mercredi 28 mai 2014

Mostefa Nedjaï : un peintre prodige (2è partie)



Lumières et parfums d’Espagne !
« Et moi je découvrais réellement avec eux la démocratie »…

Interview (mai 1998)




A. D. Est ce qu’on peut dire que ton arrivée en Espagne a été un renouveau ?

Mostefa Nedjaï. Du point de vue de l’art, c’est vrai. Mais entre l’Algérie et l’Espagne, il y a beaucoup de choses qui sont communes. Le caractère Méditerranéen. Nous nous ressemblons énormément entre espagnols et algériens. Le sens de l’humour, par exemple. Tu lui racontes n’importe laquelle de nos blagues, une sur Chadli par exemple, il meurt de rire ! Ce n’est pas le cas des nordiques. Cela sans parler de la gastronomie, des parfums, de l’agriculture. J’étais à Valence, et Valence c’est un peu comme la Mitidja de chez nous : des orangeraies… Ca veut dire qu’on se retrouve totalement. Le seul problème en première année c’était la langue, sinon pour le reste on se sentait comme chez soi, totalement.

            Ceci dit, à l’intérieur de la Faculté des beaux-arts, l’enseignement n’avait rien à voir avec ce que j’avais connu auparavant à Alger. Parce que tout y est coordonné. Par exemple pour les études d’anatomie, nous avions des exercices pratiques que ce soit en peinture, en sculpture, etc. Il y a un lien. Ca voulait dire que si tu n’arrivais par exemple pas à tenir le fil de telle matière principale dans une des disciplines artistiques, tu avais encore la possibilité de le faire par une autre. Pour aider à assimiler. Les cours ne se faisaient pas au hasard…


Dessin 1987

A. D. Tu veux parler de la cohérence d’ensemble du programme d’apprentissage ?

M. N. On pouvait avoir l’impression d’un éparpillement, mais, par exemple, si on avait travaillé le pied en anatomie, on pouvait retrouver le bras en sculpture. C’était lié. Il y avait une meilleure coordination du programme qu’à l’Ecole des beaux-arts d’Alger pour l’assimilation des différentes matières et des techniques. En sus de cela, il y avait toujours à la Faculté des arts de Valence des expositions, des invitations, des personnalités de la peinture espagnole ou européenne, beaucoup de conférences et beaucoup de travail à faire à la maison en dehors des cours. On exigeait de vous, par exemple, d’acheter tel livre à étudier, mais on vous conseillait aussi en même temps toute une liste d’autres ouvrages à consulter, à lire, pour se nourrir intellectuellement…
            Quand il y avait des expositions intéressantes, on y allait avec nos professeurs. On fréquentait également les musées avec eux. Avec les professeurs, le contact était direct…

A. D. Pas d’attitude académique ou de type mandarinale ?

M. N. Oui. Le professeur est vraiment là pour vous aider dans votre entreprise artistique. L’atmosphère avec eux était familiale. Nous étions amis. Je me rappelle bien comment à cette époque mes professeurs me laissaient leur numéro de téléphone, tout  en sachant que j’étais étranger: Mostefa si tu as des problèmes, si il y a quelque chose que tu n’as pas compris, téléphones à la maison, on peut se retrouver, prendre un café et discuter. Ca c’est extraordinaire !
            Sincèrement, tout en pensant que Valence était une des meilleures universités d’Espagne, je dois dire que j’ai beaucoup plus appris à l’extérieur de cette faculté… Parce qu’en dehors de cette université il y a aussi de véritables milieux artistiques, ce que nous n’avons pas du tout chez nous, c’est à dire des lieux de rencontres entre intellectuels et artistes. Il y a comme ça différents espaces, différentes petites galeries par exemple pour les postmodernistes à l’époque, etc. Et cela est extraordinaire, parce qu’on apprend beaucoup dans l’échange direct avec les peintres, les poètes. C’est aussi ce milieu qui a existé et existe encore en France mais qui nous manque totalement ici.
 

Dessin sur papier photo en 1985 

Espagne 80 : la movida !

     A. D. Tu parles là de l’Espagne des années 80, c’est à dire des années où elle explose, si l’on peut dire, en retrouvant une véritable vie démocratique?

M. N. Carrément ! J’ai bien senti cette influence. A mes premières expositions tout le monde me disait que je faisais une peinture un peu politique. Ce n’est pas vrai. C’étaient des préoccupations personnelles. Parce qu’à cette époque j’étais imbibé par ce coté historique de l’Espagne. Les espagnols venaient juste de sortir du franquisme. Et moi je découvrais réellement avec eux la démocratie. Avec eux j’ai vécu les aspirations des jeunes, j’ai vécu cette histoire, cette mouvance dans le pays. Depuis l’Espagne, je rêvais de la démocratie chez moi. En rentrant ici, je ne rêvais que de ça, parce que j’ai vécu cet instant de déclic et de métamorphose…. Et c’était formidable de l’avoir vécu…
            Après octobre 88 je me libérais. J’étais tellement content ! Je me disais : ce n’est pas vrai ! J’ai de la chance : j’ai été là-bas, je reviens et je la retrouve ici !..

A.D. Tu es revenu préparé à l’émergence de la démocratie…

M. N. Totalement ! Même mes amis me disaient, en rigolant : Ah ya Mostefa laisse tomber la politique et parle nous un peu d’autre chose… C’est vrai que j’en étais bien imbibé, parce que j’avais vécu cela directement…

A.D. Mais est-ce que durant cette période des années 80 tu peignais déjà là bas, non pas seulement bien sûr en tant qu’étudiant à la faculté des beaux-arts pour les besoins des cours, mais est-ce que tu peignais pour tes propres besoins d’expression artistiques ? As-tu exposé ?


La place de la Vierge à Valence 
derrière laquelle commence le Bario d’El Carmen du 14èm siècle…


M.N. … Je suis arrivé en Espagne en 1980. J’étais étonné de me retrouver en pays de connaissance…Les villages autour de Valence avaient des noms arabes… Tous les dimanches matin sur la place de la cathédrale il y avait des rencontres traditionnelles pour le partage de l’eau : « las azequias », c’est-à-dire Saquiet el mâ…Si ce n’était la langue j’étais comme chez moi …
Donc, 1980/81, j’ai fait une année de langue et en 1982 j’ai commencé les cours à l’université des beaux-arts. Si j’ai eu à refaire mes études faites à Alger, c’est que nous nous sommes trouvés confronté à un problème de validité et de reconnaissance de nos diplômes. En principe nous devions intégrer les cours de deuxième année directement, peut-être même ceux de troisième année. Mais malheureusement il y avait ce type de problème non réglé d’Etat à Etat. Ce qui m’a obligé de « recommencer » en première année. Mais mes professeurs, que ce soit d’ailleurs en peinture ou en dessin, ont vite remarqué que ce que je faisais n’était pas du niveau de première année. Déjà aux Beaux-arts d’Alger je peignais. Je faisais peut être du n’importe quoi, mais il n’empêche que j’avais commencé… Alors mon prof de peinture à Valence quand il a vu mes travaux faisais m’a carrément dit : mais mon ami ou tu viens m’aider à enseigner ou tu restes à la maison peindre ce que tu veux et je te note à la fin de l’année
            Ca a été le déclic ! J’ai commencé à peindre chez moi, tout en pensant à exposer. En 1982 même j’avais fait ma première exposition « Tassili, an 7000 » faite de gravures, de lithographies, de sérigraphies et de grandes toiles aussi.

A. D. A Valence ?

M. N. Oui, à l’Institut français de Valence. Mais si ça s’appelait « Tassili, an 7000 », ça n’avait rien à voir avec les figurines que l’on connaît du Tassili. J’ai vu des gens de chez nous travailler sur le Tassili, ils ne font que reprendre ce qu’ils ont vu au Tassili. Moi, à l’époque, j’avais totalement réalisé ce travail dans l’idée de la Trans Avant-garde. Bien sûr, j’ai utilisé quelques figurines humaines, mais c’était dans une thématique d’époque, mais pas du tout reproduire pour reproduire !..
Mais pardon, cela c’était en 1983, parce qu’en 1982  j’avais fait une première série sur « Texture calligraphique » en travaillant avec des matériaux comme le sable, le papier mâché, etc…
C’est donc en 83 que j’avais fait la série du « Tassili »…

« Tassili, an 7000 », 1986 


A. D. Toutes séries que tu avais exposées là bas ?

M. N.. Bien sûr, j’ai exposé à Valence. Avec la seconde exposition, j’ai fait Valence puis une tournée, payée par le Ministère espagnol de la culture, dans sept villes de la Castilla de la Mancha.
A la suite de ça, nous avons Javier Manas,  Nora Labbaci et  moi-même formé le groupe « Art 3 », et nous avons travaillé sur des thématiques espace / temps chacun selon sa vision.
Nous avons eu tous les trois la chance de faire la même tournée dans les sept villes de la Castilla de la Mancha, une tournée prise en charge et tous frais payés…

« Tassili, an 7000 » , 1986



A. D. Tu étais en quelque sorte un étudiant spécial ! Étudiant sans être un étudiant parce que déjà artiste peintre…

M N. Oui, en peinture c’était clair parce que dés le début, comme je te l’ai déjà dit, mon professeur avait constaté que j’étais un peu en avance. C’est pourquoi il m’a donné cette totale liberté en me proposant soit de venir l’aider en cours soit de rester peindre, chez moi, dans un appartement de quatre pièces… D’ailleurs à chaque fois que je faisais une exposition, je l’invitais à l’inauguration ; il venait voir et, en même temps, c’était ma note en peinture. Nous avons fait ainsi en première, deuxième et troisième année.
Ce qui veut dire que je faisais la peinture que je voulais. Même quand j’allais en classe et alors que les autres étudiants travaillaient sur le thème donné par le professeur, moi je travaillais sur mon propre thème. En fait mon professeur avait remarqué qu’il n’était pas nécessaire de m’imposer des orientations de travail comme on le fait d’habitude dans ces classes pour les débutants. Il avait compris qu’il valait mieux exploiter l’avance que j’avais …



(à suivre…prochain: "(...) qu'est-ce que je vais faire avec un diplôme?.." Et le peintre de partir  en voyage à travers le monde...)


 


 

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