J’avais
été frappé, il ya plus d’un an par une peinture originale, forte et
« parlante » que le hasard du net m’avait mis sous les yeux et dont
je ne connaissais pas l’auteur…
A
bien regarder cette « vivante » accompagnée d’un poème d’interrogation
philosophique de l’artiste lui-même écrit en arabe, je compris qu’il ne
s’agissait pas d’une simple provocation stylistique … Tant l’œuvre cohérente, à
la fois attractive pour les sens suscite surtout dans le même mouvement une
réflexion aérée de l’esprit ; une réflexion qui remet celui-ci en marche sur
ce qui semble n’avoir été que sentiers battus en matière de calligraphie
contemporaine chez nous, en Algérie, jusque là. En tout cas un petit séisme sur
les réseaux sociaux que venait conforter des « répliques » de même
force qui soulignait que l’artiste menait bien un travail créatif de « fond » sur ce thème…
Sidi Bel Abbès – Alger
Il
aura fallu quelques mails et un voyage de sa ville natale sur la capitale (en
taxi places) pour que je puisse rencontrer non un sexagénaire mais un jeune
homme d’une trentaine d’années : Ghalmi Mohamed Amine, sur le boulevard
front de mer, prés du square Sofia, un de ces jours lumineux où les navires du
port semblaient juste être posés là comme des mouettes au repos…
En fait une double
nécessité avait fait parcourir les 400 et quelques kms à Mohamed Amine ;
la première : concourir avec une
œuvre dans l’espoir de décrocher un prix (un besoin sérieux d’argent) et,
d’autre part pour quelques uns de ses travaux de plasticien (qu’il veut
absolument garder et ne pas vendre) les déposer à l’Office national des droits
d’auteur (ONDA) pour les préserver de toute atteinte de plagiat –une pratique
devenue un sport national dans un pays en panne d’idées neuves…
Mais avant qu’il ne
refasse les 430 kms de retour dans l’après midi de la même journée, je voulais vraiment
comprendre quelle avait pu être l’inspiration qui avait mené Mohamed Amine
Ghalmi aux magnifiques toiles qui m’avaient interpellé et émerveillé ...
Enfances de l’art
« Quand j’étais enfant, se souvient-il,
j’avais eu une bronchite asthmatique qui m’a obligée à passer la période de la
crèche et de la première année primaire à l’hôpital des asthmatique prés de la
montagne de Tessala , célèbre à Sidi Bel Abbès. J’avais entre quatre et cinq
ans. Là j’ai appris à dessiner avant d’apprendre les lettres et les chiffres… Je
me souviens que je reproduisais des dessins d’emballage, des personnages de
dessins animés ou de bandes dessinées ; ce qui m’aidait a soulager les
souffrances de la maladie. Le dessin était ainsi mon langage et mes parents eux
mêmes étaient surpris par ce don…»
Je m’informais pour
ma part sur ce sanatorium qui se situe en fait à El Atouche, sur la chaine du
Djebel Tessala à quelques 1000 mètres d’altitude. La région abritait dans les
temps anciens des animaux sauvages tels que le lion ou la panthère noire ;
aujourd’hui elle compterait en sus de réserves d’herbes médicinales un lézard
unique au monde… Dans l’antiquité, la zone avait connue l’occupation militaire romaine
et se dénommait Astacilis. Il se trouvait là le fort d’une garnison
romaine qui pouvait rassembler jusqu'à 200 militaires face aux berbères
derrière une muraille épaisse de 3 mètres. Fort qui n’existe plus…
Le fort d’Astacilis,
extrait de la Revue africaine de 1857
Pour en revenir à
Mohamed Amine Ghalmi, il ne cessera de dessiner durant tout le fil de sa
scolarité, aiguillonné de ci de là par quelques peintures de Baya Mahieddine,
de Khadda ou Mesli entrevues dans un livre ou une revue…
Pour lui le dessin
est plus qu’un loisir, au point qu’adolescent, vers l’âge de 16 ans, il décide
d’arrêter ses études secondaires (alors qu’il est très bon élève, aime lire entre
autres Ibn Rochd et El Ghazali) pour
faire du dessin une profession et même un moyen d’expression. Il se met
également à pratiquer les arts martiaux vietnamiens. L’atout majeur dans cette
décision est la compréhension de sa famille. Et d’aller, comme il dit, directement
« sur le terrain » en tant que décorateur de devantures de magasins.
Plus tard : la décoration d’intérieur. Il est dés lors jusqu’à ce jour soutien
de famille…
Ce n’est qu’après
avoir trouvé une certaine stabilité à sa famille qu’il s’inscrit à vingt deux
ans aux beaux arts de Sidi Bel Abbès où il est reçu premier au concours
d’entrée en 2007. Il y fera l’ensemble de sa formation en tant que major de
promotion dans tous les modules (calligraphie, miniature, dessin académique,
peinture…) Un de ses professeurs qui lui
enseignera les bases de la peinture tant acrylique, l’aquarelle, à la gouache
que la peinture à l’huile sur tous supports est Abdelkader Belkhorissat devenu
depuis Directeur de cette école.
Mohamed Amine
Ghalmi en entretien avec moi dans une pizzeria des hauteurs de Garidi
C’est parce que le
profil de Ghalmi Mohamed Amine est hors du commun (out of limits) que j’insiste sur comment c’est finalement la calligraphie (pratique tout a fait
secondaire dans nos écoles d’art) qui prend la meilleure part dans son travail
de plasticien…
« Mon histoire avec la création commence en
fait en quatrième année des beaux arts, moment où je devais donner une
orientation à ma carrière professionnelle artistique. C’est là où je
commençais à pratiquer la calligraphie sur d’autres supports avec d’autres
moyens que l’encre et les plumes de bambou sur papier. J’utilisais la toile et
l’intégration de lettres arabes dans la peinture, comme peinture graphique, car
qu’il soit symbole ou lettre ça reste toujours un graphique… C’était le
premier pas. Je commençais à aimer des peintres qui avaient de l’influence sur
moi : M’Hamed Issiakhem, Mohamed Kadda, Denis Martinez ; le courage aussi
et la volonté des jeunes peintres impressionnistes du 19ème siècle
qui se sont développés à l’encontre du romantisme et du néo classicisme ;
puis l’action-painting…Ca, malgré qu’à l’école des beaux arts de Sidi Bel
Abbes, entre 2007 et 2011, pas une fois nous n’avons fait une sortie
pédagogique dans un musée. Jamais. L’outil internet m’a heureusement beaucoup
aidé. Elhag fi waktou…»
Détail
photographié en N & B
« une » réflexion
philosophique, dit-il...
En fait, c’est au
moment de sortir de l’école des beaux arts que Ghalmi Mohamed Amine commence à
se poser dans son atelier des questions de fond et de poids, des questions
radicales.
« … Je suis un être humain avant d’être un
artiste … Mais qui suis-je ?... Bien qu’artiste, je suis un humain qui ne
vit pas seul, bien sur. Aussi dans un lieu géographique donné tel Sidi Bel
Abbes où je suis né quel destin commun est ce que je partage ?.... Même si
ce petit coin de géographie ne peut être séparé d’un ensemble qui va de la
Libye à la Mauritanie, je suis issu d’une civilisation berbère avec une forte
culture saharienne, gnaouie et autres, pratiquement sans frontière avec
l’Afrique noire… »
Profitant du moment
où le serveur posait les pizzas commandées, une pizza harlem pour lui (pizza :
encore une autre histoire nous venant du 16 ème siècle florentin, au
moins…) je demandais à Mohamed Amine d’où lui venait cette préoccupation forte pour
la philosophie ; bien sur, il me l’avait dit : depuis le lycée; mais
encore ?...
« … C’est par moi-même… J’aime la difficulté
notamment dans la manière d’écrire et de d’exprimer des idées en arabe. Ce
plaisir je l’ai trouvé dans les contes philosophiques arabo-islamiques. J’ai
bouquiné çà depuis l’adolescence ; mais ce qui n’avait pas de lien avec
l’art je l’ai finalement retrouvé en dernière année des beaux arts… Et dans mon
atelier seul face au chevalet et aux petits tabourets, je me demandais :
artiste je suis, artiste magharibi
certes, et…de ce mot même d’identité, fusait une petite lumière… Tout ce que
j’avais techniquement et thématiquement apprit, même l’histoire de l’art, que
j’avais bien assimilé, me venait d’occident… Mais notre art, notre
patrimoine ?... Mon autre question était : si on a des peintres en
Algérie, est-ce qu’on a une peinture algérienne ?...
Cela
me rappela qu’après ma maladie, toujours enfant, j’avais fait l’école coranique
à la mosquée. C’était des flashs, ancrés dans ma mémoire… L’enfance, source
d’inspiration. Ne dit-on pas : l’Artiste est l’Enfant de son Environnement
(el fenane houa
ibnou bia-tih), de la nostalgie, des
questions identitaires qui-suis-je et toutes ces questions qui ne cessent en
fait de tourner en boucle… C’étaient les débuts, et à ces questions il n’y
avait pas de réponse à 100%, pas de réponse satisfaisante à ma curiosité…Dans
le même moment je comprenais que j’aimais la peinture, mais qu’il n’y avait pas
ici de spécialité en calligraphie comme ailleurs en Iran, au moyen orient, en
Turquie, etc.... Alors j’ai joins les deux, je les ai fusionné dans mon
plaisir… »
La
quatrième lettre de la parole (peinture de M.A. Ghalmi)
Des
Houroufiyate aux silhouettes du Tifinagh
Comme à son
habitude Mohamed Amine, ressent le
besoin de faire d’abord un long flash back historique explicatif (malgré les incommensurables
« trous » sur l’histoire de l’art arabe moderne) quant à la naissance
des houroufiyate au milieu du 20 eme
siècle au moyen orient, non plus avec de l’encre de chine sur papier comme de
tradition, mais sur les nouveaux supports de la toile peinte…
Airbus de la Gulf Air peint par le plasticien tunisien NJA MAHDAOUI
« Mais,
tient-il à préciser, el houroufiyate sont moins une école constituée (comme le
cubisme ou le surréalisme par exemple) qu’un mouvement artistique. La
différence est importante, parce qu’on en est encore à beaucoup
d’improvisations et beaucoup de recherches. Que le destin de ce mouvement
aboutisse demain à une école (au départ il y avait par exemple le calligraphe
El Massoudy) la question reste posée, sans réponse définitive…D’autant que ce
mouvement avait intéressé à ses débuts les pays du Golfe qui l’ont intégré à
leurs flux commerciaux. Première déviation… Tout ce qu’ont pu préciser les
critiques d’art c’est qu’on ne peut pas donner à ce mouvement le nom de calligraphie.
C’est plutôt l’intégration de la technique de la calligraphie dans le fonds
même de la peinture et pas seulement sur son support. La calligraphie en
elle-même est un art, la peinture en est un autre...Puis de dépassement en
dépassement on en est arrivé à l’intégration de la lettre seule, ou quelques
lettres arabes fusionnées entre elles qui font une masse graphique qu’on peut
esthétiquement voir de façon abstraite.
On est donc parti du concret vers l’abstraction, parce que la fusion d’un alif
avec un jim ou un waw n’a aucun sens littéral. Qu’on puisse les lire ou pas. Seulement
un résultat esthétique. Les iraniens eux-mêmes ont commencé a fusionné des
lettres perses avec des lettres arabes. A signaler au passage que le Alif de la
langue classique arabe et le Alif écrit de la tariqa el maghribiya avec sa
hemza ne sont pas tout à fait les mêmes…
la première des quatre lettres de la parole (peinture M.A. Ghalemi)
Il
y a aussi par ailleurs de très vieux fonds de calligraphie chinoise ou
japonaise dont une des qualités esthétiques en plus de la précision est la gestuelle, la spontanéité. N’oublions
pas qu’à l’époque abbasside les calligraphes avaient déjà transformé leur art
avec l’importation du papier et de l’encre de Chine… Autrement dit l’objectif aujourd’hui
est de continuer à transformer une partie du patrimoine artistique islamique (et
pas seulement arabe) et l’amener vers plus d’abstraction et de spontanéité.
L’objectif n’est pas de donner à voir une peinture fast-food, mais d’aiguiser
la curiosité du spectateur : qu’il déchiffre, qu’il des se demande ouin
rah lartist, sans politiser et en fuyant les extrémismes…
Mon
parcours personnel en est à la fusion d’une lettre d’une langue à la lettre
d’une autre. Nous avons justement en Algérie (Maghreb central) une grande
variété de langues et de lettres différentes provenant des fonds berbère, arabe
et d’Afrique noire qui permettent un nouveau travail d’abstraction en en
faisant le mélange, la fusion dans un style d’écriture maghribi qu’on a
l’habitude de pratiquer à l’école coranique. Ainsi si Martinez est intéressé
par « Aouchem », par les tatouages, moi de part mon penchant pour
l’écriture je suis intéressé par les lettres arabes et tifinagh et leur
prononciation… Mais il faut dire aussi que ce qui existe en Algérie est le fait
de l’ensemble du Maghreb. El houroufiyates, dont on ne sait pas qui a inventé
le terme, est un mouvement plastique qui se pratique dans tout le Maghreb. Allons
nous alors vers un art maghrébin ?.. »
Le premier des
six remplaçants (peinture de M.A. Ghalmi)
Le troisième
remplaçant… (peinture de M.A. Ghalmi)
Une conclusion qui n’en (évidemment) pas
une.
On pourrait
continuer des heures et des heures à discuter avec Ghalmi Mohamed Amine, écouter
la manière avec laquelle il fusionne tous les éléments de son parcours, sans
rien en rejeter fussent-ils les plus désavantageux, douloureux ou âcres à la
mémoire. Maladie d’enfance chronique. Curiosité insatiable pour les savoirs et
la réflexion. Plaisir de dessiner et communiquer. Chercher et chercher encore… Un
des termes qui revient souvent dans son parler est celui de
« fusionner », autrement dit : faire la synthèse de…. Mais aussi
un proverbe anglais qu’il affectionne: « Hard Work, Dream Big », que je traduirais personnellement
par : aux grands travaux, les grands rêves….
« Homme
lettres », autoportrait de l’artiste : « Hard Work, Dream Big »
J’ai continué à
l’écouter attentivement alors que, pour le temps court de moins d’un jour qu’il
avait a passer dans cette ville « mekhlta »,
j’essayais de le mener en voiture dans les principaux coins
« graphiques » : Saint Eugène, son boulevard front de mer, sa
synagogue oubliée ; Bab el Oued et ce qui fut son Rocher carré ;
Notre Dame d’Afrique et sa vierge noire; les banlieues sud dominant les
brumes de la Métidja, puis la gare routière des taxis longues distances…
Attendre peut être
une exposition ou, inchallah, une
belle publication (les miracles font parfois partie du réel), pour
« revenir » sur les pratiques inédites et modernes de ce jeune
plasticien ; sur sa spiritualité en développement…
Ghalmi Mohamed Amine, se tirant un
« selfie » sur l’esplanade de Notre Dame D’Afrique, avec la basilique hors cadre, derrière lui… (photo
Abderrahmane Djelfaoui)
Abderrahmane Djelfaoui
honorés, très honorés, nous qui le connaissons, autant qu'Algeriens, autant que assoiffés pour l'art, un plaisir doré nous tiens le cœur de voir ses oeuvres extraordinaires, de visiter son âme sensuelle pleine de plus a donner, vous m'ispirez personnellement mr l ARTIST merci infiniment.
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