Alger-Paris-Le Caire dans l’Atelier
du Calligraphe
Abdelkader Boumala.
-----------------(1ere partie) ----------------
Quand on entre pour la première fois, on se dit que cet atelier ne semble pas fait pour recevoir plus de trois personnes à la fois…
A droite de
l’entrée, c’est un mur entier qui fait bibliothèque jusqu’au plafond. Des
centaines de livres d’art, livres rares, encyclopédie, revues et catalogues y
sont minutieusement rangés. Impeccablement ordonnés.
Face à ce mur, l’artiste expose aussi jusqu’au plus haut sa collection de calligraphies encadrées ; la plupart sont signées par d’autres artistes ; seules deux ou trois sont siennes…
Calligraphier Jibran Khalil Jibran.
A peine installés, je lui pose immédiatement la question de comment il a élaboré la belle calligraphie d’un extrait du célèbre « Jardin du Prophète » du poète et artiste visuel libanais…
« Comme
toujours je ne choisis qu’un texte que je sens et qui me touche, sinon je ne le
fais pas. C’est pour ça que je ne prends pas de commande, pour qu’on ne m’impose
pas un texte qui ne me dit rien… »
« Le jardin du
Prophète » (détail). – 50 cm x 60 cm - 1988
Une calligraphie qui donne à
la fois l’impression
d’une architecture marbrée
et d’une partition musicale
(Photographie : Abderrahmane
Djelfaoui)
« Cet
extrait de « Hâdiqet en-nabbi » de Jibran Khalil Jibran, je
le découvrais pour la première fois, vers 1976, peint sur le mur d’un restaurant
en France. Il m’a plu… J’ai demandé à un ami de m’acheter le livre et il m’est
resté longtemps en tête avant que je le réalise. Ce texte écrit dans les années
30 je le trouve toujours d’actualité en 2025 ! En plus de la
profondeur du texte c’est le mot très fort de Wayloun, Wayloun, Wayloun qui
revient que j’ai rehaussé en or dans le style koufi ; le reste du texte en
différentes couleurs en naskhi… ».
Un exemple
d’esquisse sur le thème de la beauté…
« Je fais beaucoup plus de calligraphie moderne que de miniature, et l’inspiration vient quand ça vient ! Le message que je veux transmettre est généralement tiré du Livre Saint ou des dires de Ali Ben Abi Taleb que j’adore…Un texte court… Après avoir trouvé le texte qui me convainc, reste la manière de le travailler ; et là commence la recherche, les esquisses…Des étapes où j’essaie de mettre ce que j’ai dans la tête sur du papier par le biais de plusieurs essais de lignes, de styles… Qu’est-ce qu’il est possible de transmettre par la forme, la graphie ?... Y a-t-il ou pas une harmonie ? … Et quand je sens que ça va donner, je commence à travailler au propre ; tout au long de ce travail le temps n’existe alors plus pour moi !.. Voilà l’exemple d’un travail sur un verset coranique : Badi3ou essamaouâti oua el ardi qui traine depuis plus de deux ans et dont la finition n’aboutit pas encore… Badi3, c’est le Beau, plus que le Beau… »
Sur l’enluminure du fond, l’artiste
appose plusieurs essais de calques au crayon…
Sachant la fine connaissance de Boumala des travaux calligraphiques de Omar et Mohamed Racim ainsi que de leur oncle et de leur père Ali et Mohamed, je lui demande ce qu’il sait de leurs rapports à l’Écrit.
« Ce sont pour la plupart des textes
coraniques qui ont un rapport avec la Beauté, sinon les thèmes de la Victoire,
avec un côté nationaliste… L’avantage des frères Racim (le père et l’oncle) est
qu’ils avaient deux ateliers dans la Casbah au 19 -ème siècle. Ces ateliers étaient
visités par des gens de haut niveau, des hommes de lettres de l’époque, par le
Gouverneur général de 1890 et sa femme, par Mohamed Abdou en 1903 en présence
de Omar Racim qui n’avait que 19 ans… Dans le même sens, Omar Racim aura par la
suite des relations importantes avec Tewfik El Madani, avec le poète Mohamed
Laid Khalifa, avec la musique et les musiciens algériens, des écrivains
européens, des personnalités du monde de la presse et de la culture au Caire… »
Mon interlocuteur en profite pour rappeler que Omar
Racim fut l’auteur de nombreuses plaques de rues émaillées, pour la plupart de
la Casbah qui ont malheureusement disparues avant la fin de la guerre de
libération nationale et dont il ne nous reste que des photos…
Une parmi les nombreuses plaques de rues réalisées par Omar
Racim (1884-1959)
Flash-back sur les études d’art de Boumala à Alger puis
au Caire.
Après deux ans
d’études à l’Ecole des beaux-arts d’Alger (1972-74), Abdelkader Boumala avait
obtenu à l’âge de 22 ans une bourse pour se spécialiser dans l’écriture et la
dorure à l’Ecole de perfectionnement en Calligraphie Arabe du Caire. Il y
arrive après la guerre du Kippour contre Israël menée par Sadate et El Assad…
La situation sociale est très difficile. Le Caire à lui seul compte déjà (il y
a 50 ans) 6 millions d’habitants !.. Pourtant Boumala, studieux, va
demeurer là pendant quatre ans.
« Il
faut dire que si chez nous chacun vit et travaille dans son petit coin, en
Egypte ce n’est pas la même chose parce qu’ils ont des cercles où les gens se
rencontrent en tant que musiciens, plasticiens, calligraphes, poètes et mêmes
les étudiants ont leurs nawadi! Dans ce cadre en tant qu’étudiants nous
voulions connaitre les calligraphes, connaitre aussi l’histoire des anciens
calligraphes et comment ils travaillaient. De plus en visitant les souks populaires
on trouvait des calligraphies imprimées ou leurs reproductions en noir et blanc
en vente, souvent pas cher d’ailleurs… »
C’est dans
cette ville légendaire du Caire que le jeune Abdelkader mûri la pratique et la
réflexion de son art particulièrement au contact quotidien de deux de ses professeurs.
L’un qui enseignait l’enluminure était attaché à la réalisation d’objets au
palais royal. Le second, le plus important était Sayed Ibrahim, célèbre
calligraphe et poète…
Des rayons de sa bibliothèque Abdelkader retire deux
gros ouvrages d’art bien reliés. Une biographie et l’autre qui contient
l’ensemble des œuvres calligraphiques du maître ; beaux livres que Sayed
Ibrahim lui a dédicacés…
J’apprends que
né en 1897 au Caire, Sayed Ibrahim enseigne à l’Ecole de perfectionnement en
calligraphie du Caire depuis 1938 puis à l’Université américaine du Caire de
1970 à 1977. En 1946 il participe à la création au Caire de la revue
d’avant-garde littéraire Appolo …
Pour ce qui
concerne l’Algérie : l’historien Abou El Kassem Saadallah fut l’élève de
Sayed Ibrahim au Caire en 1957 ; ce sera ensuite le tour de Mohamed
Chérifi (aujourd’hui célèbre doyen des calligraphes algériens, né en 1935) qui
obtiendra le premier Prix de la Calligraphie arabe en 1962 sous la direction de
Sayed Ibrahim…
Il faut aussi
savoir que l’institut international pour l’histoire des arts et du patrimoine
d’Istamboul (IRCICA) a honoré la compétition internationale de calligraphie de
l’an 2000 du nom : « Sayed Ibrahim Compétition » … Le destin a
voulu que Abdelkader Boumala est rejoint à la même Ecole du Caire en 1976 par
le calligraphe Mohamed Bouthlidja, natif de Souk Ahras, qui venait de passer
une année à l’Ecole supérieure des beaux-arts de Paris…
« Sayed
Ibrahim était un grand monsieur qui avait son propre atelier et un niveau de
vie appréciable. Nous nous rencontrions en dehors des cours et il m’invitait
chez lui en famille en tant qu’étudiant… »
On voit sur
cette photo des années 70, le maître chez lui près de l’une de ses
calligraphies encadrée, entouré de Abdelkader Boumala agenouillé au premier
plan (en veston à col rouge) à côté de son fils Khaled Sid Ibrahim et derrière
lui Salah Bibriss qui venait de terminer ses études de calligraphie…
Retour
d’Orient…
« Sorti major de promotion de l’Ecole du Caire, je
suis revenu en Algérie, fin des années 70, avec tout ce que j’avais découvert
et appris de longues années durant sur les calligraphies dans la vieille
université d’El Azhar, dans les mosquées de Sidna Hussein, d’Ibn Touloun, d’Ibn
El ‘As et d’autres, dans les palais, les coupoles, celles gravées sur le marbre
et même celles de l’Egypte antique.. Mon souhait alors était de travailler avec
le bureau d’études de la Sonatrach qui a réalisé la grande mosquée de
Constantine. Ce souhait fabuleux ne s’est pas réalisé… C’était
d’autant plus décevant que ce type de travaux dans nos mosquées n’existait pas
à l’époque ; sauf dans quelques zaouias…»
Modernité de
la recherche à la charnière des années 70-80.
« A
l’époque j’étais impressionné par le travail du peintre Vasarely. A la
réflexion je me suis dit : pourquoi ne pas travailler mieux que lui mon
texte alors que son travail ne se fait que sur la forme… C’est ainsi que
j’ai travaillé trois versions du même texte sous trois formes de lignes, de dégradés
de couleur froide ou chaude jusqu’au noir et blanc intégral ou le texte n’est
plus lisible … C’est un travail que j’ai mené d’une seule traite durant
les 48 heures qui ont suivies le décès du Président Houari Boumediene… »
« Oua Ma Arsalnaka
Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.
De haut en bas et de droite
à gauche le texte est ici entièrement lisible.
« Oua Ma Arsalnaka
Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.
Difficulté de lecture ;
moins de 50 % du texte est décryptable…
« Oua Ma Arsalnaka
Illa Rahmatan Lil- ‘Alamîn ». En koufi carré. 60 cm x 40 cm. 1978.
Mis à part quelques
lettres, le texte est illisible.
*
Sur l’approfondissement de cette recherche en calligraphie algérienne moderne, nous reviendront dans la seconde partie de ce récit avec son croisement avec différentes autres fonctions occupées successivement par l’artiste jusqu’à son aboutissement dans les actuelles années du 21 eme siècle.
Abderrahmane Djelfaoui
Bois des Arcades (Riadh El Feth) – Douéra
Février – Mars 2025