daté de 1920 (Omar Racim ayant 36 ans), cette œuvre est réalisée en prison, en état d’isolement total par rapport au monde. L’oiseau, c’est évidemment le prisonnier lui-même…



Cette tragédie carcérale marquera à jamais Omar Racim qui, de plus, après sa libération se sent délaissé sinon honni par une partie des élites algériennes malhonnêtes et couardes, comme il y en a d’ailleurs toujours eu dans toutes les sociétés et à toutes les époques… Il se remet cependant au travail avec courage, abnégation et une grande créativité artistique qui le mènera à s’occuper aussi de musique andalouse… En 1931 il dessine la couverture de l’ouvrage « Kitab el Djazair » de Ahmed Tewfik El Madani (historien et homme politique algérien/ 1899-1983).

La discussion et les découvertes (mes découvertes) duraient depuis plus d’une heure et demie (ce que je ne fais que synthétiser très fort ici), quand arriva un autre calligraphe et peintre connu, un ami et ancien camarade d’études de Abdelkader Boumala : Boukéroui Tahar, qui, après l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger, a poursuivi de longues années d'études quant à la calligraphie et la miniature aussi bien à Téhéran (Iran) qu' à Boston (USA). ..




Midi était passée de loin. Allions nous déjeuner tous les trois ensemble. Je ne pouvais pas et m'en excusais. Je devais faire mes courses domestiques puis repartir vers chez moi à plus de 30 kms de là… 

Je ne repartais toutefois pas les mains vides. Abdelkader Boumala me fit l’honneur de me prêter la copie de son magister soutenu avec mention « Excellent » en 2007 à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger. Un ouvrage de recherche et de vulgarisation précieux, de plus de 300 pages, qui était « à deux doigts d’être édité » mais qui reste malheureusement dans son carton pour on ne sait combien de décennies encore…






Abderrahmane Djelfaoui

25 décembre 2024


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire